Montréal, le 28 avril 2005
L’honorable James S. Peterson
Ministre du Commerce international
Gouvernement du Canada
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Monsieur le ministre,
Nous avons reçu copie de votre lettre adressée à la Ville de Montréal au sujet de la résolution que son conseil municipal a adoptée concernant l’Accord général sur le commerce des services (AGCS).
Nous reconnaissons le travail de consultation effectué par votre ministère, que vous relatez dans votre lettre et qui fait suite aux pressions des municipalités canadiennes. Toutefois, nous accueillons avec réserve le projet d’un guide expliquant les obligations commerciales internationales du Canada et leurs incidences dans les domaines de compétence municipale. Cela parce qu’il nous apparaît que ce guide véhiculera une information partiale et faisant fi de l’important débat existant à l’échelle nationale et internationale concernant l’AGCS.
Votre gouvernement soutient que, dans le cadre de l’AGCS, le Canada a toutes les garanties lui permettant d’exercer le doit de réglementer en fonction des objectifs de politiques nationales. Vous affirmez aussi que le Canada a préservé sa capacité à adopter ou à maintenir des mesures à l’égard des services publics comme la santé, l’éducation publique et les services sociaux grâce à l’exemption pour les services fournis dans le cadre de l’exercice du pouvoir gouvernemental et en ne prenant pas d’engagement dans ces secteurs.
Toutefois comment le Canada aurait-il une telle garantie ? Le premier cas de jurisprudence de l’AGCS – baptisé l’Affaire Telmex opposant les Etats-Unis au Mexique, ce dernier ayant été condamné – a de quoi inquiéter. Il a confirmé que des droits reconnus à des États peuvent être invalidés dans le cadre de l’AGCS au profit d’entreprises étrangères qui « n’ont pas à contribuer aux objectifs sociaux du pays ». Dans ce cas-ci, ces droits annulés concernaient la sauvegarde des responsabilités de services publics. Suite à cela, un groupe de pays en voie de développement mené par le Brésil demandait des changements substantiels à l’AGCS concernant la réglementation intérieure, indiquant que les pays membres doivent avoir le droit de décider du niveau de service universel qu’ils veulent maintenir. C’est dire qu’ils n’ont pas ce droit dans l’AGCS.
Ces deux cas fort préoccupants s’ajoutent au débat concernant l’article 1, qui doit être interprété selon plusieurs experts juridiques comme suit : un « service fourni dans l’exercice du pouvoir gouvernemental » est un « service qui n’est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services ». Ce qui signifie que les services publics n’échappent pas à l’AGCS. Dans le domaine de l’éducation publique, par exemple, que votre gouvernement veut protéger de l’AGCS, où est la frontière entre public et privé alors qu’au Québec, par exemple, l’école privée est subventionnée à 50 % par l’État ?
Ainsi, nous comprenons mal comment le Canada peut afficher tant de certitudes au sujet de l’AGCS. De plus, notre pays a un bilan fort inquiétant en matière d’interprétation des accords de l’OMC. « Des 81 décisions rendues par les groupes d’experts de l’OMC et l’Organe d’appel, 11 impliquaient des poursuites contre le Canada, et le Canada les a toutes perdues sauf une. Les règlements canadiens sur les brevets, les magazines, le Pacte de l’automobile et les commissions sur le marché des produits laitiers ne sont que quelques unes des politiques canadiennes qui ont été remises en question par l’OMC et que le Canada a été forcé de changer après avoir perdu les poursuites en question.», indique le Conseil des Canadiens dans un document intitulé Quels sont les enjeux actuels à l’OMC pour les gouvernements locaux.
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Pour toutes ces raisons, à l’occasion de la Semaine d’action mondiale sur le commerce (10-16 avril 2005), nous avons interpellé plus de 50 maires du Québec, la Fédération québécoise des municipalités et l’Union des municipalités du Québec afin qu’ils prennent position. L’implication réelle de tous les élus nous apparaît fondamentale et loin d’être significative et acceptable à l’heure actuelle. En atteste l’allocution prononcée par le ministre québécois responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, monsieur Benoît Pelletier, le 17 mars dernier, concernant la place du Québec dans les négociations internationales.
À nos yeux, les questions cruciales relatives à la portée réelle de l’AGCS, qui vous sont communiquées par de nombreux intervenants de la société civile canadienne et par les élus municipaux, doivent être considérées plus sérieusement par votre gouvernement en raison de ce que nous venons de relater. Nous vous invitons au véritable débat démocratique sur la question et à la plus grande vigilance. Quel mérite a-t-on à fonder notre prospérité sur l’exportation de notre savoir-faire dans des pays où les institutions financières internationales ont imposé la privatisation des services publics et donc la dilapidation de l’expertise et des compétences locales là où elles existaient ? À nos yeux, si le commerce a certes son importance, la véritable prospérité collective ne peut aucunement reposer sur le démantèlement des services publics, ici ou ailleurs, et sur la perte de souveraineté effective des pouvoirs publics au profit d’intérêts privés.
En vous remerciant de l’attention que vous portez à cette lettre, recevez, Monsieur le ministre, mes salutations les plus cordiales.
Me Robert Jasmin
Président
Attac Québec
Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens
c.c. Pierre Bélec, Secrétaire du Sommet de Montréal
Gérald Tremblay, Maire de Montréal
Pierre Paquette, Bloc québécois
Peter Julian, NPD
Belinda Stronach, Parti conservateur
Montréal, le 28 avril 2005
Monsieur Benoît Pelletier
Ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes
875, Grande Allée Est
2e étage, Bureau 2.600
Québec (Québec) G1R4Y8
Monsieur le Ministre,
Je tiens à vous féliciter pour votre allocution du 17 mars dernier concernant la place du Québec dans les organisations et les négociations internationales.
Votre prise de position laisse entendre clairement qu’en matière de négociations commerciales internationales, le Québec et les autres provinces ne sont pas consultées de manière significative et acceptable par le gouvernement fédéral alors que celui-ci prétend le contraire. Nous estimons tout comme vous qu’il est de toute première importance que tous les paliers de pouvoirs publics concernés par les dispositions des accords commerciaux soient impliqués tout au cours de ces négociations. Cette situation devrait être corrigée immédiatement car les enjeux sont considérables notamment en ce qui a trait à l’accord qui préoccupe plus particulièrement notre association, Attac Québec, et qui fait l’objet d’une campagne d’opposition internationale, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) à l’OMC.
Non seulement l’implication réelle de tous les élus est-elle fondamentale mais la qualité de l’information et du débat public concernant ces accords nous semble tout aussi cruciale et déficiente à l’heure actuelle. Le gouvernement fédéral maintient fermement que le droit de réglementer des États et l’existence des services fournis dans le cadre de l’exercice du pouvoir gouvernemental ne sont pas menacés par cet accord. Or, il existe un vif débat à ce sujet à l’échelle mondiale. Le premier cas de jurisprudence de l’AGCS – baptisé l’Affaire Telmex opposant les Etats-Unis au Mexique, ce dernier ayant été condamné – a de quoi inquiéter. Il a confirmé que des droits reconnus à des États peuvent être invalidés dans le cadre de l’AGCS au profit d’entreprises étrangères qui « n’ont pas à contribuer aux objectifs sociaux du pays ». Dans ce cas-ci, ces droits annulés concernaient la sauvegarde des responsabilités de services publics. Suite à cela, un groupe de pays en voie de développement mené par le Brésil demandait des changements substantiels à l’AGCS concernant la réglementation intérieure, indiquant que les pays membres doivent avoir le droit de décider du niveau de service universel qu’ils veulent maintenir. C’est dire qu’ils n’ont pas ce droit dans l’AGCS.
Ces deux cas fort préoccupants s’ajoutent au débat concernant l’article 1, qui doit être interprété selon plusieurs experts juridiques comme suit : un « service fourni dans l’exercice du pouvoir gouvernemental » est un « service qui n’est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services ». Ce qui signifie que les services publics n’échappent pas à l’AGCS. Dans le domaine de l’éducation publique, par exemple, où est la frontière entre public et privé alors qu’au Québec, par exemple, l’école privée est subventionnée de manière importante par l’État ?
Aussi, comment ne pas être inquiet sachant qu’en matière d’interprétation des accords de l’OMC, le Canada a un bilan déplorable ayant perdu dans 10 cas de poursuites sur 11 ? Comment ne pas être préoccupé également par la loi créant l’Agence des partenariats public-privé (PPP), adoptée sous le bâillon par votre gouvernement ? En raison des obligations commerciales du Canada et de la règle du traitement national, le fait d’autoriser la prestation de services publics par des entreprises privées dans le cadre de PPP peut ouvrir la porte à l’obligation de traiter des entreprises étrangères comme nos entreprises nationales et conséquemment à les subventionner. Votre gouvernement en est-il conscient ?
Pour toutes ces raisons, Attac Québec fait campagne contre l’AGCS et s’oppose à l’Agence des partenariats public-privé. À l’occasion de la Semaine d’action mondiale sur le commerce (10-16 avril 2005), nous avons interpellé plus de 50 maires du Québec, la Fédération québécoise des municipalités et l’Union des municipalités du Québec afin qu’ils prennent position. En adoptant à l’unanimité des résolutions à ce sujet, les villes de Montréal et de Québec ont rejoint dans les derniers mois toutes les grandes villes canadiennes qui ont demandé au gouvernement fédéral d’obtenir une exemption permanente pour les gouvernements locaux dans l’AGCS. Le Canada s’y refuse. Soulignons que cette mobilisation d’élus est internationale. En Italie, des provinces (Genova, Ferrara) ont pris position contre l’AGCS. En France, ce sont plus de 600 collectivités locales et de nombreux conseils généraux et régionaux, la plupart demandant un moratoire sur les négociations. Il y existe un Réseau national des élus et collectivités hors-AGCS (http://www.hors-agcs.org). Des États généraux européens des collectivités hors-AGCS auront également lieu à Bruxelles en octobre prochain.
En conclusion, quel mérite a-t-on à fonder notre prospérité sur l’exportation de notre savoir-faire dans des pays où les institutions financières internationales ont imposé la privatisation des services publics et donc la dilapidation de l’expertise et des compétences locales là où elles existaient ? À nos yeux, si le commerce a certes son importance, la véritable prospérité collective ne peut aucunement reposer sur le démantèlement des services publics, ici ou ailleurs, et sur la perte de souveraineté effective des pouvoirs publics au profit d’intérêts privés.
C’est à la lumière de ces informations que nous vous encourageons à poursuivre votre travail pour améliorer la place du Québec dans les négociations internationales conduites par le Canada. Nous vous invitons à y défendre le droit et la capacité effective des élus d’agir dans l’intérêt collectif, et l’importance qu’existent dans une société juste et démocratique de véritables services publics protégés de ces accords et de la privatisation.
En vous remerciant de l’attention que vous portez à cette lettre, recevez, Monsieur le Ministre, mes salutations les plus cordiales.
Me Robert Jasmin
Président
Attac Québec
Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens
c.c. Monique Jérôme-Forget, Présidente du Conseil du Trésor
Nathalie Normandeau, Ministre des Affaires municipales et des régions
Daniel Turp, Parti québécois
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