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Robert Jasmin, co-président d’ATTAC-Québec
Après deux ans de gestation et de mise en œuvre, ATTAC-Québec a officiellement vu le jour le 8 avril 2000. Dix ans déjà. Dix ans d’animations, de formations, de publications et d’implications de toutes sortes tant au Québec qu’à l’étranger. Dix ans de reconnaissance tant par les autres mouvements sociaux ou syndicaux que par nos adversaires de toujours (je pense à ce dirigeant de l’Institut économique de Montréal qui a refusé de participer à un débat public après avoir appris qu’il devait débattre avec un représentant d’ ATTAC – quelle reconnaissance!).
En octobre 2001, je participais avec, entre autres, Bruno Jetin d’ATTAC-France, à une rencontre internationale sur les taxes globales à Vancouver. Qui aurait cru alors, qu’en 2010, le même Bruno Jetin serait convoqué à Washington par le FMI pour alimenter le contenu d’un rapport sur les taxes globales que ce dernier prépare en prévision de la rencontre du G-20 en juin prochain ?
Quand Radio-Canada a pensé à une émission sur les paradis fiscaux, c’est à ATTAC-Québec qu’on s’est adressé. Il y a cinq ans de cela et déjà nous jouissions d’une crédibilité solide en la matière. Quand deux cents personnes retraitées se sont réunies à Shawinigan pour comprendre les mécanismes et surtout l’idéologie qui ont produit la crise actuelle, c’est à ATTAC-Québec qu’elles ont eu recours.
Ce ne sont que quelques exemples qui illustrent le chemin parcouru durant ces dernières années. Mais pour lutter contre la globalisation néolibérale l’indignation n’a pas suffi. Nous avons dû apprendre, comprendre et échanger des connaissances entre nous, les valider auprès d’alliés universitaires ou spécialistes et en organiser la diffusion auprès du grand public avec un souci permanent de vulgarisation.
Tout ceci n’a été possible que parce que des dizaines de militantes et de militants ont cru et décidé qu’il fallait le faire. Et il n’y avait pas de chemin, il n’y avait qu’une volonté ferme de le construire. C’est en ce sens qu’on peut parler du chemin parcouru. Devant la crise actuelle qui, selon plusieurs, n’est qu’un prélude à celles qui s’en viennent, nous pouvons dire qu’hélas! Nous avions raison mais il serait dommage de se contenter de ce mérite moral. Il nous faut utiliser notre crédibilité pour aider à contrer les forces de la régression qui se concertent de nouveau pour sauver un système discrédité même par la réalité. La fierté d’avoir réussi le chemin parcouru doit nous inciter à construire le chemin à parcourir. Bon dixième anniversaire !
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Par Monique Jeanmart
En 1972, l’américain James Tobin, prix Nobel d’économie, proposait d’établir une taxe sur les transactions du marché des changes. Taxe qui ne s’est jamais concrétisée à cause de l’opposition des lobbys financiers, mais que la crise financière semble ramener sur le devant de la scène.
Qui était James Tobin? Non pas un dogmatique ou un dangereux révolutionnaire, mais un économiste qui considérait la spéculation financière comme un ennemi du capitalisme. Tobin ne voulait pas entraver les activités de la Bourse, mais pénaliser les spéculateurs dont l’activité affectait l’économie tout entière. Une taxe de 0,025% ne pénaliserait pas les investisseurs à long terme, mais affecterait les spéculateurs qui verraient les activités « socially useless » frappées d’une taxe à l’achat comme à la revente. En taxant seulement certaines opérations spéculatives, on ne nuirait pas aux investissements nécessaires à la bonne marche de l’économie, mais on ralentirait les mouvements de devises qui ont réussi à faire trembler des économies entières. Tobin ne voyait pas cette taxe comme une sorte « d’impôt humanitaire »; son objectif n’était pas de rendre le monde meilleur, mais simplement de « mettre un peu de sable dans la roue trop bien huilée de la spéculation ».
Ramenée sur le devant de la scène par la crise financière, voici que l’idée de Tobin refait surface, en Europe, dans une version modernisée. Appuyés par d’éminents économistes (Joseph Stiglitz, Paul Krugman, François Morin), douze pays, réunis autour de Bernard Kouchner et Gordon Brown, reprennent la réflexion et mandatent un comité de 9 experts afin d’étudier l’impact, la faisabilité et l’applicabilité d’une taxation des activités financières internationales. Leur rapport est attendu pour mai 2010. L’étape suivante sera de former une masse critique de 60 États partenaires afin qu’elle soit déposée, examinée et entérinée par l’Assemblée générale des Nations unies. Cette taxe, qui depuis la fin des années 90, constitue une des 3 revendications du mouvement altermondialiste [1], est réactualisée dans sa forme et dans sa finalité, mais avec une portée beaucoup plus modeste. La proposition européenne s’appliquerait à toutes les transactions financières, mais seulement à hauteur de 0,005 %. Elle devrait générer quelque 30 milliards de dollars annuellement qui devraient être consacrés au développement des pays pauvres.
Que penser de cette nouvelle proposition? S’il est vrai que le taux envisagé est trop peu élevé pour enrayer la spéculation et pénaliser réellement les spéculateurs, cette taxe, même à un taux minime, à l’avantage de faire avancer l’idée d’une taxation internationale et de montrer qu’elle est tout à fait réalisable. Preuve que l’idée fait son chemin, même au niveau des institutions internationales, un représentant d’ATTAC (accompagné de 2 autres experts) [2] ont été reçus, le 28 janvier 2010, par le FMI (à Washington), afin de discuter de la faisabilité de cette taxation internationale. Cette consultation est d’autant plus importante que le FMI a reçu le mandat, lors du sommet du G20 (à Pittsburgh), de faire des propositions pour mieux réguler le système financier international. Un rapport sur cette question devra être soumis aux ministres des finances qui devront se prononcer lors du prochain G20 (en juin à Toronto).
Sans être une solution miracle, cette taxe devient donc un outil de lutte contre les inégalités et la pauvreté. Mais cette utilisation n’en est pas la seule finalité : aux yeux des responsables européens actuels, cette taxe serait un des moyens de régulation de la finance mondialisée, une façon de lutter contre les bulles spéculatives si néfastes à l’économie et, surtout, « une tentative de moraliser un capitalisme exacerbé ».
Quelle position adoptera le Canada lors de ce prochain sommet? Montrant, une fois de plus, sa totale ignorance, le ministre Flaherty a déjà déclaré qu’il s’opposerait à une telle taxe « parce que les Canadiens n’ont pas besoin de nouvelles taxes ». Faudrait-il lui rappeler que Canada, en 1998, sous le gouvernement de Jean Chrétien, avait déjà approuvé le principe d’une telle taxe!
Notes
[1] Les principales revendications d’ATTAC : taxation financière internationale, abolition des paradis fiscaux et équité fiscale par imposition des revenus du capital.
[2] Bruno Jetin, membre d’ATTAC-France et de l’Université Paris-Nord, Rodney Schmidt, membre de l’institut Nord-Sud du Canada, Stephen Schulmeister, Université de Vienne.
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Par Monique Jeanmart
Depuis une vingtaine d’années, et particulièrement en ces temps de crise, de nombreuses critiques s’élèvent contre la domination du PIB comme mesure de l’état du développement et de la richesse des sociétés. Par ailleurs, l’évolution économique récente, particulièrement la crise, met en évidence le décalage entre la réalité vécue par les populations et la mesure statistique que les comptabilités nationales leur présentent. Personne ne se reconnaît dans ces moyennes, encore moins quand la réalité est que la situation de la majorité se détériore. Alors qu’il occupe - presque exclusivement - le devant de la scène, le PIB ne reflète plus les enjeux majeurs qui confrontent les citoyens et les sociétés.
Mais si tout le monde est d’accord pour le faire tomber de son piédestal, lui trouver un remplaçant qui fasse l’unanimité est une tâche complexe et qui soulève beaucoup de questions. Que veut-on mesurer? Comment le mesurer? Qui doit décider? Mais surtout, fondamentalement : qu’est-ce qui constitue la richesse des sociétés actuelles?
Les limites du PIB
« Ce qui ne compte pas finit par ne plus compter »
Dominique Méda
Comme toute mesure statistique, le PIB repose sur des conventions : il opère des choix sur ce qui compte et sur la manière de le compter. Simplifié, « il mesure ce qui est produit, pendant une période donnée, par du travail rémunéré ». Cette façon de regarder la réalité, résulte de la place historique que nos sociétés ont accordée à l’argent et surtout à une certaine forme de travail : celui qui s’échange contre de l’argent. Celui-là même qui occupe une place centrale dans nos vies et dans nos sociétés. Le PIB mesure donc certains biens produits par un certain type de travail.
De cette définition découlent les limites de la mesure. Le PIB ignore les activités non marchandes, quand bien même elles seraient essentielles à la vie des sociétés (le soin donné aux enfants dans le cadre de la famille, le travail domestique, le bénévolat, etc.) Pourtant ces activités ne sont-elles pas ce qui détermine le plus la qualité de la vie et la richesse de la vie en société?
De la même manière, il ne s’intéresse pas à la manière dont les biens sont produits dans une société, ni comment ils sont répartis entre les membres de cette société : il n’est pas sensible aux inégalités (revenus, accès à la santé, éducation, etc.)
Enfin, il ne prend pas en compte l’utilisation directe ou indirecte de la nature, pas plus qu’il ne comptabilise les dégâts engendrés par la production. La nature constitue un capital naturel : ces ressources naturelles dans lesquelles nous puisons constituent un patrimoine, qui, même s’il est difficile à évaluer devrait être considéré. Dans nos sociétés, seuls les désastres naturels - qui impliquent argent et travail pour être réparés - ont une valeur positive qui fait augmenter le PIB.
En résumé, le PIB, s’il mesure une certaine croissance, ne permet pas d’évaluer la qualité de cette croissance en omettant de comptabiliser le coût des dégâts sociaux et environnementaux (par exemple le chômage ou les maladies (physique ou mentales) engendrées par le travail, la pollution, etc.) Pas plus qu’il ne fait de distinctions entre les productions utiles (logements, écoles, etc.) ou néfastes (des armes). Le PIB, et les autres mesures de la comptabilité nationale, sont des outils que l’on a survalorisés et surtout qu’une longue tradition philosophique et économique a conduit à assimiler à une mesure du progrès.
PIB, progrès, richesse des sociétés?
Selon Dominique Méda [1], c’est une longue tradition philosophique, qui remonte à Adam Smith, qui a mené à assimiler croissance économique et progrès. C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui a instauré un monde dominé par l’impératif de la reconstruction et l’aspiration au progrès matériel, que l’on doit la domination du PIB comme mesure de la richesse et comme base de la définition des politiques économiques. Mais depuis, des changements majeurs sont intervenus, qui démentent l’assimilation croissance et progrès, tout autant qu’ils permettent de contester que le PIB mesure la « seule » richesse des sociétés.
Depuis les années 70, nous avons pris conscience de la fragilité des écosystèmes et de la finitude des ressources de la planète. Nous avons surtout pris conscience du danger d’utiliser un indicateur doublement néfaste puisqu’il ne tient pas compte de l’amortissement du capital naturel tout en comptabilisant positivement les dépenses nécessaires à la réparation des dommages que la production occasionne à l’environnement (quand la réparation est possible). On réalise de plus en plus que, la qualité de la croissance est plus important que la croissance elle-même et surtout que la croissance à un prix : les transformations structurelles des économies, la recherche du profit à tout prix, ont des coûts sociaux et environnementaux bien visibles, qui ne peuvent plus être ignorés. Pour l’économiste Jean Gadrey, face à la crise actuelle, « à force de sacraliser la croissance, on a négligé tous les autres indicateurs qui signalaient l’accumulation des risques »[2].
La Commission Stiglitz
Même si les indicateurs alternatifs ne font pas encore consensus, l’idée de s’affranchir de l’hégémonie du PIB progresse lentement. Déjà dans les années 80, de nouveaux concepts, tel celui de développement durable ou soutenable [3], proposaient de nouveaux indicateurs basés sur un constat : la façon dont nous mesurons la production aggrave les problèmes auxquels nos sociétés sont confrontées. En 2007, les principales organisations économiques internationales signaient la Déclaration d’Istanbul, qui reconnaissait « le besoin d’élaborer une mesure du progrès social de chaque pays qui aille au-delà des mesures économiques conventionnelles comme le PIB » [4].
Parce qu’elle conjugue des facteurs multidimensionnels, la crise actuelle rend encore plus nécessaire le recours à d’autres indicateurs. Sortir de cette crise appelle des remises en question que beaucoup souhaitent et que l’on voit se dessiner timidement. C’est dans ce contexte qu’en 2008, Nicolas Sarkozy a créé la Commission de mesure de la performance économique et du progrès social, sous la direction de Joseph Stiglitz et Amartya Sen – [5] deux Prix Nobel d’économie - elle regroupe 22 experts, avec l’objectif de développer de nouveaux instruments de mesure de la richesse des nations qui mettraient davantage l’accent sur la mesure du bien-être de la population plutôt que sur celle de la production économique. Clairement, le mandat de la Commission demande que soient prises en compte de nouvelles réalités, telles l’urgence écologique et la « soutenabilité » ainsi que la nécessité de définir des indicateurs qui reflètent réellement, pour les citoyens, la réalité de leur vie quotidienne. Sans reléguer le PIB aux poubelles de l’histoire, le rapport remis en septembre 2009, confirme la nécessité – peut-être pas de remplacer – mais de compléter le PIB par d’autres instruments de mesure qui évalueraient plus généralement tout ce qui constitue le bien-être, comme la santé, l’éducation, les inégalités, etc., l’environnement et le plus justement possible certaines activités non marchandes.
Même si quelques indicateurs ont déjà été définis tel l’Indice de développement humain (IDH, développé par le Programme des Nations unies pour le développement, PNUD), l’Épargne nette ajustée (ENA, développée par la Banque mondiale) la guerre de succession n’est pas près de se terminer parce que le défi est de taille. Trouver un indicateur, accepté internationalement, capable de condenser la complexité du réel, tout en étant opérationnalisable, et s’imposant à tous (économistes, politiciens, acteurs de la société civile) reste à faire et devra être le résultat d’un vaste débat public, ce dont ni les experts, ni les politiciens n’ont l’habitude.
Notes
[1] Dominique Méda, Quels progrès faut-il mesurer? » Revue Esprit, juin 2009
[2] Dominique Méda, PIB : le compte n’est plus bon, Alternatives économiques no 283, septembre 2009
[3] Développement durable ou soutenable : défini en 1989, par la Commission sur le développement et l’environnement, Rapport Bruntland, « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».
[4] La bataille des indicateurs, Alternatives économiques no 283, septembre 2008.
[5] Joseph Stiglitz, économiste américain, économiste en chef à la Banque mondiale entre 1997 et 1998, Prix Nobel d’économie en 2001 et Amartya Sen, économiste indien, spécialiste des questions de développement, Prix Nobel d’économie 1998 pour ses travaux sur le bien-être et la pauvreté.
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La Bourse contre la vie. Dérive et excroissance des marchés financiers par ATTAC-Québec, Éditions MultiMondes, 208 pp. (2010).
Le 17 mars dernier, au Bar Populaire, sur le boulevard St-Laurent à Montréal,
ATTAC-Québec et MultiMondes lançait le deuxième ouvrage collectif de son
Conseil scientifique. Après Où va notre argent? Une fiscalité pour les
riches, un livre qui retrace la richesse de notre société, La Bourse contre la vie explique la bourse et ses dérives, sans détour ni langue de bois. Piloté d'un main de maître par Raymond Favreau, président du Conseil scientifique d'ATTAC-Québec, il rassemble les points de vue des spécialistes et grands communicateurs que sont Gaétan Breton, Gilles Dostaler, Raymond Favreau, Louis Gaudreau, Jacques B. Gélinas, Robert Jasmin, Lucie Mercier, Éric Pineault, André Thibault et Claude Vaillancourt.
Ce livre est dédié à la mémoire de Raymond Favreau, décédé en décembre dernier et qui laisse un grand vide à ATTAC-Québec. Fondateur et âme du Conseil scientifique d'ATTAC-Québec, c'est en bonne partie grâce à lui qu'ATTAC-Québec s'est lancé dans l'aventure de la publication. Par son intelligence vive et son énergie, il a réussi à rassembler autour de lui des chercheurs et des intellectuels débordés qui ont malgré tout accepté de collaborer à ces projets ambitieux d'éducation populaire au sens le plus noble du terme.
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Calendrier des activités d’ATTAC
17 février 2010 : organisé par ATTAC-Montréal, rencontre avec Normand Mousseau sur son dernier livre « L’avenir du Québec passe par l’indépendance énergétique », Éditions MultiMondes.
Informations : www.quebec.attac.org
17 mars 2010 : en présence de quelques auteurs, lancement du livre d’ATTAC-Québec,
« La Bourse contre la vie. Dérive et excroissance des marchés financiers. », Éditions MultiMondes.
Un hommage sera rendu à Raymond Favreau, militant de la première heure d’ATTAC, qui a coordonné ce livre et qui est décédé en décembre dernier.
Informations : www.quebec.attac.org
1er avril 2010 : grande manifestation de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services (coalition dont fait partie ATTAC).
Manifestons pour plus de justice fiscale et pour la redistribution de la richesse!
Informations : www.nonauxhausses.org ou www.quebec.attac.org
21 avril 2010 : organisé par ATTAC-Montréal, lancement du nouveau livre d’Alain Deneault, « OFFSHORE, paradis fiscaux et souveraineté criminelle ».
Informations : attacmontreal@sympatico.ca ou www.quebec.attac.org
18 mai 2010 : organisé par ATTAC-Montréal, rencontre avec Louis Gill, économiste, sur le sommet du G20 « Qu’attendre du sommet du G20? ».
Informations : attacmontreal@sympatico.ca ou www.quebec.attac.org
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« Une chose est certaine : les néolibéraux et ceux qui encaissent trafiquent la vérité et il faut savoir gré aux militants d’ATTAC-Québec de nous fournir des outils pour le démontrer » Louis Cornellier, Le Devoir, 6 mai 2006
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« « Un livre qui nous ramène à l’importance des mots et des concepts, à l’ambiguïté de leur utilisation, une ambiguïté qui a jusqu’ici largement profité aux puissants. » »
Claude Villeneuve
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