Alors que la COVID-19 continue ses ravages à travers le monde avec beaucoup plus d’acuité dans les Caraïbes, au Brésil et aux États-Unis, il est dramatique – mais finalement pas réellement surprenant – de constater comment les dirigeants politiques continuent de se référer à l’impératif productiviste de croissance et à la pensée économique traditionnelle pour envisager l’avenir en faisant fi des contradictions entre l’économie et l’écologie qui ne peuvent être plus évidentes qu’en ce moment, deux verrous qu’il faudrait pourtant faire sauter pour inventer une économie soutenable.
Les dirigeants politiques et économiques, plus par idéologie que par manque de connaissances, font abstraction presque complètement des constats de la dégradation rapide de l’écosphère : insensibles aux cris d’alarme successifs des scientifiques, rapport après rapport, mais aussi aux observations quotidiennes de la multiplication des conséquences de notre modèle économique : incendies majeures de forêts en Australie, au Brésil, en Californie, fonte du pergélisol en Sibérie et des glaces dans le Nord Canadien, agonie des glaciers presque en direct, canicules qui se succèdent, etc. Preuves de cet aveuglement idéologique, les propos du ministre de l’Environnement du Québec sur son rôle dans la relance économique et le dépôt du projet de loi 61 au Québec qui consacre cette obsession de la croissance, projet de loi qui méritera toute notre attention cet automne. Soulignons également les allégements fédéraux de la procédure environnementale sur l’exploitation du pétrole qui font en sorte que les pétrolières n’auront plus besoin de procéder à une étude d’impact et d’obtenir l’approbation de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) avant d’amorcer leurs séries de forages en milieu marin au large de Terre-Neuve, «zone d’importance écologique et biologique» qui compte «une grande diversité, y compris plusieurs espèces en déclin».
Selon les dernières informations disponibles (il faut ajouter les effets de la fonte du pergélisol et sa production de méthane), il faudrait maintenir une réduction annuelle des émissions de CO2 d’au moins 7,6 % au cours des 10 prochaines années pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Sans compter la lutte à mener contre la dégradation des sols et de la biodiversité alors qu’il nous faudrait six planètes pour conserver notre mode de vie occidental.
Les politiques, les entreprises et les médias, pour des raisons économiques, nous proposent au mieux une transition énergétique qui se résume le plus souvent à l’adoption d’un bouquet de technologies dites «vertes» : voitures électriques, bâtiments à énergie positive, énergies dites renouvelables. Elle consiste à nous faire croire qu’une transition sans douleur est possible.
Continuez à consommer, ne changez pas vos habitudes puisque la technologie trouvera une solution aux problèmes écologiques! Le capitalisme vert et le développement durable ne sont que des théories qui colportent une vision totalement irresponsable sur le plan politique à moyen et long terme, car elle fait porter sur les générations futures le poids de nos décisions. Dans ce modèle, il ne s’agit pas de réduire la consommation, mais de proposer simplement des objets et des services moins énergivores consommés en quantité croissante. Nous devons prendre conscience que notre confort est fondé sur le pillage de la nature, des peuples et sur les générations futures (externalisation des coûts sous forme de polluants, problèmes de déchets, etc.?)
Cette obsession de la croissance économique, mesurée par le PIB, passe par le renouvellement permanent et continu de nouveaux produits offerts aux consommateurs et consommatrices. Elle est fortement encouragée par les pouvoirs publics, car elle promet la création d’emplois qui génèrent des recettes fiscales (pourvu que les lois fiscales soient adéquates). Pour reprendre les propos d’Éloi Laurent : «il faut constater que le PIB est borgne quant au bien-être économique, aveugle au bien-être humain, sourd à la souffrance sociale et muet sur l’état de la planète. La croyance dans la croissance est soit une illusion soit une mystification… Au lieu de se préoccuper de la croissance, les décideurs devraient se préoccuper du bien-être (le développement humain), de la résilience (la résistance aux chocs, notamment écologiques) et de la soutenabilité (le souci du bien-être futur)».1
Ce n’est pas seulement la mesure qu’il faut remettre en question, c’est notre obsession pour la croissance qu’il faut revoir. Il faut en finir avec l’idée que toute activité économique, quelle qu’elle soit, «crée de la valeur». Il faut en revenir à l’essentiel, le bien commun, et les politiques dites « de relance » n’ont de sens que si elles incluent des perspectives de long terme et engagent les réorientations indispensables de notre système économique comme le font remarquer nombre de critiques de notre système économique. Depuis le déclenchement de la pandémie, nous avons eu droit à une multitude de réflexions sur les possibles du monde « d’après » et un grand nombre de pistes concrètes pour sortir des crises auxquelles l’humanité est confrontée nous ont été proposées.
En fait, notre choix est assez simple, la croissance ou notre survie. Si nous voulons faire face à la catastrophe climatique et biosphérique, il faut changer le système. Les luttes sont multiples, mais aucune d’elles ne peut ignorer cet impératif.
Les commentaires sont fermés.