Bulletin, juin 2018

Le retour des communs

par Monique Jeanmart

Le bulletin a souvent fait le constat que notre modèle de société nous engage dans une voie sans issue. Partout dans le monde domine un néolibéralisme qui a des conséquences désastreuses pour les populations et pour la planète. Partout on observe que les institutions existantes sont incapables de répondre de manière efficace et satisfaisante aux problèmes sociaux qu’il génère.

Parce que « dire non ne suffit pas » des groupes citoyens - de plus en plus nombreux et convaincus qu’aucune révolution ou héros providentiel ne les libérera de ce système dévastateur – décident de ne pas attendre qu’on leur donne le pouvoir, construisent avec patience et détermination des alternatives qui leur permettent de reprendre du contrôle sur leur vie. Parmi la multitude de ces expérimentions et innovations sociales, celle qui fait revivre un mode de gestion par «  les communs  » semble une voie prometteuse pour sortir du duo propriété privée/propriété collective dont nos sociétés sont prisonnières. En même temps, ces pratiques contribuent au vrai renouvellement de la gauche qui ne pourra se faire par des politiciens professionnels, mais par des gens qui luttent pour une autre société. Ce ne sont pas les solutions aux crises économiques qui changeront le monde, mais ces luttes de résistance qui montrent que l’on peut et que l’on veut vivre autrement.

Les «  communs » se développent parce qu’un « groupe de citoyens déterminés inventent un système spécifique de pratiques sociales et de savoirs pour gérer une ressource ». [1]

. C’est à Elinor Ostrom – prix Nobel d’économie 2009 – que l’on doit la redécouverte de ce concept. Les « communs » remontent au droit coutumier dans l’Angleterre médiévale qui donnait aux paysans un droit d’accès (pour le pâturage) aux terres du Seigneur. Les débuts du capitalisme vont permettre au mouvement des enclosures de clôturer ces pâturages pour les réserver au seul bénéfice du Seigneur. Les travaux d’Élinor Ostrom montrent que les communs font partie - depuis des siècles – du quotidien de centaines de millions de personnes dans les pays pauvres gérant mieux les ressources que les pouvoirs publics ou les entreprises privées. Démonstration qui va à l’encontre du principe néolibéral qui veut que le marché soit le meilleur gestionnaire.

Pour Élinor Ostrom, les communs peuvent émerger n’importe où et apporter des avantages significatifs dans la gestion des biens collectifs. «  Ils existent dès lors qu’une communauté ou un groupe décide de gérer une ressource de manière collective, avec en vue un accès et une utilisation équitable et soutenable de celle-ci. » [2]

Biens publics, communs

Pour Christophe Aguiton [3] la délimitation entre les biens de la sphère publique et les communs tient dans le mode de gestion du bien et non dans sa nature. Les biens de la sphère publique sont toutes les activités non privatisées qui sont confiées par l’État à des institutions spécialisées – écoles, hôpitaux, institutions de service public, etc. dont le mode de gestion se définit par la délégation, par opposition aux communs qui sont des espaces d’implication citoyenne directe.

Les communs se caractérisent par un mode de relations sociales : c’est la gestion par un ensemble de personnes d’un bien matériel, immatériel ou de services. Ce n’est donc pas la nature d’un bien qui le rend communs, mais le fait qu’un ensemble d’acteurs s’organise et se gouverne lui-même pour obtenir des bénéfices collectifs durables par delà les intérêts individuels. Il se développe parce qu’un groupe de citoyens déterminés invente un système de pratiques sociales et de savoirs pour gérer une ressource au bénéfice du collectif. Un commun suppose donc 3 composantes : une ressource, une communauté d’acteurs et un ensemble de règles sociales qu’ils se donnent, les 3 éléments formant un ensemble intégré et cohérent.

Questionner la nature des communs permet d’en montrer l’actualité. À l’origine, ils étaient des biens naturels (forêts, pâturages), les travaux d’Elinor Orstrom montrent que pour des centaines de millions de personnes, la gestion commune de certains biens matériels (bois de chauffage, eau d’irrigation, baies sauvages, semences et.) continue de faire partie de leur quotidien et, le plus souvent, assure leur survie. Dans nos sociétés, récemment des biens immatériels – de l’ordre de la connaissance – se sont développés sur le modèle des communs. David Bollier montre comment Linux, Wikipédia « production par les pairs fondée sur les communs », qui mobilisent un grand nombre de personnes à travers des plateformes ouvertes, sont de l’ordre des communs. Leur modèle de base a donné naissance à un paradigme social qui a inspiré de nombreux projets collectifs. Ces nouveaux modes de faire communs démontrent le renouveau créatif et productif de ce système ancien.

Au Québec, la réalisation du Bâtiment 7 [4] par le « Collectif 7 à nous » montre l’actualité du concept pour une gestion collective de services de proximité répondant aux besoins de citoyens mobilisés pour lutter contre l’embourgeoisement du quartier Pointe-Saint-Charles. 10 ans de travail, de lutte ont été nécessaires pour vaincre les difficultés, les obstacles et les embuches qui attendent ceux qui veulent inventer la société de demain. Les nombreuses monnaies locales, qui se créent dans différentes régions du Québec, sont des outils de réappropriation de la chose économique et du tissu social par l’action citoyenne dans le but de favoriser l’achat local et de reprendre le contrôle du commerce de proximité. L’Îlot de Montréal, le BLÉ (Billet d’échange local) et les Heures à Québec, le Demi en Gaspésie sont des exemples d’actions en adéquation avec une vision alternative du mode de pensée dominant.

Notes

[2David Bollier, p.24

[3Christophe Aguiton, Le monde qui émerge. Les alternatives qui peuvent tout changer. Attac Les liens qui libèrent, 2017, Chapitre 4.




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