«Nous sommes convaincus que le capitalisme n’est pas la solution pour la vie et encore moins pour l’Humanité.» Evo Morales
En politique, chaque mouvement entraîne une réaction. C’est ce qui explique les nombreuses victoires récentes de la droite en Amérique du Sud. Les mouvances de gauche semblent en effet aux abois en Argentine, en Uruguay, au Vénézuéla et au Brésil. Un pays toutefois se démarque du lot: la Bolivie.
Depuis 2006, le pouvoir y est détenu par Evo Morales, le premier président amérindien de Bolivie, autrefois berger de lamas et cultivateur de coca. Le 12 octobre 2014, Evo Morales a été réélu pour la troisième fois, dès le premier tour avec 59,5 % des voix. Son parti obtient aussi la majorité des sièges du parlement. Il dirigera donc le pays pour 5 années supplémentaires, jusqu’en 2020.
Si sa popularité résiste si bien à l’usure du pouvoir, c’est parce que Morales a misé sur des politiques sociales et nationalistes. En une décennie à la tête de l’État, il s’est assuré de nationaliser les ressources naturelles et les industries stratégiques, principalement celles liées à l’énergie et aux télécommunications. La Bolivie a aussi profité des prix élevés du gaz naturel exporté vers le Brésil et l’Argentine. Ces revenus ont servi à une redistribution de la richesse. Par ne donner qu’un exemple, Morales a fait augmenter le salaire minimum de 20 % au 1er mai 2014, en l’honneur de la Journée internationale des travailleurs.
Les résultats économiques sont spectaculaires pour ce pays qui était le plus pauvre du continent : l’économie croît chaque année depuis le début du mandat de Morales, et atteint même un pic de 6,78 % en 2013. La croissance dans les huit dernières années surpasse celle des trois décennies et demie qui ont précédé l’arrivée de la gauche au gouvernement en Bolivie. De plus, cette manne a profité à la majorité du peuple. De 2005 à 2011, le taux de la population vivant dans la pauvreté diminue de 60 % à 45 %. Le salaire minimum a grimpé de 87,7 %, les dépenses en santé, en éducation, en nutrition et en habitation ont augmenté de 45 %. Tout cela n’a été possible que parce que la Bolivie a fait la sourde oreille aux plans d’austérité proposés par les représentants du FMI qui vivaient grassement à La Paz de salaires non taxables. À l’encontre de toutes les thèses des partisans de l’austérité, le succès bolivarien (1) montre que l’investissement public massif dans les infrastructures favorise la productivité et l’investissement privé par la suite.
Toutes ces avancées permettent de relativiser la récente déconvenue d’Evo Morales lors de son dernier référendum. Morales comptait modifier la Constitution avec l’accord de la population, car elle ne permet que deux mandats présidentiels consécutifs. La Cour constitutionnelle lui avait permis de se présenter pour la troisième fois en 2014 puisque son tout premier mandat (2006-2010) précédait en 2009. Le 28 février, Morales a demandé aux Boliviens s’ils permettaient un quatrième mandat présidentiel consécutif (donc le pouvoir pour Morales de 2020 à 2025). Le peuple a voté non à une faible majorité: 51%. Cela garantit le départ de Morales en 2020 après un total de 14 ans au pouvoir.
En somme, Morales dispose de larges appuis et a un puissant atout : l’absence de figure d’opposition capable d’unir la droite et tous les votes de contestations, comme cela a été le cas au Venezuela et en Argentine. Son principal adversaire reste l’influence des États-Unis dans la région sud-américaine. En 2008, Morales expulse du territoire bolivien le DEA (Drug Enforcement Administration), qui aurait détruit des cultures de coca, alors que lui, ancien chef syndical de producteurs de coca, préférait la collaboration avec les cultivateurs. Selon le témoignage d’un informateur du DEA nommé Carlos Toro, le DEA menait une opération nommée Naked King, visant à associer le gouvernement de Morales au narcotrafic afin de salir son image. Le 1er mai 2013, Morales accuse l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international) de conspiration contre son gouvernement. Il l’expulse en affirmant que l’agence donnait de l’argent à des Boliviens pour qu’ils s’opposent au gouvernement en place.
Les leçons de la gauche bolivarienne (1) sont importantes. Une économie solide dépend des investissements de l’État dans les infrastructures. La gauche ne pourra toutefois pas compter éternellement sur les exportations comme source principale de prospérité. Une économie redistributive doit compter sur une économie moins sensible aux fluctuations des prix de matières premières. En effet, la manne gazière est pour l’essentiel terminée suite à la chute des prix du gaz en 2015. Le modèle bolivarien reste toutefois très inspirant pour ce qui est du commerce. En effet, la Bolivie a adopté un Traité de commerce des peuples permettant l’échange direct entre les marchandises – troc – produites par chaque pays. Ce troc empêche qu’une monnaie s’impose dans tous les échanges commerciaux et qu’un pays émetteur de cette monnaie en arrive à dominer tous les autres. C’est une alternative très intéressante lorsqu’on la compare aux actuels traités de libre-échange.
(1) Inspiré par le libérateur Simon Bolivar, «bolivarien» est le nom donné par Hugo Chavez – puis Evo Morales – aux réformes économiques, sociales et nationalistes implantées dans la société après leur accession au pouvoir.
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