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Attac

En finir avec la société de consommation

Ce bulletin répond à une urgence : réfléchir, questionner, repenser le modèle de développement qui est au cœur de nos sociétés, de nos modes de vie, de la manière dont nous fonctionnons individuellement et collectivement. Questionnement crucial dans ce temps de crises parce qu'il débouche sur l'avenir de la planète.

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Dans quel monde voulons-nous vivre ?

Par Monique Jeanmart

Un récent voyage m'a ramenée dans un pays d'Afrique australe où j'ai vécu à la fin des années 80. J'y ai retrouvé un pays profondément transformé. Le petit village tranquille où je circulais à bicyclette pour acheter mes légumes ou mon pain à des petits marchands locaux est devenu une petite ville encombrée et bruyante où il ne viendrait plus à l'esprit de personne de circuler à bicyclette... au risque de ne pas en sortir indemne. Dans la capitale, qui ne comptait à l'époque qu'un seul édifice de plusieurs étages et des rues tranquilles qui ne connaissaient aucun feu de circulation, la cohue et les embouteillages sont devenus le lot quotidien. Le long des rues principales les vendeurs de voitures, des plus modestes aux plus luxueuses succèdent aux centres d'achats aux super marchés et aux chaines de restaurant « fast food ». Partout, la voiture règne en maître et semble devenue le seul but à atteindre. La vie quotidienne est maintenant animée par une frénésie de consommation. Sans argent plus de vie possible... Devant mes questionnements et mes étonnements, je n'obtenais qu'une réponse « nous nous développons, c'est la voie de l'avenir ».

Une amie qui revisitait la Chine ce printemps faisait le même constat... avec peut-être moins de désolation et de questionnements. À ma question sur ce qui l'a frappée dans ce récent voyage, une seule réponse « le modernisme » qu'elle définit par : une architecture impressionnante et spectaculaire dans les grandes villes, mais surtout l'invasion des automobiles et des motos qui partout remplacent les traditionnelles bicyclettes.

Jamais ne m'est apparu aussi crûment comment le mimétisme de notre mode de vie, de notre modèle de développement transforme toutes les sociétés qu'il rejoint dans leur mode de vie, dans leurs valeurs, mais surtout dans leurs aspirations. Avec une conséquence bien visible : en Afrique comme en Chine, des inégalités nouvelles et des « laissés-pour-compte » de plus en plus nombreux.

L'urgence de réfléchir, face à l'émergence de ces sociétés où l'on observe ce que Serge Latouche appelle « l'occidentalisation du monde », s'impose avec évidence. Ce bulletin est le résultat de ces questionnements : dans quel monde voulons-nous vivre ? Mais surtout jusqu'à quand la planète pourra-t-elle supporter le poids de ces évolutions ? Devant les multiples crises qui l'affectent, nous croyons que nous pouvons encore choisir de changer, mais il n'y a plus de temps à perdre. Il n'y a pas de voie facile ni de pensée magique : l'action citoyenne, partout où elle se manifeste trace une voie par où accèdera un nouveau monde.

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Repenser le progrès

Par Monique Jeanmart

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Historiquement, c'est à partir de seconde moitié du XXe siècle que le développement se résume à sa seule dimension économique, qu'il devient synonyme de « progrès » que l'on va vouloir généraliser à l'ensemble de la planète, mesuré par l'augmentation du niveau de vie et par l'équation progrès = croissance économique. On en vient à concevoir que les pays pauvres doivent obligatoirement accéder au développement en passant par un chemin identique à celui des pays riches, c'est-à-dire de la pauvreté à la consommation. Dès lors, « se développer » c'est entreprendre un rattrapage pour accéder au mode de vie des sociétés occidentales industrialisées vues comme référence universelle. Le développement ainsi défini devient le maître mot de la voie vers le progrès et la voie de salut pour l'humanité.

Développement et croissance économique : deux termes devenus fins et moyens l'un de l'autre. Les politiques d'aide au développement vont faire du modèle occidental l'archétype universel pour la planète dont la diffusion sous-entend que les pays que l'on dit « pauvres » doivent connaître un cheminement identique qui les conduit de la pauvreté à la consommation. Par mimétisme, pour beaucoup de ces populations, ce modèle pollueur et gaspilleur devient le seul désirable, même s'il est cause le plus souvent de grandes inégalités et de frustrations. Même quand des doutes puis des certitudes en montrent les effets néfastes et l'insoutenabilité.

Des limites

Les inquiétudes relatives aux limites remontent loin dans le temps : au XVIIIe siècle déjà, le pasteur Thomas Malthus soulevait la question : Essai sur les populations montre les dangers d'une population qui croit plus vite que ses ressources.

Mais c'est en 1972, dans un rapport commandé par le club de Rome, que les premiers questionnements au sujet des limites écologiques de la planète sont clairement présentés. Donella et Denis Meadows (1) ont examiné la croissance exponentielle de l'utilisation des ressources, de la population, et de l'activité économique depuis la révolution industrielle pour montrer que le rythme d'exploitation de la planète était insoutenable. L'idée centrale se résume simplement : « la croissance infinie dans un monde aux ressources limitées est impossible ».

C'était un pavé dans la mare des glorieuses et prospères années fordistes, celles qui ont profondément enraciné la clé de voute du capitalisme : la demande de consommation et l'insatiabilité des besoins. Le rapport aura un grand impact, mais il sera très critiqué : leur modèle est jugé « simpliste » parce qu'il néglige les avancées technologiques qui devaient permettre de résorber les problèmes de rareté et de croissance démographique. Donella et Denis Meadows se sont donné pour tâche de déterminer quand surviendraient les différents moments décisifs à partir desquels la rareté se ferait sentir. Quarante ans plus tard, on ne peut que constater la justesse de leurs évaluations : si on n'agissait pas, les « limites » qu'ils annonçaient prévoyaient des raretés significatives de ressources au cours des premières décennies du XXIe siècle. La question du « pic pétrolier » (2) et la menace de la rareté des autres ressources naturelles font partie de notre quotidien depuis plus d'une décennie déjà. De même que se sont imposées les préoccupations face à la capacité de la planète à assimiler les impacts environnementaux des activités économiques.

En quarante ans, d'autres sonnettes d'alarme seront tirées. En 1987, le rapport Bruntland (3) répond à la demande de formuler des propositions réalistes pour résoudre les grands problèmes planétaires de l'environnement et du développement. Il s'interroge sur la « durabilité » de notre modèle, mais surtout sur notre responsabilité collective par rapport aux générations futures : il débouche sur un nouveau concept, le développement durable (sustainable development). Plus récemment, de multiples conférences internationales et d'autres rapports, notamment ceux du GIEC (Groupe d'experts internationaux sur l'évolution du climat) mettent en évidence l'urgence d'agir.

En 2004, Donnella et Denis Meadows (4) actualisaient leur rapport et revenaient sur la pertinence des analyses faites - et de leurs conclusions - quarante ans plus tôt. Après 4 décennies de croissance continue, nous entrons dans un temps où s'observent les symptômes de l'effondrement annoncé, car, ce que nous prenons pour « des problèmes » à résoudre, sont dans les faits les manifestations d'un système dangereusement atteint et sur le point de s'effondrer. Pour Denis Meadows, « nous n'avons pas mis fin à la croissance, la nature va s'en charger. » Et, pas plus aujourd'hui qu'hier, le changement ne passera par la technologie, mais par « des modifications sociales et culturelles ». Le plus grand aveuglement est de croire que la croissance va résoudre la crise alors que « les crises et les catastrophes sont des moyens pour la nature de stopper la croissance ».

L'urgence

L'Arctique, ce régulateur du climat mondial, est en train de disparaître sous nos yeux. Cette année, la fonte des glaces atteindra un niveau record. La télévision nous le montre en direct... Nous ne pouvons plus ignorer que si rien n'est fait nous atteindrons un point où les perturbations du climat seront irréversibles.

Depuis le milieu du XXe siècle, la taille de l'économie mondiale a été multipliée par plus de 5. Si elle continue de croître à la même vitesse, d'ici la fin de ce siècle, elle sera 80 fois plus grande qu'en 1950. Un monde qui serait peuplé de 9 milliards d'habitants vivant avec le niveau de vie des pays de l'OCDE n'est tout simplement pas possible. Une telle économie devrait avoir 15 fois la taille de l'économie actuelle d'ici 2050 et 40 fois d'ici la fin de ce siècle (200 fois celle de 1950) (5).

Un seul exemple illustre cet emballement : 500 tours Eiffel, c'est la quantité de métal que notre planète consomme chaque 24 heures : de la puce électronique aux véhicules automobiles en passant par les buildings, le métal est partout. Ce sont des ressources non renouvelables que nous consommons allégrement pour une consommation qui s'emballe (6). Signe de cet emballement : Général Motors (GM) annonçait récemment que ses ventes augmentaient de 7,3 % en Chine : à l'exclusion des autres marques, GM y a vendu 220 996 véhicules dans le seul mois d'août 2012.

Comment devant un tel constat, penser que la croissance pourra se poursuivre indéfiniment même avec les plus fantastiques avancées technologiques ? Comment, après tant d'études, de rapports, d'avertissements comprendre cet « aveuglement collectif » ? Parce que nos économies sont structurellement dépendantes de la croissance économique pour leur stabilité, il nous est difficile de concevoir qu'il puisse en être autrement. Quand celle-ci chancelle, nos politiciens ne voient pas d'autres voies. Pourtant, « si l'idée qu'une économie qui ne croît pas est une hérésie pour un économiste, l'idée d'une économie en croissance continue est une hérésie pour un écologiste » (7). Nous sommes à la croisée des chemins, il n'y a plus d'autre alternative que de remettre en question ce modèle de développement qui depuis des décennies prône la croissance économique comme solution à tous les problèmes : chômage, récession, pauvreté, inégalités... On se rappellera l'injonction de G.W.Bush après le désastre de Katrina, « n'arrêtez pas de consommer, envahissez les centres d'achat c'est ce que vous pouvez faire de mieux pour l'Amérique ».

L'histoire est riche en contestations de la croissance infinie, jamais écoutées et toujours refoulées, le capitalisme a ancré profondément dans les mentalités la foi inébranlable du lien entre croissance économique et prospérité. Même si de nombreuses recherches montrent qu'au-delà d'un certain seuil, l'accumulation de biens n'accroit pas le bien-être ni le bonheur, le besoin d'accumuler reste la motivation principale de tous (presque tous) ceux que l'idéologie du développement a rejoints. C'est à ce mythe qu'il faut s'attaquer. Désormais, la question doit être « à quoi peut ressembler la prospérité dans un monde fini dont les ressources sont limitées et dont la population continue d'augmenter ».

De la société de croissance à une société durable DroppedImage

Redéfinir un nouveau modèle de développement n'est pas une nouvelle utopie. Ce n'est pas la fin du progrès, mais d'une « certaine conception du progrès ». Ce n'est ni le retour aux solutions passéistes d'un mode de vie du siècle passé, ni la frugale et austère « décroissance ». Ce n'est pas la construction - même participative « d'un nouveau modèle », mais l'ouverture vers d'autres façons de produire : produire autre chose et autrement, d'autres façons de travailler, mais surtout d'autres modes de vie et de façons de consommer. Nous ne partons pas d'un grand vide où tout serait à inventer : partout sur la planète des groupes, des organismes expérimentent et préparent ce changement de cap civilisationnel (8).

La structure des économies capitalistes modernes repose sur deux piliers qui sont au centre de la dynamique de croissance. D'une part, la recherche constante du profit qui stimule la création sans limites de produits et de services nouveaux, par une course continue à l'augmentation de la productivité. D'autre part, l'enfermement du consommateur dans ce que Tim Jackson appelle « la cage de fer du consumérisme ». Il faut mettre fin au productivisme résultat de 30 ans de fordisme puis de la concurrence instaurée par la mondialisation. C'est à ce productivisme, destructeur d'emplois, mais aussi de qualité des produits (l'obsolescence planifiée) et du travail (précarisation), qu'il faut d'abord s'attaquer. Substituer à la logique du « toujours plus de quantité » celle du « plus de qualité, de durabilité et de sobriété matérielle » par le moyen d'innovations économiques, technologiques et sociales. Il nous faut penser à un progrès d'un type nouveau qui serait fondé sur des technologies et des processus qui, au lieu d'économiser le temps de travail pour produire plus de quantité, utiliserait autant ou plus de travail pour produire mieux des choses de qualité durable (9). Autrement dit, passer d'un développement économique pollueur et destructeur à un développement durable, innovant et riche en emplois.

S'il est entendu que les changements ne seront pas d'abord technologiques, ils demandent de s'engager dès maintenant dans un gigantesque et patient travail de transformations sociales; d'identifier les étapes au travers desquelles nous pourrons construire ces changements. La crise économique actuelle nous donne une occasion idéale d'investir dans le changement; de balayer les politiques de court terme qui nous gouvernent depuis des décennies pour les remplacer par des visions axées sur le long terme et la prise en compte des limites.

Passer d'un modede croissance quantitative à une croissance qualitative demande de nouveaux instruments de mesure, donc de nouveaux indicateurs macroéconomiques. Remettre en cause notre conception de la prospérité fondée sur la richesse matérielle, c'est remettre en cause les indicateurs macroéconomiques avec lesquels nous la mesurons. Les critiques contre la domination du PIB ne sont pas nouvelles, le bulletin d'ATTAC s'est déjà penché sur cette question (10).

S'attaquer à la logique sociale du consumérisme ne sera pas une tâche simple à cause de la manière dont les biens matériels ont profondément intégré le tissu de nos existences au point de concevoir la prospérité comme la base de la capacité d'épanouissement. Dans toutes les classes de la société, la participation sociale et le statut passent par la médiation de possessions matérielles.

Changer la logique sociale de consommation (sortir de la cage de fer du consumérisme) ne peut être renvoyé aux seuls choix individuels. Au-delà de l'aspiration croissante - mais encore marginale - de certains individus, de certains mouvements pour une « simplicité volontaire » ou pour la défense de la « décroissance », sans transformations profondes des structures économiques et sociales, les chances de parvenir à un important changement des modes de vie et des mentalités sont négligeables.

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Pour changer, de nouvelles logiques

Il faut bien constater que l'augmentation fabuleuse de la création de richesses - à l'encontre de la pensée dominante - n'a pas permis de vaincre les inégalités, dans les sociétés comme entre elles, bien au contraire c'est leur accentuation qui s'impose de plus en plus. La « main invisible du marché » a été le moteur invisible de cette augmentation. À mesure que la réalité de ces inégalités et que la finitude des ressources s'imposent, la voie vers un avenir soutenable ne peut que passer par de nouvelles valeurs de justice et de solidarité au sein de nos sociétés, mais également entre les sociétés et les générations.

De manière paradoxale, l'histoire des trente dernières années montre que, en même temps que le capitalisme n'a cessé de progresser et de gagner en influence et en pouvoir, les valeurs de solidarité et de défense du bien commun sont de plus en défendues par une multitude de groupes, d'organismes dans tous les secteurs de la société : réseaux formels et informels, la société civile est plus présente que jamais. Partout sur la planète des groupes travaillent, luttent et se mobilisent pour défendre un mode de vie fondé sur des valeurs alternatives. Des millions d'actions citoyennes enrichissent la vie collective et renforcent les solidarités. De moins en moins isolées et de plus en plus organisées, que l'on pense au Forum social mondial et à toutes ses variantes, elles tissent des liens et des relais d'action par-dessus les continents. S'appuyer sur leur action permettrait de construire une économie plurielle qui pourrait être une nouvelle structure capable d'influencer la trajectoire des sociétés. Une reconnaissance de la pluralité des économies qui s'appuie sur l'action collective et communautaire, sur le secteur public ainsi que sur un certain type d'entreprises privées pourrait permettre la construction d'une autre économie. Cette reconnaissance passe par la promotion d'une diversité d'acteurs, mais surtout de logiques économiques et sociales compatibles avec des objectifs d'égalité et de durabilité.

L'économie sociale et solidaire, souvent pensée comme marginale, représente une force réelle à travers le monde. On calcule qu'actuellement elle représente 10 % du PIB mondial et 10 % des emplois (11). Nul besoin de réinventer la roue particulièrement au Québec où notre histoire collective est particulièrement riche en innovations sociales : coopératives, mutuelles, organisations à but non lucratif, organisations de quartier, CPE, logements communautaires, etc. On sait peu que les coopératives sont d'excellentes créatrices d'emplois. Selon le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, en 2011, le Québec comptait en 2011, 3 300 entreprises coopératives et mutuelles lesquelles employaient 90 000 personnes, et qui généraient un chiffre d'affaires total de 25,6 milliards. Le même organisme avance que le secteur coopératif représente 3 % de l'économie du Québec (12). La mise en valeur de ce secteur est essentielle pour rééquilibrer les forces entre les logiques marchandes et la société. À l'heure du « tout au marché » revaloriser, promouvoir ces activités comme composante essentielle de l'économie devient impératif.

Un secteur public fort est tout aussi indispensable à ces nouvelles logiques. Depuis les années 90, les gouvernements qui se sont succédé à Québec comme à Ottawa ont appliqué les mêmes recettes néolibérales : coupures de services, privatisation, sous-traitance, déréglementation, tarification, etc. Cette « marchandisation du Bien commun » a mené à la déconstruction des valeurs de solidarités implantées dans nos politiques depuis la Révolution tranquille. Revaloriser le rôle de l'État n'est possible que si on recentre son action pour en faire le défenseur des services et des biens publics, à l'encontre de ce qu'il est devenu, un État au service des élites économiques. Protéger, revaloriser le rôle de l'État non seulement dans les services publics malmenés, mais aussi dans des secteurs particulièrement stratégiques comme les ressources naturelles ainsi que dans la protection de l'environnement. Une plus grande implication dans ce secteur devrait permettre que ces ressources profitent à toute la collectivité et soient mieux protégées. Gouverner avec une vision du long terme passera par un éventail de politiques innovantes. Mais c'est dans le domaine de la fiscalité que devrait se faire la plus grande réorientation. Comment amener nos gouvernants à de tels choix, une seule voie : une mobilisation forte de citoyens concernés et engagés.

Dans son dernier ouvrage (13), Susan George montre clairement que toutes les crises que nous traversons actuellement procèdent d'une même cause : les politiques néolibérales mises en œuvre partout dans le monde. Lutter contre le néolibéralisme triomphant - et contre le dogme du marché - qui nous a conduits à la catastrophe actuelle : le désarmement des marchés financiers doit devenir le chantier majeur des luttes citoyennes. Pour Ignacio Ramonet, « il y a urgence à jeter des grains de sable dans ces mouvements de capitaux dévastateurs en supprimant les paradis fiscaux, en augmentant la fiscalité des revenus du capital et en taxant les transactions financières internationales » (14). Taxer la spéculation et les transactions internationales est un objectif premier des luttes menées par ATTAC depuis sa création. À certaines conditions, c'est à la fois un instrument pour lutter contre la spéculation financière, désarmer les marchés financiers et permettre de financer le développement en assurant une plus grande équité entre le Nord et le Sud (15).

Quelle place occuperaient les entreprises privées dans une économie plurielle qui s'appuierait sur trois secteurs solides et complémentaires ? Se pose alors la question de la compatibilité du capitalisme avec un nouveau type d'économie. Dans l'économisme triomphant actuel, la croissance va de pair avec le capitalisme. Elle lui est indispensable et elle en est même une condition essentielle. Peut-on faire le pari que ce capitalisme peut être transformé ? En réponse à une question d'un participant, lors de son dernier passage à Montréal, Susan George répondait « pour la production de certains biens on n'a pas encore trouvé autre chose que le capitalisme, mais à certaines conditions ». Le capitalisme qu'il faut remplacer c'est celui qui est centré sur la production de richesses exclusivement spéculatives.

En ce qui concerne la production, il faut donner priorité à la planète et répondre aux besoins de la société en satisfaisant aux exigences environnementales. La question est celle de l'amélioration des processus de production pour les rendre économiques en énergie, en ressources et riches en emplois de qualité. Quel que soit le secteur, les activités manufacturières devront assurer prioritairement la qualité, la durabilité et la réparabilité des produits. Un important investissement sera vital pour forcer la production vers une efficacité énergétique maximale et une consommation de ressources minimale. Jean Gadrey consacre un livre à ce sujet en appliquant ces principes à différents secteurs de l'économie (16).

Des objections...

Que penser du discours qui prône qu'il n'y a nul besoin de remettre en cause le système économique parce que la technologie et les investissements « verts » vont permettre une « gestion durable » de la planète. À la conférence de Rio + 20 (juin 2102), cette vision à fait consensus et permis l'adoption à l'unanimité d'une déclaration finale par 193 pays. « L'économie verte » ou le « capitalisme vert » ne peuvent-ils pas être la solution ?

Un texte adopté par des politiciens qui continuent de gérer l'environnement les yeux braqués sur la prochaine élection - et sous la coupe des multinationales - ne peut pas être crédible. Accepter ces nouveaux concepts implique d'accepter les organismes génétiquement modifiés (OGM), la biologie de synthèse, le nucléaire, le brevetage des vivants, etc. Accepter ce qui est proposé comme une « gestion durable » de l'environnement par les acteurs du capital, avec l'illusion de la durabilité, implique de considérer la Nature comme un capital à gérer, à créer de nouveaux marchés qui donnent un prix à tout ce qui constitue l'écosystème : l'eau, l'air, les plantes, la vie, etc. Cette vision économiste n'est rien d'autre qu'une nouvelle étape dans la marchandisation et la financiarisation de la nature et du vivant. Le concept de « capitalisme vert » ne peut être qu'une contradiction dans les termes. Le capitalisme ne peut être vert parce que son succès réside justement dans la non-reconnaissance des limites des ressources de la planète et dans la non-considération des destructions qu'il cause.

Suffirait-il d'économiser l'énergie et de consacrer plus de ressources à développer des énergies durables, propres et des véhicules plus performants ou même hybrides ? Sans être la seule cause des dégradations environnementales, l'automobile en est, sans conteste, un facteur majeur. Les nouvelles sources d'énergie, les évolutions technologiques qui réduisent la consommation des véhicules, sont souvent présentées comme des alternatives valables. Bien qu'importante, cette question est un exemple des fausses solutions que le système génère pour éviter une remise en question radicale. Tant que le mode de transport est axé sur la valorisation du transport privé et de l'automobile, les efforts faits du point de vue énergétique seront annulés par l'augmentation constante de la quantité de véhicules mis en service et par le mimétisme culturel qui fait que, dès que le niveau de vie augmente, ici ou ailleurs dans le monde, c'est dans l'accès à la voiture individuelle que s'incarne les besoins de consommation. C'est la civilisation de l'automobile reine qui doit être remise en cause.

Les solutions ne seront pas technologiques, elles doivent être économiques donc politiques et sociales. Vouloir « verdir le capitalisme » équivaut, selon l'expression connue de Richard Desjardins, « à vouloir faire garder les poules par le renard ».

Quelle vision pour les pays pauvres ?

L'avenir de la planète ne doit pas nous faire oublier la justice sociale et l'amélioration des conditions de vie de ceux qui, ici et ailleurs, ne bénéficient pas de conditions de vie satisfaisantes et même parfois minimales. La « durabilité » ne peut s'accommoder des injustices, des inégalités qui sont le résultat des logiques économiques dominantes : le combat pour l'accès universel à la satisfaction des besoins de base doit rester prioritaire. Lutter contre l'occidentalisation du monde ne doit pas nous faire oublier que, selon la FAO, la faim et la malnutrition affectent plus de 900 millions d'êtres humains et que 2,8 milliards d'habitants sur la planète vivent avec moins de 2 $ par jour. Au sommet de Rio (1992) les pays riches s'étaient entendus pour une aide publique au développement de 0,7 % de leur PIB. En 2012, peu de pays respectent cet engagement.

Le combat en faveur de la durabilité doit s'accompagner d'un combat en faveur des droits universels pour la qualité de vie. Il faut aider les communautés qui luttent pour la protection de leur mode de vie traditionnel à combattre l'imposition qui leur est faite d'accepter le développement. Partout où des communautés se battent contre la domination des multinationales ou l'accaparement de leurs terres (souvent avec la complicité de leurs élites politiques) elles devront compter sur notre appui pour les aider à protéger ou acquérir une qualité de vie respectueuse de leurs traditions et de leur culture.

Mais comment trouver, à court comme à moyen terme, les ressources financières pour faire assurer les besoins dans nos sociétés et nos engagements internationaux. Contrairement à ce que nos gouvernements - et le discours dominant - nous martèlent, l'argent existe (17). Il faut aller le chercher là où il se cache du côté des privilèges accordés aux plus riches par une panoplie d'instruments qui leur permettent de réduire leurs impôts au maximum : réduction des taux d'imposition, fiscalité dé(ré)gressive, échappatoires et paradis fiscaux. Une simple taxe aussi minime que 0,05 % sur toutes les transactions financières internationales pourrait rapporter annuellement 650 milliards de dollars (18) qui suffiraient pour enrayer la pauvreté.

Enfin, difficile de parler de dépenses odieuses sans parler des dépenses militaires. À l'occasion de la campagne électorale de 2011, de nombreux articles rappelaient les visions conservatrices du gouvernement conservateur en matière d'équipements militaires : on évaluait que, sur la période couvrant 2005 à 2020, le gouvernement du Canada prévoyait dépenser 80 à 100 milliards de dollars en achats de nouveaux équipements militaires (19). Plus récemment, on apprenait que ce même gouvernement allait consacrer 755 millions de dollars, pour l'achat de nouveaux Snowbirds. Pour rappel, ces avions ont pour seule utilité la voltige aérienne et ne servent qu'à des parades et des démonstrations.

Optimisme ou pessimisme...

Les défenseurs de la croissance infinie, en plus de nous vendre leurs produits, nous matraquent avec leurs visions idéologiques et leurs messages publicitaires. Le catastrophisme des dernières années de crise pourrait nous faire pencher vers le pessimisme et le fatalisme ambiants. Pourtant un regard éveillé montre que partout sur la planète des acteurs s'organisent solidairement, produisent, échangent, sur de nouveaux modes, avec de nouvelles logiques et militent pour l'accès de tous à une vie meilleure, plus solidaire et hors du champ de la consommation capitaliste. C'est dans cette action collective coordonnée, dans ces multiples réseaux qui se tissent partout sur la planète que se trouve l'espoir. Laissons Susan George conclure : « Nous avons le nombre, nous avons aussi l'imagination, les idées, les propositions rationnelles ainsi que la plupart de compétences et des connaissances scientifiques. Nous appartenons à une multitude bigarrée d'organisations formelles et informelles qui luttent pour changer les choses. Collectivement, nous avons même l'argent. Ce qui nous manque c'est l'unité et l'organisation de l'adversaire et trop souvent la conscience de notre puissance potentielle ».

Notes

1 : D. H. Meadows et al., Halte à la croissance. Rapport sur les limites à la croissance, Paris, Fayard, 1973.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

2 : Voir par exemple : Normand Mousseau, Au bout du pétrole, Québec, Éditions Multimondes, 2008.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

3 : La Commission mondiale sur l'environnement et le développement, Notre avenir à tous, Montréal, Éditions du Fleuve, 1989.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

4 : Donella et Dennis Meadows et Jorgen Randers, Les limites de la croissance (dans un monde fini), Paris, Éditions Rue de l'échiquier, 2007.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

5 : Tim Jackson, Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable, Collection Planète en jeu, Bruxelles, Éditions De Boeck et Etopia (coédition), 2010. ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

6 : Basta, septembre 2012.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

7 : Tim Jackson, p.31.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

8 : Bulletin d'ATTAC-Québec no. 34, octobre-novembre 2011, Pour sortir du « dérèglement du monde ». Produire, consommer, vivre autrement, en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

9 : Voir sur ce sujet Jean Gadrey, Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Collection Alternatives économiques, Paris, Éditions Les petits matins, 2010.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

10 : Bulletin d'ATTAC-Québec no. 28, mars 2010, Pour sortir de la crise : changer de modèle, en ligne en version pdf.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

11 : Claude Lafleur, Et l'économie sera écologique..., Le Devoir, 21 avril 2012, en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

12 : Sylvain Larocque, Les coopératives sont les meilleures créatrices d'emplois, Le Devoir, 15 décembre 2011, en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

13 : Susan George, Leurs crises, nos solutions, Paris, Albin Michel, 2010.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

14 : Ignacio Ramonet, Désarmer les marchés, Éditorial du Monde diplomatique, décembre 1997, en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

15 : Bulletins d'ATTAC-Québec no. 12, juillet 2005, Où est passé l'argent ?, en ligne en version pdf ; no. 24, février 2009, Saisir les fondements de la crise financière, en ligne en version pdf ; et no. 28, mars 2010, Pour sortir de la crise : changer de modèle, en ligne en version pdf.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

16 : Jean Gadrey, Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Collection Alternatives économiques, Paris, Éditions Les petits matins, 2010.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

17 : ATTAC-Québec, Où est passé l'argent ? Une fiscalité pour les riches, Montréal, Éditions Écosociété, 2006.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

18 : Bulletins d'ATTAC-Québec no. 21, mars 2008, Fiscalité et crise financière, en ligne en version pdf ; et no. 36, juin 2012, (Re)construire une société équitable, en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

19 : Valérie Dufour, Stephen Harper - Un homme et son armée, Rue Frontenac du 7 avril 2011, en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

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Un livre à ne pas manquer

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Dérive et excroissance des marchés financiers

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