En ce temps de pandémie, on entend beaucoup parler de celle-ci comme une opportunité pour faire des changements importants au niveau économique afin de permettre que la relance se fasse dans le respect de l’environnement et favorise l’atteinte des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Le 28 avril 2020, dans une lettre d’opinion publiée dans le New York Times, M. Guterres, secrétaire général des Nations unies, proposait six orientations ayant un impact positif sur le climat que devraient considérer les gouvernements dans leurs plans de relance de l’économie.
1. Les investissements des gouvernements doivent accélérer la sortie du carbone pour tous les secteurs de l’économie.
2. Il faut que les sommes investies par les gouvernements servent à créer des emplois verts et à aider des entreprises qui ne polluent pas et qui font du développement durable
3. Il faut que la fiscalité permette une transition économique juste.
4. Il faut investir dans des projets qui prennent en compte les risques climatiques, cesser de subventionner l’industrie des énergies fossiles et faire payer les pollueurs.
5. Le système financier doit dans l’ensemble de ses décisions prendre en considération l’impact sur l’environnement dans l’évaluation des risques et des opportunités. Les investisseurs ne peuvent pas continuer d’ignorer le prix payé par notre planète pour la croissance économique non durable.
6. De la même manière que le coronavirus ne respecte pas les frontières, les GES font de même. Aucun pays ne peut réussir seul. Il faut s’unir. L’isolement est un piège.
Les mesures proposées par M. Guterres font ressortir le fait que le marché ne parvient pas à prendre en considération le climat et que les gouvernements doivent intervenir. Cela voudrait dire que le marché n’est pas la solution à tout? Que le marché n’est pas optimal? Que le marché n’est pas omnipotent?
Le concept de marché
Il est communément reconnu qu’il arrive que le marché ne parvienne pas à être optimal, en raison de ce que les économistes appellent des défaillances ou des inefficiences du marché. Cela se produit lorsque le mécanisme de fixation des prix ne parvient pas à bien allouer les ressources. Cela arrive dans au moins sept cas de figure. Celui qui nous intéresse ici se produit lorsque l’action d’un agent économique a des conséquences sur un ou des tiers qui ne sont pas partie prenante de l’action : une telle inefficience du marché est ce qu’on appelle une «externalité».
Plus précisément, une externalité survient lorsque les coûts et/ou les bénéfices provenant d’une activité économique ne sont ni assumés par, ni ne bénéficient aux, selon le cas, personnes impliquées dans cette activité. Une externalité ainsi entendue peut être positive ou négative.
L’éducation publique et assumée par tous est un exemple «d’externalité positive»: les employeurs qui bénéficient de cette main-d’œuvre qualifiée en retirent en effet des bénéfices sans en assumer les coûts.
Une «externalité négative» survient quant à elle, par exemple, lorsqu’une entreprise déverse dans une rivière des contaminants. Elle bénéficie alors de l’économie liée au fait de produire à moindre coût en n’assumant pas le coût de traiter les contaminants. Le prix de ce produit ne reflète donc pas le coût social qu’impliqueront la décontamination de cette rivière et la perte de la jouissance d’une eau non polluée.
On reconnaît généralement que le réchauffement climatique dû aux émissions de GES est la pire et aussi la plus préoccupante des externalités négatives. Elle est la pire notamment pour sa gravité et parce qu’elle est causée par l’activité humaine en général; et c’est la plus préoccupante parce que nous ne détenons pas l’information au sujet de l’impact écologique des actions que nous posons. Cela a pour conséquence d’encourager des comportements qui vont à l’encontre de choix rationnels qui pourraient être faits par les consommateurs s’ils avaient toute l’information concernant les émissions de GES des produits qu’ils consomment.
Nous constatons donc ici que le mécanisme de prix, contrairement à ce que dit le modèle théorique, ne parvient pas à jouer adéquatement son rôle, qu’il n’est pas transparent et qu’il nous empêche même de faire les choix collectifs qui s’imposent. Il nuit donc au fonctionnement d’une saine démocratie.
Les mesures proposées par M. Guterres demandent que l’intervention des États et de l’ensemble des agents économiques pour relancer l’économie prenne en compte l’impact sur l’environnement. En ce temps de pandémie, l’intervention des États est justement revenue à la mode. Cela va, on l’espère, nous permettre de sortir de la crise sanitaire : mais cela pourrait aussi pallier à l’inefficience du marché et contribuer à nous sortir de la crise environnementale.
Comment prendre en compte le climat?
Au cours des dernières décennies, des réglementations pour inciter les pollueurs à utiliser des équipements moins polluants ou à diminuer leurs émissions ont connu un relatif succès. Des taxes environnementales sont aussi tenues par certains comme un moyen d’intervention pouvant être efficace dès lors qu’elles apportent un incitatif financier à émettre moins de GES. Mais peu importe le moyen que l’on met en place pour internaliser les externalités, le plus difficile est de déterminer la valeur de tous les impacts négatifs qu’elles peuvent générer.
Les économistes reconnaissent que lorsque le marché est inefficient, l’intervention étatique est justifiée et légitime. La science nous fournit une gamme d’options pour ce faire et réduire les émissions de GES. Une action gouvernementale ferme et délibérée est nécessaire pour imposer ces mesures et nos gouvernants doivent donc agir. L’État possède le pouvoir de légiférer. Comme nous le disions précédemment, il peut limiter par des lois les émissions de GES; il peut aussi percevoir des taxes et mettre sur pied des incitatifs financiers pour diminuer les émissions de GES, soit par l’amélioration des technologies, mais aussi par la reforestation.
Nous avons donc des moyens pour agir contre la pire des externalités, le réchauffement planétaire. Ce qui fait défaut, c’est la volonté politique d’agir : M. Guterres fait un pas dans la bonne direction en faisant appel aux États. Il nous revient donc à nous, comme citoyens, de faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils agissent, et qu’ils le fassent rapidement.
Parce que le marché à lui seul, par définition, n’y parviendra pas. Plus profondément, cela signifie aussi qu’il nous faudra renoncer à cette mortifère utopie d’une croissance illimitée.
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