Acheter un pain et en même temps subventionner un théâtre de quartier ou le fleuriste de la rue voisine! Voilà le pari qu’ont fait quelques citoyen-ne-s quand ils ont mis sur pied un groupe de réflexion sur une monnaie locale complémentaire à Montréal.
Inspiré par des réalisations semblables à Nantes et au pays basque entre autres, le groupe s’est progressivement initié à ce concept qui est devenu réalité en mars 2018. Grâce à la collaboration de la Caisse Solidaire Desjardins, «l’îlot Montréal» a finalement vu le jour.
Le collectif «Une Monnaie pour Montréal» a établi des règles de partage et de circulation de cette toute nouvelle monnaie en privilégiant le consensus comme forme de discussion à l’intérieur du groupe. 1 Le quartier Rosemont-Petite-Patrie a été choisi pour la première expérimentation. Plusieurs projets novateurs dans différents domaines (environnemental, entrepreneurial, commercial, etc.) prennent forme dans ce quartier depuis une décennie, créant une tradition de projets pionniers et un flux d’énergie susceptibles d’accueillir la proposition d’une monnaie locale. Les premiers efforts seront donc concentrés dans ce quartier.
Actuellement, la phase préparatoire est terminée. Il faut maintenant établir un circuit de base pour expérimenter la circulation de la monnaie en recherchant 250 citoyens et 50 commerçants enthousiastes.
Audace ou utopie
Imaginer une monnaie parallèle à l’argent national semble audacieux, surtout pour un groupe citoyen qui doit défricher et déchiffrer une réalité considérée comme étant du ressort des experts. Démystifier le langage économique, est la première de ces étapes. Alain Deneault parle de la réappropriation de l’économie: «L’économie est une façon d’entrer en relation pour que la vie se perpétue»2 En créant une nouvelle façon d’échanger des biens et des services – une nouvelle forme d’économie – le consommateur passif et endetté reprend du pouvoir sur sa vie quotidienne et devient un citoyen actif. Le rapport à l’argent est transformé; l’argent n’est plus accumulé, emprunté, thésaurisé, il circule et peut devenir ainsi créateur de richesse sociale locale. L’argent est alors un outil d’échange et non une fin en soi.
Des écosystèmes se créent lors de cette nouvelle forme d’échanges: celui qui cultive une ressource (la farine par exemple) avec un boulanger qui, à son tour, paie ses collaborateurs en Îlots. Ceux-ci pourraient les dépenser dans une fruiterie, une brasserie locale, un restaurant, un cinéma, un théâtre, etc. Des chaînes, des boucles d’échanges s’installent ainsi dans la vie locale, de façon solidaire. Ces écosystèmes s’étendront nécessairement au-delà du quartier, rejoignant ainsi de plus en plus d’«échangistes», conscients de la richesse communautaire qu’ils générèrent. Tous ces écosystèmes reliés entre eux renforcent l’économie locale et pourraient susciter d’autres projets collectifs de l’ordre des communs.
C’est à ce niveau que réside la richesse de cette aventure car elle pourrait engendrer un mouvement de transformation sociale. Un mouvement qui se fait à tâtons, par petit pas, mais qui suppose une vision différente du rapport à l’économie, du rapport à l’échange et à la communauté.
On ne peut présumer de l’avenir de l’Îlot à ce stade-ci. La suite dépend des forces militantes et bénévoles qui se mobiliseront et de la qualité des réponses obtenues. Frapper aux portes des commerces de quartier et engager un dialogue avec eux, faire connaitre l’Îlot sur le plus de plateformes possibles, créer un mouvement de confiance et en augmenter le nombre en circulation, etc. voilà les tâches qui vont rassembler les militant-e-s dans un avenir proche. Ce noyau militant, à implication variable, est l’unique ressource du projet depuis le début.
Il y a environ 5000 monnaies locales dans le monde. Celle qui semble avoir la plus longue vie à date est le Hour d’Ithaca (NY) qui existe depuis presque 30 ans. Il y a des monnaies locales en France et au Canada qui fonctionnent mais leur élan n’a pas l’ampleur souhaitée. Au Québec, il y a quelques initiatives en progression (comme le Blé de Québec, le Laurentien de Val David), mais ces monnaies ne circulent pas encore.
Il faut une bonne dose d’utopie pour implanter un système local de rapports socio-économiques qui soit différent des rapports du « libre » échange à l’échelle mondiale. Le Collectif Monnaie Montréal contribue, quels que soient les résultats de l’entreprise, à créer un flux d’énergie nouvelle susceptible de se rattacher à d’autres projets novateurs tels le Bâtiment 7 et les nombreux paniers fermiers distribués et gérés par Équiterre, qui sont toutes des initiatives vraiment inspirantes. Pour prolonger la réflexion: https://iris-recherche.qc.ca/blogue/les-monnaies-locales-outils-de-transformation-de-la-societe
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