La chute de l’intérêt pour les Forums sociaux mondiaux (FSM) est bien connue et ce désintéressement va aussi de pair avec le retour à des préoccupations plus locales et sectorielles des mouvements, un peu partout sur la planète. Après la pandémie et le passage laborieux à Mexico en 2022, le succès de participation du FSM au Népal en février 2024 a redonné espoir aux réseaux associés au Conseil international du FSM. Toutefois, il n’est pas annonciateur d’un retour aux mobilisations des années 2000, d’autant plus que les enjeux climatiques vont peser dans les décisions de voyager.
Faible participation internationale dans les derniers FSM
Lors du FSM au Mexique en 2022, la participation internationale, du Sud comme du Nord, était loin d’atteindre les niveaux qu’elle a pu être dans les années 2000. Même chose au FSM au Népal en 2024. La participation brésilienne à Mumbai en 2004 se comptait par centaines de personnes, voire plus d’un millier. En 2024, seulement trois participants d’origine brésilienne ont fait le déplacement à Katmandou.[1]
Les espaces internationaux de concertation, aussi nécessaires qu’ils puissent être, ne sont pas de même nature que ceux des réseautages nationaux ou régionaux. C’est pourquoi chaque projet de FSM doit prendre un soin particulier à la mobilisation locale et nationale. Le réseautage international s’effectue principalement en mode virtuel, ce qui crée pour l’événement des exigences accrues au niveau de la participation locale et nationale.
Combiner le respect de l’environnement et les transports aériens
Parallèlement à cette nouvelle réalité, l’évolution de la réflexion sur la mobilité et les transports aériens dans le contexte des changements climatiques doit être prise en compte. On ne peut pas continuer à prendre l’avion aveuglément, sans se questionner, même si la responsabilité de limiter les voyages aériens ne peut pas seulement être celle des individus.
Un aller-retour Montréal-Cali en Colombie équivaut à émettre près de 1,5 tonne de CO2 par passager.ère, et plus encore en prenant en compte les effets des traînées de condensation. Il est recommandé de multiplier par deux les émissions de CO2 pour connaître l’impact réel d’un vol sur le climat pour tenir compte de cette traînée. Or, pour limiter le réchauffement climatique sous les 1,5 °C, l’humanité devrait émettre moins de deux tonnes d’équivalent CO2 par an et par personne, le plus tôt possible. Or, si la tendance de 2023 se maintient, le niveau du trafic aérien en 2024 dépassera le niveau le plus élevé atteint avant la pandémie, soit plus de 150 millions de personnes dans une année, qui embarquent et débarquent des aéroports au Canada.
Considérant que la population canadienne est près de 40 millions, c’est dire combien les inégalités d’accès à l’aviation sont importantes. Pour la grande masse de la population, ce n’est certainement pas la fréquence de quatre voyages aériens par année par individu qui se produit. Néanmoins, selon les calculs réalisés notamment par Greenpeace en France, chaque personne vivant dans l’Hexagone doit réduire de moitié son nombre de voyages aériens pour limiter le réchauffement à moins de 1,5 °C. Voici donc un premier repère.
Distinction entre les voyages aériens « indispensables » et superflus?
Abolir tous les voyages en avion semble impensable, tant la mobilité sur la planète s’est accrue et que certaines réalités peuvent les rendre indispensables. Ainsi, plusieurs vols sont perçus comme nécessaires et d’autres plus superflus. Dans une étude de 2023 issue d’une collaboration entre Greepeace France et l’Observatoire Société et Consommation auprès de jeunes largement préoccupés par la situation environnementale, deux catégories de voyages en avion se distinguent clairement :
- Les vols dont la pertinence est peu remise en cause (secours d’urgence, longs séjours à l’étranger, visites à la famille sur un autre continent, etc.).
- Ceux dont la légitimité est fortement contestée (avions privés [85 % des jeunes les jugent pas ou peu légitimes], les vols lorsqu’il existe une alternative en train en moins de 4 h [78 %], les vols pour passer un week-end dans une ville européenne [76 %], ceux pour des séjours lointains d’une semaine ou moins [68 %], les vols à l’étranger pour motif professionnel [67 %]. Ce sont donc ces vols-là que la jeunesse accepterait de diminuer en priorité.
Voyager strictement pour son bénéfice personnel devient de plus en plus discutable. Avec le vieillissement de la population occidentale, qui est de loin la mieux nantie de la planète, il y a un énorme travail d’éducation à faire. Quel contraste avec la réalité de nombre de personnes migrantes sur la planète qui voyagent à pied ou en embarcation maritime précaire pour traverser des territoires et des frontières, à leur risque et péril!
Si on doit renoncer à des trajets produisant énormément de CO2 et considérer une réduction des voyages, combiner un séjour à l’étranger avec une activité de mobilisation, de réseautage ou de solidarité donne plus de sens au déplacement. Espacer ses voyages et ne pas participer à tous les événements internationaux semblent aussi un choix raisonnable. Le prochain FSM au Bénin risque tout autant d’éveiller les consciences de la jeunesse aux réalités de l’Afrique progressiste, que les rendez-vous altermondialistes de Belém ou de Mumbai. Ce sont là des expériences qu’on doit souhaiter au plus grand nombre de jeunes du Québec.
Même chose pour les études à l’étranger! Le contact avec l’enseignement ailleurs, notamment dans les programmes universitaires, est à favoriser. D’ailleurs, la plupart des séjours sont longs et réduisent ainsi leur impact environnemental. Et de ce point de vue, on doit souhaiter que les politiques de séjour académique au Sud continuent de s’accroître. Retrouver sa famille quand nos origines sont étrangères au pays dans lequel nous vivons apparaît aussi comme une considération humaine fondamentale.
Importance de la mobilisation locale
Si le trafic aérien touristique occidental a repris, il en est autrement pour la participation aux FSM. Le défi le plus important pour le succès d’un événement comme un FSM reste la mobilisation locale. Le comité organisateur népalais a célébré le succès au plan de la participation en annonçant la présence de 50 000 personnes sur les trois jours du forum, chiffre calculé en additionnant la participation individuelle de chaque journée. Si ce niveau de présence est impressionnant, on doit rappeler que le Népal est situé dans une région parmi les plus denses de la planète. Néanmoins, ce succès tient beaucoup à l’engagement des mouvements sociaux régionaux, à la coordination entre eux et à une culture de collaboration. Le Forum social Asie-Pacifique [FSAP] avait tenu, un peu plus d’un an auparavant, une rencontre continentale de l’Asie du Sud-Est.
Le prochain FSM se tiendra en Afrique, au Bénin en 2026. D’ores et déjà, le comité organisateur a tenu un premier lancement du processus du FSM 2026[2] dans la capitale à Cotonou. L’intention du groupe organisateur, la Convergence globale des luttes pour la Terre et l’Eau d’Afrique de l’Ouest [CGLTE OA] est d’abord d’amorcer la mobilisation des réseaux africains d’Afrique de l’Ouest surtout. D’autres interventions en Afrique sont prévues.
Ce souci de la mobilisation locale n’est pas le choix du local au détriment du mondial. Penser globalement, agir localement, un leitmotiv des mouvements altermondialistes, signifie qu’il importe d’intéresser et d’impliquer les mouvements locaux, si on veut faire le lien entre le mondial et la pratique locale. Un FSM, dont les réseaux locaux passeraient à côté, a peu de sens, même si les invité.es provenant de l’étranger tiennent des propos qui célèbrent la diversité et l’internationalisme.
Promouvoir le soutien à la participation de jeunes au FSM 2026 au Bénin et favoriser leur présence de concert avec des réseaux québécois qui s’intéressent à l’événement nous apparaît bénéfique. Non seulement cela renforce le développement d’une conscience internationaliste des jeunes d’ici, mais aussi cela contribue au réseautage international et à faire vivre des lieux de concertation transnationale des mouvements et des luttes. À nous de nous assurer un résultat bénéfique en termes de renforcement des mouvements d’ici.
[1] On retrouvera les informations sur différents FSM passés et à venir, dans un article du prochain numéro d’octobre 2024 des Nouveaux cahiers du socialisme.
[2] CGLTE OA 2024, Lancement du processus d’organisation du Forum social mondial 2026 au Bénin!, Le Journal des Alternatives, une plateforme altermondialiste, 4 août 2024, en ligne : https://alter.quebec/lancement-du-processus-dorganisation-du-forum-social-mondial-2026-au-benin/
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