L’intérêt public doit passer avant les profits des entreprises
Les PPP, un cheval de Troie pour conquérir notre patrimoine public
Après la réingénierie et l’article 45, le gouvernement libéral, notamment le premier ministre Jean Charest et la présidente du Conseil du trésor Monique Jérôme-Forget, semble obsédé par un nouveau concept qui se résume en trois lettres : PPP. Qui n’a pas encore entendu parler des PPP ? Mais de quoi s’agit-il exactement ? De Privatisation du Patrimoine Public, de Profits Privilégiés pour le Patronat ou de réels partenariats desquels tout le monde sort gagnant ? Selon nous, quelle que soit la définition que l’on choisit, les PPP sont synonymes de démantèlement de l’État québécois, de coûts additionnels pour les citoyens et les citoyennes, d’une détérioration des conditions de travail et d’une baisse de la qualité des services publics… mais d’une augmentation des profits pour les entreprises.
Les PPP prennent forme après la signature de contrats de très longue durée, entre une agence plus ou moins autonome par rapport au gouvernement, et des entreprises privées, pour le financement, la conception, la construction, l’exploitation et la propriété de services d’installations et d’infrastructures publiques. En d’autres mots, le secteur privé emprunte de l’argent pour construire et gérer des installations publiques en échange de quoi le secteur public verse un loyer pour pouvoir les utiliser ou un paiement pour obtenir une prestation de service. Il ne s’agit donc pas d’un simple contrat de construction avec le privé envers lequel il n’y aurait rien à redire, mais de la perte de contrôle sur nos hôpitaux, nos écoles, la gestion de l’eau, de l’énergie et même des prisons. Les PPP pourraient s’appliquer à tous les secteurs d’activité publique. Ils constituent un pas vers la privatisation des services publics et sont un cas manifeste de sous-traitance ! De la part d’un gouvernement qui veut moderniser l’État, il est difficile de comprendre pourquoi tout est mis en œuvre pour revenir en arrière. L’accès à des services de santé et d’éducation publics et universels sont des acquis sociaux qu’il faut que nous conservions au même titre que la gestion publique de l’eau et de l’énergie.
Un projet idéologique dans la lignée de la réingénierie
Avec le gouvernement Charest, les projets antisociaux se succèdent. Le problème est que ce gouvernement ne comprend pas que la solution n’est pas de remettre les clés de l’État au privé mais d’être compétent pour gérer les affaires publiques. Les PPP comme la réforme de l’article 45 sont défendus par les libéraux comme s’il y avait péril en la demeure. Ce n’est pourtant pas le cas, la croissance économique est au rendez-vous et, si l’on en se réfère au gouvernement fédéral, il y a même possibilité d’envisager des surplus budgétaires. Les politiques actuelles résultent en fait d’une démarche idéologique plutôt que pragmatique. D’ailleurs le Parti libéral n’a pas jugé bon de consulter les groupes sociaux sur la pertinence des PPP. Il les a uniquement consulté sur la manière dont ils seront mis en œuvre par l’agence des PPP !
Les PPP apparaissent comme une suite logique à la réforme de l’article 45 du Code du travail. À cause de cette réforme, la sous-traitance des services publics est rendue plus facile. Les emplois, les salaires et les avantages sociaux sont encore une fois menacés, car les travailleurs et les travailleuses vont changer d’employeur sans que leur convention collective ne les suive. Au contraire, les grosses entreprises multinationales qui vont obtenir les contrats PPP vont pouvoir engranger d’importants profits grâce à l’argent des contribuables. Seulement quelques grosses entreprises seront en effet capables de répondre à des appels d’offres pour des projets aussi gigantesques que la construction et la gestion d’une autoroute, d’un hôpital ou d’une école.
Pourquoi remplacer le monopole du public par celui du privé? Parce que l’équipe libérale gère le patrimoine public québécois avec une logique purement marchande laissant traîner dans la brume la notion d’intérêt général. Les citoyens et les citoyennes sont trop souvent considérés comme des clients à qui on aurait un service à vendre afin de réaliser des profits. Mais voilà, ce n’est pas le rôle de l’État, il faut revoir la croyance selon laquelle nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir des services publics de qualité et accessibles à tous sans l’apport de capitaux privés. Le Québec a les moyens de conserver et de développer un patrimoine public qui nous appartient tous. Les PPP ne vont pas dans cette direction. Inspirés par la logique marchande, les faits démontrent qu’ils ne sont pas économiques et que la qualité des services qu’ils offrent passe après les profits.
Les PPP coûtent plus cher
Un des arguments principal pour promouvoir les PPP est qu’ils permettent de réaliser des économies. Malheureusement, cela est faux. L’utilisation des PPP coûte plus cher en raison du coût plus élevé des emprunts pour le secteur privé (en comparaison avec le taux que peut avoir le gouvernement). Par exemple, selon une étude réalisée au Royaume-Uni, champion dans le domaine, sur un contrat PPP touchant un hôpital le gouvernement devra payer 83 millions de livres sterling par année pendant 30 ans soit un total de 2.5 milliards. Si le projet avait été financé par le public, le coût total aurait été de 829 millions, soit 66% de moins ! Achèteriez-vous une maison avec votre carte de crédit lorsqu’une banque a accepté de vous prêter de l’argent ? Non, et bien, la présidente du Conseil du trésor souhaite le faire pour nous !
Ce type de partenariat permet au gouvernement de ne pas imputer à son service de la dette ces montants (sous prétexte que ce sont des baux), même si c’est le contribuable qui en assumera les coûts en bout de ligne. Les PPP apparaissent alors comme une manœuvre politique de la part de gouvernements qui, d’un côté, peuvent se vanter d’avoir construit de nouvelles infrastructures et, d’un autre, de ne pas avoir dépensé. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que le contrat PPP est signé pour des dizaines d’années et qu’en fin de compte, il coûtera plus cher. La facture est ainsi étalée dans le temps et permet de cacher la dette publique. Gains politiques et profits pour les entreprises privées, telle est la recette du pouvoir pour les libéraux.
Les PPP coûtent donc plus chers car le gouvernement peut emprunter à des coûts moindres que le privé mais ils coûtent aussi plus chers car ils peuvent entraîner de nombreux frais supplémentaires. Il faut en effet intégrer aux coûts des PPP les frais administratifs et juridiques, les frais de surveillance et ceux liés à l’appel d’offre. Il faudra aussi parfois ajouter des frais d’utilisation pour certains services. L’autoroute 407 en Ontario, dont les frais d’utilisation ont augmenté de 200% depuis sa création, en est un bon exemple. L’obligation de payer pour les activités parascolaires dans les écoles PPP de Nouvelle-Écosse en est un autre. Si un nombre croissant de services deviennent payants, seuls les mieux nantis auront les moyens de se les payer et le rôle de répartition de la richesse, attribué normalement à l’État, sera encore davantage remis en question. Ce n’est pas tout. Il faudra aussi intégrer aux coûts des PPP et la réduction d’impôt qui sera accordée aux entreprises participantes. Encore une fois, le gouvernement se donne les moyens de ne plus en avoir.
Dans ces conditions, comment peut-on penser que le gouvernement va réaliser des économies, surtout lorsque les profits font partie des coûts? Qui va, en dernier recours, assumer les risques (faillite ou infection dans un hôpital par exemple) de telles activités ? En échange de revenus garantis pour les entreprises, les risques seront en dernier recours en partie assumés par la collectivité comme cela a été le cas en Nouvelle-Écosse, en Ontario et au Royaume-Uni. Même l’ancien chef du Parti libéral, Claude Ryan, mettait en garde contre la logique du privé dans la gestion des affaires publiques. « La logique du profit l’incite à se désintéresser des clients moins rentables. Même quand l’entreprise privée réussit, elle n’est pas en mesure d’offrir les mêmes garanties de qualité et de continuité que le secteur public dans les services » affirmait-il. Le conservateur et ses acolytes actuellement à la tête du Parti libéral du Québec devraient sans aucun doute s’inspirer davantage de ces propos.
Une perte de contrôle sur les services publics et une réduction de la responsabilité politique
En plus de brader une partie de la richesse collective aux mains des entreprises privées, le gouvernement se déresponsabilise face à la gestion des services publics. Ce n’est même pas le Conseil du trésor et sa directrice qui s’occuperont des PPP et qui en seront responsables devant le public mais une agence dont la composition reste à déterminer. Avec une telle organisation, on peut se demander qui va rendre des comptes à la population au sujet de la gestion des infrastructures publiques : le gouvernement, l’Agence ou les entreprises ? Nous sommes face à un réel manque d’imputabilité et a une déresponsabilisation de la part des dirigeants politiques. Ces derniers risquent en effet de rejeter la responsabilité de la gestion des PPP sur l’Agence ou les entreprises.
En plus de ce problème d’imputabilité, les PPP soulèvent des questions quant à la transparence à la fois de l’attribution des contrats et de la gestion des infrastructures. L’Agence aura une double fonction. Elle devra faire la promotion des PPP et sélectionner les partenaires ! Les experts-conseils qui ont travaillé avec le gouvernement pour élaborer le projet seront d’ailleurs les mêmes qui postuleront pour obtenir des contrats. Nous sommes en présence d’un véritable conflit d’intérêts.
Et comment va-t-on pouvoir contrôler les activités des entreprises qui géreront éventuellement nos écoles et nos hôpitaux? En réponse à cette question, un des responsables de la Commission d’accès à l’information affirmait : «Au chapitre de la transparence des activités de partenariat, on ne peut nier le fait qu’un transfert de responsabilités d’un organisme public clairement assujetti à la Loi sur l’accès à l’information vers une entreprise privée sur qui reposent des obligations de transparence aux contours incertains risque de créer certains remous en matière d’interprétation des règles d’accès à l’information ». Malgré les timides réformes effectuées par Monique Jérôme-Forget après les consultations, le projet des PPP reste intact et les liens entre le privé et le public demeurent incertains.
Sans cette information et sans influence directe sur les gestionnaires, la perte de contrôle démocratique sur les établissements publics est inévitable. Avec ce transfert de responsabilités vers le secteur privé, les conséquences pourraient être relativement importantes. À court terme, si ni le gouvernement ni les entreprises ne veulent assumer la responsabilité d’une hausse des coûts de gestion ou d’un événement imprévu comme une infection, cela risque de retomber sur les usagers avec la mise en place d’une tarification des services publics ou une augmentation de celle déjà en place. À plus long terme (n’oublions pas que la durée des contrats peut atteindre 30 ans), nous risquons de perdre l’expertise publique pour les tâches confiées au privé. Enfin, nous risquons aussi de récupérer des installations obsolètes car les entreprises n’auront pas jugé utile de les entretenir sachant que le locataire aura signé pour trente ans.
Une menace sur la qualité des services
Sans entretien correct des infrastructures, sans le nombre d’employés suffisant pour effectuer le travail nécessaire et surtout sans pouvoir contrôler ce qui est fait ou pas, les PPP constituent une menace pour la qualité, l’accessibilité et la sécurité de nos services publics.
Les risques concernant la qualité des services rendus dans le réseau de la santé illustrent bien les menaces que les PPP laissent planer sur l’ensemble des services publics. Tous les services connexes aux soins à proprement parler pourraient être gérés par le privé sous forme de partenariats. On pensera par exemple aux services de nettoyage et d’alimentation. Au Royaume-Uni, entre 1997 et 2003, 14 contrats de partenariats publics privés dans ce secteur d’activité ont dû être résiliés. L’entretien d’un établissement de santé doit avoir un seul objectif, celui de la santé publique. La recherche de profits ne devrait pas entrer en considération dans la gestion de ce type d’activité. Lorsque cela arrive, c’est la sécurité même des usagers/citoyens qui est menacée. Si cela est évident en ce qui concerne les soins de santé, l’exemple des écoles gérées par le privé à but lucratif est tout aussi édifiant.
Nous devons rejeter les projets de PPP et exiger des services publics gratuits et de qualité pour tous
Les PPP ressemblent donc plus à une vente aux enchères du patrimoine public qu’à un partenariat, c’est-à-dire à un échange profitable aux deux parties liées au contrat. Ces partenariats sont en fait des ententes à sens unique qui constituent une nouvelle voie vers la privatisation des services publics. Ils peuvent se résumer en quatre points : baisse de la qualité des services, augmentation des coûts, détérioration des conditions de travail et augmentation des profits pour les grandes entreprises privées. Pour illustrer le projet de Jean Charest et de Monique Jérôme-Forget, on pourrait dire qu’avec les PPP, le gouvernement veut vendre la maison pour payer l’hypothèque alors qu’il avait des revenus garantis. Rappelons ici que, pour l’État, le paiement d’un loyer coûte plus cher que le remboursement d’une dette !
De plus, avec la perte de contrôle sur les infrastructures publiques que représentent les PPP et le transfert de responsabilités vers le privé, on peut se demander pourquoi les ministres en place ont été élus. Si le gouvernement ne veut plus s’occuper des affaires publiques, qu’il parte. Pour bien comprendre le plan de match de l’équipe libérale, il faut revenir à l’idéologie néolibérale qui est derrière le Plan de modernisation de l’État québécois. Selon celle-ci, le Québec n’aurait pas les moyens financiers suffisants pour offrir des services publics gratuits et de qualité sur l’ensemble de son territoire. Ainsi, moins d’État signifierait mieux d’État. Pourtant, la croissance économique est au rendez-vous et les perspectives sont, dans l’ensemble, loin d’être catastrophiques.
Face à cette vision rétrograde de nos dirigeants, il faut réaffirmer notre volonté que l’État québécois serve d’instrument de justice sociale et de répartition de la richesse. Pour cela, il faut s’opposer à la privatisation et à la tarification des services publics. Au contraire, il faut proposer une solution de rechange qui est le renouvellement du secteur public, basé sur l’engagement du gouvernement à l’égard du financement et de la prestation de services abordables et de qualité. Le gouvernement doit démontrer qu’il a la volonté de financer et de gérer directement la construction, l’exploitation et l’entretien d’écoles, d’hôpitaux, de routes, de réseaux d’aqueducs et de collecte des eaux usées et d’autres infrastructures et services essentiels. L’endettement nécessaire pour ces types d’activités doit être vu comme une responsabilité gouvernementale et une priorité pour la population. Nous devons obliger le gouvernement à reconnaître et à rendre compte des coûts cachés et des coûts à long terme des PPP. Mais il importe encore plus d’évaluer la menace que les PPP font peser sur la qualité, l’accessibilité et la sécurité des services publics. Finalement, nous devons placer l’intérêt public devant les profits des entreprises.
Pierre Avignon (Attac Québec)
Les commentaires sont fermés.