Par Monique Jeanmart
Les derniers bulletins d’ATTAC s’attachaient à analyser la crise financière (numéros 21 et 24) et la crise alimentaire (numéro 25), celui-ci montre comment la synergie de ces deux crises a généré un nouveau phénomène d’accaparement de terres au niveau mondial avec pour conséquence une concentration et une privatisation accélérée des terres fertiles dans certains pays du Sud. Le phénomène a pris une telle ampleur que l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ainsi que le Fonds international pour le développement agricole (FIDA) y ont consacré récemment un important rapport qui questionne la rapidité, l’ampleur et les conséquences du phénomène (1).
De quoi s’agit-il? Des gouvernements riches et des investisseurs privés signent des ententes avec des pays pauvres, africains ou asia-
tiques en général, pour acquérir de bonnes terres cultivables. Avec des motivations différentes, ces deux types d’acteurs mènent des stratégies semblables qui, ultimement, auront
les mêmes conséquences négatives. Les gouvernements de certains pays, qui dépendent des importations pour nourrir leurs populations (tels la Libye, les Émirats arabes,
la Corée et d’autres), préoccupés par la sécurité alimentaire de leurs populations et par les fluctuations du marché, se lancent dans une véritable course pour acquérir des terres agricoles dans les régions les plus fertiles et favorisées pour l’accès à l’eau. Parallèlement, des investisseurs privés du secteur de la finance et de l’agrobusiness (sociétés d’investissement, fonds spéculatifs, négociants en céréales, etc.) se tournent vers le secteur foncier pour contrôler la production de céréales pour l’alimentation ou de biocarburants, dans le but de s’assurer de nouvelles sources de profit à la fois plus rentable et plus sécuritaire. Dans les 2 cas, les stratégies amènent le secteur privé à prendre le contrôle de bonnes terres agricoles dans le but de produire des biocarburants ou des produits alimentaires, non pas pour les populations locales, mais pour l’exportation (que ce soit pour des populations spécifiques ou pour le marché).
Bien que le phénomène existe depuis quelques années, la rapidité et le moment où intervient l’accélération de cette tendance sont révélateurs. En ce qui concerne les acquisitions par le secteur financier, ces évolutions sont intervenues dans l’espace de quelques mois, exactement au moment où les marchés financiers s’effondraient. On évalue à quelque 20 millions d’hectares (environ la superficie de la Belgique) les terres agricoles actuellement sous contrôle étranger (2). Pour Olivier de Shutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, « le rythme auquel ces terres sont actuellement cédées, l’étendue des surfaces cultivables concernées, l’émergence d’une spéculation sur les terres arables depuis la crise alimentaire de 2008 suscitent de nombreuses interrogations » (3). S’il tire une sonnette d’alarme, c’est que ces nouveaux investissements agricoles ne constituent pas une avancée pour résoudre la crise alimentaire, mais un retour en arrière : pendant 25 ans les pays pauvres ont négligé l’agriculture vivrière ce qui les a rendus dépendants. Or, la ruée des pays riches vers les terres cultivables de ces pays va enraciner et aggraver cette dépendance. Pour Olivier de Shutter, questionner ce phénomène ne relève pas seulement d’un point de vue technique ou économique, mais de droits humains.
Paradoxalement, certains des pays les plus concernés d’Afrique Éthiopie, Mali, Madagascar et Soudan et quelques pays d’Asie (Cambodge, Pakistan et Indonésie) sont également ceux qui dépendent de l’aide alimentaire internationale pour l’alimentation de leurs populations. Pendant que l’Éthiopie cède 603 000 hectares de ses terres agricoles (en échange de 785 millions de dollars), 4,9 millions d’Éthiopiens dépendent de l’aide alimentaire internationale pour leur survie (4).
Le rapport de la FAO pose clairement la question « Accaparement de terre ou opportunité de développement ». L’analyse des conséquences de telles transactions ne laisse pas de doute : malgré le double langage des institutions internationales et bien que certaines élites locales qualifient ces accords de « gagnants-gagnants », ce néo-colonialisme foncier ne pourrait en aucun cas être considéré comme une opportunité de développement. Quels que soient les acquéreurs, leur démarche est strictement capitaliste et obéit à des calculs classiques de rentabilité financière. Pour que ces investissements ouvrent sur une possibilité de développement, il faudrait qu’ils soient conduits dans l’intérêt des populations locales et dans un cadre préservant l’environnement.
Est-ce le cas? Le nouveau modèle d’agriculture qui s’implante suite à ces transactions a des conséquences importantes : ces terres, n’étant pas actuellement inoccupées, les petits paysans ou les communautés autochtones qui y vivent et qui les cultivent, seront expulsés, déplacés, ou transformés en main d’œuvre à bon marché pour les grandes exploitations, étant incapables de faire valoir leurs droits, faute de titre de propriété, inexistant dans le droit coutumier. L’accès à la terre est capital pour ces petits paysans : la concentration foncière au bénéfice de grands propriétaires (pays ou firmes) est catastrophique et ne peut qu’aggraver leur état de pauvreté et de malnutrition. On peut aussi s’inquiéter de la façon dont ces projets sont en train de détruire une importante biodiversité par le remplacement de nombreuses variétés de semences locales par un petit nombre d’hybrides modernes dont la rentabilité exige une mécanisation sophistiquée et de nombreux intrants chimiques. Ce modèle d’agriculture constitue une menace cruciale pour les systèmes de semences paysannes des pays concernés et peut servir de base à l’implantation, en catimini, de nouvelles variétés d’OGM.
Quelle que soit la destination de la production, ces transactions ne peuvent mener qu’à un renforcement et à une domination accrue (et accélérée) de l’agrobusiness sur la petite production vivrière locale. Alors que les experts s’entendent sur le fait que la faim et la malnutrition ne pourront être vaincues que par la revitalisation, la priorisation et un réinvestissement massif dans l’agriculture vivrière partout où elle a été marginalisée, et que c’est la seule façon de permettre aux États d’assurer leur souveraineté alimentaire, il apparaît clairement que « l’accaparement des terres » est à l’opposé de cette stratégie. Pour que ces investissements ouvrent la voie au développement et permettent à ces pays de résoudre leurs problèmes alimentaires, il faudrait qu’ils soient conduits dans l’intérêt des populations et de leurs besoins et dans un cadre préservant l’environnement. Or, les règles du capitalisme de marché ont montré depuis toujours que celui-ci n’a pas pour préoccupation première le bien-être des populations. Que certains de ces accords soient qualifiés par les élites de ces pays de « gagnants-gagnants » ne doit pas faire écran, ces transactions montrent une fois de plus que le capitalisme ne se laisse pas détourner de sa ligne directrice : la recherche du profit partout et toujours.
Notes
[1]Accaparement des terres ou opportunité de développement? Investissements agricoles et transactions foncières internationales en Afrique, FAO, 2009
[2]Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, GRAIN, octobre 2008
[3]Entretien avec Olivier de Shutter pour Sud Online, le dimanche 16 août 2009, http://farmlandgrab.org
[4]L’accaparement des terres africaines : opportunité de développement ou néocolonialisme foncier? Basta! Juin 2009, http://farmlandgrab.org
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Forum social québécois
Du 8 au 12 octobre 2009 à Montréal
Fort du succès de 2007, le Forum social québécois (FSQ) revient pour une deuxième édition sur le thème « Inventer le Québec de demain ». Organisé grâce au soutien des syndicats, de nombreux organismes de la société civile et de citoyen(NE)s, le FSQ offre un espace de réflexion, d’échange et de découverte. Ouvert à tous, le FSQ n’est pas seulement une « rencontre » de militants, mais un espace ouvert au grand public, à tous ceux qui croient que le Québec pourrait devenir une société où l’humain et la nature passent avant la recherche du profit.
La mission du FSQ : « rechercher, promouvoir et diffuser les résistances, initiatives et projets alternatifs aux politiques et à la mondialisation néolibérales ». Pendant quelques jours, il permet de rassembler tous ceux et celles qui croient et luttent pour une société plus juste, qui s’opposent aux avancées du capitalisme néolibéral, qui veulent construire ensemble une société démocratique et solidaire.
ATTAC Québec présentera 3 ateliers au FSQ :
Libre-échange et protectionnisme :
Le libre-échange est envisagé par nos gouvernements comme une solution à la crise. Cet atelier étudiera la justification historique du libre-échange, ses principes généraux et ses effets. Il portera un regard sur deux des accords présentement en négociation l’accord Canada-Union européenne et l’accord Québec-Ontario.
Les paradis fiscaux :
Lors du G 20, en avril 2009, de nombreux chefs d’État se sont prononcés contre les paradis fiscaux. Ils ont prévu de nombreuses mesures pour en limiter les recours. Ces mesures sont-elles efficaces? Comment s’organise maintenant le réseau des paradis fiscaux? Comment les banques s’y impliquent-elles? Cet atelier tentera de répondre à ces questions.
La crise et après…?
La crise que nous traversons a révélé les failles de notre système économique. Nos gouvernements ont-ils vraiment appris des leçons données par cette crise? Cet atelier réfléchira sur les solutions proposées par nos gouvernements et sur celles qui devraient être adoptées : renforcement des services publics, réglementation serrée du secteur financier, taxation internationale, éradication des paradis fiscaux, et/ou remise en question du système en tant que tel, etc.
Pour des informations plus précises concernant l’endroit, l’heure, le programme, les activités, etc., consultez le site
http://www.forumsocialquebecois.org/fr.
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Calendrier des activités d’ATTAC
15 avril 2009 : organisée par ATTAC Montréal, soirée autour du film « L’encerclement. La démocratie dans les rets du néolibéralisme » qui s’est tenue en présence du réalisateur Richard Brouillette. Un documentaire remarquable qui a reçu de nombreux prix internationaux.
1er mai 2009 : participation au grand rassemblement syndical pour la fête internationale des travailleurs et travailleuses sur le thème « Sortir de la crise : le monde d’abord ! »
20 mai 2009 : organisée par ATTAC Montréal, rencontre avec l’économiste Gilles Dostaler sur le thème « Regard sur Keynes et notre économie ». Cette rencontre a permis de jeter un regard sur l’état de notre économie, durement touchée par la crise, avec l’éclairage de la pensée de Keynes.
6 juin 2009 : En collaboration avec le Conseil des Canadiens, ATTAC a participé au 5e Sommet citoyen de Montréal avec un atelier sur le thème « Les pouvoirs publics et la démocratie municipale affaiblis par de nouveaux accords ».
10 juin 2009 : à l’occasion de la Conférence de Montréal, organisée par le Forum économique international des Amériques, ATTAC participait, avec divers organismes, à un grand rassemblement pour protester contre la présence d’Alvaro Uribe Velez, président de Colombie et contre la signature des accords de libre-échange avec la Colombie.
23 septembre 2009 : soirée ATTAC Montréal sur le thème « Changer le monde : la dynamique des Forums sociaux, du global au local » avec Raphaël Canet, sociologue, membre du secrétariat du Forum social québécois.
Informations : attacmontreal@sympatico.ca
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