En février dernier, j’ai eu l’occasion de participer au Forum social thématique (FST) dressant le bilan des 15 ans du Forum social mondial (FSM) pour y représenter les mouvements sociaux luttant contre les dérives du secteur minier au Québec. En tant que militante d’Attac Québec, j’ai pu assurer une présence de cette organisation altermondialiste, membre du réseau international Attac, lequel fait partie des entités fondatrices du Forum social mondial. Avec pour slogan Un autre monde est possible, c’est en 2001 à Porto Alegre au Brésil, qu’a eu lieu le premier Forum social mondial.
Ce Forum social thématique sur les 15 ans du Forum social mondial m’a permis de tisser des liens importants avec des organisations brésiliennes qui se préoccupent, tout comme la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine dont je suis co-porte-parole, des impacts du développement minier sur l’environnement et les gens. Mais ce qui ressort avant tout de cette expérience, pour moi, c’est le constat que les stratégies de domination des multinationales et de l’élite financière internationale ne connaissent pas de frontières. Il y a, en effet, plus de ressemblances que de différences entre la situation politique et économique du Brésil et celle du Québec.
Dans le cadre du FST, j’ai rencontré plusieurs chercheurs et activistes qui luttent contre l’industrie du nucléaire au Brésil, mais aussi en Bolivie, en Argentine et ailleurs en Amérique latine. Plusieurs d’entre eux envisagent de participer au Forum social mondial à Montréal, en août prochain, afin de créer un axe fort sur l’extractivisme. Cet événement d’importance sera une excellente occasion pour réseauter et construire des solidarités en vue d’exiger l’arrêt de la filière uranifère, le respect des droits de la personne et la protection de l’environnement à l’échelle mondiale. Signe que cette question préoccupe au plus haut point les militants d’Amérique latine, de nombreux ateliers sur la question ont eu lieu tout au long du FST. Citons notamment la conférence de Mme Raquel Rigotto, professeure et chercheuse au Département de santé communautaire à la Faculté de médecine de l’Université fédérale de Ceará, et coordinatrice du Centre de Frame – travail, environnement et santé, donnée conjointement avec Chico Whitaker, militant altermondialiste de renommée internationale et membre fondateur du Forum social mondial.
Une assemblée de convergence sur l’industrie minière a également été organisée par la CNTI, une centrale syndicale locale qui représente les travailleurs du secteur minier. Les intervenants ont dressé un portrait très critique de la façon dont fonctionne l’industrie minière, tant sur le plan social qu’environnemental ou économique. C’est avec grand intérêt que j’ai constaté que les problèmes associés au secteur minier brésilien sont sensiblement les mêmes que ceux que nous dénonçons au Québec, ce qui est somme toute peu surprenant dans un monde de plus en plus globalisé. Comme ici, le phénomène des portes tournantes entre l’industrie et le secteur public semble très marqué au Brésil, de même que la corruption et la complaisance étatique face à l’industrie qui en découle.
Les revendications portées par les ONG et les syndicats locaux sont également très similaires à celles qui sont mises de l’avant par la Coalition Québec meilleure mine:
• Plus de démocratie et de transparence;
• Le droit des peuples d’être consultés, de consentir aux projets ou d’y apposer leur veto;
• Des zones libres d’exploitation minière;
• Des garanties financières pour la restauration des sites miniers à la fermeture;
• Le respect des peuples autochtones;
• L’utilisation de la meilleure technologie disponible et l’innovation dans toute la chaîne de production afin de minimiser les impacts.
J’ai également eu l’occasion de tisser des liens avec des organisations qui se sont impliquées dans le cadre du déversement de Bento Rodrigues, un village situé près de la ville de Mariana, dans l’état du Minas Gerais. Ce déversement, lié à la rupture d’un barrage de rejets provenant d’une mine de fer appartenant à une filiale de la multinationale Valeconstitue, avec près de 60 millions de mètres cubes de rejets, est le plus gros déversement de l’histoire de l’industrie minière. Il est intéressant de noter que Vale est aussi impliquée dans la construction du barrage du Belo Monte, un projet hautement contesté, qui délogerait plus de 25 000 autochtones de leurs territoires ancestraux en plus d’inonder un écosystème unique sur plus de 500 km2.
La catastrophe du Minas Gerais, vraisemblablement causée par la négligence de la compagnie, a complètement détruit le village de 800 habitants, a entraîné la mort de dizaines de personnes et a affecté plus d’un million de personnes provenant de 50 municipalités en aval, les privant d’eau potable ou de leurs moyens de subsistance. L’énorme coulée de boue toxique a engendré la contamination de plusieurs rivières, dont l’un des fleuves principaux du Sud-est brésilien – le Rio Doce – sur plus de 600 km, le rendant complètement stérile et détruisant totalement toute l’économie de la région. L’estimation officielle – somme toute conservatrice – des préjudices associés à ce déversement, s’élève à 5,2 milliards de dollars américains. L’ensemble des impacts associés à cette tragédie font en sorte que plusieurs analystes n’ont pas hésité à la qualifier de « Fukushima du Brésil ».
Après le Forum social thématique, une visite aux abords du Rio Gualaxo do Norte, près de l’épicentre de la tragédie, m’a permis de constater l’ampleur de la dégradation environnementale associée à cette catastrophe, de même que la consternation et la colère de la population touchée.
En tant que militante d’Attac Québec, je me suis intéressée à certains ateliers et grandes conférences portant sur les questions politiques et économiques. J’ai notamment assisté à une grande conférence portant le titre «Démocratie et développement en temps de coups d’État et de crise», qui bien que très axée sur l’actualité politique brésilienne, m’a permis de constater une fois de plus les similitudes quant aux stratégies mises en place par l’élite financière pour contrôler la politique dans les différents pays du monde. Dans le même sens, un atelier portant sur le «Monde du travail: l’austérité, la crise et le chômage», a démontré que les pratiques antisyndicales des gouvernements et des entreprises ne connaissent pas de frontières, mais forment une tendance lourde qui s’inscrit dans la panoplie de stratégies qui visent à affaiblir toujours plus les droits des travailleurs, les services publics et la démocratie au profit du marché et de la minorité possédante.
Enfin, un atelier a permis de tisser des liens importants entre toutes ces questions. Intitulé «Pour un système fiscal plus équitable: l’égalité de traitement entre les revenus; propositions pour le secteur des industries extractives», cet atelier a permis d’aborder en profondeur la question d’une plus grande justice fiscale entre les entreprises et les individus. Au Brésil comme au Québec, l’industrie minière ne paie pratiquement pas d’impôt en raison de redevances excessivement basses sur les ressources exploitées et du recours aux paradis fiscaux. Elle bénéficie également de nombreuses subventions. Au final, l’exploitation minière se fait à perte pour l’État, qui au lieu d’en tirer un revenu doit payer pour voir extraire ses ressources non renouvelables. Or, ces ressources appartiennent de plein droit à la population des pays en cause. Il est odieux qu’à l’heure où les gouvernements mettent en place des politiques d’austérité qui affaiblissent les services publics et le filet social, l’on fasse reposer sur les peuples le financement du pillage de nos ressources par une industrie multimilliardaire.
Finalement, l’expérience acquise tout au long de ce Forum social thématique m’a fait prendre conscience de l’importance de développer le plus possible les questions de l’extractivisme et de la justice fiscale lors du Forum social mondial à Montréal, en août prochain. J’ai la ferme intention de mettre à profit les contacts que j’ai eu la chance de créer au Brésil pour le faire.
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