Entrevue avec Alain Deneault et Pierre Henrichon sur la fondation d’Attac – propos recueillis par Jeanne Gendreau, le 5 mars 2021
Une militante engagée de la première heure
Entrevue avec Luce Prévost
Selon Luce Prévost, le Monde diplomatique a définitivement été l’élément déclencheur de la naissance d’Attac Québec. C’est lors d’une conférence organisée par les Amis du monde diplomatique qu’elle a rencontré Pierre Henrichon. À l’invitation des Amis du monde diplomatique, un membre fondateur d’Attac-France était venu donner une conférence qui a favorisé le contact entre ceux qui seront les premiers à décider qu’il fallait agir à Montréal. Pendant des mois, les réunions de fondation se tiendront dans son appartement. Son adresse a été l’adresse officielle d’Attac Québec jusqu’en 2007.
Pendant plus de 15 ans, elle sera la cheville ouvrière de l’organisation d’Attac : comptable, trésorière, responsable de la liste des membres, organisatrice matérielle des assemblées annuelles et des journées d’études et autres événements, relectrice des textes et des publications.
Du contexte de la fin des années 90 au Québec, elle se souvient qu’il existait au sein de la population en général peu d’intérêt pour la politique au sens large. Le discours néo-libéral était dominant tandis que celui des gauches traditionnelles perdait son emprise. Il existait peu de groupes alternatifs. Ainsi est née l’idée de contribuer à l’éducation citoyenne en développant un esprit critique et un autre regard sur la société.
«Attac Québec est née à la fin des années 90 de la décennie du capitalisme triomphant», affirme Alain Denault, heureux de partager ses souvenirs sur la création d’Attac Québec dans une entrevue réalisée conjointement avec Pierre Henrichon, premier président d’Attac Québec. Ils ont été parmi les premiers Québécois-e-s à s’être mobilisé-e-s autour de l’appel d’Ignacio Ramonet, lors de son éditorial historique dans Le Monde diplomatique. La toute nouvelle Attac-France venait d’être créée et plus d’un-e voyaient dans la Taxe Tobin une mesure susceptible de redistribuer la richesse mondiale. C’est dans cet esprit qu’Alain Deneault, Pierre Henrichon et quelques autres ont fondé Attac Québec.
Pour renoncer à utiliser le langage des « vaincus » – Alain Deneault
Avec sa verve habituelle, Alain Deneault décrit ce que fut cette « fin de siècle » qui avait vu s’effondrer, en même temps que le Mur de Berlin, le discours des gauches traditionnelles : le capitalisme mondialisé et financiarisé avait gagné la guerre froide. Cette victoire était célébrée lors des grands sommets ostentatoires rassemblant les dirigeants des pays les plus riches. Les discours de toutes les gauches – marxiste, socialiste-social-démocrate – étaient KO : les symboles du passé communiste et socialiste faisaient même partie du spectacle. Alain Deneault se rappelle ces panneaux publicitaires où Mao était coiffé d’un chapeau haut-de-forme et Staline en petit consommateur.
Le discours unique du néolibéralisme triomphateur obligeait un contre-discours minimal. Il fallait « au moins tenter de sauver quelque chose! », mais surtout « renoncer, pour un temps, à utiliser le langage des vaincus ».
Vouloir taxer les opérations financières, dénoncer les paradis fiscaux et l’évasion fiscale, s’en prendre finalement à ces inégalités visibles générées par un capitalisme sans gêne – dont les malversations scandaleuses se faisaient presque ouvertement – ont été, à l’époque de cette fin de siècle, des idées très mobilisatrices pour plusieurs militants et militantes de gauche sur la défensive, souvent dispersées et – sans doute – déçues, voire amères.
Tel est le climat décrit par un de ceux qui ont voulu résister et porté la première bannière d’Attac, voyageant en roulotte avec d’autres réseaux en s’arrêtant dans des villes au Canada pour expliquer la taxe Tobin et contrer le discours néolibéral. Ces sujets étaient balbutiants à l’époque. Le but du voyage était nul autre que la protestation contre l’Organisation mondiale du commerce à Seattle en 1999. « Moment inspirant », qui a créé, raconte encore avec passion Alain Deneault, une « dialectique politique mondiale entre capitalistes et altermondialistes ». Bien qu’il ait quitté Attac un an après sa fondation pour terminer ses études en France, il a participé à des forums sociaux et différents contre-sommets, animé par cette conscience altermondialiste qui est devenue un vaste mouvement international par la suite. Malheureusement, poursuit-il, le drame du 11 septembre 2001 a occulté cette dynamique en opposant l’Occident au terrorisme international : « même le capital, ironise-t-il, s’ennuyait de l’URSS ».
Le souci de bâtir des alliances stratégiques – Pierre Henrichon
C’est Pierre Henrichon, finalement, qui a consolidé le mouvement Attac Québec tel que nous le connaissons aujourd’hui. Interpellé lui aussi par l’éditorial du Monde diplomatique lors de recherches pour un film sur la mondialisation, il s’est vite rallié au petit groupe de départ. Il a signé le texte fondateur toujours accessible sur notre site. Il a été le premier instigateur et organisateur du congrès de fondation d’Attac en avril 2000. Il a été l’éditeur, le rédacteur et l’éditorialiste du Bulletin numéro 1, décembre 2000. (maintenant L’ Aiguillon) 1.
Pierre Henrichon a milité pendant trois ans et demi à Attac. L’objectif de départ était de forger des alliances entre groupes : associations, syndicats, réseaux sociaux, etc. pour que le mouvement Attac s’approprie les domaines des transactions financières et des paradis fiscaux et soit reconnu pour son expertise et sa formation citoyenne dans ce domaine spécifique.
Il privilégiait une approche de sensibilisation auprès de la classe politique et même des petites et moyennes entreprises, pour créer un noyau d’influenceurs capables de proposer des projets de lois et d’arracher un peu de transparence et d’argent à l’intérieur du système. D’après Pierre Henrichon, il y a eu trois étapes identifiables dans la première histoire d’Attac : l’appel spécifique relié à la taxe Tobin, la mobilisation contre le Sommet des Amériques en 2001 à Québec et finalement, le travail d’analyse et de contestation des traités de libre-échange. Cette troisième étape marque son départ et l’arrivée de Claude Vaillancourt comme président.
Deux niveaux de militantisme?
Pour Alain Deneault, faire partie et militer dans un groupe comme Attac amène nécessairement plus loin à gauche, alors que « la conscience publique nous oblige à aller plus au centre ». Par contre, précise-t-il, dénoncer les paradis fiscaux révèle le mécanisme du système capitaliste et peut servir de tremplin à une conscience de plus en plus claire des profondes inégalités qu’il génère. Il décrit ainsi deux « degrés » de militantisme susceptibles de se retrouver dans un groupe comme Attac.
Pour Pierre Henrichon, créer des documents, des livres, multiplier des séances de formation, journées d’études, colloques, etc. où sont mises en lumière – tout en dénonçant leur opacité – les dérives du capitalisme semblent constituer la raison<img1275|right> d’être d’Attac. « Mais nous étions alors en mode défensif et je craignais que ça démobilise les gens ».
La conversation aurait pu continuer plus longtemps, mais ce sont là l’essentiel du contexte et des préoccupations que Pierre Henrichon et Alain Deneault ont partagé avec nous sur la naissance d’Attac Québec. En conclusion, le premier président d’Attac veut saluer ainsi le travail du groupe actuel :
«Je lève mon chapeau aux personnes qui sont engagées actuellement dans Attac qui ont su garder la flamme allumée, plus de 20 ans plus tard!»
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