Je me souviens de ce samedi matin d’automne 2001 où j’ai dû rudoyer le lève-tard que je suis pour me rendre à la deuxième assemblée générale d’Attac Québec. J’y ai découvert une association bien organisée et dynamique (pourtant plus fragile que je ne l’avais cru). Mais ce qui m’a le plus marqué, c’était la grande qualité des débats qu’on y menait et la volonté d’aborder les problèmes contemporains en prenant le mal à la racine – suivant l’idée qu’on ne pourrait pas vraiment avancer sans s’attaquer aux fondements de notre système financier.
Depuis, Attac Québec est toujours restée fidèle à elle-même. Ses combats ont été nombreux, et si leur issue n’a pas toujours été aussi heureuse que nous l’aurions souhaité, ils ont été très révélateurs de maux qui nous empêchent d’obtenir une plus grande justice sociale.
Le premier combat d’Attac Québec a été relié à sa dénomination : ne sommes-nous pas l’«Association pour la taxation des transactions financières»? Nous avons donc entrepris une campagne pour convaincre nos élus d’appuyer ce que nous appelions la «taxe Tobin». Nous avons réussi à obtenir un soutien du Bloc québécois, à l’époque très majoritaire au Québec.
Comme les autres associations Attac dans le monde, nous avons constaté que la défense de cette mesure, que nous considérons toujours comme essentielle, n’était plus suffisante pour justifier nos activités, et qu’il fallait aussi s’en prendre au système néolibéral dont l’expansion rapide et englobante nous inquiétait grandement.
Deux grands problèmes nous ont alors préoccupé.e.s : les paradis fiscaux, qui demeurent une cause incontournable des inégalités sociales, et les accords de libre-échange, qui accordent aux grandes entreprises des pouvoirs gigantesques, dont celui de leur permettre de contrôler le programme législatif des gouvernements dans les secteurs qui les concernent.
Nous avons entrepris une campagne particulièrement efficace contre l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), qui visait une libéralisation progressive des services publics. Nous nous sommes appuyé.e.s sur une campagne internationale qui demandait aux villes et communautés de se déclarer «hors AGCS». Si ce terme n’a pas été utilisé ici, notre action a mené à ce que la quasi-totalité des municipalités au Québec expriment publiquement de sérieuses réserves contre l’accord qui, par ailleurs, est devenu caduque en même temps que le cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), auquel il était associé. Une belle victoire citoyenne!
Puis notre énergie s’est tournée vers les paradis fiscaux, ramenés au centre de l’actualité par une série de fuites spectaculaires. Pendant trois années, au mois d’avril, nous avons mené des actions sur la place publique, en ciblant des multinationales championnes de l’évitement fiscal, comme Apple, avec un appui important de nombreux sympatisant.e.s et une belle couverture médiatique.
L’Aiguillon, le bulletin d’Attac
Parce qu’Attac est une association qui a pour but d’informer et d’agir, le bulletin a constitué depuis le début un outil privilégié pour atteindre ses objectifs. Il vise à donner un éclairage différent et critique sur les phénomènes économiques, politiques et sociaux qui nous entourent. Monique Jeanmart en est le pilier depuis mai 2005. Tout au long de ces années, elle a su s’entourer de membres dynamiques pour l’épauler et de dizaines de collaborateurs réguliers ou occasionnels de partout au Québec et à l’étranger (Afrique, France, Maroc, Belgique, Argentine, Norvège, Japon).
Au cours des années le bulletin a évolué dans sa forme, sa présentation, et sa distribution mais est resté le témoin essentiel de nos luttes et de nos actions. Aujourd’hui, le bulletin est disponible sur notre site web, une version électronique est envoyée à tous nos membres et une reprise des articles sur les réseaux sociaux permet à un plus vaste public d’y avoir accès. Vous avez raté un no? Vous pouvez retrouver les 66 publications du bulletin sur notre site.
Attac Québec à la radio
L’émission de radio Le grain de sable, mise sur pied par Marie-Josée Vachon a duré plus de 13 ans jusqu’au 27 mai 2017. Dans une perspective altermondialiste, avec des invité-es de marque et dans une atmosphère conviviale, ce rendez-vous hebdomadaire offrait aux auditeurs et auditrices un lieu d’information et de réflexion à travers des analyses percutantes ou des expériences inspirantes. Merci à toutes ces personnes dynamiques qui se sont relayées au fil des années en donnant de leur temps et de leur talent pour maintenir ce projet exigeant. Plusieurs des sujets traités sont encore d’actualité. On peut écouter les émissions sur le blogue de l’émission qui est toujours en ligne.
Pendant toutes mes années à Attac, j’ai pu constater l’énergie constante que nous avons mise à remplir notre mission, soit faire de l’éducation populaire tournée vers l’action. Notre activité a été importante : multiples conférences données partout au Québec, participations aux forums sociaux locaux, mondiaux, et à d’autres rencontres internationales, écriture de nombreux articles, rencontres avec des camarades d’Attac de plusieurs autres pays, publication d’un bulletin et de quatre livres, émission à la radio communautaire de Québec (Le grain de sable), rencontres avec des élus, entre autres dans le cadre de commissions parlementaires, rédaction de mémoires, participation active à des coalitions (Réseaux québécois sur l’intégration continentale, Échec aux paradis fiscaux, Coalition Main rouge, Front commun sur la transition énergétique).
Tout cela de la part d’une petite organisation, avec très peu de ressources financières et sans employé.e (sauf pour de très courtes périodes). Maintenir Attac à flot pendant toutes ces années, dans de pareilles conditions, n’a certes pas été toujours facile. Le David minuscule que nous sommes doit constamment s’attaquer à un Goliath immensément plus gigantesque que celui de la Bible, ce qui peut mener à bien des découragements. Une association comme la nôtre connaît des hauts et des bas, liés à la disponibilité nécessairement changeante de nos militant.e.s. Continuer à exister, assurer une relève, alors que surgissent constamment de nouveaux groupes et de nouvelles causes, est aussi un défi, et cela dans un contexte où notre visibilité médiatique réduite permet difficilement d’attirer l’attention sur nous.
Mais Attac Québec existe toujours, et elle demeure en bonne santé, malgré tout. C’est que les causes qui sont les nôtres restent aussi centrales, alors que les inégalités sociales continuent de s’accentuer et que notre environnement ne cesse de subir de grandes atteintes. Mais surtout, Attac n’a jamais cessé d’obtenir un soutien essentiel d’un nombre élevé de personnes : des gens qui nous invitent, nous lisent, s’intéressent à notre travail; des groupes avec lesquels nous travaillons en coalition et qui profitent de notre expertise et de notre disponibilité; et principalement ces militant.e.s toujours avec nous, appuyant nos actions, venant à nos assemblées générales et à nos activités.
Avons-nous avancé ou reculé depuis la création d’Attac Québec? Chose certaine, ma participation à cette association m’a permis de me retrouver dans une grande constellation de résistant.e.s, sans laquelle le monde d’aujourd’hui serait bien pire que celui que nous connaissons présentement, avec des services publics entièrement privatisés, des émanations d’hydrocarbures polluant davantage l’atmosphère, des fortunes encore plus colossales cachées dans les paradis fiscaux, des inégalités sociales encore plus abyssales. Bien sûr, il s’agit d’un moindre mal quand on considère l’immensité de tout ce qui nous reste à corriger. Mais j’espère que les membres d’Attac Québec ressentent au moins la satisfaction non négligeable d’être du côté de la justice et de l’accomplissement d’un devoir citoyen essentiel, dans le sens profond qu’on accorde encore à ces mots, au-delà des récupérations qu’on en fait trop souvent.
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