Se situer du bon côté de l'histoire
Par Monique Jeanmart
Le 1er décembre s'ouvrait à Lima, une conférence de l'ONU qui réunissait 190 pays. Session importante pour préparer l'accord multilatéral de lutte contre les changements climatiques qui devra être signé au Sommet de Paris en 2015. Lors de ce sommet, les États devront s'entendre pour édifier les politiques économiques nécessaires à la réduction des émissions de carbone dans l'atmosphère. Des ententes qui devront définir les cibles à atteindre ainsi les moyens pour y parvenir.
À la veille de cette rencontre, Ban Ki-moon rappelait - en termes polis et diplomatiques, mais fermes - au Canada ses devoirs et ses responsabilités pour souligner une réalité incontestable : non seulement le Canada n'en fait pas assez. Mais il est dans les pires cancres en matière de lutte contre les changements climatiques : 58e sur un classement de 61 pays parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre (GES) (classement fait par German Watch et le Réseau action climat). Le classement est fait en fonction de la volonté des pays de lutter contre les changements climatiques et le Canada se classe juste avant les 3 derniers : Kazakhstan, Australie et Arabie saoudite. Ban Ki-moon tenait à rappeler au Canada et à Stephen Harper que « ... nous pouvons améliorer nos conditions de vie tout en protégeant l'environnement ».
En effet, les derniers rapports du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC novembre 2014) apportent un nouveau regard sur la lutte contre les changements climatiques. Il faut réduire les émissions mondiales de 40 à 70 % d'ici 2050 parce que les concentrations de GES dans l'atmosphère ont atteint les niveaux les plus élevés depuis 800 000 ans et si cette tendance se maintient les impacts seront irréversibles. Mais cette tendance n'est pas une fatalité : éviter le pire est possible, mais implique un virage sans précédent dans l'histoire de l'économie mondiale. Les clefs de cette nouvelle économie résident dans une transformation radicale de notre modèle énergétique. Ces transformations ne doivent pas être vues comme des dépenses, mais comme des investissements qui auront des effets positifs sur l'économie et la société « ... et pourraient même contribuer à la prospérité économique ».
Voilà ce que Ban Ki-moon voulait rappeler à Stephen Harper : le Canada doit cesser de voir dans l'exploitation pétrolière le moteur vital de son économie. Avant lui, Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies pour les changements climatiques, avait tenu à rappeler que « ... il y a assez d'analyses et de preuves scientifiques qui démontrent les risques de poursuivre les investissements dans les énergies fossiles vous devez donc décider si vous voulez vous situer du bon côté de l'histoire et de la logique économique».
Si convaincre Stephen Harper ne semble pas possible - sa réponse en Chambre et son refus obstiné de réglementer le secteur pétrolier en témoignent - que faire ? D'abord ne pas baisser les bras et lutter contre le défaitisme. Les prochaines élections fédérales se tiendront en 2015. Il faudra rappeler à la population toutes les promesses non tenues des conservateurs et leur aveuglement pour tout ce qui concerne l'avenir de la planète ainsi que notre responsabilité historique. Et cette action commence aujourd'hui parce qu'ultimement le futur de la planète ne sera décidé par les politiciens que si des luttes citoyennes les y obligent.
Climat : quoi changer au Québec ?
par Roger Lanoue
Nous sommes la première génération à ressentir les impacts des changements climatiques, et la dernière génération à pouvoir espérer y faire quelque chose. Et au Québec comme partout, çà doit passer entre autres par une politique énergétique.
Réalité des changements climatiques et incertitude quant à la survie de l'humanité
La conclusion la plus dramatique qu'on peut déduire des études du GIEC, c'est que sans changement important dans son mode actuel de développement, l'humanité provoque la disparition de la majorité des mammifères de la planète d'ici un siècle, au plus tard 2 siècles.
Planétairement, il faudrait au moins réduire les émissions de GES sous le niveau de 1990 d'ici 2050 pour limiter le réchauffement global à 2 degrés C. Au-delà de + 2 degrés C, et certainement au-delà de +4 degrés C, le niveau des mers s'élève très significativement (des îles et plages disparaissent, des centaines de millions de personnes doivent déménager, toutes les mégalopoles construites près de la mer sont désorganisées), les déserts s'agrandissent, les écosystèmes marins et terrestres se déséquilibrent, une proportion majeure des mammifères n'a plus la base écologique pour survivre, météo extrême, etc.
Toutes les simulations crédibles jugent l'objectif de restreindre le réchauffement à seulement +2 degrés C inatteignable à moins d'actions draconiennes immédiates. Plusieurs simulations prévoient qu'au rythme actuel d'évolution des émissions de GES, on s'aligne vers une augmentation d'environ +6 degrés C.
GES et énergie
Les GES sont principalement un problème d'énergie : dans la très grande majorité des pays, plus de 80% des GES découlent du secteur de l'énergie, essentiellement de la combustion d'énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel). Quelques exceptions sur la planète : Norvège et Québec, vu l'abondance d'hydroélectricité dans leur bilan d'énergie consommée : l'énergie compte quand même pour « seulement » 73% des GES émis par le Québec.
Les réserves prouvées de combustibles fossiles sont 5 fois plus élevées que le budget carbone restant à la terre pour demeurer en deçà du seuil d'environ +2 degrés C au-delà duquel il sera impossible de revenir à un niveau climatique normal. La question principale est donc : comment diminuer la consommation ? Et si jamais on réussissait à diminuer la consommation et qu'on aurait alors des surcapacités de production provoquant la baisse des prix des combustibles, comment maintenir la baisse de consommation ? Dans cette perspective, les questions de la source des combustibles fossiles (devrait-on privilégier les sources locales ? Québécoises ? Canadiennes ? Internationales ?) ou du prix accessible aux industries sont secondaires.
Énergie au Québec - des objectifs à atteindre
Une politique énergétique devrait viser les principaux objectifs suivants :
- a. Sécurité d'approvisionnement d'électricité, de pétrole et de gaz naturel, les trois sources principales au Québec : ne pas en manquer, à un coût acceptable.
- b. Développement économique, relié à la production et la distribution d'énergie, et relié aux industries consommatrices d'énergie
- c. Qualité de l'environnement, i.e. minimisation des « externalités environnementales » indésirables
Aucun de ces objectifs ne requiert dans une politique énergétique québécoise de prioriser l'expansion du marché des hydrocarbures de l'Ouest canadien à travers le Québec; l'argumentaire du gouvernement actuel en faveur de cette orientation semble se baser surtout sur la réception annuelle de quelque 9,5 milliards en péréquation, laquelle découle d'ailleurs justement en partie de l'inégale répartition des hydrocarbures entre provinces canadiennes.
Au Québec, en dehors du pétrole qui reste cher, et de problèmes ponctuels dus à la mauvaise répartition de la richesse rendant les plus pauvres vulnérables, ou dus à l'accès difficile à certains villages éloignés, il n'y a pas vraiment de problème structurel en sécurité d'approvisionnement. C'est donc surtout les questions d'environnement et de développement économique qui devraient motiver les changements dans le domaine de l'énergie.
L'exemple scandinave
Les pays scandinaves ont choisi de mieux contrôler leur consommation d'énergie, suite aux chocs des prix du pétrole des années 1970 ; et ils ont largement réussi à diminuer leur dépendance au pétrole et à implanter de nouvelles façons de faire pour y parvenir.
Çà leur a pris des décennies à mieux maitriser l'énergie dont ils ont besoin : tout un programme que de transformer l'aménagement du territoire d'un vaste pays pour diminuer le besoin de transport et augmenter le chauffage urbain à partir de ressources locales (bioénergies), que d'encourager le transport en commun et actif, et d'améliorer constamment la performance énergétique des bâtiments. Ces façons de faire inspirent maintenant l'Europe à les imiter, motivée par l'objectif de contrôle des GES.
Oui, çà prend des décennies. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas commencer ! D'autant plus que ces transformations créent des activités économiques positives tant pour la qualité de vie en société que pour l'environnement.
Des orientations long terme bénéfiques : maitriser l'énergie
Plusieurs raisons militent pour axer le futur sur la « maîtrise de l'énergie », i.e. choisir les modes de consommation et les sources d'énergie en fonction d'objectifs environnementaux et économiques tels que réduire les GES, et en même temps réduire la dépendance aux énergies importées, et développer des industries soutenant l'efficacité énergétique des transports et des parcs immobiliers.
À long terme, diminuer les GES émis au Québec veut dire d'abord diminuer la consommation de pétrole, donc transformer le transport de personnes et de marchandises (en particulier dans la conversion du transport en commun à l'électricité), mieux maîtriser l'évolution de l'aménagement du territoire, et consommer notre biomasse forestière résiduelle renouvelable plutôt que du mazout lorsque le gaz naturel (dont le prix semble imbattable pour un bout de temps) est inaccessible.
La maîtrise de l'énergie se décline aussi dans la performance énergétique des bâtiments à construire ou rénover, la performance énergétique des processus industriels, même si la traduction de cette maîtrise en diminution de GES est moins importante au Québec, vu la proportion d'électricité dans ces marchés.
En résumé : les défis ne manquent pas
Le Québec devrait consommer moins d'hydrocarbures, en particulier en transport.
À maitriser donc parce que :
- une proportion de 73 % des GES émis au Québec, proportion croissante, vient du secteur énergie, y inclut 43 % provenant du seul secteur des transports.
- il serait avantageux de créer au Québec des $milliards d'activité économique et des dizaines de milliers emplois, pour remplacer une partie des 22 milliards qui sortent annuellement du Québec pour acheter pétrole et gaz.
Vu la maîtrise de l'électricité déjà verte (hydroélectricité et éolien plus que suffisant pour probablement deux décennies), les défis auxquels devrait s'adresser le Québec sur plusieurs années sont les suivants :
- Éliminer le mazout comme source de chaleur
- Prioriser systématiquement le transport en commun (probablement électrique) et actif en y allouant une partie des $18 milliards de subventions annuellement accordées aux infrastructures routières au-delà des 11 milliards couverts par les taxes sur l'essence
- Aménager le territoire de façon à réduire l'étalement urbain, assurer la proximité des services, faciliter l'installation à grande échelle de réseaux de chaleur, etc.
- Exiger la performance énergétique des bâtiments par mètre carré, ce qui requiert de moderniser l'ingénierie et l'industrie de la construction des bâtiments, et d'y encadrer la qualité de façon aussi importante que la priorité actuelle des relations de travail.
- Soutenir la mise en place d'une industrie bois-énergie basée sur les résidus forestiers (déjà structurée en Europe et en Ontario)
- Se doter de la capacité de :
- i. coordonner les diverses interventions gouvernementales
et rendre cohérents les objectifs économiques et environnementaux - ii. changer les règles fiscales de façon à :
1) taxer les comportements indésirables (telle l'émission de GES), et
2) cesser de subventionner des équipements inutiles ou induisant la dépendance au pétrole - iii. intervenir et réglementer tout ce qui concerne les hydrocarbures
- i. coordonner les diverses interventions gouvernementales
Beaucoup de résistance à certains de ces éléments vient du secteur pétrolier, tant commercialement que technologiquement et politiquement. En fait la (non-)politique pétrolière en force au Québec semble beaucoup plus définie par TransCanada Pipelines, Suncor, Valero, Irving, Enbridge et d'autres joueurs privés albertains, que par les gouvernements provincial et fédéral qui généralement les supportent.
En guise de conclusion
Bref l'émission des GES ne pourra être réduite qu'avec la diminution de consommation de combustibles fossiles. À long terme, cette diminution arrivera nécessairement, soit par le choix de l'humanité de contrôler/réglementer, soit par un trop grand chamboulement/asphyxie de l'environnement.
Le Québec a les ressources pour expérimenter les principales avenues de solution et possiblement servir d'exemple en Amérique du Nord. Comme le décrit bien Naomi Klein dans son excellent dernier livre « This changes everything : Capitalism VS the Climate » (2014), les solutions ne seront possibles que par une mobilisation coriace des citoyens qui ne veulent pas voir leur monde disparaître, légitimant ainsi les gouvernants à se doter des compétences et de la volonté politique requises.
N.B. : Roger Lanoue a coprésidé avec Normand Mousseau la Commission sur les Enjeux Énergétiques du Québec pour le Gouvernement du Québec en 2013-2014. Leur rapport, auquel Marie Sophie Villeneuve a aussi collaboré, est disponible sur le site du Ministère de l'Énergie et de Ressources Naturelles depuis février 2014, à l'adresse : www.mern.gouv.qc.ca/energie/politique/politique-commission-2013.jsp
Environnement : la mondialisation du désastre
par Dominique Bernier
Le processus de mondialisation néolibérale que nous connaissons depuis plus de 30 ans affecte de larges pans de notre société. Déficit démocratique, accroissement des inégalités, privilèges toujours plus importants accordés aux multinationales et effritement des droits fondamentaux ne forment que quelques-uns des impacts de ces traités. Alors que nos gouvernements et les médias de masse font miroiter d'hypothétiques retombées économiques n'ayant jamais été chiffrées de façon crédible et indépendante, les effets pervers de ces accords sont systématiquement ignorés.
L'impact de ces accords sur l'environnement, en particulier, n'est jamais considéré de façon sérieuse. Les évaluations environnementales stratégiques réalisées pour le compte du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada dans le cadre de chaque accord minimisent systématiquement les impacts appréhendés et gonflent l'efficacité d'hypothétiques innovations technologiques censées agir comme mesures de mitigations.
Pourtant, les répercussions avérées sont très importantes : l'expérience de l'ALÉNA en fait foi. Elles sont marquées par l'affaiblissement de la capacité des différents paliers de gouvernements à légiférer pour protéger l'environnement.
20 ans d'ALENA : un bilan catastrophique
L'Accord de libre-échange du nord de l'Amérique (ALÉNA), entré en vigueur le premier janvier 1994, constitue un jalon important en termes de libéralisation du commerce au Canada. Après plus de vingt ans, il est possible de tirer des conclusions sans équivoque quant à l'impact de cet accord sur l'environnement.
Le controversé chapitre 11 de l'ALÉNA illustre l'une des failles principales de ces accords en matière de protection de l'environnement. Ce chapitre traite de la protection des investissements et contient une disposition permettant aux entreprises de poursuivre le gouvernement si elles jugent que les lois ou règlements adoptés démocratiquement leur font perdre la capacité de réaliser les profits anticipés. Depuis la mise en place de l'ALÉNA, un grand nombre de poursuites ont eu cours, la plupart contestant des mesures mises en place pour protéger l'environnement ou la santé publique. En voici quelques exemples :
- Ethyl Corporation c. le Gouvernement du Canada
Le 15 avril 1997, Ethyl Corporation, une entreprise de Virginie ayant une filiale canadienne, a déposé une plainte, soutenant qu'une loi canadienne interdisant l'additif MMT pour l'essence sans plomb enfreignait les obligations du Canada au titre du Chapitre 11 de l'ALÉNA.Cet additif est pourtant reconnu comme vecteur de toxicité cellulaire et est à la source d'une maladie neurodégénérative irréversible. Malgré tout, le tribunal administratif a donné gain de cause à Ethyl Corporation. Le Canada a dû verser 251 millions en dommages plus les frais liés à la poursuite.
- AbitibiBowater Inc. c. le Gouvernement du Canada
AbitibiBowater Inc., une compagnie enregistrée dans le paradis fiscal du Delaware mais oeuvrant uniquement au Canada, a signifié une notification d'intention de soumettre une plainte à l'arbitrage en vertu du chapitre 11 de l'ALENA au gouvernement du Canada le 23 avril 2009. AbitibiBowater Inc. se plaignait d'une loi provinciale passée par le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador ayant choisi de récupérer les territoires de la couronne cédés à la compagnie, alors inactive dans la province.La cause s'est soldée par une indemnisation de 130 millions versés par le gouvernement du Canada à une nouvelle compagnie non spécifiée, Abitibi Bowater s'étant placée sous la protection de la loi sur les faillites entre temps.
- Lone Pine Resources Inc. c. le Gouvernement du Canada
Le 8 novembre 2012, la société Lone Pine Resources Inc., une compagnie canadienne incorporée dans le paradis fiscal du Delaware a signifié une notification à l'intention de soumettre une plainte à l'arbitrage au gouvernement du Canada en vertu du chapitre 11 de l'ALENA.La compagnie conteste le bannissement de toute exploitation pétrolière et gazière dans l'estuaire du Saint-Laurent par le gouvernement du Québec et réclame 250 millions en dommages. La cause n'est toujours pas réglée à l'heure actuelle.
Depuis l'entrée en vigueur de l'ALÉNA, les poursuites n'ont cessé d'augmenter. Les avocats ont appris à se servir des failles de ce mécanisme de règlement des différends et à les utiliser au bénéfice de leurs clients. Bien que les arbitres n'aient pas la possibilité d'invalider les lois et règlements mis en place par les gouvernements, le chapitre 11 provoque un déficit démocratique sans équivoque.
L'un des effets pervers qui figurent probablement parmi les plus importants, bien qu'il soit quasi impossible de le chiffrer, est sans contredit l'autocensure de nos gouvernements induite par ce dispositif. Comme l'écrivait William Greider, journaliste politique, dans un article du Nation paru en 2001 : « J'ai vu les lettres des firmes d'avocats de New York et Washington DC adressées au gouvernement canadien sur pratiquement toutes les nouvelles réglementations et propositions environnementales des cinq dernières années [soit depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA]. Celles-ci touchaient les produits chimiques de nettoyage à sec, les produits pharmaceutiques, les pesticides, le droit des brevets. Presque toutes les nouvelles initiatives ont été ciblées et la plupart n'ont jamais vu la lumière du jour ».
Le chapitre 6 de l'ALÉNA contient une disposition particulière qui pourrait bien retarder tout processus de transition énergétique vers les énergies renouvelables, si tant est que la volonté politique d'opérer cette transition fut présente. En vertu de ce chapitre, le Canada doit maintenir la proportion de ses exportations de chaque produit énergétique à la hauteur des 3 dernières années, peu importe les besoins intérieurs. C'est donc dire que le Canada doit exporter vers les États-Unis, bon an mal an, les deux tiers de sa production de pétrole et 60 % de sa production de gaz naturel.
Dans un contexte où la demande est stable au Canada et où le gouvernement conservateur cherche à accroître les exportations de pétrole issu des sables bitumineux, cette proportion pourrait s'accroître et nous entraîner dans un engrenage sans fin de production pétrolière ultra-polluante impossible à arrêter.
L'Accord économique et commercial global (AÉCG)
Après plusieurs années de négociations, le Canada a conclu, en octobre 2013, un accord de principe avec l'Union européenne. Le contenu de cet accord, négocié dans le plus grand secret, a finalement été dévoilé en septembre 2014, confirmant les craintes de la société civile que les diverses fuites avaient laissé présager.
Tout comme l'ALÉNA, cet accord contient, au chapitre 10, un mécanisme de règlement des différends investisseur-État. Celui-ci est conçu pour faciliter encore davantage le recours des entreprises contre l'État. Alors que l'efficacité de ce type de dispositifs pour stimuler l'investissement n'a jamais été démontrée, le risque de poursuites est, quant à lui, bien réel. De nombreuses entreprises européennes pourraient se prévaloir de ce privilège pour contester nos futurs lois et règlements environnementaux, mais aussi des entreprises canadiennes ou québécoises puisque plusieurs d'entre elles possèdent des filiales en Europe.
Dans la foulée de cet accord, le Canada a fait un lobbyisme intensif pour faciliter l'accès du pétrole issu des sables bitumineux en Europe. Le 17 décembre dernier, l'Union européenne a flanché. Le Parlement européen a en effet voté à une très faible majorité une loi controversée sur la qualité des carburants, qui ne pénalisera pas l'importation de pétrole issu de sables bitumineux canadiens. Le pétrole des sables bitumineux s'est vu attribuer la même valeur en CO2 que le pétrole conventionnel, alors qu'il en produit 23% de plus selon plusieurs études.
Plusieurs dispositions de l'AÉCG sont aussi susceptibles d'avoir un impact non négligeable sur l'environnement, en particulier l'accès aux marchés publics, qui viendra limiter la possibilité pour les différents paliers de gouvernement d'imposer une proportion de contenu local ou des caractéristiques environnementales aux produits et services faisant l'objet d'appels d'offres.
En ouvrant l'accès aux marchés publics, l'AÉCG menace les services publics d'un recours toujours plus grand à la sous-traitance. Cet accord est d'ailleurs assorti d'un « mécanisme de cliquet » qui favorise une privatisation toujours plus importante et empêchera, par exemple, la remunicipalisation de services cédés au secteur privé ou développés en PPP. Encore là, des impacts sur l'environnement sont à craindre car lorsque l'objectif premier n'est pas d'offrir un service de qualité mais de réaliser un profit, la question environnementale est davantage perçue comme une charge qu'il convient d'externaliser.
Le retour du multilatéralisme
Le Partenariat transpacifique (PTP), actuellement en négociation entre le Canada et 11 autres pays, dont les États-Unis, possèdera un chapitre sur l'environnement qui semble aller plus loin, à première vue, que tout ce qui s'est négocié par le passé. On pourrait être porté à penser que cet accord donnera enfin lieu à l'équilibre tant attendu entre les propositions économiques et la protection de l'environnement.
Malgré les belles intentions présentées, la portée de ce chapitre est très restreinte et il ne sera vraisemblablement pas contraignant. Dans les faits, ce chapitre vise essentiellement à faciliter le commerce des biens et services environnementaux et à accélérer, ce faisant, la marchandisation de la nature sous prétexte de la protéger. Le PTP pourrait en outre augmenter grandement la mainmise de géants de l'agro-industrie comme Monsanto sur l'agriculture et l'alimentation mondiale et accélérer ainsi la dispersion d'un modèle agricole désastreux pour l'environnement.
Basée sur la logique de croissance illimitée à tout prix, la mondialisation néolibérale place les privilèges des grandes corporations au-dessus de la viabilité écologique, du contrôle démocratique et de la justice sociale. Des organisations de la société civile proposent pourtant des modèles alternatifs d'échanges entre les pays, basés sur la coopération et le partage des meilleures pratiques, qui pourraient permettre de prendre en charge efficacement la crise écologique actuelle. Seule une mobilisation massive des citoyennes, des citoyens peut changer la donne, mais ce sujet semble bien loin des préoccupations de la plupart des gens. C'est pourquoi il faut s'informer et partager l'information autour de nous. Il en va de la survie de notre espèce.