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Par Monique Jeanmart
En 2008, 35 pays, sur tous les continents ont été secoués par des émeutes dites « de la faim », les populations se sont soulevées, ont pillé et paralysé les activités. À l’origine de ces violences, une hausse rapide et dramatique du prix des céréales : selon la FAO, en 2007, le prix des céréales a augmenté de 47 % et cette hausse devrait se poursuivre. Pour des centaines de millions de personnes qui vivent à la limite de la subsistance – avec moins de 2 $ par jour – ces hausses sont plus que dramatiques parce qu’elles mettent en jeu leur survie même. À la face de la planète se trouve ainsi révélée une situation endémique : en 2008, partout sur la planète des gens meurent parce qu’ils sont mal nourris ou sous-alimentés en permanence.
Malnutrition, faim ou famine
Toujours selon la FAO, en 2008, 963 millions de personnes sur la planète ont souffert de la faim sous différentes formes, soit 1 humain sur 7. Ce phénomène doit être distingué d’un autre phénomène : la famine. Selon Sylvie Brunel (1), alors que le premier est un phénomène chronique, structurel dont les causes sont multiples et complexes, le second se définit par une rupture dramatique et absolue de nourriture pour une population déterminée et ses causes sont d’ordre politique. La famine est toujours « collective, aiguë, temporaire et ciblée » et elle s’annonce des semaines voire des mois à l’avance. Alors que la faim est le résultat du sous-développement, la famine est un problème géopolitique.
Les racines de la faim
Pour Olivier de Shutter, Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, un paradoxe révèle les véritables causes de la faim : la moitié des personnes qui en souffrent de façon chronique sont des petits paysans qui ne parviennent pas à vivre des fruits de leurs récoltes. Et la situation s’aggrave depuis 20 ans. Ainsi en Afrique, entre 1977 et 2002, le nombre d’Africains gravement sous-alimentés est passé de 81 à 203 millions, et ce, précisément dans 37 pays qui vivent principalement d’agriculture (2).
Pour expliquer cette situation on évoque de nombreux facteurs : une production alimentaire mondiale insuffisante, la sécheresse et autres conditions climatiques, une hausse et une transformation de la demande de certains pays émergents (Chine et Inde), l’urbanisation sauvage qui réduit les superficies cultivables, la production de biocarburants et enfin les conséquences désastreuses de l’application des politiques néolibérales à l’agriculture, mais surtout, le phénomène le plus récent, la responsabilité des grands groupes financiers qui spéculent en Bourse sur les céréales et autres produits alimentaires.
Démêler le vrai du faux
Insuffisance de la production : les données de la FAO sont claires, même si elle stagne depuis quelques années, la production mondiale est suffisante pour nourrir tous les habitants de la planète : ce qui confirme que le problème en est un de répartition et non de production. D’un coté, des pauvres trop pauvres pour se nourrir, de l’autre des riches qui accaparent une grande partie de la production céréalière pour se nourrir, alimenter le bétail et maintenant pour la transformer en biocarburants.
Augmentation de la demande et transformation des habitudes alimentaires de certains pays émergents : même si elle fait appel au bon sens, cette explication ne tient pas vraiment la route. La forte augmentation du prix des céréales n’est qu’un symptôme de la crise : les prix ont explosé en 2007-2008, alors que la transformation de la consommation dans les pays émergents est une tendance observable depuis une vingtaine d’années.
Production de biocarburants : beaucoup plus appropriée cette explication nous amène au cœur des explications réelles, les conséquences de néolibéralisme qui a transformé l’agriculture en « agrobusiness ». En utilisant un argument mensonger, l’impact positif des agrocarburants sur l’environnement, les lobbies ont convaincu les gouvernements, tant en Amérique du Nord que dans l’Union européenne, de subventionner massivement cette production très coûteuse, ce qui a eu pour résultat de dévier des quantités substantielles de terres et de produits agricoles tout en provoquant une escalade des prix dramatique pour les pays pauvres que, par ailleurs, on avait assujettis au marché.
Mais l’explication la plus réelle réside dans la mise en évidence des effets plus cachés des politiques néolibérales sur les économies des pays pauvres (3). Depuis 2 décennies, le FMI, la Banque mondiale et autres institutions internationales ont convaincu ces pays que la libéralisation et l’ouverture de leurs marchés agricoles étaient les mesures les plus à même d’assurer leur développement et de leur permettre de nourrir leur population. Ce qui a eu pour résultat la marginalisation, quand ce n’est pas la disparition, de la production vivrière et de la petite agriculture familiale. Conséquemment, ces pays se sont retrouvés à la merci d’un marché de céréales dominé par la spéculation et incapables de nourrir leur population.
Des solutions à court, moyen et long terme
Pour Olivier de Shutter, si les principes sur lesquels repose le néolibéralisme doivent être dénoncés et réformés, il faut prioritairement assurer une revalorisation et un financement adéquat de l’agriculture vivrière partout où elle a été marginalisée tout en permettant aux Etats de réguler le prix de leurs produits alimentaires. Pour permettre à chaque pays de se nourrir, il faut privilégier l’agriculture locale et la soustraire aux mécanismes du marché. La véritable solution à la crise alimentaire réside dans « l’inscription du droit à la souveraineté alimentaire dans le droit international » afin que chaque pays puisse protéger son agriculture de toute ingérence ou pressions internationales. Le droit à la souveraineté alimentaire doit accompagner le droit inaliénable de se nourrir.
Notes
[1]Sylvie Brunel, Famines et politique, Presses de Sciences-Po, 2002.
[2] Le monde diplomatique, avril 2008.
[3] Pour l’analyse complète, voir dans ce bulletin : Spéculation financière et crise alimentaire, (Andréanne Foucault)
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Andreanne Foucault
« La faim est un crime contre l’Humanité »(1)
— Jean Ziegler
Alors que les fortunes privées déjà colossales ne cessent de se boursoufler, alors que les rendements des multinationales atteignent des sommets faramineux, alors que des millions de dollars sont versés en prime à des banquiers incompétents et des milliards à leurs institutions qui, en toute impunité, pratiquent l’évasion fiscale via les paradis fiscaux, la sous-alimentation affecte, torture serait le terme le plus adéquat, pas moins de 923 millions de personnes dans le monde ( d’après les chiffres officiels de l’ONU). Pire encore, « toutes les cinq secondes, un enfant en dessous de dix ans meurt de faim ou de maladies liées à la malnutrition » (2) , affirme Jean Ziegler dans son ouvrage L’empire de la honte.
Dans les pays du Nord, le néolibéralisme a généré des distorsions d’une absurdité flagrante. Dans les pays du Sud, ces distorsions se traduisent par des millions de morts. Or, il existe un lien inéluctable entre la fortune des richissimes et le dénuement total des plus pauvres. Ce lien n’a rien de fortuit ou d’accidentel. Ces fortunes qui ne cessent d’augmenter se sont construites grâce à l’utilisation de mécanismes mis en place par nos démocraties, plus précisément par la libéralisation progressive et effrénée du commerce. En instituant les mécanismes de libre-échange, nos dirigeants ont peu à peu cédé leur pouvoir et leur responsabilité sociale aux grands investisseurs. Ils ont laissé les grands financiers influencer la majorité de leurs décisions. Et ce sont ces investisseurs qui gouvernent maintenant la planète.
Libre-échange ou mainmise et prédation institutionnalisées ?
Le libre-échange a facilité la mobilité des investissements, a stimulé la spéculation, a inspiré des montages financiers obscurs et imprévisibles qui ont finalement mené à ce que l’économiste Louis Gill appelle « l’hyperdéveloppement d’un capital volatil libre de se déplacer dans l’espace planétaire en fonction de sa seule valorisation » (3). Avec les résultats que l’on connaît maintenant : les riches sont de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres. Ici au Canada, la classe moyenne a vu son pouvoir d’achat s’arrondir d’un maigre 50$ au cours des trente dernières années. Et dans les pays du Sud, le nombre de personnes souffrant de la faim a augmenté de 75 millions au cours de la seule année 2007, d’après les données officielles de la FAO (la Food and Agriculture Organisation des Nations Unies). On peut présumer que l’année 2008 sera encore plus désastreuse…
Et comment en est-on arrivé là? Plusieurs spécialistes s’accordent pour pointer du doigt la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce qui, on le sait, sont les grands architectes de la libéralisation commerciale sous toutes ses formes. Un expert québécois des questions agricoles, Guy Debailleul, qui est titulaire de la Chaire de développement international à l’Université Laval, retrace de la façon suivante les origines de cette crise sans précédent :
« L’agriculture a toujours été un secteur plus exposé aux soubresauts de l’économie. Dans les années 70, des pays comme la Côte d’Ivoire et l’Algérie avaient mis en place des caisses de stabilisation pour contrer les fluctuations des prix sur le marché international et assurer des revenus stables aux agriculteurs. Avec la crise de la dette, ces pays ont dû démanteler ces mécanismes pour se conformer aux plans d’ajustement structurel imposé par le Fonds monétaire international. Ils ont également ouvert leur marché aux produits agricoles du Nord, pour constater ensuite que les pays industrialisés n’avaient pas l’intention, eux, de laisser tomber leurs propres mesures de soutien, comme les subventions massives à l’agriculture. Cela a été catastrophique pour l’économie interne des pays en voie de développement. Plusieurs de ce pays ont alors misé sur les cultures d’exportation, dans le cadre de la libéralisation des échanges, et ont peu à peu négligé l’agriculture vivrière. En Argentine, plus de la moitié des terres fertiles est maintenant consacrée à la culture du soya, dont la grande partie des récoltes est exportée à l’étranger » (4).
Un autre spécialiste québécois, Guy Paiement, qui est président des Journées sociales du Québec et collaborateur à la revue Relations, met également en cause l’un des grands instigateurs de la libéralisation, la Banque mondiale. Selon lui, elle a grandement contribué à démanteler l’autonomie alimentaire des pays du Sud : « Dans les années 80, la Banque mondiale a géré de plus en plus les subventions aux divers gouvernements des pays en développement et imposé sa philosophie du libre marché. Pour permettre une pénétration la plus grande possible des pays sous-développés par les grands producteurs de nourriture, il fallait, disait-elle, que les États plus pauvres oublient un peu leur souveraineté et s’occupent d’abord du bien de leur population affamée. Cette utilisation du bien individuel des personnes devint l’argument massue pour légitimer la mainmise de la Banque mondiale et des grandes entreprises sur des pays pauvres » (5). En fait, par cette mainmise et cette usurpation idéologique, la Banque mondiale a complètement chambardé la production vivrière et les coutumes locales de ces pays, elle a accentué l’endettement de leurs gouvernements et indirectement favorisé les détournements de fonds par les élites au pouvoir. Somme toute, sous le couvert d’une action humanitaire, elle a mis les pays pauvres sens dessus dessous et surtout, elle les a asservis aux intérêts des grands producteurs. Il s’agit là d’une prédation institutionnalisée, n’ayons pas peur des mots !
Les mécanismes de prédation : agriculture industrielle, pré-stockage des denrées et contrats à terme
Dans son État de l’insécurité alimentaire dans le monde (2008), la FAO souligne que « ces dix dernières années, la faim a augmenté alors que le monde s’enrichissait et produisait plus de denrées que jamais » (6). Elle attribue cet état de fait à divers facteurs liés ou bien à l’offre ou bien à la demande en produits alimentaires. Parmi les facteurs liés à l’offre, la FAO identifie : la baisse des niveaux de stocks et l’instabilité des marchés, la baisse de production due aux sécheresses et aux inondations, la hausse du prix des engrais ainsi que la hausse des coûts pétroliers qui ont une incidence sur le transport des denrées. Parmi les facteurs liés à la demande, la FAO cite prioritairement la demande croissante en biocarburants : « Les marchés émergents de biocarburants exigent des volumes importants de produits agricoles comme le sucre, le maïs, le manioc, les graines oléagineuses et l’huile de palme. L’augmentation de la demande pour ces produits a fait que leurs prix sont montés en flèche sur les marchés mondiaux » (7). La FAO prévoyait même que « en 2007-2008, la production des biocarburants devrait utiliser 100 millions de tonnes de céréales, soit 4,7% de la production mondiale » (8).
Un autre facteur qui exacerbe la crise alimentaire actuelle, c’est le stockage des denrées opéré par les grands importateurs. Là aussi, la FAO, toujours prudente dans ses énoncés, reconnaît leur responsabilité : « La reconstitution des stocks et le pré-stockage spéculatif opérés par certains grands importateurs disposant d’une trésorerie relativement solide ont également participé à la hausse des prix » (9). Ce pré-stockage a, de toute évidence, attiré l’attention et la convoitise des fonds d’investissement, des banques et autres institutions financières et ils ont commencé à se prévaloir de ce qu’on appelle les « contrats à terme ».
Par ce type de contrats, un acheteur s’engage à acheter, à un certain moment, une certaine quantité de matières premières à un prix fixé d’avance. À l’origine, ces contrats permettaient aux petits producteurs de se prémunir contre la fluctuation des prix. Les agriculteurs qui semaient en mars pouvaient donc compter sur des revenus prédéterminés en septembre. Cependant, les spéculateurs internationaux ont découvert les possibilités de ces contrats à terme, qu’on appelle en anglais des futures, et ils ont commencé à en profiter massivement. L’augmentation de la demande a donc fait monter les prix futurs et, conséquemment, les prix en cours. D’après Michael Masters, l’un des managers de ces fonds d’investissement qui spéculent sur les denrées alimentaires : « Entre 2003 et 2008, les investissements dans les futures en matières premières sont passés de 13 milliards à 260 milliards de dollars » (10). Pour sa part, la FAO a estimé que : « Les activités boursières mondiales sur les contrats à terme et les options ont plus que doublé ces cinq dernières années. Dans les neuf premiers mois de 2007, elles ont progressé de 30% par rapport à l’année précédente » (11). Et de conclure : « Ces intenses activités de spéculation sur le marché des produits agricoles ont conduit certains analystes à désigner l’augmentation de la spéculation comme un important facteur de la flambée des prix » (12).
Quand le remède proposé est lui-même la source du mal
Actuellement, aucun changement majeur, aucun virage ne s’amorce dans le parcours complètement irrationnel du néolibéralisme. Ici, pour contrer la crise, on propose des réductions de taxes et des investissements dans les travaux publics. On veut relancer l’économie de consommation et sa libéralisation généralisée alors que c’est cette même économie qui est la source de la crise. Le Premier Ministre Charest renchérit même sur la tendance en souhaitant que le Canada établisse un « accord de libre-échange des Amériques » (13).
Au niveau international, le récent G-20 a octroyé 750 milliards de dollars au Fonds monétaire international alors que cet organisme, avec ses plans d’ajustement structurel, est en partie responsable du démantèlement alimentaire des pays en développement. De plus, les débats pour résoudre la crise insistent sur la nécessité de conclure « le Cycle de Doha ». On s’en rappelle sans doute, le Cycle de Doha, c’est le programme de négociations entrepris en 2001 à Doha (capitale du Qatar) par l’Organisation mondiale du commerce. Ces négociations visent à insérer encore plus profondément les tentacules néolibérales dans l’économie mondiale, principalement dans celle des pays du Sud. Mais grâce à leur courageuse résistance, ces négociations bloquent en dépit de toutes les pressions exercées par l’Union européenne et les Etats-Unis.
Un organisme altermondialiste américain, l’Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP) a récemment adressé une lettre aux secrétaires américains du Commerce et de l’Agriculture, avec copie aux dirigeants des Nations Unies, de la FAO, de l’OMC, du FMI et de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). D’emblée, l’IATP récuse les démarches entreprises à Doha par l’Organisation mondiale du commerce. L’Institut souligne d’abord l’impact négatif du libéralisme sur la production vivrière locale : « Les accord commerciaux multilatéraux, bilatéraux et régionaux imposent une libéralisation systématique qui aggrave l’instabilité des prix des produits alimentaires. Cela accroît la dépendance vis-à-vis des marchés internationaux et diminue l’investissement dans la production vivrière locale. La libéralisation du commerce a érodé la capacité de pays en développement de subvenir à leurs besoins alimentaires » (14).
Puis, l’IATP met en relief les énormes bénéfices réalisés par les multinationales dans ce secteur : « L’un des principaux protagonistes du commerce mondial de céréales, Cargill, a annoncé en avril 2008, en pleine crise alimentaire mondiale, que ses profits avaient augmenté de 86% et atteint 1,03 milliard de dollars pour le trimestre écoulé. Et pour le dernier trimestre de 2007, le géant agroalimentaire Bunge a vu ses profits augmenter de 77% par rapport à la même période de l’année précédente. Pour nous, il est clair que le Cycle de Doha va fortifier la position des sociétés transnationales dans les marchés agricoles, ces sociétés qui prospèrent grâce à la dérégulation commerciale » (15).
Or, tout un éventail de solutions concrètes existe pour redresser cette conjoncture catastrophique et relancer l’agriculture mondiale sur des bases écologiques et équitables. Mais d’abord, comme le dit encore Jean Ziegler dans une autre formule vibrante…
Il faut mettre un terme à « l’ordre meurtrier du monde »
C’est en ces termes que Jean Ziegler s’insurge contre la crise alimentaire et dénonce « les accords économiques inégaux imposés par l’Europe à ses anciennes colonies, le comportement scabreux du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale qui imposent des conditions draconiennes au remboursement de la dette évaluée à 2100 milliards de dollars ». Et il appelle de ses vœux « un tribunal de Nuremberg pour juger les prédateurs qui ont provoqué cet ordre meurtrier du monde » (16). L’idée d’une instance internationale qui sanctionnerait les crimes économiques perpétrés contre les nations vulnérables n’est pas nouvelle. Tout naturellement, pour réformer le système financier, les mouvements altermondialistes se tournent vers les Nations Unies. Une fois transformée afin de la rendre plus démocratique et dotée de réels pouvoirs d’intervention, l’ONU pourrait remplir ces fonctions.
Mais pour parvenir à cette réforme, il faut, d’une certaine façon, refaire notre conception du monde, il faut penser autrement, il faut imaginer au-delà des limites et des poncifs que les médias nous serinent quotidiennement. Il faut oser créer à la fois intellectuellement, émotionnellement et socialement. Il faut commencer à visualiser cet « autre monde » auquel nous rêvons ! Et d’abord, à nous les citoyens, il incombe de manifester énergiquement notre « refus global de la faim ». La situation actuelle est la conséquence directe de tout ce que nous avons accompli délibérément ou accepté passivement. Nous ne pouvons plus être les complices tacites de cette conjoncture intolérable. Puis, au fur et à mesure que cette prise de conscience parvient à maturation, nous pouvons militer pour la transformation des grandes institutions mondiales et contribuer à l’émergence de solutions ponctuelles telles que : favoriser la souveraineté alimentaire, éliminer le dumping, réintroduire les droits de douane ou encore, comme le propose ATTAC depuis sa fondation, prélever des taxes sur la totalité des transactions financières et redistribuer la richesse vers des projets citoyens.
Ainsi, petit à petit, nous pourrions faire surgir un monde où la fabuleuse pulsion créatrice qui anime l’Humanité se déploierait dans l’harmonie et l’équité. Un monde où l’attention aux êtres et à leur milieu de vie passerait avant le profit des grandes corporations, un monde où les caractéristiques nationales, leur richesse, leur histoire et leur folklore cohabiteraient avec des technologies fines, subtiles et d’abord focalisées sur les besoins réels. Un monde qui éradiquerait définitivement la faim et la misère. Un monde où les humains aimeraient l’Humanité !
Notes
[1]Jean ZIEGLER, L’empire de la honte, Fayard (2005), p. 117
[2] Idem.
[3] Louis GILL, Une crise annoncée dans À bâbord (mars 2009), p. 6.
[4] cité dans Isabelle BOURASSA, La crise alimentaire occultée, Impact Campus, édition du 25 nov. 2008.
[5] Guy PAIEMENT, De la sécurité alimentaire à la souveraineté alimentaire, dans Relations, déc. 2003, p.14.
[6] FAO, L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde (2008), Avant-propos .
[7] idem, La sous-alimentation dans le monde – Les causes de la hausse des prix des denrées alimentaires, p. 9.
[8] idem, p. 10.
[9]FAO, L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde, Les causes de la hausse des prix des denrées alimentaires – Autres facteurs.
[10] cité par John VANDAELE, La spéculation financière contribue à la crise alimentaire dans Mondiaal Nieuws, 25 sept. 2008.
[11]FAO, L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde, Les causes de la hausse des prix des denrées alimentaires – Autres facteurs.
[12] idem.
[13]Charest veut un libre-échange des Amériques dans La Presse, A 13, 24 février 2009.
[14] Le cycle de Doha de l’OMC ne résoudra pas la crise alimentaire mondiale sur le site du Trade Observatory de l’IATP, www.tradeobservatory.org/library.cfm?refID=102893
[15] idem.
[16] Hubert ARTUS, Jean Ziegler : pour un tribunal de Nuremberg de la crise dans Rue 89, 27 oct. 2008.
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par Dan Fukurawa Marques
Candidat à la maîtrise en Science politique (York University), l’auteur était responsable de la délégation d’ATTAC-Québec au Forum social mondial 2005 au Brésil et 2006 au Vénézuela
danfmarques(at)gmail.com
Catherine Caron est membre du conseil d'administration d’Attac-Québec
Après quatre ans d’absence de son berceau, le Forum social mondial (FSM) revient au Brésil pour son édition 2009, plus précisément dans la ville de Belém, porte d’entrée de la jungle amazonienne. Marquée par la présence de cinq chefs d’États d’Amérique latine (Brésil, Vénézuela, Paraguay, Équateur et Bolivie), de même qu’une grande représentation de tribus autochtones, la rencontre altermondialiste a réuni cette année plus de 100 000 participants provenant d’environ 115 pays qui sont venus assister aux quelques 2 700 activités prévues entre le 27 et le 31 janvier dernier. Bien que le FSM en soit à sa neuvième édition, sa légitimité est encore aujourd’hui remise en question. Quel est le but véritable des forums sociaux et vers où se dirigent-ils ?
La formule de base du Forum social mondial demeure inchangée : un événement d’envergure et unique en son genre rassemblant des organisations et des mouvements sociaux internationaux, tel que ATTAC ou Via Campesina, des ONG, des syndicats, ainsi qu’un grand nombre de citoyens croyant « qu’un autre monde est possible », dans un espace ouvert d’échanges, de discussions et de réseautage. Cependant, après tant d’années d’existence, il est louable de se questionner sur les apports réels des forums sociaux. Quels sont les résultats concrets de tels forums? Ont-ils vraiment un impact politique au niveau global? Ont-ils toujours leur raison d’être ? Un bref retour sur l’évolution du FSM est nécessaire afin d’en saisir la nature, ainsi que les récentes transformations politiques.
Les limites politique du FSM
À travers la Charte de principes du FSM, il apparaît important de souligner deux principes plus fondamentaux : le premier affirme que le FSM « se définit en tant qu’espace ouvert de rencontre, pluriel et diversifié » alors que le second indique que « personne (ou groupe de personne) n’est autorisé à exprimer au nom du Forum des positions qui voudraient prétendre être celles de tous et toutes ses participants ». Paradoxalement, ces deux principes constituent à la fois la principale force et la plus grande faiblesse de l’événement.
En effet, le fait que le FSM se définisse tout d’abord comme un « espace ouvert de rencontre » constitue sa force agrégative et rassembleuse. Chaque groupe y trouve sa place : féministes, militants des droits humains, écologistes, syndicalistes et aussi d’autres rassemblements moins visibles, mais tout aussi importants, comme l’Association internationale des juges ou celle des psychologues. Les axes thématiques sous lesquels s’enregistrent les activités des participants sont suffisamment larges pour couvrir la quasi-totalité des enjeux qui préoccupent les militants de tout acabit. C’est pourquoi le nombre de participants croît exponentiellement, passant d’environ 5 000 participants en 2001 à plus de 170 000 en 2005.
De l’autre côté, ce pouvoir rassembleur est également limité par le dernier principe ci-avant énoncé, qui insiste particulièrement sur l’idée qu’il ne peut y avoir de déclaration finale du FSM prétendant parler au nom de tous ceux et celles qui y étaient présents. La diversité des causes et stratégies de luttes mises de l’avant par chaque groupe s’avère souvent trop hétéroclite et complexe pour en retirer des points communs qui convergeraient vers une même orientation politique. Il en résulte que le Forum réussit difficilement à exercer de fortes pressions au niveau international en tant que mouvement social unifié, notamment depuis les quatre dernières années.
Tentative de redressement politique ?
Il serait cependant injuste d’affirmer que, depuis sa création, l’impact politique international du Forum est inexistant. Pour s’en convaincre, il suffit de constater la multiplication des Forums régionaux fournissant une opportunité unique de réseautage entre groupes agissant dans des mêmes lieux géographiques. De plus, il faut rappeler que le Forum social mondial fut crée à l’origine comme mouvement d’opposition au Forum économique de Davos. Le FSM s’établissait donc initialement en tant que contrepoids démocratique à un événement réservé aux élites mondiales où des décisions économiques et politiques, affectant une large partie de la population mondiale, se prenaient à l’abri de l’opinion publique et des citoyens. Depuis la naissance du FSM, force est de constater que des changements non négligeables ont été opérés à l’ordre du jour du Forum économique mondial. À titre d’exemple, depuis 2003, il est devenu difficile de parler en parallèle de libéralisation du commerce international sans parler des effets sociaux négatifs qui y sont associés.
Toutefois, depuis l’apogée du Forum en 2005, en termes de nombre de participants et de visibilité, son impact politique au niveau mondial s’est fait chaque fois plus silencieux. Comme conséquence de la, déjà, très faible couverture médiatique, d’une baisse sensible des participants, ainsi que la « décentralisation » de l’événement afin qu’il se tienne simultanément en plusieurs lieux différents, certains organisateurs se sont penchés sur une tentative de réforme des bases politiques du mouvement altermondialiste.
C’est pourquoi à la fin du FSM 2005, un groupe d’une vingtaine de personnalités connues du milieu ont lancé le Manifeste de Porto Alegre. Malgré le soin pris par ses signataires de se distancer de ce qui pourrait être confondu à une déclaration du FSM, ce document, une sorte de tentative de rassemblement des causes et solutions les plus acceptées, n’a finalement été utile que pour mesurer les réactions des participants aux nouvelles propositions. Les réponses de ces derniers ont été plutôt négatives, probablement en raison du fait que le Manifeste ne mettait de l’avant qu’une poignée de gens ne pouvant guère parler au nom de la diversité présente. Par la suite, au FSM polycentrique de 2006 qui a eu lieu au Mali, un document intitulé l’Appel de Bamako a vu le jour. Ce document, contrairement au précédent, été signé par approximativement 300 représentants d’ONG et mouvements sociaux. À ce moment, si l’initiative n’a pas fait l’unanimité, elle était néanmoins beaucoup mieux reçue.
Altermondialisme et post-altermondialisme
En 2008, le FSM s’est fractionné et multiplié en plusieurs petits forums devant se tenir simultanément à travers le globe. Et le forum sur lequel les attentions devaient toutes se porter se déroulait à Paris sous le thème : « Altermondialisme et post-altermondialisme ». À ce dernier forum étaient présents quelques têtes majeures du Conseil international du FSM dont Samir Amin, Walden Bello, François Houtard et Bernard Cassen. Il est à noter que le ton de l’événement a été donné à l’avance en août 2007 à l’Université d’été d’ATTAC lorsque M. Cassen a déclaré que l’altermondialisme était terminé. En effet, M. Cassen fait partie de ceux qui croient que l’altermondialisme était une phase nécessaire de contestation et de convergence des mouvements sociaux afin de dénoncer les effets néfastes du néolibéralisme. À son avis, il est temps de passer à l’offensive et de penser au « post-altermondialisme », une orientation d’inspiration latino-américaine dans laquelle une collaboration étroite entre mouvements sociaux, syndicats et gouvernement au pouvoir devient la norme. Et l’altermondialisme ? « [Il ne s’agit] pas de se substituer au mouvement altermondialiste qui conserve toute sa pertinence comme facteur de « conscientisation » et d’agglutination de forces très diverses. Il s’agit - à partir de lui, et pas contre lui ou à sa place - de procéder à un essaimage, d’imaginer de nouvelles configurations prenant notamment la forme d’actions et d’initiatives communes entre les mouvements sociaux qui le désirent et les partis et les gouvernements engagés dans des processus de profonde transformation sociale », se reprend Bernard Cassen dans un article publié le 24 janvier dernier dans l’Humanité.
Malgré une telle déclaration, est-il réellement possible d’affirmer que le post-altermondialisme n’est pas ultimement destiné à devenir l’orientation maîtresse du FSM ? Connaissant l’influence dans le Conseil international de ceux promouvant le post-altermondialisme et en observant l’édition 2009 où figuraient cinq chefs d’États (Lula, Hugo Chavez, Evo Morales, Fernando Lugo et Rafael Correa), il est permis du moins de se poser la question.
Les temps de crises actuels amènent à témoigner de changements politiques et économiques importants au niveau de la légitimité du discours néolibéral. Les défaillances structurelles qui nous été dévoilées avec l’instabilité chronique du système financier rendent les jours difficiles pour les défenseurs du laisser-faire économique. La prise de pouvoir en Amérique latine de gouvernements aux pratiques se voulant aux antipodes du capitalisme ouvre la porte à la question de la détermination de l’articulation entre mouvements sociaux, partis politiques et syndicats dans une possible phase où l’État interventionniste et protectionniste risque de revenir sur l’avant-scène. Dans un tel contexte, il est peut-être réellement le temps pour le mouvement altermondialiste de faire un bilan et d’engager un débat sérieux sur les grandes orientations à venir.
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« Nous sommes à l’aube de grands changements »
par Andreanne Foucault
Le 28 mars dernier, quelques jours avant le G-20, partout dans le monde des milliers de personnes dénonçaient les politiques aberrantes qui ont mené à la crise globale actuelle. Montréal n’était pas en reste. À l’initiative d’ATTAC-Québec, des représentants et des militants d’une quarantaine d’organismes sociaux et de syndicats ont fait connaître leurs propositions pour contrer la crise. Sur les pancartes, on pouvait lire : « La population et l’environnement d’abord », « Pour un nouveau système économique et social », « Garantissons les revenus des citoyens » et, bien sûr, « Non aux paradis fiscaux » et « Baisse d’impôts aux entreprises : un scandale ! » en plus de plusieurs autres…
Sous un soleil éclatant, devant les bureaux du gouvernement fédéral à Montréal, la manif était joyeuse et, visiblement, la foule vibrait au rythme d’un intense désir de renouveau. Les orateurs ont suscité l’enthousiasme à la fois par leurs envolées passionnées et par leurs déclarations empreintes d’humanisme et d’intelligence. Tous ont mis en relief les dérives irrationnelles du néolibéralisme : « La crise que nous traversons, a souligné Claude Vaillancourt, secrétaire d’ATTAC-Québec, est le résultat de politiques adoptées par le G-8, élargi pour la bonne cause à un G-20. Or, c’est à ces mêmes pays dominants que nous demandons de résoudre la crise. C’est donc à des incendiaires que nous demandons d’éteindre l’incendie. Face à ce système qui nous mène tout droit dans un cul-de-sac, il faut s’unir, faire pression pour que notre gouvernement ne soit plus seulement à l’écoute des gens d’affaires. Nous sommes probablement à l’aube de grands changements. À nous de voir à ce que ces changements se décident non pas en vase clos mais avec l’aide de tous et dans l’intérêt de tous ».
Les représentants invités y sont aussi allés de quelques phrases-choc : « L’économie capitaliste est blessée… Eh! bien, qu’elle crève ! a lancé Youri Couture de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ). Concurrence, rentabilité, productivité… autant de concepts destructeurs qui ont aboli la primauté de l’être humain sur les profits. Solidarité, justice sociale, bien commun, conscience, esprit critique, mobilisation… Voilà l’avenir radieux qui prendra la place du vieux monde en faillite ! ». Pour sa part, Maria-Luisa Monreal de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) a fait valoir la nécessité d’une restructuration globale en faveur des pays du Sud : « Il faut mettre un terme aux inégalités mondiales. Il faut annuler la dette des pays du Sud. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international doivent être transformés et rendre des comptes aux Nations unies. Nous voulons une nouvelle économie qui respecte la dignité humaine et le développement durable. Nous voulons une planète qui soit viable pour tous les êtres humains! ». Michèle Asselin de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) a, encore une fois, brandi le flambeau féministe avec une grande détermination : « Vous vous souvenez de la grande marche Du pain et des roses ? Eh bien, en 2010, nous allons marcher à la grandeur de la planète. On va marcher tant que toutes les femmes ne seront pas libres. Pour sortir de la crise, la solidarité est la seule perspective valable. Alors, So-So-Solidarité avec les femmes du monde entier ! ». Jean Trudelle de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ) a réfuté avec beaucoup d’aplomb l’un des sophismes les plus répandus dans nos milieux politiques : « Pauline Marois et quelques autres ne cessent d’affirmer qu’il faut créer de la richesse avant de la redistribuer. Mais, il n’y a pas un seul pays au monde qui réalise cette promesse. Il n’y a pas un seul pays néolibéral qui ne génère pas d’immenses inégalités sociales ! ». Finalement, Stuart Trew du Conseil des Canadiens était présent avec des membres de cette organisation citoyenne pancanadienne et il a évoqué les nombreuses luttes et mobilisations qui sont à venir.
Sans avoir l’ampleur que ce type d’action a pu avoir lorsque les G-8 ou G-20 se sont déroulés à Montréal, ce rassemblement et son feu roulant d’idées fortes a capté l’attention des médias dont : le Téléjournal du 28 mars et Macadam tribu à la SRC, CTV News, LCN (entrevue avec Richard Martineau), la Presse canadienne, The Mirror, le Globe and Mail, L’aut’ Journal, Presse-toi à gauche et Cybersolidaire.
Rappelons que c’est l’appel d’ATTAC-Québec Des idées citoyennes pour contrer la crise qui a rallié les participants (en voir le texte au www.quebec.attac.org/article.php3?id_article=513). Ces idées citoyennes continuent de susciter des réflexions et des débats qui vont nous accompagner au moins jusqu’au prochain Forum social québécois.
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Attac-Québec et le Centre justice et foi vous convient à une journée d’étude pour bien comprendre les fondements de la crise qui secoue la planète le samedi 9 mai 2009 de 9 h à 16 h 30 à la Maison Bellarmin à Montréal.
Surveillez notre compte-rendu dans notre prochain bulletin.
Conférence d'ouverture
- Les différentes manifestations de la crise actuelle du capitalisme par Robert Jasmin, président d’Attac-Québec;
Conférence de clôture
- Quelles voies de sortie face aux multiples défis actuels ? par Claude Vaillancourt, professeur, secrétaire d’Attac-Québec et auteur de Mainmise sur les services (Écosociété, 2006) et Serge Mongeau, écrivain et conférencier, a notamment dirigé l’ouvrage Objecteurs de croissance. Pour sortir de l’impasse : la décroissance (Écosociété, 2007).
Les ateliers thématiques
Atelier du matin
- L’ABC de la crise financière et ses conséquences sur les inégalités
avec Marc-André Gagnon, chercheur post-doctoral au Centre des politiques en propriété intellectuelle de l’Université McGill ;
Ateliers de l'après-midi
- Crise alimentaire et spéculation
avec Louis Gaudreau, doctorant en sociologie à l’UQAM et boursier au Centre justice et foi;
- Perspectives pour le renouveau syndical dans le contexte de crise globale
avec Nathalie Guay, conseillère syndicale au Service des relations du travail (recherche) de la CSN.
À inscrire dès maintenant à votre agenda!
Saisir les fondements de la crise financière.
Quand : | Samedi 9 mai 2009 de 9h à 16 h 30. |
Lieu : | À Montréal , à la Maison Bellarmin,
25, rue Jarry Ouest (coin St-Laurent), métro Jarry |
Coût d'inscription : | : 20 $ / étudiant-e-s et faible revenu : 10 $. Le repas du midi est inclus. |
Inscription obligatoire
Pour nous aider à planifier le lunch, merci de vous inscrire. Retournez ce formulaire à Christiane Le Guen au leguen@cjf.qc.ca / 514-387-2541, poste 234
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