L’approche capabiliste : une voie de sortie du néolibéralisme ?

Lors de son assemblée générale le 2 décembre 2022, Attac présentait deux conférences sur le thème Capabilisme : une voie de sortie du néolibéralisme ? Un concept développé à partir d’une relecture d’Adam Smith. Ce bulletin présente en quoi il consiste et son application dans différents domaines.

Partout l’inflation fait des ravages. En Occident, phénomène nouveau, elle est devenue l’occasion d’un discours démagogique et de solutions fallacieuses, nouveau champ de bataille des conservateurs. Pour contrer ces tentatives de manipuler l’opinion publique, de nombreux organismes montrent les causes réelles de l’inflation. Sujata Dey dans le billet du CA ouvre une autre voie : le concept de capabilité pourrait permettre aux citoyens d’exercer leur choix librement, de façon éclairée.

L’article de Thierry Pauchant présente deux philosophes et économistes peu connus – mais importants en ce qu’ils permettent de penser une voie de sortie d’une économie dont le seul but est la croissance. Amartya Sen définit une approche en économie de plus en plus utilisée, centrée sur la notion de capabilité – être capable et être libre – qui implique des changements dans les politiques économiques, sociales et pour permettre à l’individu d’exercer ses choix. Cette vision nouvelle l’amène à redéfinir la notion de produit intérieur brut (PIB) pour la remplacer par celle d’indice de développement humain (IDH). Martha Neussbaum contribue à développer cette nouvelle approche en proposant une liste de 10 capabilités concrètes qui précisent sur quoi centrer les mesures du développement.

Cette approche des capabilités ne vise pas seulement une vie meilleure au niveau individuel, mais des changements radicaux au niveau collectif. Les 17 Objectifs de développement durable (ODD) promulgués par les Nations Unies sont des objectifs de développement pour les États : bien compris – au-delà de ses objectifs environnementaux - le développement durable se définit comme une conception sociale et politique qui facilite le développement humain. À l’encontre de la lecture traditionnelle qui en a été faite, une relecture d’Adam Smith permet de le considérer actuellement comme le père de la notion de capabilité et d’une économie plus sociale, solidaire et durable.

L’agriculture est en souffrance, c’est ce que clament les agriculteurs en manifestant en France d’abord puis sur l’ensemble du continent, en Inde et au Québec. Les revendications sont partout les mêmes : l’agriculture ne fait plus vivre, partout la pauvreté gagne du terrain. En cause le modèle néolibéral qui favorise les grands groupes de l’industrie alimentaire et de la distribution et qui produit partout les mêmes effets. L’article de Catherine Pépin analyse les problèmes et les revendications et comment y répondre. Le changement de modèle d’agriculture et une approche capabiliste redonneraient aux agriculteurs le contrôle sur leur vie et sur leur travail.

L’article de Chantal Santerre, avant d’appliquer la notion de capabilité à la justice sociale, montre sur quels principes différents les auteurs basent leur théorie de la justice. Chez Amartya Sen, le critère retenu est l’égalité ; pour l’utilitarisme, ce sont les conséquences d’une action et non l’action elle-même qui doivent être retenues. Pour John Rawls, la conception de la justice se base d’abord sur ce qu’il appelle les biens premiers qui sont des opportunités offertes aux individus d’accéder à leurs buts. Pour les libertariens, c’est la liberté économique qui prime, particulièrement que soit assuré le droit à la propriété privée. Pour l’approche capabiliste, une société juste est celle qui assure à ses citoyens la liberté de s’accomplir, c’est-à-dire d’exercer leurs choix.

Appliquée à la fiscalité, l’approche des capabilités définit une société juste par celle qui est en faveur des plus défavorisés. Notre système fiscal actuel, parce qu’il impose les revenus des individus et non leur enrichissement, n’est pas un système équitable. Penser un revenu de citoyenneté non imposable qui assurerait à tous un revenu minimum de base aurait un effet plus égalitaire parce qu’il permettrait aux individus d’exercer leur liberté de choix. Un système fiscal s’inspirant des capabilités aurait pour seule base l’enrichissement des individus mesuré par l’épargne et la consommation.