Depuis 30 ans, les scientifiques nous disaient qu’il était minuit moins le quart pour sauver la planète. Le dernier rapport du GIEC nous dit que minuit a sonné. Nous n’avons pas agi, il est désormais trop tard pour revenir en arrière, les changements climatiques annoncés sont désormais irréversibles. Nous le voyons chaque jour, la planète brûle sous nos yeux, les glaciers fondent, le niveau des mers augmente, sécheresses et inondations se succèdent. Pas seulement dans des pays lointains qu’il est facile d’ignorer, nous sommes directement concerné.e.s; chaque été le Québec bat des records de chaleur. Certaines régions du Canada se réchauffent 2 à 3 fois plus rapidement que la moyenne mondiale. Ce rapport identifie les grands responsables des changements climatiques, sans surprise on y trouve les États-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie, mais aussi le Canada.
Ce que ce rapport souligne également, c’est l’inaction inqualifiable de nos gouvernements malgré les évidences et l’augmentation continue des désastres que l’on ne peut plus qualifier de « naturels ». Comment comprendre et expliquer cet aveuglement, mais surtout que faire pour éviter le naufrage de la planète.
Quelques pistes
Le contexte actuel de pandémie nous oriente vers certaines pistes de réflexion. La lutte contre la COVID19 a été menée drastiquement en appliquant des mesures contraignantes – que nous n’aurions jamais imaginées et pourtant acceptées – avec pour résultat de réussir ce que 30 ans de rapports scientifiques n’avaient pas obtenu. Partout sur la planète les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont diminué jusqu’à 25 %, les demandes mondiales de pétrole ont chuté de 30 % montrant à l’évidence que l’État peut agir pour forcer les changements nécessaires quand il a la volonté de le faire.
Si, face à un péril mortel, les gouvernements ont mis les économies sur pause, questionner les fondements de leur action nous met sur une autre piste. Depuis qu’il a été élu, la position de Justin Trudeau a été claire « le développement énergétique et la lutte contre les changements climatiques ne s’opposent pas. » En ce qui concerne François Legault, sa position est tout aussi claire « Oui à l’environnement, mais ça prend un équilibre, pas aux dépens du développement économique. »
Septembre 2019, 500 000 personnes marchent à Montréal pour réclamer une véritable stratégie climatique. L’État de l’énergie 2021 illustre le fossé entre ces revendications et les comportements réels. La même année, la vente des véhicules utilitaires sport (VUS), représentait 69 % de toutes les ventes de véhicules automobiles au Québec. Le nombre de VUS a bondi de 260 % depuis 1990, tandis que les émissions de GES imputables à ces véhicules ont augmenté 150 % dans la même période (Le Devoir, 29 janvier 2021).
Les voitures électriques sont-elles la solution pour sauver la planète comme le proposent nos élu.e.s? La question se pose alors qu’en août de cette année le gouvernement fédéral se fixait comme objectif 100 % de véhicules sans émission d’ici 2035.
Les mythes de la voiture électrique
Pour sauver la planète, il suffirait de changer de voiture. Interdire le moteur à essence, subventionner l’achat de voiture « propre », « sans rejet », pour « verdir » l’industrie automobile est un axe central de la stratégie de la lutte contre les changements climatiques. Est-ce aussi simple que nos élu.e.s nous le laissent croire ?
Si on considère son cycle d’utilisation effectivement une voiture électrique (VE) émet moins de GES que le même véhicule avec un moteur à combustion, mais si on creuse la question, la réalité est bien différente. De nombreuses recherches, depuis une dizaine d’années, montrent que l’usinage d’une VE, parce qu’il requiert plus d’énergie, produit beaucoup plus de GES que la fabrication d’un véhicule à combustion.
Est-elle vraiment plus « propre »? Sa production nécessite jusque 6 fois plus de métaux et terres rares – non renouvelables – dont l’extraction n’est pas particulièrement propre. La problématique n’est pas seulement leur rareté que les processus d’extraction. Étant donné qu’elles sont en quantité infime dans la nature, il faut creuser beaucoup pour en obtenir de petites quantités dans des mines à ciel ouvert qui génèrent déchets et rejets (roches contaminées par des produits chimiques, eaux polluées, etc.) qui détruisent l’environnement et contribuent à l’extractivisme. Cette stratégie, étendue à l’échelle de la planète, contribue à détruire la planète pour tenter de sauver le climat.
De ce point de vue, la VE ne peut pas être au cœur de la transition énergétique parce qu’elle est l’épicentre de ce capitalisme vert que défendent nos gouvernements. Pourquoi cet acharnement à présenter la VE comme la pierre angulaire de tout programme de lutte aux changements climatiques alors que remplacer une voiture par une autre ne règle pas les sérieux et coûteux problèmes d’étalement urbain et de congestion routière, mais contribue à les renforcer? Parce que nous sommes collectivement accros à ces machines qui sont au cœur de notre mode de vie, celui du confort, de la facilité et de la consommation. Parce qu’il ne nous demande pas de changer nos habitudes et «nous permet de croire que la société de demain sera la même que celle d’aujourd’hui, les pompes à essence en moins » (Normand Mousseau, p.68).
Il est trop tard pour la transition tranquille. Après le dernier rapport du GIEC, « la théorie des petits pas tient de la bêtise » (Alain Denault). La lucidité s’impose, pour sauver la planète il faudra changer de paradigme et amorcer de réels changements. Il faut non seulement être capable d’imaginer un au-delà du tout à l’auto solo et sortir de la société de consommation où nous sommes englués, mais oser dire que la fin de la récréation a sonné. Quand on veut se faire réélire, être porteur de mauvaises nouvelles demande du courage politique et les récentes élections ont montré que ce temps-là n’est pas encore arrivé.
Pour continuer la réflexion
Guillaume Pitron, La guerre des métaux rare. La face cachée de la transition énergétique, Les liens qui libèrent, 2019.
Normand Mousseau, Gagner la guerre contre le climat, 12 mythes à déboulonner, Boréal, 2007.
Bulletin, no 55, compte-rendu, Normand Mousseau, Gagner la guerre contre le climat, 12 mythes à déboulonner, Boréal, 2017, https://quebec.attac.org/?livre
Courrier international, La face sombre de la transition écologique, no 1583, 4 au 10 mars 2021.
Reporterre le quotidien de l’écologie, Non, la voiture électrique n’est pas écologique, 1er septembre 2020.
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