L’imposition de tarifs sur l’acier et l’aluminium par l’administration américaine suscite des émois dans le monde, particulièrement en Amérique du Nord, où le Canada et le Mexique tentent de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Un peu partout, on a l’impression qu’on est en voie de retourner au protectionnisme, donc en rupture avec les politiques libre-échangistes qui dominaient le cycle de mondialisation néolibérale amorcé dans les années 1980.
Quelle mondialisation?
Parlons-en un peu de cette mondialisation. Depuis quarante ans, les élites politiques et économiques, inspirées par les États-Unis, ont délaissé les politiques keynésiennes des années d’après-guerre. Elles ont mis en place un cadre caractérisé par un changement dans les politiques de l’État, impliquant une réduction des charges fiscales des plus riches et des entreprises, également des politiques d’austérité traduite par une réduction concomitante des protections sociales. Cette réorientation a été pensée dans la perspective de relancer l’accumulation en élargissant les marges bénéficiaires.
Les accords commerciaux ont été et demeurent au cœur de ce projet néolibéral qui voulait réduire les contraintes au commerce mondial, non seulement en éliminant les tarifs douaniers, mais en offrant plus de droits aux entreprises contre la souveraineté des États. L’ALÉNA, signé en 1994, fut le premier accord de commerce de ce type et constituait un recul sur le plan des droits collectifs et de la souveraineté.
De manière générale, la mondialisation néolibérale a favorisé la mobilité du capital, pour profiter des contextes plus avantageux sur le plan des coûts de la main-d’œuvre. On associe cette mondialisation à une spirale vers le bas dans les conditions de travail.
Menaces sur les sociétés
Depuis quelque temps, des sociétés, des mouvements, voire, dans le cas de l’Amérique du Sud, des États, ont commencé à remettre en question ce cadre, entre autres à cause de l’instabilité sociale et économique que cela implique. Ici au Canada cependant, les gouvernements, y compris le présent gouvernement Trudeau, ont maintenu le cap, prétendant que le plus grave danger proviendrait du protectionnisme, plutôt que la dérèglementation néolibérale. Ottawa voudrait mobiliser la société pour appuyer le maintien des accords de libre-échange contre la catastrophe annoncée du protectionnisme, associé à la montée de la droite xénophobe en Amérique comme en Europe.
Il y a là un hiatus. Pour les secteurs concernés de la société civile, la seule critique du protectionnisme ne peut être le fondement d’une politique répondant aux besoins de la population. Il est important, en effet, de protéger certains secteurs, notamment les services publics, l’agriculture de proximité et la production laitière, les marchés publics, de même que le domaine de la culture et de l’éducation. Il s’agit de favoriser les secteurs qui s’inscrivent dans une perspective de développement et qui doivent rester sous la souveraineté nationale.
Par ailleurs, dans le présent contexte, les populations laborieuses pourraient faire les frais d’une guerre commerciale entre les différents protagonistes. Par exemple, les tarifs douaniers pourraient réduire les exportations du Canada, donc créer des pertes d’emplois. Parallèlement, cela pourrait créer une pression à la baisse sur les coûts de production au Canada et donc affecter négativement les conditions de travail. Dans un tel contexte protectionniste, le patronat canadien et québécois pourrait tenter de réduire le coût du travail pour protéger sa compétitivité.
Les consensus inavoués entre le protectionnisme et le libre-échangisme
Au final, la politique du Make America first again ne s’oppose pas, sur le fond, à la mondialisation néolibérale. La réforme fiscale de Donald Trump est en tout point conforme à la dérèglementation et au désengagement de l’État promus par le néolibéralisme. En réduisant le fardeau fiscal des grandes entreprises américaines, Trump vise à maintenir la position dominante des États-Unis sur la planète.
Aujourd’hui au-delà des désaccords actuels, libre-échangistes et protectionnistes s’entendent, d’abord et avant tout, pour restaurer les taux de profit. De ce point de vue, il se pourrait que Washington impose à Ottawa et à Mexico un «néo-ALÉNA», qui irait encore plus dans le sens de la dérèglementation, notamment dans le domaine numérique et des marchés publics, en phase avec les intérêts des grandes entreprises et de l’industrie pétrolière américaine.
Le véritable enjeu nous apparaît donc ailleurs. Les accords de libre-échange dans leur formulation actuelle, pas plus que le protectionnisme, ne répondent aux impératifs de reprendre le chemin d’une politique économique axée sur les besoins des gens, dont le but premier doit être de réduire les inégalités dramatiques qui confinent des pans entiers des populations à la pauvreté systémique, à la précarité et à l’exclusion. Parallèlement, il est urgent de réduire l’exploitation sans limites des ressources naturelles qui menace la vie sur terre.
Ronald Cameron est coordonnateur d’Attac Québec et Pierre Beaudet est professeur au département de sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais.
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