L'Aiguillon, le bulletin d'ATTAC Bulletin spécial : élections fédérales 2019

Bulletin spécial: élections fédérales 2019

Bulletin no 61 - Octobre 2019

À la veille des élections fédérales, Attac s’est penché sur les programmes des partis qui s’affrontent pour connaître leurs positions en ce qui concerne les sujets qui nous mobilisent. Le bulletin vous présente le résultat de son analyse.

Le billet du CA

La question de l’urne

par Ronald Cameron
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«Le Canada n’en fait pas assez sur les changements climatiques». – Greta Thunberg à Justin Trudeau

 

Justin Trudeau, le chef du gouvernement qui a décidé d’acheter le pipeline Trans Mountain, a participé à la marche sur le climat à Montréal, illustration patente du cul-de-sac que la classe politique nous propose pour le climat. Cette incursion dans un rassemblement populaire n’est pas sans rappeler la présence de son père, Pierre Elliott Trudeau, alors premier ministre du Canada, au défilé de la Fête nationale du Québec, le 24 juin 1968. Tous deux veulent peser de tout leur poids pour résister aux aspirations du Québec.

Des espoirs déçus

image_changeons_le_systeme_billet_du_ca.jpgAprès dix ans de gouvernement conservateur de Stephen Harper, la population canadienne avait choisi en 2015 de donner une majorité au parti libéral de Justin Trudeau. L’enthousiasme de chasser les politiques rétrogrades et l’espoir de voir un nouveau gouvernement mettre en place un sérieux tournant aux politiques économiques et sociales du Canada étaient palpables. Quatre ans plus tard, nous sommes loin des espoirs des dernières élections.

Le présent numéro de L’Aiguillon, le bulletin d’Attac Québec, revient sur les combats que nous menons depuis 20 vingt ans bientôt. Qu’en est-il des promesses en regard des paradis fiscaux? Sommes-nous satisfaits de l’ACÉUM, cet accord de libre-échange qui remplacera l’ALÉNA et que le gouvernement Trudeau présente comme une réussite? Combien de plus les GAFAM de ce monde paient-ils en redevances fiscales aujourd’hui, en comparaison d’il y a quatre ans?

L’abandon de la réforme du mode de scrutin et le maintien de règles qui limitent le débat public contribuent aussi au passif du bilan des libéraux en matière d’action citoyenne et de liberté d’expression. Non, la légalisation de la marijuana ne peut pas masquer le soutien de ce gouvernement à la financiarisation accrue de l’économie au bénéfice du 1 %.

Ensemble, changeons le système, pas le climat

En lui indiquant que le Canada n’en fait pas assez, Greta Thunberg exprimait ce que des millions d’électeurs et électrices du Canada diront dans l’urne lors du prochain scrutin électoral au Canada.

Toutefois, malgré l’existence de programmes provenant de partis qui ne prendront pas le pouvoir, il y a peu de chances qu’un tel message soit entendu par le prochain gouvernement!

Or, le demi-million de personnes dans les rues de Montréal et les dizaines de milliers d’autres partout au Québec envoient un message sans équivoque sur la direction dans laquelle doivent s’engager les pouvoirs publics dans la prochaine période. Malgré les espoirs déçus, le mouvement social persiste et signe pour une transition écologique juste. C’est pour contribuer à ce débat croissant et tellement nécessaire qu’Attac Québec poursuit une action engagée depuis déjà 20 ans.

Les partis fédéraux vers la transition environnementale et énergétique

par Baptiste Godrie
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Deux semaines après une mobilisation citoyenne historique pour la planète, au Québec et dans le reste du Canada, Attac Québec propose un tour d’horizon des programmes de principaux partis lancés dans la course électorale fédérale en matière d’énergie et d’environnement.

Que retenir de ce tour d’horizon?

Alors que, lors des précédentes élections fédérales, l’économie occupait le devant de la scène, la pression citoyenne, notamment des jeunes ainsi que des groupes autochtones en appui avec d’autres groupes militants de la société civile, place désormais l’énergie et l’environnement à l’avant-plan des débats politiques. Pour la première fois, l’environnement serait même la principale préoccupation des électeurs.trices (22%) comparativement à l’économie et les emplois (12%) et la santé (10%), selon un sondage réalisé au mois de juin et rapporté dans un article du Devoir (Élections fédérales: le vert, la couleur de la campagne?).Cette pression a produit un verdissement inédit des programmes des partis et une course aux enchères dans les annonces sans toutefois conduire à l’ouverture d’un débat sur le modèle économique responsable des dégradations de l’environnement. Le PVC, lors des dernières élections se démarquait à cet égard en évoquant ouvertement les «limites à la croissance» fondées sur la capacité de la planète dans son document de campagne intitulé Vision verte. Cette année, il vante, avec d’autres partis politiques, les mérites de la «transition vers l’économie verte». Cela ne signifie pas que les programmes et les propositions des différents partis se valent en matière de politique énergétique et environnementale comme en témoigne le tableau synthèse ci-dessus; mais l’investissement unanime de la thématique de la transition vers l’économie verte par les partis politiques nous fait prendre toute la mesure de la difficulté à critiquer l’idéologie du capitalisme vert sous-jacente au débat politique sur l’énergie et l’environnement. Il souligne, en revanche, l’importance du travail critique des organisations indépendantes comme Attac Québec dans la promotion d’alternatives qui demeurent des impensés de l’arène médiatique et politique dominante.

 

 

Parti conservateur du Canada (PCC)

Parti libéral du Canada (PL)

Nouveau Parti démocratique du Canada (NPD)

Parti vert du Canada (PVC)

Bloc Québécois (BQ)

Gaz à effet de serre (GES)

Atteindre les cibles de l’Accord de Paris, soit de réduire de 30% les seuils de 2005 d’ici 2030.

Atteindre la cible de zéro émission nette de GES d’ici 2050; Éliminer les centrales au charbon d’ici 2030; S’assurer que 90% de l’électricité provienne de sources non émettrices de GES

Dépasser l’objectif actuel de réduire d’ici 2030 les émissions de GES de 30% par rapport au niveau de 2005 (réduire à moins de 450 millions de tonnes les émissions de GES au lieu de 513)

60% de réduction des GES par rapport au niveau de 2005 d’ici 2030; Zéro émission d’ici 2050.

Projet de loi pour contraindre le Canada à atteindre les cibles fixées par l’Accord de Paris (cf. 30%). Réviser les objectifs de réduction de GES tous les 4 ans.

Pipeline (GNL, Trans Moutain) et pétrole

Exploiter le pétrole canadien pour atteindre l’indépendance énergétique d’ici 2030; Créer un « corridor énergétique pancanadien » de 7000 km à travers le pays pour construire chemins de fer, pipelines et lignes de transmission électrique; Abolir la loi C-48 qui réduit la portée du transport du pétrole brut le long de la côte nord de la Colombie-Britannique et la loi C-69 qui resserre les évaluations environnementales des projets énergétiques.

Investir les 500 millions de dollars en recettes anticipées annuellement par l’expansion du pipeline Trans Mountain dans des projets d’énergie renouvelable.

À terme, vendre ce pipeline.

Éliminer progressivement « les subventions inefficaces aux combustibles fossiles »; GNL : le Québec aura le dernier mot en matière d’évaluation environnementale pour les grands projets d’infrastructures, comme la construction d’un gazoduc ou d’un oléoduc; Contre le projet de Trans Mountain, mais sans décision sur ce qu’ils feraient de ce pipeline; Abolition des subventions pétrolières et gazières et investissement des sommes dans la transition vers l’énergie renouvelable; Révision des processus d’examen des grands projets pétroliers, avec plus de temps accordé aux consultations publiques.

Opposition à GNL; Mettre fin à l’expansion du pipeline Trans Mountain; Fin de la production de pétrole bitumineux entre 2030 et 2035; Aucun nouveau projet relatif aux sables bitumineux, à la fracturation hydraulique, à l’extraction ou à la production de charbon, à l’extraction de pétrole ou de gaz, y compris au forage de puits en mer ne serait approuvé.

Opposition aux pipelines; Attente de la décision du BAPE pour se prononcer sur GNL; Mettre fin aux subventions aux énergies fossiles dans les 100 premiers jours après l’élection (et financer des projets liés à l’énergie avec cet argent); Droit de véto du Québec sur les projets de transport de pétrole sur le territoire

 

Taxe carbone

Abolir la taxe carbone; Établir des normes sur les émissions pour les entreprises. Les dépassements seraient taxés pour financer la recherche et l’adoption de technologies vertes.

Maintenir la taxe carbone. Augmenter les redevances de 20 $ à 50 $ la tonne de GES d’ici 2022; 90% des recettes seront remises aux contribuables des provinces touchées pour couvrir la hausse du prix de l’essence et des coûts de chauffage, et pour accroître l’efficacité énergétique des bâtiments publics.

Maintenir la taxe carbone; ajout d’un remboursement aux ménages à faibles revenus; Éliminer les exemptions offertes aux grands pollueurs; Les entreprises payeraient la taxe carbone sur une plus grande partie de leurs émissions, et les plus gros émetteurs assumeraient un plus grand fardeau fiscal.

Maintenir la taxe carbone; Ajouter une «rente carbone»

Imposer à partir juillet 2020, une taxe de 30$ la tonne de GES aux provinces dans lesquelles les émissions de GES par habitant sont plus élevées que la moyenne. Cette taxe augmenterait à 200 $ la tonne d’ici 2030. Exemption des provinces exemplaires en matière d’environnement.

Transports

 

Interdire la vente de véhicules à combustion d’ici 2040

Transports publics 100% électriques et gratuits, investissement dans le transport ferroviaire; Véhicules zéro émission; Faciliter l’achat et l’utilisation de véhicules zéro émissions fabriqués au Canada; 100% des nouveaux véhicules vendus sont zéro émission en 2040

Interdire la vente de voitures à essence d’ici 2030 (à l’exception des véhicules commerciaux; Construire un train à haute vitesse Québec-Toronto et Edmonton- Calgary

 

Autres (plastique, emplois, bâtiments et technologies verts)

Réduire à 5% le taux d’imposition provenant de technologies vertes brevetées au pays; Investir 250 millions de $ pour encourager la création d’entreprises de technologies vertes

Interdire le plastique à usage unique dès 2021; Loi sur la transition équitable, pour offrir de la formation et du soutien aux travailleurs touchés par le virage vers une économie verte; Réduction de moitié du taux d’imposition des entreprises qui développent des technologies neutres en carbone.

Interdire le plastique à usage unique dès 2022; Bâtiments écoénergétiques d’ici 2030, rénover l’ensemble du parc immobilier existant d’ici 2050.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Libre-échange: stop ou encore?

par Claude Vaillancourt
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Il ne faut pas compter sur la campagne électorale pour aborder en profondeur les enjeux reliés au libre-échange. Pourtant, nous entendons parler de gestion de l’offre, d’environnement, de conditions de travail, d’investissements publics. Des matières très liées aux trois grands accords que le Canada vient de signer avec l’Union européenne (AÉCG), les États-Unis et le Mexique (ACÉUM), et des pays de la zone du Pacifique (PTPGP).

La négociation de ces accords étant terminée, on ne doit donc pas s’attendre à y trouver du neuf à leur sujet dans les programmes des partis. Il faut cependant se demander quelle sera l’attitude des différents partis devant ces ententes, s’ils sont élus. Seront-ils prêts à les remettre en cause? Comment réagiront-ils face aux aspects négatifs du libre-échange qui se manifestent déjà: déficits commerciaux du Canada, difficulté de règlementer dans l’intérêt public, détérioration de l’environnement, pertes d’emploi? Quelle sera leur attitude lorsque les États-Unis et plusieurs pays européens se demanderont s’ils doivent bel et bien ratifier les accords conclus?

Pour y voir clair, il devient nécessaire de considérer l’attitude des partis dans la négociation des accords commerciaux, le passé étant souvent garant de l’avenir. Remettre en cause un dogme aussi partagé que le libre-échange chez les élites économiques a toujours demandé un grand courage politique, dont celui de se confronter aux puissants gens d’affaires et à leurs lobbys.

Les quatre dernières années nous ont permis de constater que les libéraux sont moins rigides et plus ouverts sur de nombreux sujets (environnement, droits de la personne, investissements publics) que les conservateurs. Mais en ce qui concerne le libre-échange, leur attitude est la même. Bonnet blanc, blanc bonnet. Trudeau a beau qualifier les nouveaux accords de «progressistes», le mot sonne creux et se trouve fortement contredit par le contenu de ces ententes. Les libéraux ont repris quasiment tel quel ce qui a été négocié par le gouvernement précédent, se contentant de rares ajouts cosmétiques. Pouvait-on s’attendre à autre chose de deux partis qui sont toujours restés fidèles au crédo néolibéral?

Le NPD a longtemps été le parti le plus critique du libre-échange. Son opposition était dynamique, bien appuyée, solide. Jusqu’à ce qu’arrive Thomas Mulcair. Sous son règne, la vaste opération de recentrage du parti exigeait de laisser tomber ses charges contre le libre-échange et de rester muet, autant que possible, sur la question. Il faut cependant avouer que depuis les dernières élections, la députée Tracy Ramsey a repris le flambeau et a habilement suivi le dossier.

Le Parti Vert n’a jamais cessé sa vigilance, question de libre-échange. Il faut dire que ce dogme économique est incompatible avec la protection de l’environnement. Elizabeth May a même été la première à dénoncer l’accord sur la protection des investissements étrangers conclu avec la Chine et qui permet au gouvernement chinois, par le biais de ses entreprises nationalisées, de poursuivre le gouvernement canadien si les profits de ces dernières sont menacés (alors que l’inverse n’est pas possible).

Le Bloc québécois, quant à lui, est plutôt difficile à suivre sur la question. Il a voté contre l’AÉCG, et sous la direction de Martine Ouellette, il a défendu, sur le nouvel ALÉNA, une position très proche de celle qui a été élaborée dans une déclaration des organisations sociales du Canada, des États-Unis et du Mexique réunies à Mexico en mai 2017. Depuis ce temps, toutefois, silence radio. Le Bloc n’a pas répondu aux demandes qui lui ont été faites de signer, avec d’autres députés, une lettre pour protester contre la hausse du coût des médicaments dans l’ACÉUM, et une autre lettre pour inciter les élu.e.s français à ne pas ratifier l’AÉCG. Pourtant, il y a au sein de ce parti de solides opposants au libre-échange.

Le prochain mandat électoral pourrait être crucial pour le libre-échange. Ce choix économique est actuellement en recul partout dans le monde et soulève de vives oppositions. La lutte contre les changements climatiques nécessitera une bonne mise en cause de ces accords qui vont à l’encontre de ce qu’il faut faire et semblent dater d’un autre temps. De façon plus pragmatique, peut-être que le futur gouvernement canadien devra s’interroger sur le déficit commercial qui s’accentue avec nos partenaires depuis la mise en place de ces accords. L’affaiblissement de la gestion de l’offre, quant à elle, n’a pas fini de créer des mécontentements.

Mais les partis qui se partagent le pouvoir depuis toujours sont incapables de se remettre sérieusement en question sur les fondements même du libre-échange et de considérer ses effets négatifs sur les citoyens et les citoyennes. Souhaitons tout de même que le prochain gouvernement soit capable d’entreprendre un sérieux examen de conscience qui lui fasse enfin changer son fusil d’épaule. Rien dans la présente campagne électorale ne permet cependant d’envisager un pareil résultat.

Paradis fiscaux: Faire un choix pour une vraie justice fiscale

par Jacques Bouchard
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Le 20 juin dernier, le directeur du budget publiait un rapport estimant, d’une part, que le budget fédéral sera dans le rouge de 20,7 milliards cette année et atteindra un déficit de 23,3 milliards l’année suivante, avant de s’abaisser à 12,5 milliards d’ici 2022. D’autre part, il signalait une piste de solution pour combler une partie du manque à gagner: retrouver les revenus perdus à travers l’évasion fiscale, les paradis fiscaux à l’étranger et aussi l’évitement fiscal, qui, bien que légal présente des échappatoires contraires à l’esprit des lois sur l’impôt.

Le directeur du budget après analyse des transferts électroniques au Canada et à l’étranger, ainsi que des déclarations de revenus spéciales, a formulé une estimation « hypothétique » selon laquelle 25 milliards en impôts dus par les sociétés auraient été perdus. Cette évaluation est nettement supérieure à celle de l’Agence du revenu du Canada qui avait estimé dans son rapport publié deux jours plus tôt, que l’impôt perdu sur le revenu des entreprises en 2014 se situait entre 9,4 et 11,4 milliards.

C’est dire à la fois l’ampleur du problème et le laxisme des gouvernements successifs, conservateurs et libéraux dans cette lutte. Tout électeur devrait se soucier de cette situation et appuyer les partis ainsi que les candidats et candidates de leur circonscription qui soutiennent un changement majeur dans la politique fiscale canadienne.

12 travaux pour cesse l’injustice fiscale

Pour vous permettre de faire un choix éclairé, le Collectif Échec Aux Paradis fiscaux, à lequel contribue activement Attac Québec, a mis sur pied la campagne « 12 travaux pour que cesse l’injustice fiscale ». L’objectif de cette campagne est de convaincre les partis politiques fédéraux d’adopter les revendications proposées par le Collectif dans leur programme. Ainsi au cours des dernières semaines, le Collectif a fait parvenir une correspondance à toutes les personnes élues du palier fédéral du Québec et de l’ensemble du Canada et a sollicité des rencontres avec chaque parti politique pour les inciter à jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale dans la lutte aux paradis fiscaux.

Les douze revendications du Collectif pour la justice fiscale 1 se lisent comme suit:

1. Bonifier substantiellement les ressources de l’ARC.

2. Augmenter la transparence et la reddition de comptes de l’ARC.

3. Criminaliser l’évitement fiscal et sévir davantage contre les fraudeurs.

4. Encadrer et restreindre davantage le recours à la divulgation volontaire.

5. Limiter et encadrer les règlements hors cour.

6. Travailler de concert avec Revenu Québec. Doter le Canada de nouveaux moyens pour lutter contre les paradis fiscaux.

7. Mettre en place un registre public des bénéficiaires ultimes.

8. Instaurer une taxe sur les profits détournés (Google Taxe).

9. Imposer adéquatement l’économie numérique et revoir les liens du Canada avec des paradis fiscaux notoires.

10. S’inspirer des recommandations de la Commission des finances publiques du Québec.

11. En finir avec l’abus de la double non-imposition.

12. Promouvoir auprès des partenaires internationaux la mise en place d’une taxation unitaire des multinationales.

Quelques promesses

Nous n’avons eu, en date du 7 octobre 2019, suite à nos envois systématiques à tous les partis canadiens, qu’une réponse du NPD qui affirme vouloir lutter contre l’évasion fiscale en obligeant entre autres, les sociétés à démontrer la raison économique de leurs transactions à l’étranger tout en demandant aux grandes entreprises d’être plus transparentes sur leurs revenus réels.

Les libéraux, quant à eux, imposeraient à partir du 1er avril 2020 une taxe de 3 % sur tous les profits des géants du web au Canada. La mesure est copiée sur celle déjà adoptée par le gouvernement français.

Quant aux Conservateurs, ils affirment, sur leur plateforme, qu’ils veulent taxer les géants du Web. Mais le comment, le pourquoi et le combien n’est pas expliqué ou même mentionné. Le Bloc québécois propose d’imposer les géants du web à hauteur de 3 % de leur chiffre d’affaires réalisé au Canada. Il exigerait que les fournisseurs de services en ligne, comme Netflix, soient tenus de facturer la taxe de vente. Le parti ne permettrait plus aux entreprises canadiennes d’obtenir une déduction fiscale pour leurs dépenses en publicité sur des sites web étrangers.

Le Bloc exigerait qu’Ottawa impose les profits que les entreprises rapatrient des paradis fiscaux et qu’il examine les moyens mis à la disposition de l’Agence du revenu du Canada pour enquêter sur les échappatoires fiscales.

Le Bloc souhaite sur sa plateforme, qu’il n’y ait qu’une seule déclaration d’impôts, perçue par Revenu Québec.

Le Parti vert mettrait fin à la déduction pour option d’achat d’actions et celle sur les gains en capital. Les verts taxeraient aussi les fonds dans les paradis fiscaux et exigeraient que les entreprises prouvent que leurs filiales à l’étranger sont de vraies entreprises menant des activités à des fins fiscales. Le parti ne permettrait plus aux entreprises canadiennes d’obtenir une déduction fiscale pour leurs dépenses en publicité sur des sites web étrangers et imposerait une taxe de 0,2 % sur les transactions financières des multinationales de commerce en ligne qui font affaire au Canada. Il mettrait fin à la déduction pour option d’achat d’actions et celle sur les gains en capital. Il taxerait les fonds dans les paradis fiscaux et exigerait que les entreprises prouvent que leurs filiales à l’étranger sont de vraies entreprises menant des activités à des fins fiscales.

Le désir des différents partis de lutter contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale, semble bien faible en comparaison des revendications du collectif Échec aux paradis fiscaux. Cet enjeu ne semble pas être au cœur de leurs préoccupations, malgré les nombreuses campagnes et actions de sensibilisation des dernières années. Les cris d’alarme, les mobilisations ne semblent pas avoir eu beaucoup d’écho.

 

Notes

  1. Pour consulter les réactions des partis politiques aux revendications du Collectif Échec aux paradis fiscaux http://www.echecparadisfiscaux.ca/solutions/

Fiscalité: la comprendre pour mieux voter?

par Chantal Santerre
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Les questions fiscales sont incontournables lors des campagnes électorales et c’est encore le cas pour les élections fédérales en cours. C’est d’ailleurs pourquoi on demande toujours aux partis de chiffrer leurs promesses et de dire comment ils prévoient les financer. Chacune de ces promesses a en effet un impact non seulement sur la population mais aussi sur les finances publiques.

Pour le comprendre et pour mieux apprécier ces promesses, il faut se rappeler les trois principaux objectifs d’un système fiscal qui sont:

• Prélever les ressources nécessaires au financement des services publics.

• Favoriser le développement économique et la création d’emplois.

• Améliorer l’équité et la répartition de la richesse.

Il est important de remarquer que ces trois objectifs sont inter-reliés, qu’ils peuvent entrer en conflit l’un avec l’autre, qu’on peut favoriser un objectif au détriment d’un autre et qu’on peut aussi favoriser deux de ces objectifs par une seule et même mesure fiscale.

Prélever les ressources nécessaires au financement des services public

Pour financer les services publics, les gouvernements ont le pouvoir de percevoir des taxes et des impôts. Un gouvernement peut donc choisir ce qu’il veut taxer ou imposer (c’est là son assiette fiscale : elle comprend le revenu des particuliers, celui des sociétés et d’autres bases d’imposition) et comment il entend le faire (taux unique, taux progressif, redevances et autres). Ce sont donc là des choix politiques.

Actuellement, notre système fiscal utilise comme principale base d’imposition l’ensemble des revenus provenant de différentes sources, et non le capital ou la richesse. Les revenus qui proviennent du capital, ce qu’on appelle les revenus de biens, ne sont pas tous imposés comme les autres revenus. Par exemple, les revenus de dividendes et les revenus de gain en capital ne sont pas, comme les autres revenus, imposés à 100%.

On peut donc dire qu’en ne traitant pas ces revenus de la même manière que les autres sources de revenus, on favorise le capital plutôt que le travail. On fait donc par là de significatifs et importants choix politiques.

Par exemple, lorsque le Nouveau Parti démocratique (NPD) propose d’imposer une nouvelle taxe sur le patrimoine des plus nantis, qui devront payer jusqu’à 1 % par année pour toute valeur au-delà de 20 M$, il propose de taxer la richesse plutôt que le revenu. C’est une nouvelle base d’imposition et cela permet d’augmenter les revenus du gouvernement tout en améliorant l’équité parce qu’on taxe les plus riches.

La proposition du Bloc Québécois (BQ) d’appliquer la taxe fédérale sur le carbone dans les provinces dont les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont plus élevées que la moyenne et de verser les sommes ainsi perçues aux provinces dont les émissions de GES sont plus faibles, est un autre exemple d’une nouvelle base d’imposition: les revenus du gouvernement sont augmentés et orientés vers une mesure qui favorise l’environnement. Une autre mesure proposée par le BQ est d’imposer une taxe de 3% aux Géants du Web et de redistribuer cet argent (évalué à plus de 240 millions) aux médias d’information, aux arts et à la culture.

Favoriser le développement économique et la création d’emplois.

Par l’entremise de mesures fiscales, un gouvernement vise donc à atteindre des objectifs politiques. Mais différents objectifs sont parfois en concurrence les uns avec les autres et il arrive alors que l’on souhaite en favoriser un au détriment d’un autre.

Prenez par exemple ces dépenses fiscales des gouvernements qui sont des mesures visant des objectifs stratégiques, comme encourager un secteur économique ou bien des comportements souhaités chez les citoyens. Elles peuvent être mises sur pied pour favoriser le développement économique au détriment d’une réduction des revenus fiscaux, une diminution des revenus étant l’équivalent d’une dépense.

Normalement, ces mesures devraient contribuer à la croissance économique, et par le fait même augmenter les revenus du gouvernement qui les implante. Mais si ces mesures ne sont pas contrôlées et qu’elles n’ont pas les résultats escomptés, cela peut avoir un impact négatif sur les revenus du gouvernement nécessaires au bon financement des services publics, ou pour en mettre sur pied de nouveaux.

Par exemple, lorsque le NPD propose d’instaurer de nouvelles mesures incitatives pour revigorer l’industrie automobile canadienne, ceci notamment en injectant 300 millions $ dans le Fonds d’innovation pour l’automobile et en triplant le montant incitatif accordé aux Canadiens qui achètent un véhicule électrique, il cherche à stimuler l’industrie automobile et à encourager les citoyens à acheter des voitures électriques. Ces mesures sont positives, mais il faut éventuellement vérifier qu’elles atteignent bien leurs objectifs.

De même, lorsque les Libéraux proposent d’aider au démarrage d’une petite ou moyenne entreprise en distribuant chaque année 2000 bourses de 50 000 $ chacune en visant particulièrement les entreprises dirigées par des femmes ou des Autochtones, ces montants sous forme de bourses ne sont pas des dépenses fiscales, parce qu’on ne renonce pas à des revenus, mais bien de simple dépense parce qu’on verse effectivement les bourses: mais elles ont aussi pour objectif de stimuler l’économie, tout en encourageant une population cible pour améliorer la justice sociale.

Améliorer l’équité et la répartition de la richesse.fiscalilte_image_1_chantal.jpg

Au niveau fiscal, on parle d’équité lorsque les impôts sont neutres : dans des situations similaires, les contribuables sont traités de manière similaire. C’est ce qu’on appelle l’équité horizontale.

Pour ce qui est des cas où les situations sont différentes, un traitement similaire ne serait plus neutre. On favoriserait nécessairement un groupe au détriment d’un autre et nous serions alors face à une forme de discrimination, puisqu’une situation différente demande un traitement différent. C’est ce qu’on appelle cette fois l’équité verticale.

La progressivité de l’impôt est un moyen de redistribution de la richesse parce qu’elle tient compte de la capacité de payer de chacun. Elle reconnaît qu’un revenu plus grand confère une plus grande capacité de payer de l’impôt qu’un faible revenu. Au fur et à mesure que le revenu augmente, ce qu’il permet d’acquérir passe de la stricte nécessité au luxe. Et s’il augmente encore, on passe alors du plus petit luxe au plus grand luxe et chaque augmentation additionnelle du revenu se situe de plus en plus loin du minimum requis pour avoir une vie décente. C’est pourquoi il existe différents paliers d’imposition. La progressivité de l’impôt repose donc sur cette idée que si l’on reçoit des avantages plus grands de la vie sociale, on devrait donc aussi contribuer plus au financement de cette vie en société.

Chaque palier correspond à une tranche de revenu à laquelle on applique un taux d’imposition spécifique. Ainsi pour chacun des paliers, l’impôt est le même peu importe notre revenu total.

Par exemple, pour le premier palier d’imposition, tous les contribuables paient un taux de 15% au Fédéral, et ce n’est que pour les dollars de revenu qui excèdent ce premier palier (46 603$ en 2018) que le taux d’imposition passe à 20,5% ; et ainsi de suite jusqu’au dernier palier.

Des propositions comme celle du NPD d’étendre la gratuité des soins de santé aux soins dentaires, ou celles du Parti Vert d’implanter une assurance-médicaments universelle et un revenu minimum garanti, visent à améliorer l’équité et la distribution de la richesse, en offrant des services supplémentaires dont bénéficieraient plus fortement les moins bien nantis.

Mais, au contraire de la progressivité de l’impôt, on dit d’une taxe à taux unique qu’elle est régressive parce qu’elle s’applique uniformément à tous, peu importe le niveau de revenu. Elle ne prend alors aucunement en compte de la capacité de payer de chacun.

Crédits d’impôt et déductions

D’autres mesures sous forme de déductions ou de crédits d’impôts ont le même objectif. C’est le cas des crédits d’impôts non remboursables, qui sont des déductions à laquelle on applique un taux uniforme (15% en 2018) : ce taux est le même pour tous, peu importe le revenu imposable.

Lorsque les Libéraux proposent de ne pas imposer le premier 15 000$ de revenus, cela veut dire qu’ils souhaitent augmenter le montant personnel de base à 15 000$. Le montant personnel de base, qui est un des nombreux crédits d’impôts non remboursables, est de 11 809$ en 2018. Il est déductible pour tous les contribuables et correspond à un montant de revenu de base sur lequel personne ne paie d’impôt. La proposition des Libéraux fait augmenter ce crédit de 3 191$ par rapport à 2018 et résulte au net d’une réduction d’impôt de 478,65$ (3 191$ X 15%) par contribuable qui a de l’impôt à payer et ce, peu importe son revenu total. Ce qui constituerait donc une mesure équitable.

La réinstauration des crédits d’impôt ciblés pour les activités sportives et musicales des enfants proposée par les Conservateurs est aussi un crédit d’impôt non remboursable et il vise à aider les familles à encourager leurs enfants à faire des activités qui améliorent leur qualité de vie.

Il existe aussi différentes déductions qui ont pour objectif d’inciter à faire adopter un comportement souhaité par le particulier ou les corporations en offrant des déductions qui viennent diminuer le revenu total, et par le fait même le revenu imposable. Comme son nom le dit, c’est sur ce revenu qu’on applique les tables d’imposition et qu’on calcule l’impôt à payer. Pour les particuliers, l’impôt à payer étant progressif, plus le revenu total est élevé et plus l’économie d’impôt que procurera la déduction sera élevée. Les déductions sont donc des mesures qui favorisent plus les contribuables ayant des revenus élevés.

Les crédits d’impôts remboursables, quant à eux, permettent d’obtenir un remboursement d’impôt peu importe si on a ou non de l’impôt à payer. Autrement dit, c’est l’équivalent d’un revenu. Cela est avantageux pour les contribuables à faible revenu, mais aucune promesse de ce genre dans les programmes des différents partis.

Des promesses trop timides ?

En conclusion, comprendre les différents termes reliés aux impôts, peut aider à analyser les propositions des partis et éventuellement éclairer un vote. Mais, en ce qui a trait à la redistribution de la richesse, à part certaines propositions du NPD et du Parti vert, les promesses sont assez timides. Attac continuera ses campagnes de sensibilisation en ce sens à l’instar des autres mouvements sociaux préoccupés par l’équité.

Contact

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ÉQUIPE DU BULLETIN:

Coordonnatrice: Monique Jeanmart

Coordonnatrice adjointe: Jeanne Gendreau

Mise en page électronique: Wedad Antonius et Jeanne Gaudreau

 

Pour toute suggestion, commentaire ou questions, veuillez vous adresser à Monique Jeanmart moniquejeanmart@videotron.ca

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