L'Aiguillon, le bulletin d'ATTAC En finir avec les politiques néolibérales libre-échangistes

En finir avec les politiques néolibérales libre-échangistes

Bulletin no 57 - Juin 2018

Attac a 20 ans !

Fondé en France en 1998, Attac célèbre 20 ans d’action citoyenne contre le pouvoir des banques, de la finance internationale et des multinationales. Si l’idée fondatrice,- la revendication pour la taxation de la finance internationale- est toujours actuelle, le combat contre un néo-libéralisme dévastateur et les politiques libre-échangistes en constitue maintenant le cœur. Attac est présente dans 30 pays. Au Québec, c’est depuis 18 ans que des citoyen-ne-s altermondialistes se mobilisent sur les enjeux de la finance et de la justice fiscale, en lien avec la protection de nos services publics et de l'environnement, entre autres. « Un autre monde est possible » disent-ils avec de nombreuses coalitions. https://france.attac.org/

Le bulletin ne pouvait pas laisser passer la rencontre du G7 – ce club sélect des pays riches – sans questionner ses politiques néolibérales et les conséquences désastreuses qu’elles ont sur les populations. En tant qu’association altermondialiste Attac devait manifester son opposition aux choix idéologiques qui l’animent depuis sa création en 1998.

L’article de Ronald Cameron poursuit la réflexion en questionnant le protectionnisme et le libre-échangisme dans le cadre de la renégociation de l’ALÉNA parce que ni l’un ni l’autre ne sont des politiques axées sur les besoins des populations, elles sont uniquement orientées dans le but de favoriser le capital en élargissant ses marges bénéficiaires.

De retour d’un long voyage qui l’a mené sur plusieurs continents, Claude Vaillancourt montre qu’en Amérique du Sud comme dans les pays du Sud de l’Europe, les mêmes politiques néolibérales font les mêmes ravages. Mais aussi comment la réaction s’organise même dans des conditions difficiles : manifestations, mouvements sociaux renforcent la solidarité. Que les gouvernements soient de gauche ou de droite, les défis sont nombreux pour les mouvements qui veulent venir à bout des nombreux problèmes qui affectent les populations.

Des voies de sortie existent déjà, c’est ce que l’article sur les communs rappelle. Des organisations citoyennes, de plus en plus nombreuses, reprennent du pouvoir sur leur vie, leur quartier en construisant des alternatives qui ouvrent une 3e voie entre la gestion privée et la gestion publique. Des alternatives qui renforcent les liens sociaux et permettent de se réapproprier – en les gérant collectivement – certains biens ou services.

L’article de Jeanne Gendreau explique que créer une monnaie locale transforme un consommateur passif en citoyen actif. L’argent comme outil d’échange est créateur de lien et engendre un mouvement de transformation sociale qui, pas à pas, permet de limiter les rapports économiques instaurés par le capitalisme tout en favorisant la création de richesse sociale locale.

Table des matières

Le billet du CA

Un G7 près de chez vous!

par Claude Vaillancourt
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Lorsque Justin Trudeau a annoncé, l’année dernière en Italie, que le prochain G7 aurait lieu dans Charlevoix, nous avons immédiatement compris quelles en seraient les conséquences. L’évènement attirerait les grands médias de partout dans le monde. Il y aurait un déploiement sans pareil de forces policières et la sécurité deviendrait une obsession. Et pour nous, il serait impossible de laisser passer la rencontre sans manifester notre opposition aux politiques défendues par ce groupe.

En tant qu’association altermondialiste, Attac a toujours été aux premières loges pour dénoncer les politiques néolibérales du G7 et répéter à quel point ce club sélect de pays est illégitime. Il était donc de notre devoir de tenter de regrouper les organisations et les individus qui partagent notre point de vue et de planifier des actions non-violentes pendant le sommet. La dernière assemblée générale d’Attac a permis de lancer le mouvement, après qu’une résolution en ce sens ait été adoptée.

Tout est maintenant mis en branle. La Coalition pour un forum alternatif au G7 a été créée. Elle organise 12 heures d’activités, incluant un rassemblement, une conférence, une manifestation et un spectacle d’humour du Front commun comique contre le G7 (avec, entre autres, Fred Dubé et Guillaume Wagner). Je me permets de souligner le travail indispensable à la coordination de Ronald Cameron, membre du CA, qui a mis ses grandes capacités d’organisateur au service de l’évènement.

Les reproches qu’on peut adresser au G7 sont très nombreux! Nous avons choisi de mettre de l’avant le problème des inégalités 1 . Le G7 crée une inégalité de facto entre les pays, puisqu’il rassemble derrière des portes closes quelques grandes puissances, alors que les autres pays sont rejetés. Ce groupe se permet pourtant de promouvoir des politiques affectant l’ensemble des populations dans le monde. Le G20, une version élargie du G7, à qui on ne confie plus rien d’important, reproduit le même problème, en excluant par exemple tous les pays d’Afrique, à l’exception de l’Afrique du Sud. g7.jpg Les choix idéologiques du G7 ont surtout beaucoup contribué à accentuer les inégalités sociales, et cela depuis la création du groupe en 1995. Celles-ci continuent à s’accroître d’année en année, sans que le G7 n’entreprenne quoi que ce soit pour corriger la situation. Ce groupe refuse de mettre à l’ordre du jour des solutions à sa portée : éliminer la concurrence fiscale, éradiquer les paradis fiscaux, mettre en place une taxe sur les transactions financières et taxer le commerce électronique.

Pourtant, parmi les thèmes mis de l’avant par la présidence canadienne, on ose parler d’une «croissance économique profitable à tous» (c’est nous qui soulignons). Le G7 a toujours été un obstacle à l’atteinte de cet objectif, et rien ne laisse entendre qu’il y parviendra un jour, s’il ne remet pas en cause ses choix idéologiques. Ce groupe est depuis trop longtemps le champion des paroles en l’air et des promesses non tenues. Voilà pourquoi il demeure essentiel de continuer à manifester notre opposition au G7, avec constance, avec fermeté, pacifiquement, contre vents et marées s’il le faut.

Notes

  1. https://quebec.attac.org/spip.php?page=bulletin-html&id_rubrique=101

Donald Trump veut-il mettre fin à la mondialisation?

par Pierre Beaudet, Ronald Cameron
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L’imposition de tarifs sur l’acier et l’aluminium par l’administration américaine suscite des émois dans le monde, particulièrement en Amérique du Nord, où le Canada et le Mexique tentent de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Un peu partout, on a l’impression qu’on est en voie de retourner au protectionnisme, donc en rupture avec les politiques libre-échangistes qui dominaient le cycle de mondialisation néolibérale amorcé dans les années 1980.

Quelle mondialisation?

Parlons-en un peu de cette mondialisation. Depuis quarante ans, les élites politiques et économiques, inspirées par les États-Unis, ont délaissé les politiques keynésiennes des années d’après-guerre. Elles ont mis en place un cadre caractérisé par un changement dans les politiques de l’État, impliquant une réduction des charges fiscales des plus riches et des entreprises, également des politiques d’austérité traduite par une réduction concomitante des protections sociales. Cette réorientation a été pensée dans la perspective de relancer l’accumulation en élargissant les marges bénéficiaires.

Les accords commerciaux ont été et demeurent au cœur de ce projet néolibéral qui voulait réduire les contraintes au commerce mondial, non seulement en éliminant les tarifs douaniers, mais en offrant plus de droits aux entreprises contre la souveraineté des États. L’ALÉNA, signé en 1994, fut le premier accord de commerce de ce type et constituait un recul sur le plan des droits collectifs et de la souveraineté.

De manière générale, la mondialisation néolibérale a favorisé la mobilité du capital, pour profiter des contextes plus avantageux sur le plan des coûts de la main-d’œuvre. On associe cette mondialisation à une spirale vers le bas dans les conditions de travail.

Menaces sur les sociétés

alena_manifestations.jpgDepuis quelque temps, des sociétés, des mouvements, voire, dans le cas de l’Amérique du Sud, des États, ont commencé à remettre en question ce cadre, entre autres à cause de l’instabilité sociale et économique que cela implique. Ici au Canada cependant, les gouvernements, y compris le présent gouvernement Trudeau, ont maintenu le cap, prétendant que le plus grave danger proviendrait du protectionnisme, plutôt que la dérèglementation néolibérale. Ottawa voudrait mobiliser la société pour appuyer le maintien des accords de libre-échange contre la catastrophe annoncée du protectionnisme, associé à la montée de la droite xénophobe en Amérique comme en Europe.

Il y a là un hiatus. Pour les secteurs concernés de la société civile, la seule critique du protectionnisme ne peut être le fondement d’une politique répondant aux besoins de la population. Il est important, en effet, de protéger certains secteurs, notamment les services publics, l’agriculture de proximité et la production laitière, les marchés publics, de même que le domaine de la culture et de l’éducation. Il s’agit de favoriser les secteurs qui s’inscrivent dans une perspective de développement et qui doivent rester sous la souveraineté nationale.

Par ailleurs, dans le présent contexte, les populations laborieuses pourraient faire les frais d’une guerre commerciale entre les différents protagonistes. Par exemple, les tarifs douaniers pourraient réduire les exportations du Canada, donc créer des pertes d’emplois. Parallèlement, cela pourrait créer une pression à la baisse sur les coûts de production au Canada et donc affecter négativement les conditions de travail. Dans un tel contexte protectionniste, le patronat canadien et québécois pourrait tenter de réduire le coût du travail pour protéger sa compétitivité.

Les consensus inavoués entre le protectionnisme et le libre-échangisme

Au final, la politique du Make America first again ne s’oppose pas, sur le fond, à la mondialisation néolibérale. La réforme fiscale de Donald Trump est en tout point conforme à la dérèglementation et au désengagement de l’État promus par le néolibéralisme. En réduisant le fardeau fiscal des grandes entreprises américaines, Trump vise à maintenir la position dominante des États-Unis sur la planète.

Aujourd’hui au-delà des désaccords actuels, libre-échangistes et protectionnistes s’entendent, d’abord et avant tout, pour restaurer les taux de profit. De ce point de vue, il se pourrait que Washington impose à Ottawa et à Mexico un «néo-ALÉNA», qui irait encore plus dans le sens de la dérèglementation, notamment dans le domaine numérique et des marchés publics, en phase avec les intérêts des grandes entreprises et de l’industrie pétrolière américaine.

Le véritable enjeu nous apparaît donc ailleurs. Les accords de libre-échange dans leur formulation actuelle, pas plus que le protectionnisme, ne répondent aux impératifs de reprendre le chemin d’une politique économique axée sur les besoins des gens, dont le but premier doit être de réduire les inégalités dramatiques qui confinent des pans entiers des populations à la pauvreté systémique, à la précarité et à l’exclusion. Parallèlement, il est urgent de réduire l’exploitation sans limites des ressources naturelles qui menace la vie sur terre.


Ronald Cameron est coordonnateur d’Attac Québec et Pierre Beaudet est professeur au département de sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais.

Heureux qui comme Ulysse…

par Claude Vaillancourt
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J’ai profité de la présente année pour assouvir une grande passion chez moi, celle des voyages. J’ai eu la chance extraordinaire des personnes de l’Occident aisé de pouvoir parcourir le vaste monde pendant des mois, avec le minimum de contraintes, contrairement à la majorité des gens sur cette terre, limités par les frontières, les visas, les revenus insuffisamment élevés et autres contraintes bureaucratiques ou de différente nature. Le chemin sera long avant d’en arriver à un peu plus de justice dans ce domaine…

Mélanges de thérapie et d’aventures, plus efficaces que tous les antidépresseurs, les voyages sont pour ceux qui les aiment une grande bouffée d’oxygène dans une vie sévèrement soumise aux contraintes d’un travail qui relève de trop souvent de l’obsession, dans notre monde axé sur la performance.

Qui voyage s’instruit et s’enrichit, dit-on. Aujourd’hui, toutefois, tout voyageur est la plupart du temps confiné à l’univers étroit du tourisme, auquel personne ne peut échapper, même dans la saison la plus creuse. Le touriste est inévitablement un envahisseur, mais surtout une inépuisable ressource, qui fait vivre une industrie aux mille facettes, toujours plus développée. Ce touriste, il faut l’isoler, l’encadrer, lui faire voir ce qu’il veut bien voir, très souvent lui cacher le vrai visage du pays visité (après tout, il doit se détendre, s’amuser, ne pas trop se confronter aux dures réalités des peuples qu’il visite). Et il faut bien sûr, si possible, lui faire cracher un maximum de fric. Donner du rêve et assurer sa survie, dans des conditions souvent difficiles, voilà le grand contrat social qui régit l’univers du tourisme, surtout dans les pays où une grande partie de la population est victime de pauvreté.

Le point de vue du touriste sur le pays visité demeure ainsi très limité. Même s’il connaît la langue parlée, s’il suit les médias locaux et entre en contact avec des personnes bien informées, ses connaissances demeureront hasardeuses. Toutes ses informations seront partielles et partiales, et il sera difficile de séparer parmi elles le bon grain de l’ivraie. Il en résulte souvent une grande insatisfaction pour les personnes captivées par la politique et concernées par la justice sociale : prendre le pouls d’un pays, bien connaître sa situation demande du temps, de l’étude, de très bons contacts et plus encore. Ce que permet rarement un voyage presque toujours trop rapide.

Un cas particulier: Pérou vs Équateur

img_4592.claude_2.jpgC’est donc conscient de toutes ces limites que je me permets une courte réflexion sur deux pays que j’ai visités et qui m’ont fasciné, l’Équateur et le Pérou. Deux pays qui ont beaucoup en commun : un niveau de vie assez semblable, une géographie similaire, avec de vastes paysages andins, une grande forêt amazonienne peu peuplée, une côte du Pacifique qui regroupe une population nombreuse. Certes, l’Équateur est plus petit et se trouve quelque peu en périphérie de ce qui fut autrefois le vaste empire inca, puis le cœur de la colonisation espagnole dans la région. Mais surtout, en ce qui nous concerne, le Pérou est un indéfectible allié des États-Unis et un adepte des politiques néolibérales, alors que l’Équateur se distingue par ses politiques de gauche depuis l’arrivée de Raphaël Correa en 2007.

Il serait donc tentant de voir dans ces deux pays, du point de vue de la justice sociale, le bon et le mauvais élève. Mais la réalité, comme toujours, est un peu plus compliquée. Pourtant, ce qui frappe le visiteur en Équateur, c’est le nombre important de nouvelles infrastructures: gare routière rutilante, superbe aéroport à Quito, belles routes, hôpitaux modernes, alors qu’il existe peu d’équivalent au Pérou. Dans les banlieues de ce dernier pays, en particulier, on observe une flagrante pauvreté, des rues non pavées et poussiéreuses, des chiens errants et misérables… On peut donc penser qu’en Équateur, la richesse est mieux distribuée, ce qui n’est pas faux. Le pays a aussi profité d’une importante manne pétrolière (qui a cessé depuis de tomber), et s’est beaucoup réendetté, si bien que le problème de l’endettement, qui avait été en partie réduit par une politique audacieuse de Correa, est redevenu menaçant.

Mais le problème principal du gouvernement est d’avoir considéré tous ses opposants comme des adversaires à combattre et de s’en être pris plus particulièrement au mouvement social. Il est ainsi parvenu à affaiblir un grand nombre d’associations qui le contestaient pour de bonnes raisons par des ONG que lui-même finançait et qui se montraient forcément très complaisantes. Gouverner à gauche, mais en réprimant le mouvement social et en tordant le cou à la démocratie n’est certes pas ce qu’on attend d’un gouvernement progressiste. Le nouveau gouvernement de Lenine Moreno ne se montre pas aussi autoritaire et est même parvenu, par le biais d’un référendum aisément gagné, à empêcher tout retour à la présidence de Correa. Mais cela s’est fait au prix d’un rapprochement avec la droite qui en inquiète plusieurs.

Au Pérou, les inégalités sociales semblent plus visibles aux yeux des visiteurs. Des problèmes très graves nous ont été signalés, comme le budget de l’éducation publique, qui demeure près de 3% du PIB. Un si faible financement se fait aux dépens de tout le monde dans le pays: autant des élèves et des étudiants, qui peuvent ainsi difficilement avoir accès à une éducation de qualité, du personnel dans les écoles, qui gagne un salaire nettement insuffisant, et la population toute entière, pouvant difficilement profiter d’un savoir assez répandu pour permettre un meilleur développement.

Mais la réaction s’organise, bien que ce soit dans des conditions difficiles. À Puno, sur le bord du lac Titicaca, j’ai été témoin de deux journées intenses de grèves et de manifestations. Bien qu’il soit difficile de prendre l’exacte mesure de la vigueur du mouvement social, il m’a semblé que les Péruviens ne se résignent pas complètement à leur sort. La démission du premier ministre Pedro Pablo Kuczynski pour cause de corruption, au moment où je m’y trouvais, reste un signe que tout n’est plus permis dans ce pays, de la part des élites dominantes.

À circuler au Pérou et en Équateur, nous avons souvent l’impression de voyager dans des pays de géants. Tout y est d’extraordinaires dimensions: les volcans, les montagnes, les plateaux, les déserts, les vestiges du passé… Mais aussi les problèmes qui assaillent les populations: la corruption, la pauvreté, les atteintes à la démocratie. Venir à bout de ces problèmes est un défi colossal qu’il leur faut relever, avec un certain avantage pour l’Équateur, du moins pour le moment.

Persistance du néolibéralisme

rsz_1img_4262claude_3.jpgMais ce qui m’a surtout frappé au cours de mes pérégrinations, c’est de voir à quel point le néolibéralisme ressemble à un phœnix qui renaît sans cesse de ses cendres, et cela malgré l’insatisfaction qu’il entraîne et les catastrophes qu’il provoque. Cette situation a été dénoncée à l’Université d’été européenne des mouvements sociaux tenue à Toulouse en août dernier. Peu importe le pays dont il est question, il reste toujours des budgets à compresser, des services publics à privatiser, des accords de libre-échange à conclure. Ce système économique avance comme un char d’assaut, lentement et sûrement, imperturbable, à l’abris de tout. On sentait, pendant cette université d’été, une forme de découragement. D’autant plus que par un grand malentendu, c’est l’extrême-droite qui profite le plus de l’indignation généralisée. Et cela même si elle ne remet pas vraiment ce système en cause, ne propose rien d’efficace pour renverser la situation, et ne peut au contraire que la rendre pire.

Les difficultés de l’économie sont particulièrement grandes dans les pays du sud de l’Europe. Un ami d’Attac en Grèce nous a fait part des sacrifices des Grecs aux lendemains de la terrible crise dont ils commencent à peine à se relever : une perte généralisée du tiers de leurs revenus, déjà pas très élevés auparavant, en ce qui concerne les salaires et les retraites. Même les services offerts à la population, beaucoup moins efficaces qu’auparavant, perdraient quelque chose comme le tiers de leur efficacité. Mais des liens sociaux très forts dans ce pays ont réussi à éviter la catastrophe et ont permis aux gens d’encaisser de terribles coups.

De façon inattendue, parce qu’on a beaucoup moins parlé de cette région, le sud de l’Italie porte peut-être les marques plus visibles d’une crise qui n’en finit plus. La Sicile en particulier est victime d’un dépeuplement que vient compenser en partie une importante immigration africaine. Cette immigration comble de grands besoins, si bien que le racisme semble moins présent qu’ailleurs dans le pays ou en Europe. Mais le problème de la pauvreté demeure bien réel, l’économie est très fragile et la région, un peu ostracisée par le reste du pays — on l’a vu pendant les dernières élections en Italie — reçoit un faible soutien étatique.

À voyager ainsi dans de nombreux pays, on se dit qu’il ne serait pas si difficile de s’arranger pour que les choses aillent beaucoup mieux pour tant de gens. La soumission de ceux qui gouvernent aux classes dominantes a un peu partout la même conséquence d’empêcher les réformes axées sur les besoins réels des populations. Cela, bien sûr, on le sait en restant chez soi. Mais on l’éprouve aussi, avec force, à se déplacer longuement, même saisi par la fascination et le plaisir constants que procurent les voyages.

Le retour des communs

par Monique Jeanmart
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Le bulletin a souvent fait le constat que notre modèle de société nous engage dans une voie sans issue. Partout dans le monde domine un néolibéralisme qui a des conséquences désastreuses pour les populations et pour la planète. Partout on observe que les institutions existantes sont incapables de répondre de manière efficace et satisfaisante aux problèmes sociaux qu’il génère.

Parce que «dire non ne suffit pas» des groupes citoyens – de plus en plus nombreux et convaincus qu’aucune révolution ou héros providentiel ne les libérera de ce système dévastateur – décident de ne pas attendre qu’on leur donne le pouvoir, construisent avec patience et détermination des alternatives qui leur permettent de reprendre du contrôle sur leur vie. Parmi la multitude de ces expérimentions et innovations sociales, celle qui fait revivre un mode de gestion par «les communs» semble une voie prometteuse pour sortir du duo propriété privée/propriété collective dont nos sociétés sont prisonnières. En même temps, ces pratiques contribuent au vrai renouvellement de la gauche qui ne pourra se faire par des politiciens professionnels, mais par des gens qui luttent pour une autre société. Ce ne sont pas les solutions aux crises économiques qui changeront le monde, mais ces luttes de résistance qui montrent que l’on peut et que l’on veut vivre autrement.

Les «communs» se développent parce qu’un «groupe de citoyens déterminés inventent un système spécifique de pratiques sociales et de savoirs pour gérer une ressource». 1. C’est à Elinor Ostrom – prix Nobel d’économie 2009 – que l’on doit la redécouverte de ce concept.

Les «communs» remontent au droit coutumier dans l’Angleterre médiévale qui donnait aux paysans un droit d’accès (pour le pâturage) aux terres du Seigneur. Les débuts du capitalisme vont permettre au mouvement des enclosures de clôturer ces pâturages pour les réserver au seul bénéfice du Seigneur. Les travaux d’Élinor Ostrom montrent que les communs font partie – depuis des siècles – du quotidien de centaines de millions de personnes dans les pays pauvres gérant mieux les ressources que les pouvoirs publics ou les entreprises privées. Démonstration qui va à l’encontre du principe néolibéral qui veut que le marché soit le meilleur gestionnaire.

Pour Élinor Ostrom, les communs peuvent émerger n’importe où et apporter des avantages significatifs dans la gestion des biens collectifs. «Ils existent dès lors qu’une communauté ou un groupe décide de gérer une ressource de manière collective, avec en vue un accès et une utilisation équitable et soutenable de celle-ci.»2

Biens publics, communs

Pour Christophe Aguiton 3 la délimitation entre les biens de la sphère publique et les communs tient dans le mode de gestion du bien et non dans sa nature. Les biens de la sphère publique sont toutes les activités non privatisées qui sont confiées par l’État à des institutions spécialisées – écoles, hôpitaux, institutions de service public, etc. dont le mode de gestion se définit par la délégation, par opposition aux communs qui sont des espaces d’implication citoyenne directe.

Les communs se caractérisent par un mode de relations sociales: c’est la gestion par un ensemble de personnes d’un bien matériel, immatériel ou de services. Ce n’est donc pas la nature d’un bien qui le rend communs, mais le fait qu’un ensemble d’acteurs s’organise et se gouverne lui-même pour obtenir des bénéfices collectifs durables par delà les intérêts individuels. Il se développe parce qu’un groupe de citoyens déterminés invente un système de pratiques sociales et de savoirs pour gérer une ressource au bénéfice du collectif. Un commun suppose donc 3 composantes : une ressource, une communauté d’acteurs et un ensemble de règles sociales qu’ils se donnent, les 3 éléments formant un ensemble intégré et cohérent.

Questionner la nature des communs permet d’en montrer l’actualité. À l’origine, ils étaient des biens naturels (forêts, pâturages), les travaux d’Elinor Orstrom montrent que pour des centaines de millions de personnes, la gestion commune de certains biens matériels (bois de chauffage, eau d’irrigation, baies sauvages, semences et.) continue de faire partie de leur quotidien et, le plus souvent, assure leur survie. Dans nos sociétés, récemment des biens immatériels – de l’ordre de la connaissance – se sont développés sur le modèle des communs. David Bollier montre comment Linux, Wikipédia « production par les pairs fondée sur les communs », qui mobilisent un grand nombre de personnes à travers des plateformes ouvertes, sont de l’ordre des communs. Leur modèle de base a donné naissance à un paradigme social qui a inspiré de nombreux projets collectifs. Ces nouveaux modes de faire communs démontrent le renouveau créatif et productif de ce système ancien. bien-commun.jpg

Au Québec, la réalisation du Bâtiment 74 par le «Collectif 7 à nous» montre l’actualité du concept pour une gestion collective de services de proximité répondant aux besoins de citoyens mobilisés pour lutter contre l’embourgeoisement du quartier Pointe-Saint-Charles. 10 ans de travail, de lutte ont été nécessaires pour vaincre les difficultés, les obstacles et les embuches qui attendent ceux qui veulent inventer la société de demain. Les nombreuses monnaies locales, qui se créent dans différentes régions du Québec, sont des outils de réappropriation de la chose économique et du tissu social par l’action citoyenne dans le but de favoriser l’achat local et de reprendre le contrôle du commerce de proximité. L’Îlot de Montréal, le BLÉ (Billet d’échange local) et les Heures à Québec, le Demi en Gaspésie sont des exemples d’actions en adéquation avec une vision alternative du mode de pensée dominant.

 

Notes

  1. David Bollier, http://docs.eclm.fr/pdf_livre/364RenaissanceDesCommuns.pdf p.23
  2. David Bollier, p.24
  3. Christophe Aguiton, Le monde qui émerge. Les alternatives qui peuvent tout changer. Attac Les liens qui libèrent, 2017, Chapitre 4.
  4. https://quebec.attac.org/spip.php?page=bulletin-html&id_rubrique=101
INITIATIVES INSPIRANTES

Quand acheter devient un geste innovant

par Jeanne Gendreau
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Acheter un pain et en même temps subventionner un théâtre de quartier ou le fleuriste de la rue voisine! Voilà le pari qu’ont fait quelques citoyen-ne-s quand ils ont mis sur pied un groupe de réflexion sur une monnaie locale complémentaire à Montréal.

Inspiré par des réalisations semblables à Nantes et au pays basque entre autres, le groupe s’est progressivement initié à ce concept qui est devenu réalité en mars 2018. Grâce à la collaboration de la Caisse Solidaire Desjardins, «l’îlot Montréal» a finalement vu le jour.

Le collectif «Une Monnaie pour Montréal» a établi des règles de partage et de circulation de cette toute nouvelle monnaie en privilégiant le consensus comme forme de discussion à l’intérieur du groupe. 1 Le quartier Rosemont-Petite-Patrie a été choisi pour la première expérimentation. Plusieurs projets novateurs dans différents domaines (environnemental, entrepreneurial, commercial, etc.) prennent forme dans ce quartier depuis une décennie, créant une tradition de projets pionniers et un flux d’énergie susceptibles d’accueillir la proposition d’une monnaie locale. Les premiers efforts seront donc concentrés dans ce quartier.

Actuellement, la phase préparatoire est terminée. Il faut maintenant établir un circuit de base pour expérimenter la circulation de la monnaie en recherchant 250 citoyens et 50 commerçants enthousiastes.

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Audace ou utopie

Imaginer une monnaie parallèle à l’argent national semble audacieux, surtout pour un groupe citoyen qui doit défricher et déchiffrer une réalité considérée comme étant du ressort des experts. Démystifier le langage économique, est la première de ces étapes. Alain Deneault parle de la réappropriation de l’économie: «L’économie est une façon d’entrer en relation pour que la vie se perpétue»2 En créant une nouvelle façon d’échanger des biens et des services – une nouvelle forme d’économie – le consommateur passif et endetté reprend du pouvoir sur sa vie quotidienne et devient un citoyen actif. Le rapport à l’argent est transformé; l’argent n’est plus accumulé, emprunté, thésaurisé, il circule et peut devenir ainsi créateur de richesse sociale locale. L’argent est alors un outil d’échange et non une fin en soi.

Des écosystèmes se créent lors de cette nouvelle forme d’échanges: celui qui cultive une ressource (la farine par exemple) avec un boulanger qui, à son tour, paie ses collaborateurs en Îlots. Ceux-ci pourraient les dépenser dans une fruiterie, une brasserie locale, un restaurant, un cinéma, un théâtre, etc. Des chaînes, des boucles d’échanges s’installent ainsi dans la vie locale, de façon solidaire. Ces écosystèmes s’étendront nécessairement au-delà du quartier, rejoignant ainsi de plus en plus d’«échangistes», conscients de la richesse communautaire qu’ils générèrent. Tous ces écosystèmes reliés entre eux renforcent l’économie locale et pourraient susciter d’autres projets collectifs de l’ordre des communs.

C’est à ce niveau que réside la richesse de cette aventure car elle pourrait engendrer un mouvement de transformation sociale. Un mouvement qui se fait à tâtons, par petit pas, mais qui suppose une vision différente du rapport à l’économie, du rapport à l’échange et à la communauté.

On ne peut présumer de l’avenir de l’Îlot à ce stade-ci. La suite dépend des forces militantes et bénévoles qui se mobiliseront et de la qualité des réponses obtenues. Frapper aux portes des commerces de quartier et engager un dialogue avec eux, faire connaitre l’Îlot sur le plus de plateformes possibles, créer un mouvement de confiance et en augmenter le nombre en circulation, etc. voilà les tâches qui vont rassembler les militant-e-s dans un avenir proche. Ce noyau militant, à implication variable, est l’unique ressource du projet depuis le début.

Il y a environ 5000 monnaies locales dans le monde. Celle qui semble avoir la plus longue vie à date est le Hour d’Ithaca (NY) qui existe depuis presque 30 ans. Il y a des monnaies locales en France et au Canada qui fonctionnent mais leur élan n’a pas l’ampleur souhaitée. Au Québec, il y a quelques initiatives en progression (comme le Blé de Québec, le Laurentien de Val David), mais ces monnaies ne circulent pas encore.

Il faut une bonne dose d’utopie pour implanter un système local de rapports socio-économiques qui soit différent des rapports du « libre » échange à l’échelle mondiale. Le Collectif Monnaie Montréal contribue, quels que soient les résultats de l’entreprise, à créer un flux d’énergie nouvelle susceptible de se rattacher à d’autres projets novateurs tels le Bâtiment 7 et les nombreux paniers fermiers distribués et gérés par Équiterre, qui sont toutes des initiatives vraiment inspirantes. Pour prolonger la réflexion: https://iris-recherche.qc.ca/blogue/les-monnaies-locales-outils-de-transformation-de-la-societe

 

Notes

  1. https://ilot-montreal.org/faqs
  2. https://itunes.apple.com/ca/podcast/thinkerview/id1196519121?l=fr&mt=2&i=1000410781128

Metamorphosis

par Monique Jeanmart
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Metamorphosis1, un film qui est une ode à la beauté de la planète et à la créativité de ceux qui ont décidé de repenser les façons de faire pour contrecarrer la catastrophe environnementale qui nous menace.

Des images superbes – dramatiquement spectaculaires – nous montrent une planète qui vit des bouleversements profonds résultant de l’action humaine: de Venise aux îles Vanuatu en passant par la Californie ou l’Ouest canadien le film montre des désastres menaçants.

Mais partout aussi des artistes, des familles, des scientifiques, des agriculteurs qui inventent – à leur niveau – des alternatives qui font tache d’huile. En Californie, une famille transforme sa piscine en jardin auto-entretenu – micro système où abondent plantes, légumes, fruits, fleurs, insectes et oiseaux. Initiative imitée par des centaines de familles au point de déborder les frontières. Ailleurs, d’autres familles arrachent les gazons grands consommateurs d’eau pour redonner la terre à l’environnement naturel. À Milan, des architectes conçoivent des forêts urbaines verticales en couvrant les balcons d’arbustes et d’arbres réduisant le CO 2 dans l’atmosphère et protégeant des îlots de chaleur. À Los Angeles, une entreprise redonne espoir et dignité à des femmes immigrées : elles installent des panneaux solaires dans les quartiers les plus défavorisés pour procurer une énergie renouvelable et peu couteuse à ceux qui n’auraient pas les moyens de se la procurer.

Partout, des solutions créatives et ingénieuses fleurissent. Des gens repensent les façons de faire en agriculture, en recyclage, en jardinage, simplement dans leur vie quotidienne. Pour eux la bataille n’est pas perdue. Le monde est en devenir comme la chenille qui de chrysalide devient papillon. Chacun à sa manière contribue à faire surgir un monde nouveau porteur d’espoir.

Personnellement, j’y ai surtout vu une ode à l’action. La persévérance de personnes créatives, engagées à changer le monde, un geste à la fois, chacun à sa mesure. Ne jamais baisser les bras, mais croire que nos actions en se diffusant feront la différence.

Notes

  1. Canada 2018. Documentaire environnementaliste écrit et réalisé par Nova Ami et Velcrow.

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Le livre La dette du Québec : vérités et mensonges d’Attac Québec.

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ÉQUIPE DU BULLETIN:

Monique Jeanmart: coordonnatrice

Jeanne Gendreau: assistante à la production

Wedad Antonius: Mise en page électronique

 

Pour toute suggestion, commentaire ou questions, veuillez vous adresser à Monique Jeanmart moniquejeanmart@videotron.ca

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