Depuis quelques années, le gouvernement du Québec souhaite développer l’industrie de la filière batterie pour les véhicules électriques en s’appuyant sur la future méga-usine Northvolt de McMasterville/Saint-Basile-le-Grand qui elle-même s’appuie sur l’industrie automobile. Pourquoi? Dans quels buts? Les raisons sont-elles écologiques, économiques ou idéologiques? Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), pour créer des bons emplois ou pour sauver le capitalisme?
1. Pourquoi Northvolt?
Comment l’entreprise Northvolt, qui fait la une des journaux ces dernières semaines, at-elle obtenu les faveurs de nos gouvernements? Tout commence lorsque l’entreprise « s'[inscrit] au registre des lobbyistes au mois de mai 2023. Le 31 mai, le ministre Benoit Charette [rencontre] des représentants de la compagnie suédoise, sans que l’entretien n’apparaisse à son agenda public. » (Radio-Canada, 6 mars 2024). Le même ministre de l’Environnement affirmait plus tard dans un entretien pour Radio-Canada : « Si on n’avait pas pu donner de réponse à l’entreprise, que ce soit Northvolt ou une autre, avant 18 ou 24 mois, c’est certain que ces entreprises auraient retenu un autre lieu pour s’implanter. » On dira ce qu’on voudra, ça marche bien le lobbying quand même! Ainsi, après avoir pressé les gouvernements du Québec et du Canada de signer le projet Northvolt de McMasterville/Saint-Basile-le-Grand, après avoir encaissé leurs premières subventions et après avoir détruit un milieu humide sur les berges de la rivière Richelieu, Northvolt souhaite ralentir la construction de l’usine.
Selon les récentes déclarations des dirigeants de l’entreprise, l’avenir de Northvolt semble plus qu’incertain : difficultés financières, fermeture du centre de recherche et développement en Californie, restructuration, congédiement de 1600 employés en Suède. Néanmoins, le cofondateur et PDG de Northvolt pour l’Amérique du Nord, Paolo Cerruti, rassure ses investisseurs et affirme souhaiter continuer avec la construction de l’usine en Montérégie. La nouvelle ministre de l’Énergie, Christine Fréchette déclare : « [Paolo Cerruti] m’a réitéré [sa] volonté ferme d’aller de l’avant avec le projet prévu pour le Québec. La nature même du projet demeure. » La ministre persiste en affirmant que pour Northvolt, il n’est pas question de retrancher les activités qu’ils prévoyaient faire.
2. Filière batterie : balance bénéfice-risque.
Afin d’accepter un nouveau projet comme Northvolt, il semble évident d’étudier, au préalable, la balance bénéfice-risque. L’État devrait donc nous faire la démonstration que les bénéfices pour la société sont supérieurs aux risques éventuels. Sans rapport du bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), la démonstration semble un peu bancale.
Concernant les bénéfices pour l’environnement, ils semblent un peu minces. L’implantation d’une telle usine permettra-t-elle la diminution des émissions de GES? Rien n’est moins certain. Alors qu’il était encore ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, dans toute sa franchise, en réponse à une question du député solidaire Haroun Bouazzi, déclare : « Ça pas d’impact sur les GES du Québec », « Northvolt ne réduit pas les GES [au Québec] », a-t-il ajouté (La Presse, 16 avril 2024).
Peut-être y aurait-il des bénéfices pour l’économie québécoise? Pour y croire, il faut avoir un peu d’imagination. On nous serine « On va créer des bons emplois! ». Mais pourquoi? Le Québec traverse actuellement une période de pénurie d’emplois et la formation de nouveaux travailleurs semble prendre du retard. En effet, « le directeur général du Cégep de Drummondville, Pierre Leblanc, qui pilote le projet, attend depuis deux ans l’autorisation du gouvernement Legault pour que l’école de la batterie voie le jour à Bécancour, dans le Centre-du-Québec. » (Radio-Canada, 25 septembre 2024)
Y aurait-il des bénéfices économiques à long terme? En réalité, on n’en sait rien. En investissant dans le secteur de la voiture électrique, le premier ministre Legault souhaite augmenter la production de richesses et ainsi stimuler la croissance économique. Le gouvernement du Québec semble donc avoir fait un pari sur l’avenir en investissant énormément d’argent public dans l’espoir d’une éventuelle croissance. « La CAQ a joué au casino avec les milliards et les mégawatts des Québécoises et des Québécois, il est temps de rendre des comptes en rendant publiques les études économiques concernant Northvolt. » (Député solidaire Haroun Bouazzi, Assemblée nationale)
Pour ce qui est de l’attractivité des entreprises de la filière batterie, le gouvernement de François Legault souhaite développer cette industrie de l’extraction minière au recyclage de batteries pour les véhicules électriques. L’investissement fait dans l’entreprise Northvolt devrait selon lui attirer d’autres investisseurs du même secteur. C’est certain que si on donne des milliards en argent public à n’importe quelle entreprise qui nous fait miroiter un avenir radieux avec des travailleurs heureux, des petits oiseaux et des fleurs, ça va se bousculer au portillon.
Concernant les risques pour l’environnement, ils sont nombreux. Citons-en quelques-uns liés à la pollution minière lors de l’extraction des matières premières et à la pollution industrielle en périphérie des usines de batteries.
Pour être extrait, le lithium, le graphite et d’autres métaux essentiels à la fabrication de batteries nécessitent l’utilisation de substances chimiques très polluantes et de beaucoup d’eau. Quant à une usine comme Northvolt, elle rejettera du nickel, du cobalt et du lithium dans l’air et dans l’eau[i]. L’usine veut également pomper 9 milliards de litres d’eau par année dans la rivière Richelieu pour alimenter sa future usine en Montérégie. De plus, 60 % de cette eau sera utilisée pour des procédés industriels et sera exposée à des contaminants. Northvolt assure que l’eau rejetée dans la rivière Richelieu après avoir été utilisée dans son complexe industriel sera préalablement filtrée et ne représentera aucun risque pour l’environnement.[ii] Sans examen du BAPE, permettez-nous d’en douter. De plus, la construction de ce complexe industriel et les rejets toxiques dans l’environnement lors de son fonctionnement participent à la diminution de la biodiversité et à l’artificialisation de terres humides. La destruction de 130 000 mètres carrés de milieu humide et le pompage de l’eau menacent, entre autres, l’habitat du chevalier cuivré, de l’hirondelle de rivage et du petit blongios, trois espèces en péril. De plus, les terres humides sont très utiles à l’absorption de GES et de l’eau de pluie lors de fortes précipitations.
Les risques pour la santé des travailleuses et des travailleurs sont aussi à considérer tout au long de la chaîne d’extraction et de production de cette filière industrielle. En Suède, la police enquête sur trois décès inexpliqués d’employés (âgés de 19, 33 et 59 ans) de l’usine Northvolt.[iii] Les employés auraient pu être exposés aux mêmes substances toxiques. De plus, le lithium rejeté dans l’air et dans l’eau à proximité de l’usine de batteries peut avoir un impact sur la santé mentale des habitants de la région.[iv]
En plus des risques pour l’environnement, il est important de prendre en compte les risques pour l’économie du Québec. Transférer de l’argent public à une entreprise privée étrangère provoque l’appauvrissement de notre économie et participe à la fuite des capitaux. Les marchés financiers, l’approvisionnement en matières premières et la concurrence internationale (surtout chinoise) rend la filière industrielle de la voiture électrique instable et ne permet pas de construire avec certitude une vision à long terme dans ce secteur de l’économie.
Il semble que pour le projet Northvolt, les risques sont largement supérieurs aux bénéfices. Chose certaine, pour se forger une opinion éclairée, il est essentiel de connaître toutes les conséquences de l’implantation d’un tel projet (BAPE, contrat et conditions d’application du projet avec l’entreprise).
3. Une révolution des transports : oui mais laquelle?
Doit-on repenser la vie sans voiture individuelle? Dans les grands centres urbains, certaines structures existent déjà en ce sens : bixi, communauto, transports en commun. Par contre, plus on s’en éloigne, plus il est difficile de se passer de la voiture individuelle. Les petites villes et les villages du Québec sont souvent isolés, les services sont généralement installés près des plus grandes villes. Aujourd’hui, pour se soigner, se nourrir, se divertir, s’instruire, travailler dans ces régions, il est nécessaire de le faire en voiture. C’est pourquoi nous devons développer de nouvelles structures de transports collectifs, encourager le covoiturage et favoriser la marche et le vélo. Aussi, nous devons révolutionner l’urbanisme en encourageant les petites et moyennes entreprises à s’implanter dans nos villages, en y réinstallant des services publics et en tenant compte du réseau de transport collectif pour tous les nouveaux développements immobiliers.
Une révolution implique d’importants bouleversements. Nous devons accepter de changer notre mode de vie en sortant de la culture de l’automobile individuelle et en développant une culture du transport collectif. Pour que ces nouvelles pratiques s’installent dans la durée, nous devons également éduquer et sensibiliser les jeunes générations à l’importance de tels changements culturels.
Pour un avenir meilleur, il nous faut collectivement prendre des décisions importantes, légiférer, investir, développer les solidarités et demeurer humbles et respectueux face à la nature. Il faut l’observer, écouter ce qu’elle dit.
[i] Radio-Canada, 21 août 2024
[ii] Le Devoir, 29 août 2024
[iii] Radio-Canada, 27 juin 2024
[iv] Maryse Bouchard, Institut national de la recherche scientifique (INRS)
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