Un été se termine qui nous a montré une fois encore – ce que nous ne voulons pas voir – nous sommes sur la ligne d’un réchauffement qui rendrait notre planète invivable. Nous avons cru trop longtemps aux mirages des politiques de nos gouvernements, qui nous proposent de lutter contre les changements climatiques par la croissance verte, sauver la planète par l’électrification conçue comme une nouvelle occasion de développement économique.
Le temps est venu de nous réveiller. Pour sauver la planète, il nous faut prendre conscience de l’impact de nos comportements même les plus anodins, comme l’achat de nos vêtements. Combien de t-shirts, de jeans y a-t-il dans notre garde-robe? Combien en achetons-nous et en jetons-nous par année? Gestes qui semblent anodins si on oublie que chaque vêtement a une histoire et génère des impacts environnementaux et sociaux.
Pris globalement, le geste d’acheter un vêtement montre une autre réalité. Selon Oxfam France, actuellement, 100 milliards de vêtements sont consommés annuellement. Selon Statistique Canada, le ménage canadien moyen dépense annuellement 2,303 $ en vêtements, chaussures et accessoires. Les données de Recyc-Québec montrent qu’en 2021, au Québec, 81 000 tonnes de vêtements et textiles ont été jetés. Une visite dans les magasins Renaissance permet de voir de nombreux vêtements jamais portés, avec leur étiquette d’achat. Nous surconsommons des vêtements comme nous surconsommons l’eau, l’électricité, l’espace, la nourriture, etc., mais surtout nous gaspillons.
La Fast Fashion : fabriquer les vêtements de la surconsommation
Les explications sont nombreuses, mais elles portent toutes un nom la Fast Fashion ou Mode éphémère [1]façon de produire qui repose « essentiellement sur le renouvellement ultrarapide des collections proposées à des prix toujours plus bas ». Ce modèle économique hyper performant s’est imposé dans l’ensemble de l’industrie de la mode à partir des années 2000, « centré sur la maximisation des profits, ce mode d’organisation vise à minimiser les coûts de production, à fabriquer en flux tendu (…) dans une logique de rentabilité accrue ».[2] Ce système s’est développé avec l’explosion des nouvelles techniques de marketing, les réseaux sociaux, les influenceuses et les infolettres adressées directement aux consommatrices. Le confinement lié à la Covid a stimulé l’achat en ligne permettant à des marques de se développer en s’adressant directement aux consommatrices.
Symbole de cette mode à bas prix, le géant chinois Shein. Créé en 2008, il est devenu le leader de cette mode qui s’achète uniquement en ligne en s’adressant aux consommatrices, via les réseaux sociaux – Tik Tok particulièrement – et par une armée d’influenceuses. Elle vise principalement les jeunes avec un système de points pensé pour créer la dépendance. Son chiffre d’affaires était estimé à 36,5 milliards de dollars en 2022.
De cette mode jetable résulte une consommation effrénée aux impacts démesurés sur l’environnement et aux impacts sociaux dramatiques qui contribuent aux inégalités.
Nos vêtements et la planète
Chaque cycle de vie de nos vêtements entraîne des effets désastreux pour l’environnement que ce soit par l’augmentation de l’empreinte carbone, l’épuisement des ressources en eau, la pollution de l’eau, de l’air et du sol.
Selon différents rapports, l’industrie de la mode génère annuellement entre 4 et 6 milliards de tonnes d’équivalent CO2. Elle utilise 93 milliards de mètres cubes d’eau. Les fibres les plus utilisées, comme le polyester, sont produites avec du pétrole. Annuellement, l’industrie de la mode en produit 60,5 tonnes qui utilisent 1,5 kg de pétrole par kg de fibre. [3] Quant aux fibres naturelles, coton, lin, etc., elles ont nécessité 200,000 tonnes de pesticides et 8 millions de tonnes de fertilisant. [4] En plus de la production des fibres et des textiles, la fabrication des vêtements est une autre cause importante de pollution de l’air et de l’eau. À chaque étape de leur cycle de vie, les vêtements parcourent de nombreux kilomètres générateurs de GES. Production et lavage des vêtements synthétiques contribuent à hauteur de 35 % au rejet des microfibres qui polluent les océans de la planète.
Que deviennent ces vêtements dont nous nous débarrassons si facilement? Selon un récent rapport de Recyk-Québec, 81,000 tonnes de vêtements ont été éliminées en 2021. Ceux que nous jetons à la poubelle seront enfuis ou incinérés, ils constituent 3 % du total des déchets collectés. Seuls les vêtements de qualité – non produits par la Fast Fashion – sont récupérés pour être recyclés et transformés par des entreprises locales et artisanales. Une autre partie est donnée à des organismes qui, dans notre société, ont pour mission de donner une deuxième vie à ce dont nous voulons nous débarrasser. Il existe un autre circuit méconnu, celui qui collecte les vêtements dans des boîtes anonymes ou ceux qui sont invendus par les friperies, parce qu’en trop mauvais état. Comprimés en ballots, ils sont envoyés dans des pays africains – le Ghana principalement – où ils sont achetés par des grossistes qui revendent les ballots à des vendeurs sur les marchés de la seconde main. Non adaptés au climat ou en trop mauvais état pour être portés, ils sont jetés dans d’immenses décharges débordantes ou pire sur les plages qu’ils polluent visuellement et où ils ajoutent des tonnes de microfibres dans la mer.
Le coût humain de la Fast Fashion
L’exploitation des travailleur/ses existait déjà au début du XIXe siècle en Angleterre dans les ateliers de misère, les Sweatshops. Les luttes syndicales permettront l’amélioration des conditions de travail, et la législation protégera le travail et les travailleurs en Occident. Cette exploitation perdure dans de nombreux pays où sont produits les vêtements de la Fast Fashion.
Le 24 avril 2013, dans la banlieue de Dacca au Bangladesh, un édifice de 8 étages, le Rana Plaza, s’effondre tuant 1138 travailleur.ses et en blessant 2500. L’édifice abritait principalement des ateliers de confection de la Fast Fashion dans des conditions de travail qui rappellent les ateliers de misère. La nouvelle crée un électrochoc en Occident qui découvre les dessous de l’industrie de la mode à bas prix.
La mondialisation et la délocalisation ont donné la possibilité aux multinationales de reproduire, principalement dans les pays de la zone Asie-Pacifique, la rentabilité et les surprofits qui constituent l’ADN du capitalisme. Le choix de ces pays est stratégique : la main d’œuvre ne coûte pas cher, pas de syndicat ou syndicats inefficaces, pas de réglementation quant à l’utilisation de produits chimiques nocifs ou dangereux, pas de législation de protection du travail.
Depuis dix ans au Bangladesh, les conditions de sécurité se sont améliorées, mais la concurrence et les prix dérisoires qui caractérisent la mode jetable se basent toujours sur l’exploitation du travail: salaires insuffisants, journées de travail de 12 heures 6 jours par semaine, conditions sanitaires déplorables, temps supplémentaire souvent impayé, pas de sécurité d’emploi accentuant la division internationale du travail et les inégalités.
Consommer moins, consommer mieux. Comment ?
En ce qui concerne nos vêtements, c’est d’abord sortir de la Fast Fashion. Des prix trop bas, de la finition mal faite, des collections qui sortent chaque semaine ou qui sont vendues uniquement en ligne sont des repères à surveiller. Si un t-shirt ou un chandail coûte moins cher que le sandwich de votre lunch, il n’a pas été produit écologiquement et équitablement.
Le premier pas est d’acheter moins, et uniquement des vêtements durables, qui se réparent, qui peuvent être utilisés longtemps, qui résistent aux lavages et peuvent se recycler ou qui peuvent être échangés. Des organismes – dont Équiterre – peuvent nous aider à rendre notre consommation durable, particulièrement en ce qui concerne l’achat des vêtements,
https://www.equiterre.org/fr/ressources/geste-une-deuxieme-vie-pour-vos-vetements-et-textiles-usages.
Donner aux organismes de revente uniquement les vêtements que nous donnerions à des parents ou à des amis. Ultimement, toujours se rappeler pour aider la planète que le vêtement le plus écologique et durable, c’est celui que nous n’achetons pas!
Au-delà de l’action individuelle, agir collectivement pour que nos actions individuelles fassent partie d’un grand mouvement de mobilisation. Prendre la parole, militer, manifester, travailler à secouer l’indifférence parce que c’est ensemble que nous gagnerons la bataille contre le climat, ensemble que nous forcerons nos élus, à tous les niveaux, à choisir la seule voie qui peut sauver la planète : la sobriété.
[1] https://fr.statista.com/themes/10747/l-ultra-fast-fashion/
[2] Idem
[3] Valérie Simard, Une année de détox vestimentaire. Réflexion sur le prêt-à-jeter, Les éditions La presse, 2024
[4] Idem
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