S’il faut retenir une seule chose de l’Affaire Telmex, c’est qu’un droit reconnu à l’OMC peut être invalidé afin que prévalent les droits du commerce. Ce cas démontre combien, dans le cadre de l’OMC, le droit des Etats à préserver leurs services publics est une illusion. Ce litige opposait les USA et le Mexique en 2004. Il portait sur les services de télécommunications de base et plus précisément sur l’administration de la principale entreprise de téléphonie mexicaine Telmex. L’OMC a jugé que le Mexique s’était rendu coupable de n’avoir pas mis sa législation interne en conformité avec les règles de l’AGCS.
Un bref retour historique est nécessaire. À la clotûre de l’Uruguay Round, en 1994, les lobbies de services étaient insatisfaits des résultats de l’AGCS. Des pressions ont menées entre autres à des négociations sur les télécommunications aboutissant en novembre 1997, sous la forme d’une annexe, adoptée par 67 pays dont l’Union Européenne et le Canada (en vigueur en février 1998). L’annexe stipule que les pays devront accorder aux entreprises étrangères présentes sur leur marché « l’accès et l’usage des réseaux et services publics de transport des télécommunications suivant des modalités et à des conditions raisonnables ». Mais elle reconnaît leur droit à maintenir des dispositions afin de « sauvegarder les responsabilités des fournisseurs en tant que services public ». En 1990, sur injonction du FMI et de la Banque Mondiale, le gouvernement mexicain
« décide » de privatiser l’entreprise publique Telmex. Toutefois Telmex se voit assigner des obligations de service universel. Des objectifs quantitatifs et qualitatifs sont consignés dans un cahier des charges. En 1995, pour empêcher une trop grande inflation du prix des communications locales, le ministère des transports impose aux opérateurs de longue distance de payer des tarifs d’interconnexion ; ces revenus vont contribuer au maintien de prix raisonnables pour les communications locales. On appelle ça un mécanisme de subventions croisées qui permet entre autres, dans ce cas-ci, l’installation de cabines téléphonique dans des villages reculés.
En 1997, quand la négociation sectorielle sur les télécommunications de base dans le cadre de l’AGCS s’achève, le Mexique ouvre son « marché » des télécommunications, estimé à 13 milliards de dollars. Fin 1998, face à l’entrée de nouveaux concurrents dans la boucle locale, pour éviter que les opérateurs ne se concentrent sur les segments les plus rentables du « marché » national et pour permettre le développement du réseau dans les régions mal desservies, l’organisme mexicain régulateur des télécommunications, Cofetel, fixe de nouvelles règles sur l’interconnexion. C’est contre ces réglementations que les USA vont porter plainte. Ils estiment que le Mexique doit « honorer ses engagements » et que « les entreprises étrangères n’ont pas à contribuer aux objectifs sociaux du pays ».
Pour donner raison aux États-Unis, le panel de l’OMC s’appuie sur le Document de Référence GATS/SC/56. Sorte d’annexe de l’annexe, ce document comporte une véritable batterie de « disciplines réglementaires ». Ces mesures invalident le droit des pays à sauvegarder les responsabilités des fournisseurs en tant que services publics. Le droit, reconnu dans l’annexe sur les télécommunications de base, est donc annulé par le document de référence. Celui-ci amplifie les engagements de l’AGCS « destinés à limiter les pouvoirs réglementaires des membres de l’OMC » . Le Mexique, condamné, sera contraint d’abandonner ses mesures de subventions croisées.
L’affaire Telmex dépasse largement les frontières mexicaines et cette première jurisprudence débordera le secteur des télécommunications dans l’AGCS. Tout comme le Mexique, l’Union Européenne et le Canada ont adopté le « Document de Référence ». Les « services de télécommunications » risquent de ne pas être les seuls sacrifiés. Les lobbies d’affaires exercent actuellement d’intenses pressions afin que soient élaborés des « Documents de Référence », dans un premier temps, sur les services postaux, de l’énergie, de l’environnement, et les services portuaires maritimes. Alors que les négociations de l’AGCS entrent dans une phase décisive, l’affaire Telmex retentit comme un avertissement.
Tiré d’un texte d’Agnès Bertrand – Laurence Kalafatides, coauteures de L’OMC, le pouvoir invisible, paru aux Éditions Fayard, 2002.
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