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Accord économique approfondi Canada-Union européenne : le point de vue d’ATTAC-Québec

Canada-Union européenne - Consultations sur les négociations d’un éventuel accord économique approfondi avec l’Union européenne (terminées le 20 janvier 2009)

Texte de l’Action citoyenne pour la justice fiscale, sociale et écologique (ATTAC-Québec)
adressé au ministère des Affaires étrangères et Commerce international Canada, Direction de la politique commerciale régionale (TBB)

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Dans le cadre de la consultation que vous menez actuellement concernant la négociation d’un éventuel accord économique approfondi avec l’Union européenne, ATTAC-Québec tient à vous exprimer ses préoccupations.

Fondée en 2000, l’Association québécoise pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC-Québec) est une association non-partisane qui compte quelque 1000 membres et sympathisants, incluant une trentaine d’organismes. Elle effectue un travail d’éducation populaire et diverses actions sur les enjeux de la mondialisation financière.

Notre première préoccupation est liée au fait que le gouvernement conservateur minoritaire actuel refuse toujours de rendre publique l’ébauche de l’accord Canada-Union européenne qui fait l’objet de la présente consultation, un accord qui promet d’avoir une portée plus grande que celle de l’ALÉNA et un impact important sur l’ensemble de la population. 77 % des Canadiens voulaient que ce texte soit rendu public avant l’élection fédérale du 14 octobre 2008, selon un sondage de Strategic Communications (1). 67 % des électeurs conservateurs croyaient même, au moment de la réalisation de ce même sondage, qu’il fallait rendre public immédiatement le texte de l’ébauche. Nous nous questionnons donc sur la valeur de la présente consultation et comptons que le gouvernement rendra public ce texte rapidement pour qu’un réel processus démocratique d’examen et de consultation puisse avoir lieu.

Si quiconque peut s’exprimer aujourd’hui sur cet éventuel accord Canada-UE, c’est en le faisant sur la base des principes habituels du libre-échange tel que nous les connaissons et du peu d’information disponible.

Or, le libre-échange ne satisfait pas une proportion croissante de la population canadienne, comme en atteste un sondage récent d’Environics (2) qui révélait que 61 % des Canadiens veulent la renégociation de l’ALÉNA pour mieux protéger les travailleurs et l’environnement.
Le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC), Common Frontiers Canada, l’Alliance for Responsible Trade (ART-US) et le Réseau mexicain d’action face au libre-échange (RMALC), représentant des centaines de milliers de travailleurs et citoyens, demandent aussi la renégociation de l’ALÉNA avec la même préoccupation.

Les accords économiques sont actuellement axés sur : une concurrence viciée à la base entre des forces inégales, la quête irraisonnée de pouvoir et de profits des grandes multinationales, la déréglementation et la privatisation croissantes, l’affaiblissement de la démocratie, des pouvoirs publics et des réglementations visant à protéger l’intérêt public (incluant les intérêts des employés, l’environnement, la souveraineté alimentaire, la culture, etc.).

Nous ne sommes pas contre le commerce mais nous pensons que l’économie doit, au contraire, être basée sur : la réponse aux véritables besoins des populations dans le respect de la souveraineté alimentaire des peuples et de l’environnement, la coopération, le développement social, équitable et local, la préservation et le développement des droits des travailleurs et des services publics, le renforcement de la démocratie. En conséquence, nous sommes d’avis que le Canada ne doit pas négocier un accord économique du type envisagé (suivant les principes habituels du prétendu libre-échange) avec l’Union européenne.

Le Canada doit innover et promouvoir de nouvelles ententes basées sur les droits humains, la justice sociale, la souveraineté nationale et la protection de l’environnement. Il doit aussi œuvrer à remplir ses obligations découlant du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et des autres traités des Nations unies. Il doit atteindre l’objectif de 0,7% du PIB fixé par les Nations unies pour l’aide au développement, plutôt que le 0,3% actuel. Telle est la voie dans laquelle nous pensons que notre pays doit s’engager en lieu et place des ententes commerciales actuelles qui creusent les inégalités pour assurer la prospérité d’une minorité.

En outre, la libéralisation et la déréglementation des services financiers à travers l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres accords ont contribué à la grave crise financière et économique mondiale actuelle. Cela reste trop peu reconnu publiquement au Canada. Par conséquent, nous pensons qu’il est inadmissible pour le gouvernement canadien d’envisager toute nouvelle libéralisation des services financiers dans le cadre de l’accord Canada-UE (ou de tout autre accord) car cela implique nécessairement davantage de déréglementation, l’ouverture de nouveaux marchés de produits financiers, etc., tout le contraire de ce qui est requis actuellement. Les États doivent retrouver leur pleine capacité de réglementer et de superviser les services financiers et, pour cette raison, doivent éviter la libéralisation des services financiers et des mouvements de capitaux dans les accords économiques.

En appui à cette position, nous vous recommandons les études suivantes :

Gould, Ellen, « Financial Instability and the GATS Negotiations », 16 juillet 2008
http://www.policyalternatives.ca/reports/2008/07/reportsstudies1930/?pa=6104ea04

Vander Stichele, Myriam, « How trade, the WTO and the financial crisis reinforce each other », 13 novembre 2008
http://somo.nl/files/extern/financial/trade-wto-financial-crisis

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Ce que nous affirmons concernant les services financiers vaut de manière générale : les États doivent retrouver et préserver leur pleine capacité de réglementer de nombreux secteurs d’activités dans la société, dans l’intérêt public, incluant l’ensemble du secteur industriel et des services. Pour cela, le Canada doit agir pour modifier en ce sens les accords actuels auxquels il est partie et l’éventuel accord Canada-UE. Il doit aussi s’opposer à d’éventuelles dispositions concernant la réglementation intérieure et la transparence dans l’accord Canada-UE qui, à l’instar de celles relatives à l’AGCS, ne sont pas acceptables lorsqu’elles visent essentiellement à affaiblir, voire éliminer de nombreux règlements jugés trop contraignants par les entreprises. Nous affirmons que ce n’est pas à elles de dicter les règlements et normes qu’elles jugent acceptables ou non. C’est à l’ensemble de la population et des institutions publiques redevables envers les citoyens, à travers des processus démocratiques réels et transparents qui permettent d’arriver à un équilibre juste et acceptable pour tous.

En outre, nous insistons toujours sur l’importance que les services publics, clairement définis, sans ambiguïté possible (contrairement à ce qu’on retrouve dans l’AGCS), soient exclus de toute négociation commerciale. Les services publics ne doivent pas être soumis aux lois du commerce car ils répondent à des besoins essentiels (eau, énergie, etc.) et concrétisent des droits fondamentaux (droit à la santé, à l’éducation, au travail, etc.). Notre prospérité s’est érigée sur la qualité de nos services publics et ceux-ci sont cruciaux dans la lutte contre la pauvreté.. Leur développement dans tous les pays du monde doit être un objectif prioritaire national et international.

Ainsi, la volonté affirmée « d’étendre aussi largement que possible leurs engagements dans le cadre de l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC et d’éliminer toutes les mesures et pratiques discriminatoires qui subsistent » est extrêmement préoccupante à nos yeux. Cela entraînera le Canada un pas plus avant vers la privatisation partielle ou complète de services publics, alors que cela va à l’encontre de la volonté des Canadiens. En 2004, un sondage Ipsos-Reid (3) révélait en effet que 84 % des Canadiens estimaient que les services publics au Canada devraient être assurés par des travailleurs du secteur public, redevables aux représentants élus et à la population, pas à des entreprises redevables à leurs seuls actionnaires. En mai 2008, une nouvelle étude nationale réalisée par Nanos Research (4) pour le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) démontrait qu’une nette majorité de Canadiens font davantage confiance à leurs administrations municipales qu’à des entreprises privées pour offrir les services publics.

Nous sommes d’avis qu’un secteur public fort et de qualité est important de manière générale et, d’autant plus, dans la période de crise économique actuelle. Il faut le protéger et le développer. Le Canada peut très bien y arriver s’il cesse, par ailleurs, de se priver absurdement d’importants revenus comme il le fait, par exemple, en proposant le Compte d’épargne libre d’impôt (CÉLI). « On estime que, en 2012-2013, le CÉLI coûtera 385 millions de dollars par an au trésor public », révèle une étude récente (5).

En conclusion, si nous saluons le fait que le gouvernement conservateur s’est engagé à déposer les traités commerciaux à la Chambre des communes, nous dénonçons le fait qu’il se réserve le pouvoir de ratifier de tels traités unilatéralement et sans consensus au niveau du Parlement. Les traités et accords internationaux devraient être soumis aux membres du Parlement pour considération de ceux-ci par des processus transparents, démocratiques et continus tout au cours des négociations, sans précipitation, et en intégrant une procédure de vote obligatoire. Nous vous invitons à améliorer rapidement dans ce sens la procédure actuelle concernant la ratification des traités et accords internationaux.

1 http://www.canadians.org/francais/medias/commerce/2008/08-oct-08.html
2 http://www.canadians.org/media/trade/2008/26-Sep-08.html
3 http://www.ipsos-na.com/news/pressrelease.cfm?id=2116
4 http://cupe.ca/updir/CUPEPollTabulations.pdf
5 Budget 2008 - Qu’offre-t-il aux femmes ?, par Armine Yalnizyan, Centre canadien des politiques alternatives, 2008.


Avis du gouvernement publié dans la Gazette du Canada, Vol. 142, no 51 - Le 20 décembre 2008
http://canadagazette.gc.ca/partI/2008/20081220/html/notice-f.html




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