DÉSARMER LA FINANCE ET OBTENIR LA JUSTICE FISCALE Déclaration du Forum Social Mondial Montréal, Canada 2016 Nous nous engageons à travailler en coalition sociale élargie, entre autres avec l’Alliance globale pour la justice fiscale, menée par des réseaux du Sud, pour réaliser notre vision d’un monde où des politiques fiscales transparentes, redistributives et progressives combattent les inégalités entre les nations et en leur sein et génèrent le financement public nécessaire pour permettre aux gouvernements de respecter leurs engagements en termes de droits humains – y compris les droits des femmes et des groupes vulnérables, un environnement sain et durable, des planchers de protection sociale élevés et des services publics de qualité pour le bien de tous. Le rôle de l’impôt dans l’atteinte des droits humains L’impôt constitue un outil essentiel, tant pour réaliser les droits humains que pour combattre les inégalités. Les impôts sont incontestablement la plus importante source de revenus pour les gouvernements parce qu’ils unissent trois fonctions principales : générer des revenus pour la réalisation des droits ; atteindre l’égalité et combattre les discriminations ; et renforcer la gouvernance et la responsabilité. L’imposition est essentielle au financement du développement et peut être un outil puissant pour stimuler la réduction de la pauvreté. Des revenus plus élevés et plus stables permettent un investissement accru et durable dans les services publics, les infrastructures et d’autres besoins de développement, et améliorent la compétitivité des économies à long terme. Ces ressources sont nécessaires pour financer la transition vers des modèles énergétiques propres et durables. De nombreux pays luttent pour collecter suffisamment de revenus issus de l’imposition, pour financer de façon adéquate la réalisation des droits humains. La mobilisation des ressources nationales est entravée par des standards fiscaux inadaptés, une course au nivellement de la fiscalité vers le bas, le manque de transparence fiscale (entre autres, l’existence de juridictions secrètes) et la prolifération d’autres politiques fiscales nocives. Par exemple, les pays en développement ne bénéficient généralement pas de l’extraction et de l’utilisation de leurs ressources naturelles, en grande part à cause du manque de transparence, de régulation, d’équité et d’efficacité de leur imposition. Ces problèmes contribuent également à la dégradation et aux abus environnementaux. Les politiques fiscales régressives qui sont mises en œuvre dans de nombreux pays, du Nord au Sud, menacent sérieusement les droits économiques et sociaux de groupes déjà désavantagés. Cette injustice basique alimente des inégalités économiques, politiques ou de genre encore plus importantes et érode la confiance envers les institutions gouvernementales, perçues comme rendant plus de compte à l’élite économique transnationale qu’à leurs propres citoyens. La politique fiscale est une politique publique et ne peut pas être traitée comme une simple affaire technique, ou laissée à la discrétion des gouvernements qui doivent rendre des comptes. Les lois, pratiques et politiques fiscales doivent œuvrer à mettre fin à la discrimination structurelle, plutôt qu’à perpétuer des inégalités économiques et de genre accrues. Nous en appelons aux gouvernements pour mettre en place une politique fiscale avec les plus hauts standards de transparence, de participation publique, et un système de transparence concret, en ligne avec les droits humains. La coopération internationale pour des solutions globales Le système fiscal international actuel est obsolète, privilégie les groupes corporatistes multinationaux et les intérêts de la finance internationale, et empêche les gouvernements nationaux de collecter les revenus suffisants de manière non-discriminatoire et responsable. De plus, dans une économie globalisée, aucun pays ne peut combattre la fraude et l’évasion fiscales, comme l’ont souligné des scandales récents et actuels concernant les paradis fiscaux – Offshore leaks (2013), LuxLeaks (2014), Swiss Leaks (2015) et Panama Papers (2016). Les négociations récentes en matière fiscale sont loin d’être mondialement représentatives. Plus de 100 pays en développement ont été exclus quand l’OCDE et le G20 négociaient des standards sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) et sur l’échange d’informations. Tant que l’OCDE et le G20 s’auto-instituent instances décisionnaires en termes de standards fiscaux internationaux, un terrain de jeu inéquitable se perpétue et les intérêts et défis spécifiques des pays en développement seront relégués au second plan dans l’ordre des priorités. Par exemple, l’imposition sur le secteur extractif et la rationalisation des incitations fiscales font partie des sujets qui ne sont pas discutés aujourd’hui. Une coopération globale est nécessaire d’urgence, pour établir les bases de systèmes fiscaux progressifs, effectifs et justes, qui fournissent une source durable de revenus et réduisent les inégalités. Nous réclamons donc de nos gouvernements : Des règles fiscales justes pour que les multinationales paient leur juste part d’impôt • Assurer la révision des Accords de Double Fiscalité pour les faire coïncider avec les besoins et l’agenda du développement durable et du financement pour le développement. • Imposer les entreprises sur la base de leur bilan consolidé • Développer de solides alternatives face au dysfonctionnement de la loi de marché. • Eliminer les politiques et traités qui érodent les bases fiscales d’autres pays. Des politiques fiscales progressives pour faire face à l’inégalité à l’intérieur des pays • Réduire les inégalités en adoptant une série de mesures fiscales progressives. La conception et la mise en place de ces politiques fiscales doivent chercher activement à réduire les inégalités de revenus et de genre. • Prendre l’engagement hautement prioritaire de consacrer les revenus fiscaux aux besoins essentiels pour le développement humain en relation aux services publics et aux infrastructures (c’est-à-dire la santé, l’éducation, l’eau, l’habitat, l’assainissement), au développement durable ainsi qu’à des systèmes de protection sociale adaptés et des politiques d’atténuation du changement climatique. • Donner aux citoyens les moyens de faire entendre leur voix et de juger les gouvernements redevables de leurs politiques fiscales et de la manière dont les impôts perçus sont dépensés. • S’assurer que les politiques fiscales intègrent des critères de genre. Cela implique mitiger l’impact des taxes régressives, tel que la TVA et le fardeau fiscal, ainsi que mettre en place des mesures allégeant le poids des lourdes charges fiscales qui pèsent sur les femmes et hommes pauvres. • Adopter et mettre en place une taxe sur les transactions financières. • Protéger les lanceurs d’alerte et les autres avocats de la justice sociale qui travaillent pour l’intérêt général et les considérer comme des défenseurs des droits humains. • Mettre en place des lois nationales pour en finir avec l’évasion fiscale. • Interdire l’octroi de contrats pour les marchés publics des gouvernements et des autorités locales aux compagnies qui détiennent des comptes dans les paradis fiscaux. Une coopération internationale, pour des solutions globales • Créer un organisme intergouvernemental inclusif et bénéficiant de ressources suffisantes, portant sur les thématiques fiscales, sous les auspices des Nations unies, qui puisse initier et diriger – dans un nouveau cadre onusien de convention – les négociations sur la coopération internationale en matière fiscale, comme premier pas dans la réforme de la fiscalité mondiale. • Mener des études d’impact sur les répercussions des politiques fiscales sur les autres pays, en termes de droits humains, pour prendre immédiatement les mesures nécessaires pour stopper toute pratique nocive et pour fournir les remèdes efficaces là où le mal est fait. Un échange automatique d’information et une transparence fiscale concernant les entreprises multinationales • Adopter un standard onusien commun d’échange multilatéral et automatique pour l’information fiscale avec une option de non- réciprocité dans l’échange d’information pour les pays à faible capacité. • Eliminer la confidentialité concernant le bénéficiaire final dans le monde par le biais de registres publics des ayants droits, incluant toutes les grandes entreprises et les fiducies. • Assurer la transparence financière grâce à la mise en place de rapports annuels publics pays par pays des multinationales. • Publier et rendre imputables les accords fiscaux signés entre entreprises et gouvernements • Garantir que les administrations fiscales bénéficient des ressources nécessaires. En ce qui concerne les droits humains, nous en appelons : • Aux entreprises et groupes privés, pour qu’ils évaluent et rectifient les abus en termes de fiscalité d’entreprise, y compris dans leurs déclarations de politique interne et leurs procédures de due diligence, et en commençant par une reconnaissance claire des impacts négatifs des abus fiscaux sur les droits humains, en accord avec les principes directeurs des Nations unies sur Commerce et droits humains. • Aux conseillers, consultants, facilitateurs et fournisseurs de dispositifs qui pourraient mener à de la fraude fiscale (en particulier les avocats fiscalistes, comptables, intermédiaires financiers), pour qu’ils reconnaissent leurs responsabilités particulières en termes de droits humains et assurent les réparations nécessaires pour toute activité nocive. • Aux institutions internationales pour qu’elles réforment le système fiscal global, détérioré, en intégrant les standards de droits humains dans leur processus d’analyse de l’évasion fiscale des entreprises et des répercussions nuisibles des politiques fiscales de certains gouvernements. Les institutions financières internationales qui conseillent les gouvernements sur leurs politiques fiscales doivent, par-dessus tout, respecter les obligations desdits pays en matière de droits humains. • A la communauté élargie des défenseurs des droits humains (dont les avocats, juristes, académiques, organisations pour les droits des femmes, syndicats, institutions nationales des droits humains, organismes conventionnels et commissions régionales) pour étudier activement comment les pratiques fiscales affectent leur mission, et développer des processus pratiques pour faire progresser la justice fiscale dans leur travail. Afin de promouvoir l’agenda pour la justice fiscale, nous nous engageons à : • Continuer à collaborer et construire des synergies locales, régionales et globales pour le plaidoyer, les campagnes et les mobilisations populaires pour la justice fiscale. • Intensifier nos efforts pour créer de puissants mouvements sociaux, locaux et globaux, forcer nos gouvernements et challenger les multinationales pour en finir avec l’évasion fiscale. Cela inclut les campagnes à long-terme actuelles, des journées d’action mondiales spécifiques pour la justice fiscale, la sensibilisation du grand public et le soutien financier aux media alternatifs progressistes. • Promouvoir la justice de genre comme élément clé de la justice fiscale. Cela inclut de s’engager au niveau national pour challenger les lois fiscales discriminatoires et s’assurer que les politiques fiscales reconnaissent le travail domestique féminin, invisible et non-payé. • Faire avancer la justice fiscale comme un moyen de promouvoir la justice climatique, en générant les financements nécessaires, notamment à l’adaptation et à la mitigation. • Travailler ensemble pour transformer le système économique actuel qui privilégie les multinationales et les plus riches, stimule les inégalités et détériore notre environnement. • Organiser une journée d’action mondiale contre les paradis fiscaux, pour marquer l’anniversaire de la publication des Panama Papers (3 avril). • Concevoir des actions créatives pour dénoncer l’implication des banques dans l’évasion fiscale. • Mener des audits citoyens de la dette pour évaluer les politiques fiscales et la manière dont les revenus publics collectés sont dépensés. *Cette déclaration « Désarmer la finance et obtenir la justice fiscale » du Forum Social Mondial 2016 (Montréal) suit la tradition du Forum Social Mondial qui en 2002 a résulté dans la « Déclaration universelle sur le droit à la justice fiscale comme composante essentielle de la justice sociale », à Tunis en 2013 a produit la déclaration sur « La justice fiscale pour la justice sociale » et à Tunis en 2015 a publié une déclaration sur « La justice fiscale pour en finir avec les inégalités », et contient des références à la déclaration de Lima de 2015 sur la justice fiscale et les Droits humains.
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