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Bulletin, mars 2017

La question de l’emploi et les positions syndicales face à la décroissance.

par Marc-Édouard Joubert
Président du Conseil régional FTQ Montréal métropolitain

Le modèle économique actuel basé sur l’accumulation infinie de la richesse aussi appelé parfois capitalisme est bien entendu remis en question depuis plus de 35 ans par une bonne partie de la société civile mondiale. En effet, depuis 1992 à Rio, les militantes et militants issus d’organisations diverses s’organisent et font connaître leur mécontentement face à la marchandisation de la nature au profit du tout-puissant libre marché. Il va sans dire que les organisations syndicales ont elles aussi, participé à ce mouvement de contestation moderne et disparate.

En fait, le paradigme selon lequel, le bien-être de l’humanité nécessite impérativement plus de croissance, plus de productivité, plus de consommation s’est avéré être une chimère, une décevante illusion. En réalité, la société de croissance actuelle n’est plus soutenable parce qu’elle se heurte aux limites de la biosphère. Le réchauffement climatique qui entraîne la fonte des pôles et qui est lié à la destruction de la couche d’ozone devrait constituer un avertissement sévère quant aux conséquences du laisser-aller actuel.

Marie-Dominique Perrot, politicologue, a déclaré ceci«  la sacralisation de la croissance, comme indéfiniment exploitable, condamne le monde à disparaître. C’est l’idée magique du gâteau dont il suffit d’augmenter la taille pour nourrir tout le monde, et qui rend innommable la question de la possible réduction des parts de certains » [1] .

Par ailleurs, puisque la croissance économique n’est plus viable, que pourrions-nous envisager ? Le statu quo ? Puisque les fondements de notre système reposent sur l’accroissement des profits et que celui-ci dépend fortement de l’exploitation des ressources naturelles, le statu quo est carrément utopique. Ce qui est requis n’est plus l’élaboration de modes de développement alternatifs, mais la remise en question de la notion même de développement. Ce qui nous conduit au concept même de la décroissance.

La question se pose donc, qu’est-ce que la décroissance ? Cette conception est liée à l’idée philosophique selon laquelle le bien-être se réalise dans la satisfaction d’un nombre assez limité de besoins et que le bonheur peut-être atteint à moindres coûts. La décroissance n’est pas une notion économique, mais philosophique et idéologique. La question suivante nous heurte donc, si la réduction de notre activité humaine est essentielle dans le contexte de sauvegarde de notre planète, comment concilier le concept de décroissance et celui de la préservation des emplois actuels, ce qui constitue l’un des objectifs des syndicats ? N’y a-t-il pas une contradiction entre ces deux impératifs ?

La réponse à cette question est non. Cependant, pour parvenir à justifier cette prise de position, il nous faut sortir du formatage économique selon lequel l’aspect quantitatif des emplois est plus important que leur aspect qualitatif. Pour arrimer décroissance et syndicalisme, il faut cesser de se préoccuper uniquement du nombre d’emplois, mais se soucier avant tout du type d’emplois à protéger. Il est impératif de se faire à l’idée que des milliers d’emplois liés, entre autres, au secteur des énergies fossiles sont appelés à disparaître. Bien entendu, aucun syndicat ne cherche à perdre des membres. Le mouvement syndical s’est bâti sur des luttes visant à préserver des emplois et à assurer des conditions de travail justes et décentes.

Devrait-on alors abandonner à leur sort les milliers de travailleuses et de travailleurs qui perdent leur emploi suite aux nombreuses fermetures de mines de charbon dans l’est des États-Unis et au Canada par exemple ? Nous répondons par la négative à cette question. Le mouvement syndical porte en son sein des valeurs humanistes qui restent bien présentes malgré les nombreuses transformations du monde du travail. Malheureusement aujourd’hui, aucune réflexion sérieuse n’est engagée entre l’industrie, les syndicats et les gouvernements quant aux possibilités de reclassement et d’accompagnement de ces milliers de personnes qui se retrouvent sans travail et souvent sans perspectives de retourner rapidement sur le marché du travail.

Or, il appert que depuis plusieurs années, les syndicats réclament l’amorce d’un véritable dialogue social sur le concept de transition juste. Tous conviendront qu’il n’y a pas d’emplois sur une planète morte, ce slogan percutant avait été repris par la Confédération syndicale internationale (CSI) au sortir de la conférence de Rio + 20 en 2012. Ce qui signifie qu’il faut se préoccuper de notre planète en délaissant le modèle extractiviste actuel et planifier d’avance le repositionnement de centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs. La transition juste est indispensable pour combattre les changements climatiques, mais elle ne doit plus s’effectuer aux dépens de la classe ouvrière, mais avec elle.

Lors de la COP 21 à Paris, la seule mention de la notion de transition juste se trouve dans le préambule du texte, qui n’a pas de portée contraignante pour les nations. Les gouvernements refusent de se donner des obligations fermes en lien avec la transition juste parce que ceux-ci ne désirent pas nuire à leur économie nationale respective. Parallèlement, au sein des syndicats, nous sommes loin de l’obtention d’un consensus face à la question de la transition juste comme l’a souligné Annabella Rosenberg, conseillère politique de la CSI.

D’ailleurs, le secteur minier est l’un des fleurons emblématiques des luttes syndicales et sociales du siècle dernier. Pensons notamment aux miniers Sud-Africains qui ont lutté avec acharnement contre les politiques d’apartheid dans leur pays. Tous ne sont pas prêts à tourner le dos au secteur minier au sein des syndicats. La lutte doit cependant se poursuivre.

En novembre dernier, le premier ministre Trudeau annonçait la fermeture des centrales électriques fonctionnant avec du charbon, et ce d’ici 2030. Quelques semaines plus tard, le même gouvernement approuvait les projets d’oléoducs de Kinder Morgan et d’Enbridge 3-B. Avec de telles décisions, il est clair que le gouvernement canadien refuse la voie de la décroissance.

Cependant, tant la FTQ que le Conseil régional FTQ Montréal métropolitain continueront d’exiger une véritable planification des impacts de l’abandon de certains secteurs polluants tels que les mines de charbon sur les emplois et sur la main d’œuvre. En décembre dernier, le secrétaire général de la FTQ, Serge Cadieux déclarait dans une lettre ouverte au Devoir en lien avec la transition juste «  l’Allemagne et la France ont conçu des plans de transition inclusifs. Des pays comme le Sénégal et la Sierra Leone ont mis sur pied des comités de travail composés de représentants des employeurs, des syndicats, et d’autres organismes de la société civile. Pourquoi pas le Québec ? »

Certes, les défis entourant les concepts de décroissance et de transition juste sont très grands, mais nous restons cependant optimistes de pouvoir provoquer un véritable dialogue social sur ces questions. D’ailleurs, lors du 31e congrès de la FTQ qui a eu lieu en novembre dernier, une déclaration politique portant sur les changements climatiques et la transition juste a été adoptée par l’ensemble des congressistes. C’est sûrement là aussi un signe que les préoccupations de la classe ouvrière évoluent.
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Marc-Édouard Joubert est militant syndical de longue date. Il a d’abord été délégué d’atelier au dépôt postal Bridge. Élu à l’exécutif syndical il a plaidé de nombreux dossiers de griefs. Militant sensible à de nombreuses causes sociales et politiques, il est actif au sein du Conseil régional FTQ Montréal métropolitain dont il est le président depuis 2016.

Notes

[1Marie Dominique Perrot, Mondialiser le non-sens, L’Age d’homme, Lausanne, 2003, p.23




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