L'Aiguillon, le bulletin d'ATTAC Des suites à l’Appel : Ensemble dans l’action

Des suites à l'Appel: Ensemble dans l'action

Bulletin no 64 - Septembre 2020
Le bulletin de mai 2020 invitait les militant.e.s à signer un Appel pour mettre en marche un grand chantier de reconstruction pour sortir de la crise. Ce bulletin continue la réflexion en précisant quelques composantes de ce que pourrait être ce Québec de « demain ». Dans le billet, Bertrand Guibord, insiste sur la nécessité que se crée un vaste mouvement de convergence et de concertation de tous les groupes progressistes qui militent pour une société plus juste et plus écologique. Pour Ronald Cameron, la crise de la Covid a remis en lumière les inégalités tant nationales qu’internationales. La solidarité avec tous les peuples du Sud devra être au cœur des choix politiques du Québec de « demain » particulièrement les enjeux entourant la dette des pays du Sud. Le drame vécu par le Liban illustre le défi que représente une dette paralysante pour un peuple qui lutte pour reprendre un pouvoir politique confisqué. Jacques Bouchard démystifie l’aveuglement idéologique de nos dirigeants politiques qui continuent de prôner la croissance à tout prix alors qu’elle nous mène à une catastrophe écologique. Pour construire le Québec de « demain » le choix est clair la croissance ou la survie. La chronique de Chantal Santerre montre que toute politique qui s’appuie sur le marché est un leurre. Parce qu’il ne prend pas en compte les impacts négatifs des activités économiques, le marché ne permet pas de faire les choix politiques qui s’imposent si nous voulons sauver la planète. Dans la chronique LIVRES, Jacques Bouchard nous présente la réflexion de deux économistes qui démystifient la monnaie afin qu’elle devienne un bien commun et un outil d’émancipation vers une économie humaine et écologique.
LE BILLET DU CA

Pour une sortie de crise sociale, écologique et démocratique

par Bertrand Guibord
Le billet du CA

Dans « La Stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre »1 , Naomi Klein analyse et documente comment les forces néolibérales utilisent les crises qui déstabilisent périodiquement nos sociétés pour faire avancer leur agenda politique et économique. Elle y recense de nombreux exemples, un peu partout sur la planète, où une telle stratégie a été employée pour forcer l’implantation de mesures antisociales qui auraient par ailleurs rencontré une vive opposition de la part de la société civile et des militant.e.s progressistes. En profitant de la peur, de la désorganisation et des traumatismes suivant le « choc », les profiteurs de ce monde arriveraient ainsi plus facilement à imposer leur volonté à l’ensemble de la société.

Le parallèle avec la situation que nous vivons actuellement n’est pas difficile à établir. La crise de la COVID-19 représente en effet un choc d’une ampleur et d’une envergure inédites depuis des générations : partout sur la planète, les morts s’accumulent, et les populations vivent dans la crainte d’être infectées par le virus. Nos habitudes ont été bouleversées, tant au plan de notre vie personnelle que de notre action citoyenne, ce qui déstabilise la société civile et complique le travail de résistance.

Il apparaît évident que la situation actuelle pourrait facilement être utilisée par la droite économique et politique afin de privilégier ses intérêts au détriment de ceux de la population en général. Les lobbys procapitalistes qui pèsent sur les gouvernements, au Québec, au Canada et partout dans le monde, chercheront sans doute à sortir « gagnants » de la crise – dans la mesure où une telle chose est possible. En tout état de cause, la crise pandémique et ses conséquences financières sur les États entraîneront inévitablement des changements, que nous le voulions ou pas. Les gouvernements se sont beaucoup endettés pour répondre à l’urgence sanitaire, qui a par ailleurs révélé les failles du système quand vient le temps de répondre aux besoins de la population, si bien qu’il faudra, d’une manière ou d’une autre, en prendre acte et réagir.

Le projet de loi 61 de la CAQ – mis de l’avant sous le prétexte de la relance de l’économie – laisse clairement comprendre dans quelle direction le gouvernement québécois souhaite entraîner la population lors de la sortie de crise. Le premier ministre Legault a d’ailleurs annoncé son intention de le ramener lors de la session parlementaire de l’automne, en précisant bien qu’il n’hésiterait pas à employer le bâillon pour l’imposer, comme il l’a d’ailleurs fait à quelques reprises depuis son arrivée au pouvoir..2 C’est dire que les forces de droite sont déterminées à aller de l’avant, sans remettre en question le système qui nous a mené.e.s au bord du gouffre social, économique et écologique.

L’Appel pour un autre monde (L’Aiguillon no 63, mai 2020 ), tire en quelque sorteappel_2.jpg son origine de ces changements inévitables qui nous attendent. Quoi que nous voulions, la crise aura des conséquences. Cependant, Attac Québec, à l’instar de nombreux groupes progressistes, militants et syndicaux, souhaite que ces changements se fassent dans le sens de la justice sociale, de la démocratie et de la protection l’environnement. Pas question de retourner à la routine pré-COVID, où les humains autant que la nature sont exploités outrancièrement au nom du profit de la minorité ! Ceci ne se fera pas automatiquement, ni spontanément : si nous souhaitons que les changements structurels qui découleront de la crise aient des effets positifs pour l’ensemble de la population, il faudra y travailler, nous regrouper et être mobilisé.e.s.

Depuis la publication de l’Appel, du travail a été effectué par différentes organisations, dont Attac Québec, afin de créer le mouvement de convergence et de concertation qui permettra de lutter contre le retour de l’austérité, en faveur des services publics et de l’environnement. Bien qu’au moment d’écrire ces lignes ce travail n’est pas tout à fait effectué, il est solidement entamé. Nous avons la conviction que le mouvement de concertation qui s’annonce réussira à rallier largement les forces progressistes du Québec afin de façonner un avenir à la hauteur de nos aspirations.<img1153|right>

Continuez à suivre la page Facebook et le site web d’Attac Québec pour demeurer informé.e.s de l’avancement de ce projet. Les prochaines semaines seront cruciales : nous devrons être déterminé.e.s, mobilisé.e.s et solidaires pour éviter que la crise ne serve encore une fois à renforcer le système capitaliste qui nuit depuis des décennies autant à la planète qu’à celles et ceux qui y vivent !

Notes

  1. Naomi Klein, La Stratégie du choc : La montée d’un capitalisme du désastre, éd. Actes Sud, Paris, 2008.
  2. Le PL 61 a été abandonné officiellement le 19 aout. La présidente du Conseil du Trésor, Sonia Lebel, déposera une nouvelle version de ce projet de loi à la reprise des travaux parlementaires, le 15 septembre. Ce nouveau texte restera toutefois dans l’esprit du PL61, soit de favoriser la relance économique en accélérant la mise en chantier de projets d’infrastructure, et tiendra compte des amendements apportés en juin dernier, a assuré la ministre Lebel. (source, Radio-canada)

Solidarité internationale et dettes des pays du Sud

par Ronald Cameron
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La pandémie du COVID 19, tout comme la crise économique qui l’accompagne, met à jour, à nouveau, les inégalités entre différentes populations de la planète. Certes, le confinement et le rôle accru des États nationaux dans le déploiement des mesures d’urgence contribuent à ramener les préoccupations sur des initiatives nationales sécurisantes ! Néanmoins, tous n’ont pas les mêmes moyens pour faire face à la crise. Pour construire un Québec plus écologique et solidaire, il importe d’inscrire une démarche de sortie de crise dans une perspective de solidarité internationale. C’est pourquoi les enjeux entourant la dette des pays du Sud reviennent dans l’actualité, notamment à la faveur des événements dramatiques dont nous prenons connaissance.

La solidarité internationale, un combat politique du mouvement altermondialiste

On a trop longtemps associé la solidarité internationale au missionnariat religieux ou à la charité des «riches envers les pauvres». Aujourd’hui, on la réduit trop souvent encore à «l’aide humanitaire». Toutefois, il y a un autre type de solidarité internationale, associé au combat politique de transformation sociale.

Aujourd’hui, l’altermondialisme renouvelle cette solidarité plus internationaliste comme un combat politique anti-systémique, en opposition à la domination mondiale du néolibéralisme et du capitalisme. Elle participe à la lutte contre les inégalités sur la planète et de ce fait exige qu’on mette fin aux pratiques en violation des droits humains et destructrices de l’environnement. Ces inégalités ne sont pas le résultat d’un phénomène naturel, mais celui d’un processus d’accaparement de richesses et de pouvoir au détriment des peuples et de la planète.

Agir en solidarité internationale au Québec et au Canada, c’est soutenir le mouvement de boycottage, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre Israël, les luttes contre l’extractivisme, notamment celles qui impliquent des investissementsbds3_r.jpg canadiens comme ceux de la Caisse de dépôt en Colombie, les manifestations contre les interventions militaires américaines en Iran, le libre exercice de la souveraineté des pays du Sud contre les droits des transnationales dans le libre-échange. Les campagnes d’aide humanitaire ou les pressions pour la libération de dissidents politiques en Chine, au Chili ou en Arabie Saoudite, conservent toute leur pertinence, mais elles sont d’autant plus importantes qu’elles s’inscrivent dans un combat politique anti-impérialiste, en opposition au capital mondialisé et au néolibéralisme, qu’il soit chinois ou occidental.

Pour faire face aux défis de la pandémie, de la crise économique et aussi ceux liés aux changements climatiques, une profonde remise en question des systèmes de production et de consommation est à l’ordre du jour. Alors que les pays occidentaux disposent de moyens énormes pour soutenir leur économie, les pays du Sud peinent à contrer la pandémie et l’augmentation de la pauvreté.

Accroître les budgets d’aide internationale ne suffira pas, étant donné les exigences du point de vue même humanitaire. Aussi, cette aide est souvent intégrée aux politiques commerciales des pays du Nord envers le Sud, quand elle n’est pas carrément une aide liée. Les populations des pays du Sud doivent disposer de moyens pour agir en pleine souveraineté. Dans ce cadre, soutenir l’annulation des dettes des pays du Sud vise à briser «un des nœuds qui fait tenir le vieux monde, celui qui résiste à la décolonisation, qui maintient la dépendance et qui renforce les discriminations» 1.

Les enjeux entourant le remboursement de la dette par les pays du Sud

Les ententes de remboursement de la dette entre les pays du Sud et les institutions internationales de la mondialisation néolibérale comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale ne tiennent plus. Il est impossible pour ces pays de respecter les exigences de remboursement, un mécanisme central de mise en œuvre des politiques d’austérité. La remise en question du remboursement de la dette et la contestation des dettes illégitimes sont des conditions nécessaires pour engager une sortie de crise égalitaire et respectueuse des réalités et de l’exploitation qu’ont subie ces pays dans le passé. rsz_afrique_ronald_50.jpg

Selon les évaluations d’une ONG européenne, les quarante-six pays africains aux revenus parmi les plus faibles dépensent quatre fois plus pour rembourser la dette qu’en santé (7,8 % du PIB contre 1,8 %) 2. Par ailleurs, Oxfam estime que les conséquences de la présente crise sanitaire et économique pourraient précipiter un demi-milliard de personnes dans la pauvreté 3. On parle aussi d’un recul énorme de la fréquentation scolaire. Pas surprenant de constater qu’une coalition de 205 organisations de la société civile du monde entier demande l’annulation de tous les paiements de dette extérieure en 2020 et des financements additionnels d’urgence qui ne créent pas de nouvelles dettes 4.

Par ailleurs, la suspension du service de la dette lancée par le G20 en avril dernier prend des allures de résistance à l’annulation des dettes et de défense des privilèges des pays impérialistes. Selon un rapport du Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad), les critères pour limiter la générosité de la mesure excluent les pays du Sud parmi les plus touchés par la pandémie! Aussi, le rapport évalue que la mesure du G20 ne concerne que 3,65 % des paiements de dette en 2020 par les pays en développement et ne fait que les reporter, sans les annuler! 5

L’annulation des dettes extérieures pour l’année 2020 pour 69 pays classés par le Fonds monétaire international (FMI) comme pays à faible revenu leur permettrait d’économiser jusqu’à 25 milliards US. À comparer aux milliers de milliards investis dans les pays du Nord pour soutenir l’économie domestique, il s’agit d’une somme modeste tout compte fait.

L’actualité du combat en solidarité internationale demande d’agir maintenant concernant la dette des pays du Sud, afin de susciter le développement d’une résistance mondiale aux politiques d’austérité que le FMI, la Banque mondiale et les classes politiques des différents États voudront mettre en place avec la sortie de crise. Les enjeux concernant les dettes des pays du Sud s’inscrivent au cœur du combat pour la justice sociale et climatique.

Le drame libanais et la dette!

Au moment d’écrire ces lignes, le nombre de morts continue d’augmenter après les terribles explosions dans la ville de Beyrouth, où vivent 30 % de la population libanaise. La ville est dévastée à moitié, plus de 300 000 personnes sont sans abris et le nombre de blessés est de plus de 7 000! Plus de la moitié de la population du pays se retrouve sous le seuil de la pauvreté. La cause de la déflagration, soit l’accumulation non sécuritaire de matières dangereuses, est à mettre en relation avec les coupures drastiques que les gouvernements successifs ont appliquées à la population, en protégeant la corruption mise en place depuis des années. Les mobilisations de l’automne dernier, qui ont réussi à chasser le chef de la corruption, Michel Aoun, semblent pouvoir se répéter, alors qu’une dizaine de députés ont démissionné et que de nouvelles élections sont appelées par le nouveau gouvernement de technocrates qui n’aura duré que trois mois.

Au cœur de la crise économique est la question de la dette. Pour la première fois de son histoire, juste avant la pandémie début mars, le Liban s’est déclaré en défaut de paiement de 1,2 milliard de $. La dette totale s’élève à 92 milliards de $, soit 170 % du PIB, alors qu’elle n’était que de quelques milliards à la fin de la guerre en 1990. Depuis, le Fonds monétaire international est sur place pour trouver une solution, non pas pour annuler la dette, mais la « restructurer », pour éviter que le pays ne se retrouve à nouveau en défaut de paiement. Si le peuple libanais réussit à chasser à nouveau son gouvernement, le moins qu’on puisse faire c’est qu’il puisse agir sans avoir à traîner une dette qui l’en empêche!

Notes

  1. Gustave Massiah, Allocution lors de la cérémonie de lancement de l’Appel pour l’annulation de la dette africaine dans le cadre de la Covid-19, Dakar, 23 juin 2020 http://alter.quebec/le-lancement-de-lappel-pour-lannulation-de-la-dette-publique-africaine-est-un-evenement-majeur/
  2. Milan Rivié, Jeu de dupes sur la dette des pays pauvres —Le Club de Paris marginalisé au bal des créanciers, Le Monde diplomatique, juin 2020, https://www.monde-diplomatique.fr/2020/06/RIVIE/61866 .
  3. Plateforme Dette et développement, Covid-19 : Annuler la dette pour sauver des vies, Paris, 15 juillet 2020. https://dette-developpement.org/Covid-19-Annuler-la-dette-pour-sauver-des-vies
  4. Collectif, Déclaration commune des 205 organisations de la société civile du monde entier, Un jubilé de la dette pour lutter contre la crise sanitaire et économique du Covid-19, mardi 7 avril, https://dette-developpement.org/Un-jubile-de-la-dette-pour-lutter-contre-la-crise-sanitaire-et-economique-du?var_hasard=6762433145e8c2515b76f2 .
  5. Plateforme Dette et développement, Les limites de l’Initiative de la suspension du Service de la Dette du G20, le jeudi 16 juillet 2020, https://dette-developpement.org/Les-limites-de-l-Initiative-de-Suspension-du-Service-de-la-Dette-du-G20

L’obsession de la croissance

par Jacques Bouchard
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Alors que la COVID-19 continue ses ravages à travers le monde avec beaucoup plus d’acuité dans les Caraïbes, au Brésil et aux États-Unis, il est dramatique – mais finalement pas réellement surprenant – de constater comment les dirigeants politiques continuent de se référer à l’impératif productiviste de croissance et à la pensée économique traditionnelle pour envisager l’avenir en faisant fi des contradictions entre l’économie et l’écologie qui ne peuvent être plus évidentes qu’en ce moment, deux verrous qu’il faudrait pourtant faire sauter pour inventer une économie soutenable.

Les dirigeants politiques et économiques, plus par idéologie que par manque de connaissances, font abstraction presque complètement des constats de la dégradation rapide de l’écosphère : insensibles aux cris d’alarme successifs des scientifiques, rapport après rapport, mais aussi aux observations quotidiennes de la multiplication des conséquences de notre modèle économique : incendies majeures de forêts en Australie, au Brésil, en Californie, fonte du pergélisol en Sibérie et des glaces dans le Nord Canadien, agonie des glaciers presque en direct, canicules qui se succèdent, etc. Preuves de cet aveuglement idéologique, les propos du ministre de l’Environnement du Québec sur son rôle dans la relance économique et le dépôt du projet de loi 61 au Québec qui consacre cette obsession de la croissance, projet de loi qui méritera toute notre attention cet automne. Soulignons également les allégements fédéraux de la procédure environnementale sur l’exploitation du pétrole qui font en sorte que les pétrolières n’auront plus besoin de procéder à une étude d’impact et d’obtenir l’approbation de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) avant d’amorcer leurs séries de forages en milieu marin au large de Terre-Neuve, «zone d’importance écologique et biologique» qui compte «une grande diversité, y compris plusieurs espèces en déclin».

Selon les dernières informations disponibles (il faut ajouter les effets de la fonte du pergélisol et sa production de méthane), il faudrait maintenir une réduction annuelle des émissions de CO2 d’au moins 7,6 % au cours des 10 prochaines années pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Sans compter la lutte à mener contre la dégradation des sols et de la biodiversité alors qu’il nous faudrait six planètes pour conserver notre mode de vie occidental.

Les politiques, les entreprises et les médias, pour des raisons économiques, nous proposent au mieux une transition énergétique qui se résume le plus souvent à l’adoption d’un bouquet de technologies dites «vertes» : voitures électriques, bâtiments à énergie positive, énergies dites renouvelables. Elle consiste à nous faire croire qu’une transition sans douleur est possible.

Continuez à consommer, ne changez pas vos habitudes puisque la technologie trouvera une solution aux problèmes écologiques! Le capitalisme vert et le développement durable ne sont que des théories qui colportent une vision totalement irresponsable sur le plan politique à moyen et long terme, car elle fait porter sur les générations futures le poids de nos décisions. Dans ce modèle, il ne s’agit pas de réduire la consommation, mais de proposer simplement des objets et des services moins énergivores consommés en quantité croissante. Nous devons prendre conscience que notre confort est fondé sur le pillage de la nature, des peuples et sur les générations futures (externalisation des coûts sous forme de polluants, problèmes de déchets, etc.?)

Cette obsession de la croissance économique, mesurée par le PIB, passe par le renouvellement permanent et continu de nouveaux produits offerts aux consommateurs et consommatrices. Elle est fortement encouragée par les pouvoirs publics, car elle promet la création d’emplois qui génèrent des recettes fiscales (pourvu que les lois fiscales soient adéquates). Pour reprendre les propos d’Éloi Laurent : «il faut constater que le PIB est borgne quant au bien-être économique, aveugle au bien-être humain, sourd à la souffrance sociale et muet sur l’état de la planète. La croyance dans la croissance est soit une illusion soit une mystification… Au lieu de se préoccuper de la croissance, les décideurs devraient se préoccuper du bien-être (le développement humain), de la résilience (la résistance aux chocs, notamment écologiques) et de la soutenabilité (le souci du bien-être futur)».1

Ce n’est pas seulement la mesure qu’il faut remettre en question, c’est notre obsession pour la croissance qu’il faut revoir. Il faut en finir avec l’idée que toute activité économique, quelle qu’elle soit, «crée de la valeur». Il faut en revenir à l’essentiel, le bien commun, et les politiques dites « de relance » n’ont de sens que si elles incluent des perspectives de long terme et engagent les réorientations indispensables de notre système économique comme le font remarquer nombre de critiques de notre système économique. Depuis le déclenchement de la pandémie, nous avons eu droit à une multitude de réflexions sur les possibles du monde « d’après » et un grand nombre de pistes concrètes pour sortir des crises auxquelles l’humanité est confrontée nous ont été proposées.

En fait, notre choix est assez simple, la croissance ou notre survie. Si nous voulons faire face à la catastrophe climatique et biosphérique, il faut changer le système. Les luttes sont multiples, mais aucune d’elles ne peut ignorer cet impératif.

Notes

  1. Laurent, Éloi, Sortir de la Croissance, mode d’emploi, Les liens qui libèrent, 2019
LES FINANCES PUBLIQUES POUR LES NULS

L’utilité des finances publiques pour réduire notre empreinte écologique

par Chantal Santerre
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En ce temps de pandémie, on entend beaucoup parler de celle-ci comme une opportunité pour faire des changements importants au niveau économique afin de permettre que la relance se fasse dans le respect de l’environnement et favorise l’atteinte des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le 28 avril 2020, dans une lettre d’opinion publiée dans le New York Times, M. Guterres, secrétaire général des Nations unies, proposait six orientations ayant un impact positif sur le climat que devraient considérer les gouvernements dans leurs plans de relance de l’économie.

1. Les investissements des gouvernements doivent accélérer la sortie du carbone pour tous les secteurs de l’économie.

2. Il faut que les sommes investies par les gouvernements servent à créer des emplois verts et à aider des entreprises qui ne polluent pas et qui font du développement durable

3. Il faut que la fiscalité permette une transition économique juste.

4. Il faut investir dans des projets qui prennent en compte les risques climatiques, cesser de subventionner l’industrie des énergies fossiles et faire payer les pollueurs.

5. Le système financier doit dans l’ensemble de ses décisions prendre en considération l’impact sur l’environnement dans l’évaluation des risques et des opportunités. Les investisseurs ne peuvent pas continuer d’ignorer le prix payé par notre planète pour la croissance économique non durable.

6. De la même manière que le coronavirus ne respecte pas les frontières, les GES font de même. Aucun pays ne peut réussir seul. Il faut s’unir. L’isolement est un piège.

Les mesures proposées par M. Guterres font ressortir le fait que le marché ne parvient pas à prendre en considération le climat et que les gouvernements doivent intervenir. Cela voudrait dire que le marché n’est pas la solution à tout? Que le marché n’est pas optimal? Que le marché n’est pas omnipotent?

Le concept de marché

Il est communément reconnu qu’il arrive que le marché ne parvienne pas à être optimal, en raison de ce que les économistes appellent des défaillances ou des inefficiences du marché. Cela se produit lorsque le mécanisme de fixation des prix ne parvient pas à bien allouer les ressources. Cela arrive dans au moins sept cas de figure. Celui qui nous intéresse ici se produit lorsque l’action d’un agent économique a des conséquences sur un ou des tiers qui ne sont pas partie prenante de l’action : une telle inefficience du marché est ce qu’on appelle une «externalité».

Plus précisément, une externalité survient lorsque les coûts et/ou les bénéfices provenant d’une activité économique ne sont ni assumés par, ni ne bénéficient aux, selon le cas, personnes impliquées dans cette activité. Une externalité ainsi entendue peut être positive ou négative.

L’éducation publique et assumée par tous est un exemple «d’externalité positive»: les employeurs qui bénéficient de cette main-d’œuvre qualifiée en retirent en effet des bénéfices sans en assumer les coûts.

lac_chantal_25.jpgUne «externalité négative» survient quant à elle, par exemple, lorsqu’une entreprise déverse dans une rivière des contaminants. Elle bénéficie alors de l’économie liée au fait de produire à moindre coût en n’assumant pas le coût de traiter les contaminants. Le prix de ce produit ne reflète donc pas le coût social qu’impliqueront la décontamination de cette rivière et la perte de la jouissance d’une eau non polluée.

On reconnaît généralement que le réchauffement climatique dû aux émissions de GES est la pire et aussi la plus préoccupante des externalités négatives. Elle est la pire notamment pour sa gravité et parce qu’elle est causée par l’activité humaine en général; et c’est la plus préoccupante parce que nous ne détenons pas l’information au sujet de l’impact écologique des actions que nous posons. Cela a pour conséquence d’encourager des comportements qui vont à l’encontre de choix rationnels qui pourraient être faits par les consommateurs s’ils avaient toute l’information concernant les émissions de GES des produits qu’ils consomment.

Nous constatons donc ici que le mécanisme de prix, contrairement à ce que dit le modèle théorique, ne parvient pas à jouer adéquatement son rôle, qu’il n’est pas transparent et qu’il nous empêche même de faire les choix collectifs qui s’imposent. Il nuit donc au fonctionnement d’une saine démocratie.

Les mesures proposées par M. Guterres demandent que l’intervention des États et de l’ensemble des agents économiques pour relancer l’économie prenne en compte l’impact sur l’environnement. En ce temps de pandémie, l’intervention des États est justement revenue à la mode. Cela va, on l’espère, nous permettre de sortir de la crise sanitaire : mais cela pourrait aussi pallier à l’inefficience du marché et contribuer à nous sortir de la crise environnementale.

Comment prendre en compte le climat?

Au cours des dernières décennies, des réglementations pour inciter les pollueurs àfinance_chantal50.jpg utiliser des équipements moins polluants ou à diminuer leurs émissions ont connu un relatif succès. Des taxes environnementales sont aussi tenues par certains comme un moyen d’intervention pouvant être efficace dès lors qu’elles apportent un incitatif financier à émettre moins de GES. Mais peu importe le moyen que l’on met en place pour internaliser les externalités, le plus difficile est de déterminer la valeur de tous les impacts négatifs qu’elles peuvent générer.

Les économistes reconnaissent que lorsque le marché est inefficient, l’intervention étatique est justifiée et légitime. La science nous fournit une gamme d’options pour ce faire et réduire les émissions de GES. Une action gouvernementale ferme et délibérée est nécessaire pour imposer ces mesures et nos gouvernants doivent donc agir. L’État possède le pouvoir de légiférer. Comme nous le disions précédemment, il peut limiter par des lois les émissions de GES; il peut aussi percevoir des taxes et mettre sur pied des incitatifs financiers pour diminuer les émissions de GES, soit par l’amélioration des technologies, mais aussi par la reforestation.

Nous avons donc des moyens pour agir contre la pire des externalités, le réchauffement planétaire. Ce qui fait défaut, c’est la volonté politique d’agir : M. Guterres fait un pas dans la bonne direction en faisant appel aux États. Il nous revient donc à nous, comme citoyens, de faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils agissent, et qu’ils le fassent rapidement.

Parce que le marché à lui seul, par définition, n’y parviendra pas. Plus profondément, cela signifie aussi qu’il nous faudra renoncer à cette mortifère utopie d’une croissance illimitée.

 

LIVRES

Une monnaie écologique, Alain Grandjean et Nicolas Dufresne, Édition Odile Jacob, mars 2020

par Jacques Bouchard
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«Il faut savoir combiner le pessimisme de la lucidité et l’optimisme de la volonté». Antonio Gramsci 1

 

Dans sa chronique du 28 mars dernier, Stéphane Foucart, journaliste au Monde écrivait : «Avec le Covid-19 viendra donc peut-être le temps de la magie, où les liquidités pourraient apparaître là où l’on jurait qu’elles ne pouvaient plus se trouver. À l’occasion de la pandémie, la sorcellerie monétaire pourrait sortir du giron des banques commerciales et des banquiers centraux pour redevenir un instrument politique, un outil remis à sa juste place dans le fonctionnement de la société. La mise à l’arrêt de l’économie induite par la progression fulgurante d’une infection virale pourrait de fait engendrer les conditions d’un changement profond de politique monétaire – changement que nombre d’environnementalistes réclament, jusqu’ici en vain, – pour financer la transition écologique. C’est peut-être un virus qui fera la révolution que nous n’avons pas faite.»

Belle façon de présenter la réflexion importante de deux économistes Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne, qui nous invitent à démystifier la monnaie afin de se l’approprier et d’en faire un bien commun afin qu’elle devienne un outil d’émancipation vers une économie respectueuse de nos obligations écologiques et humaines.

Cette réflexion est doublement pertinente, car elle nous est proposée alors que les gouvernements partout dans le monde engagent des milliers de milliards de dollars pour soutenir l’économie dans et au sortir de cette crise sanitaire. Cela ne manque pas de nous interpeller sur les options qui s’offrent à nous pour que le carcan de l’immense dette qui se profile ne paralyse pas l’action publique en faveur du climat au lendemain de cette pandémie alors que les besoins d’investissements seront massifs.

D’autant que nos gouvernements jusqu’ici ont fait la sourde oreille aux arguments des scientifiques quant à l’urgence d’investir volontés et moyens dans la lutte contre la destruction de la planète. Au moment d’écrire ces lignes, dans le contexte de la pandémie, on remet déjà en question les investissements du programme de l’Union européenne pour le climat (Green Deal) qui, pourtant, sont largement insuffisants pour atteindre l’objectif de ne pas dépasser le fatidique 1,5 °C de réchauffement.

Les auteurs relèvent que, selon le Fonds monétaire international (FMI), l’endettement public et privé a atteint 184 000 milliards de dollars en 2017, soit l’équivalent de 225 % du PIB mondial. L’endettement privé représenterait ainsi 115 000 milliards de dollars contre un peu moins de 70 000 milliards de dollars pour l’endettement public. Or, cette montagne de dettes accumulées prive déjà les États, et une partie du secteur privé, des moyens concrets d’agir.

La raison de cet endettement massif n’est pourtant pas à rechercher du côté du gaspillage des dépenses publiques, ou du seul côté des cadeaux fiscaux faits aux plus fortunés aux dires des auteurs. La raison profonde, toujours selon eux, est à rechercher du côté des mécanismes monétaires qui lient étroitement masse monétaire et endettement. Alors que de multiples explications de la dette publique sont évoquées : ralentissement de la croissance, taux d’intérêt souvent supérieurs aux taux de croissance, concurrence internationale entre États qui favorisent la baisse des prélèvements sur les bases fiscales les plus mobiles, inégalités qui poussent à l’endettement, mauvaise gestion publique, etc. ; aucune ne fait cependant le lien avec la manière dont la monnaie est créée, pourtant bien plus fondamentale, nous semble-t‑il, dans l’explication des causes profondes de la dette.

Les auteurs nous donnent des pistes pour comprendre l’incapacité du système monétaire et financier pour affronter les défis économiques et sociaux du moment. Il serait illusoire ainsi d’en fournir une démonstration étoffée en quelques lignes. J’en retiens quelques lignes pour alimenter votre curiosité.

• Le volume et l’orientation de la masse monétaire échappent complètement à la banque centrale, ce qui favorise une mauvaise allocation de la masse monétaire et l’apparition de crises financières;

• Les banques centrales n’influent qu’indirectement et marginalement sur le volume de la masse monétaire;

• Une grande partie de la monnaie centrale injectée par les banques centrales s’est retrouvée piégée sur le marché interbancaire et sur les marchés financiers. Tous les indicateurs confirment déjà cette tendance à la déconnexion entre activité économique réelle et dynamique des marchés financiers;

• L’action de la politique monétaire est en grande partie paralysée par le filtre opéré par les banques entre la banque centrale et les acteurs économiques, ce qui constitue un obstacle majeur pour agir massivement en faveur de la transition écologique. Les autorités monétaires, dans le contexte actuel, n’ont pas la capacité d’agir pour mieux orienter le flux de création monétaire vers des activités productives et utiles à la société.

Ils nous offrent également une critique du principe de neutralité de la politique monétaire, lui-même appuyé sur le principe de libre concurrence, qui dans les faits, en favorisant les achats d’actifs financiers et en « gavant » les banques de liquidités ne fait qu’augmenter les richesses de ceux qui en possédaient déjà. Or, au contraire, nous avons besoin d’une banque centrale indépendante et démocratique qui doit œuvrer à augmenter les financements souhaitables vers des activités durables et vertes en plus de réduire les flux financiers vers des activités polluantes. «Neutralité monétaire, neutralité carbone et liberté complète du marché ne peuvent pas aller de pair», concluent-ils.

Leurs propos sont enrichis d’une analyse de l’arme monétaire dans l’histoire (notamment la reconstruction économique de l’Allemagne, le New Deal américain, la politique monétaire expansionniste chinoise) qui leur fait conclure que la capacité des États d’intervenir repose sur leurs capacités à maîtriser et orienter la création monétaire. Par comparaison, disent-ils, «nous sommes aveuglés par nos principes idéologiques de marché libre et de neutralité de la monnaie qui nous empêchent de faire des choix, et de les financer efficacement». Il est clair que la dimension écologique échappe à la logique du marché et que ce marché ne dispose pas non plus des outils financiers adéquats pour cela, malgré ce qu’on peut dire des obligations vertes.

À ce constat, ils proposent diverses pistes de solutions dont celle d’agir sur l’éligibilité des titres au refinancement de la banque centrale, démultiplier la force des banques publiques d’investissements, mais surtout une solution radicalement innovante à savoir l’introduction ciblée de monnaie libre (c’est-à-dire une création monétaire sans dettes en contrepartie), selon des mécanismes démocratiques faisant appel au caractère de bien commun de la monnaie. Ils nous proposent également d’imaginer un mécanisme de création monétaire à l’échelle mondiale (ils suggèrent que cela se fasse sous l’égide de l’Organisation des nations unies (ONU), notamment pour financer le Fonds vert, mais aussi pour réguler le système financier international.

Je leur laisse le mot de la fin : «Il existe des opportunités importantes et des solutions concrètes pour réorienter la finance et la politique monétaire vers un développement économique durable et respectueux de la nature et des hommes. Si nous choisissons aujourd’hui de les ignorer, nous en serons redevables demain auprès des générations futures.»

Pour compléter la réflexion :

Les économistes atterrés (J-M. Harribey. E.Jeffers, J.Marie, D,Plihon, J-F. Ponsot, La monnaie un enjeu politique (Manuel critique d’économie monétaire), éditions du Seuil, janvier 2018.

Laurence Scialom et Baptiste Bridonneau, Terra Nova, Crise économique et écologique : osons des décisions de rupture, 2 avril 2020. http://tnova.fr/notes/crise-economique-et-ecologique-osons-des-decisions-de-rupture

Notes

  1. Gramci Antonio, Cahiers de prison, Lettre à son frère Carlo écrite en prison, 19 décembre 1929, Éditions Gallimard, 1996, cité dans Une monnaie écologique p. 53

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