L'Aiguillon, le bulletin d'ATTAC Changer le monde : à quelles conditions ?

Changer le monde : à quelles conditions?

Bulletin no 54 - Mars 2017
Sortir de notre système productiviste qui prend l’eau de toute part est-ce possible ? Le bulletin explore 2 secteurs qui sont au cœur de notre système économique : l’agriculture et le travail. Dans un premier article, Claire Bolduc répond à la question «Serait-il possible de nourrir le Québec – la planète – sans l’agriculture industrielle actuelle ? » La réponse est sans équivoque, penser l’agriculture autrement ne relève pas de l’utopie, mais d’un choix parmi des modèles qui existent déjà et qui montrent que c’est possible. Pour Marc-Édouard Joubert, il n’y a pas de contradiction fondamentale entre l’objectif des syndicats qui est de protéger les emplois et la décroissance si on considère la préservation des emplois autrement que sous l’aspect strictement quantitatif du nombre d’emplois. Benjamin Aubin questionne l’effet des politiques du gouvernement libéral sur les droits sociaux lesquels obligent les gouvernements à fournir des services accessibles et de qualité. Son analyse montre, une fois encore, comment le désengagement du gouvernement – particulièrement en qui concerne l’éducation - porte une atteinte grave à ces droits souvent oubliés. Le bulletin s’enrichit d’une nouvelle collaboratrice qui présentera, dans chaque publication, un livre récent. Elle rend compte de la question que pose un avocat environnementaliste canadien David R. Boyd peut-on être optimiste face aux gains environnementaux ? Pouvons-nous vraiment – dans ce domaine – faire le pari de l’optimisme ?
Le billet du CA

Libre-échange: attention aux amalgames!

par Claude Vaillancourt
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Depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump, les opposants au libre-échange sont remis en cause d’une façon nouvelle. Dans le cas de ces deux événements, une campagne axée entre autres sur le racisme et l’exclusion a permis une victoire inattendue des défenseurs d’un protectionnisme décomplexé. Ce qui permet à certains d’arriver à de douteuses conclusions. On associe ainsi l’ouverture et la tolérance au libre-échange, ce qui s’oppose à l’esprit sectaire et égocentrique de Trump et des défenseurs du Brexit. Ceux qui s’obstinent à dénoncer les accords commerciaux sont associés à des électeurs d’extrême-droite, dans un amalgame commode qui vise à rejeter en bloc tous les objecteurs de ces traités. À un point tel que certains se sont demandé s’il ne fallait pas soutenir ces accords, afin de ne pas être confondus aux conservateurs protectionnistes, et par crainte que l’élimination de ces ententes ne referme les frontières et crée une nouvelle instabilité économique. Pourtant, l’existence même de ces mouvements très à droite est le produit de la désillusion créée par des politiques économiques constamment dénoncées par les adversaires du libre-échange, des choix économiques qui favorisent l’accroissement des inégalités sociales et ne tiennent compte que du seul bénéfice des grandes entreprises. Comme l’a souligné Yannick Jardot, député européen d’Europe écologie s’adressant aux partisans de l’AÉCG, «nous sommes dans un moment trop précieux, trop rare de notre histoire pour ne pas regarder ce qui justifie, ce qui explique les Brexit et les Trump : c’est la mondialisation que vous construisez. Vous alimentez le feu dont se nourrissent les extrêmes-droites.» En opposant un libre-échange soi-disant progressiste à une extrême-droite revancharde, les défenseurs des accords commerciaux font l’économie d’un examen de conscience pourtant plus que nécessaire. Ils prétendent vouloir aller de l’avant en refusant de se questionner sur ce qui a pu créer une réaction de rejet aussi forte de ces ententes tentaculaires que l’on n’a presque jamais soumis à de véritables débats démocratiques. On pourrait même constater que certaines promesses de Trump vont en fait dans le même sens que les accords commerciaux qu’il prétend honnir : dérèglementation généralisée, avec comme cible importante le secteur bancaire, refus de maintenir ou de mettre en place des mesures de protection de l’environnement si ces dernières vont à l’encontre des intérêts financiers et des projets des entreprises. Dans cette opposition entre le protectionnisme et le libre-échange, plus personne ne défend des valeurs aussi essentielles que le travail décent, le respect des droits de la personne, la justice sociale, la nécessité absolue de protéger l’environnement. Plus personne ne remet en question l’omnipotence des grandes entreprises multinationales. Et le fait de ramener certaines compagnies aux États-Unis ne signifie pas pour Trump de les soumettre à des règlements et d’encourager le syndicalisme, bien au contraire. Il est donc plus nécessaire que jamais de s’opposer au libre-échange et de bien comprendre les raisons qui nous motivent à agir ainsi. Notre combat n’est pas de vouloir fermer les frontières, mais de les ouvrir autrement. Pour cela, il faut concevoir des accords bien différents de ceux qu’on nous propose, des ententes qui permettraient par exemple d’établir des normes environnementales plus exigeantes, de protéger le travail, de contrôler le trop puissant oligopole des banques, de mettre en place une taxe sur les transactions financières et d’éradiquer la concurrence fiscale entre les États. Les idées ne manquent surtout pas!

 

Quelle agriculture veut-on au Québec?

par Claire Bolduc
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Serait-il possible de nourrir le Québec – la planète – sans l’agriculture industrielle actuelle ? Voilà la question à laquelle on m’a demandé de répondre il y a quelques semaines. Pour moi qui ai milité activement en agronomie et en ruralité au cours des 25 dernières années, ma réflexion s’appuie sur des constats vérifiés et partagées maintes fois. Mais comme le dit le proverbe, cent fois sur le métier…..C’est donc cette réflexion que je vous livre aujourd’hui. Au cours des 20 dernières années, l’actualité a régulièrement mis de l’avant les problématiques agricoles et les enjeux inhérents à cette activité d’importance pour toute société. Les préoccupations tout comme les commissions et consultations se sont multipliées, que ce soient sur les enjeux environnementaux (1995), la production porcine (1998), les OGM (1999), la crise de la vache folle (2003), la sécurité alimentaire (2003-2004), l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire (2006-2007), les accords internationaux (depuis 2001), la listériose dans les fromages (2008) et plus récemment les pesticides (2015), le sujet de l’agriculture n’a pas cessé de revenir à l’avant-scène. Presque toujours pour souligner des problèmes, de trop rares fois pour saluer de belles initiatives. Ce qui me frappe le plus, c’est que de crise en crise, de problématique en problématique, malgré les avis, les études et les constats, on en vient finalement toujours à réclamer les mêmes solutions : le contrôle de la production, de la mise en marché et du message par le syndicat agricole, l’injection de sommes additionnelles au soutien à l’agriculture, une grande liberté d’action et un minimum de contrôle pour les producteurs agricoles. Il devient clair que le modèle actuel, qui privilégie le gros et facile, nous fait tous reculer et qu’il n’apporte rien au monde rural. C’est comme si on croyait que continuer de faire plus de quelques chose qui de toute évidence ne fonctionne plus permettra à l’activité agricole de faire mieux…. Comme si on n’avait pas pris la mesure des limites atteintes, et dépassées, du modèle productiviste. Pour le bien de tous, je pense qu’il faut revenir à ce sens particulier de l’agriculture, celui de l’instrument privilégié du paysan, celui qui mise sur les territoires dans toutes leurs diversités, qui encourage une agriculture de taille humaine et qui valorise les savoir-faire des ruraux.

L’agriculture et le territoire, ou comment penser autrement.

Je le dis d’emblée, je suis en faveur d’un soutien de l’État aux activités agricoles. Mais il faut bien le constater, au cours des quinze dernières années, les aides agricoles, plutôt que de favoriser le maintien et une juste répartition des activités sur tous les territoires, ont plutôt favorisé la concentration des activités dans trois régions, La Montérégie, Chaudière-Appalaches et le Centre-du-Québec et ce, dans deux productions, la production porcine et la production de maïs. Cette concentration s’est aussi produite dans les productions sous gestion de l’offre (lait, œufs, volailles) qui ont déserté les territoires plus éloignés pour se concentrer dans la plaine du St-Laurent. Il résulte de cette concentration une perte d’actifs de production dans les régions et une concentration de la richesse et des moyens de production. Cela a généré des impacts marqués sur les communautés rurales et l’environnement ainsi que sur le modèle d’entreprise agricole. Ce sont les entreprises de petite et moyenne dimension qui disparaissent, au bénéfice de l’émergence de grosses et de très grosses entreprises. Le système actuel d’agriculture vise l’accroissement de la productivité, mise en place après la deuxième Guerre mondiale. La ruralité et le développement territorial deviennent donc un extrant par défaut de la fonction de production de la chaîne bioalimentaire. Les retombées économiques se calculent en emplois et en valeur ajoutée, mesurées en termes de PIB. Ce qui s’avère néfaste à moyen et long terme, et ce, pour toute la société. Sur un plan territorial, alors que l’agriculture est appelée à jouer un rôle de premier plan dans l’occupation et la vitalité des territoires, le diagnostic montre une contribution économique déclinante, des disparités entre les régions du Québec qui se creusent, des emplois et de la valeur ajoutée de moins en moins répartis, une concentration accrue tant des actifs de production que des activités associées, et un renouvellement (relève) plus difficile. Or, il existe d’autres modèles conceptuels d’agriculture qui permettent de favoriser la prise en compte de principes d’accessibilité, de territorialité et d’équité, autant pour les consommateurs que pour les producteurs. Ces modèles visent de plus petites unités de production, une diversité d’activités au sein même de cette unité et une facilité à rejoindre un consommateur de plus en plus soucieux d’authenticité. C’est pourquoi il importe de se doter d’une vision territoriale de l’agriculture, vision ancrée dans les caractéristiques de chaque territoire, et propre à soutenir la diversité des modèles d’agriculture, selon ces caractéristiques et inspirée de façons de faire variées. En prenant les territoires comme fondement pour un modèle agricole diversifié et innovateur, on se donne un nouveau paradigme qui met l’agriculture non pas dans une perspective sectorielle évoluant en silo, mais bien au service d’objectifs communs de souveraineté alimentaire et d’occupation du territoire. En mettant l’accent sur le lien entre l’agriculture et le territoire rural, il devient possible de conclure un nouveau contrat social entre l’État, les collectivités territoriales et les agriculteurs, pour une occupation plus équilibrée de nos territoires, pour une agriculture plus équitable et plus accessible, pour une agriculture diversifiée et innovante et finalement pour un système agricole et alimentaire qui soit avant-gardiste. Il permet ainsi de situer l’agriculture et son développement dans un processus de développement territorial. Ce développement territorial peut être défini par et pour l’ensemble de la société, que ce soit pour la qualité de la nourriture, la disponibilité d’aliments à un prix accessible pour tous, l’entretien des paysages et de l’environnement ou le développement des communautés rurales. À la fois milieu de vie et milieu où s’exercent des activités de production et des activités récréatives, le territoire rural est multifonctionnel. L’équilibre de ces différentes fonctions est fondamental pour un développement harmonieux et au bénéfice de toute la société. Enfin, comme à l’évidence, les territoires québécois ne constituent pas un ensemble homogène et monolithique pouvant appeler une solution unique et sans nuances, on doit tenir compte des grandes diversités trouvées, qu’elles soient bio-physiques ou sociologiques. Il devient alors nécessaire de penser aux aides agricoles pour le soutien et la sécurité du revenu de façon modulée selon ces territoires. Cette modulation devrait viser la prise en considération des potentiels de chaque territoire, des usages effectifs du territoire et de la réalité de différents modèles d’agriculture qu’on y retrouve. L’agriculture et la multifonctionalité : la contribution du secteur au mieux-être collectif image_2_article_bolduc_.jpgS’il faut aujourd’hui insister sur la multifonctionnalité de l’agriculture, c’est en raison d’une tendance qui a « monofonctionnalisé » l’agriculture en la réduisant à la seule production de denrées, une fonction économique rémunérée par le marché et sur laquelle se focalise l’attention des pouvoirs publics. Or, depuis toujours, l’agriculture procure des biens de nature publique que les mécanismes de marché ignorent. La multifonctionnalité de l’agriculture propose un cadre qui tient compte plus globalement des autres fonctions. Celles-ci concernent notamment l’entretien des paysages, la protection de la biodiversité, la viabilité et le dynamisme du tissu social, la transmission de l’héritage culturel, la participation au tourisme vert, la conservation des terroirs, de l’habitat pour la faune, etc. Pour ces raisons, les mesures de soutien et de sécurité du revenu doivent tenir compte de ces contributions à la société et amener une compensation appropriée à la contribution des agriculteurs, au-delà de la stricte production agricole. Voilà une fois de plus une raison majeure qui appelle à un réel contrat social entre l’État, celui qui paye, le producteur agricole, celui qui produit, et le citoyen-consommateur, qui exprime ses choix de consommateur.

L’agriculture comme activité socio-économique : privilégier la diversité des modèles

Lorsqu’on caractérise largement l’activité agricole par le biais de l’approche strictement économique (emplois créés, contribution au PIB, etc.), on oublie de ce fait trop facilement la nature essentielle de cette activité pour les sociétés, pour leur autonomie et leur souveraineté. Qui plus est, en agriculture, l’efficience économique entre souvent en conflit avec les objectifs environnementaux et ruraux. D’où la nécessité d’un soutien public à l’agriculture et au développement rural, notamment pour assurer un niveau suffisant de production de biens publics (aliments, paysages, etc…). De fait, c’est cette essence socio-économique qui justifie l’investissement collectif et le soutien des activités agricoles sur une base récurrente. Alors que l’agriculture à grande échelle peut être efficiente dans la production de biens de base non différenciés, les petites exploitations agricoles deviennent essentielles dans une offre de services valorisés à l’échelle locale et offrent des avantages locaux, qu’ils soient paysagers, récréatifs ou de sécurité alimentaire. D’ailleurs, au Québec, puisque 42% des entreprises agricoles actuelles génèrent moins de 50,000$ de revenus 1, il y a lieu de constater que les modèles diversifiés cohabitent déjà dans le monde agricole, même si on ne les valorise pas suffisamment. On doit reconnaître la diversité des modèles agricoles en raison des effets structurants complémentaires non seulement sur l’agriculture, mais aussi sur la vitalité rurale et territoriale et sur la cohabitation avec les autres activités du territoire: • L’agriculture productiviste domine actuellement le secteur de l’agriculture. L’agriculture de masse est le représentant type du processus qui tend vers l’homogénéisation où il y a peu de fournisseurs d’intrants, peu de producteurs et peu d’acheteurs, mais une grande quantité de nourriture produite. C’est le modèle d’agriculture le plus productif sur le plan du volume. Cela dit, on doit aussi constater que c’est le modèle le plus fragile à tous les aléas (financiers, de marché, climatiques…) et celui qui compromet le plus sûrement la vitalité des territoires en concentrant la propriété et l’activité dans les mains d’un nombre restreint de personnes. Qui plus est, c’est dans ce modèle que sont actuellement dirigées la majorité des aides agricoles. Un choix social serait de limiter le déploiement de ce modèle de production. On comprendra qu’il y aura fort à faire pour y arriver…. • L’agriculture de spécialité désigne un modèle d’agriculture cheminant vers un processus de différenciation. Ce positionnement ciblé dans la production et la commercialisation répond à des besoins spécifiques ou à une demande émergente des consommateurs. L’agriculture biologique ou de spécialité (le poulet Chantecler, la vache canadienne, les produits d’érable…) en sont des exemples. Ce modèle agricole est intéressant, tant sur le plans de la production que sur l’aspect social, car il permet un réel ancrage de l’activité au cœur du territoire, de sa culture et de ses réalités. • L’agriculture de proximité désigne une agriculture à circuit court dans la production, la transformation, la distribution et surtout dans la consommation. Il désigne aussi un système de pensée axé sur la solidarité entre consommateurs et producteurs. Quand une ferme comme la Ferme de la Grelinette parvient à produire sur 1 hectare de terrain les légumes répondant aux besoins de près de 200 familles et qu’elle arrive à approvisionner les marchés publics de proximité, qu’elle génère un revenu net de plus de 60,000$ annuellement 2 on le voit, un autre modèle est possible! • Le produit qui découle de l’agriculture de terroir met en valeur des potentiels naturels et culturels locaux. Le territoire devient ici le principal élément de distinction et de différenciation. La forme et l’usage des produits agricoles de terroir résultent de la transmission d’un savoir-faire traditionnel et du maintien de filières particulières de productions. L’agriculture de terroir doit avoir une source d’approvisionnement locale en termes d’intrants. On le voit, ce modèle, qui se déploie par exemple dans Charlevoix, donne des ailes et de la fierté à ses partisans. Cette fois encore, c’est la modulation des mesures de soutien et de sécurité du revenu selon les différents modèles d’affaires des entreprises qui permettra de rencontrer les objectifs socio-économiques de l’activité agricole. Comme plusieurs activités économiques, culturelles, et en général humaine, la diversité des façons de faire en agriculture permet d’augmenter la stabilité et la résilience du système agricole. A ce titre, les initiatives innovantes et les différents modèles doivent être encouragée par la société. Cette diversité est aussi un gage d’adaptation aux milieux naturels et aux communautés qui sont eux aussi différents. On devrait donc privilégier largement les trois derniers modèles et limiter le modèle productiviste. Il en faudra du courage….

L’Agriculture au Québec : On doit faire autrement!

Les crises agricoles des dernières années, si graves qu’elles aient pu être, auront eu le mérite d’intéresser un nombre croissant de citoyens et citoyennes à l’importance du secteur et à ses réalités. L’agriculture n’est pas qu’une simple activité économique en milieu rural. Il s’agit d’une activité socio-économique qui implique un contrat entre la société et le milieu agricole, une activité économique agissant sur le territoire afin de produire des biens essentiels (la nourriture entre autres) mais aussi des services tout aussi essentiels (protection de l’environnement, emploi, paysage, appartenance et identité). Cette prise de conscience doit désormais se traduire concrètement dans notre façon d’accompagner les agriculteurs mais aussi dans notre façon d’agir comme consommateurs. Et c’est peut-être là notre plus solide levier pour faire évoluer les choses : que le consommateur en nous se lève, qu’il dispose de tribunes pour exprimer ses choix et ses besoins et surtout, que ce consommateur soit cohérent avec les demandes qu’il aura adressées au monde agricole. Parce qu’ultimement, si on continue d’acheter un bas prix plutôt qu’un produit demandé, sain et socialement productif à tous les points de vue, on n’aura rien gagné! C’est pourquoi, nous avons collectivement besoin d’une politique agricole et alimentaire visionnaire, ancrée dans les territoires. Pour vraiment faire autrement!


Claire Bolduc est agronome depuis 37 ans, présidente de l’Ordre des agronomes du Québec de 1999 à 2005, présidente de Solidarité rurale du Québec de 2008 à 2016. Elle cumule un parcours professionnel diversifié et plus d’une trentaine d’années d’implication citoyenne dans les domaines agricole, rural, environnemental, éducatif et du terroir. En 2016, elle joignait le Collectif Faut qu’on se parle afin d’engager un dialogue politique non partisan avec les citoyens et citoyennes du Québec. Claire Bolduc exploite depuis 1995, avec son conjoint, un vignoble à Ville-Marie au Témiscamingue

 

Notes

  1. MAPAQ, données statistiques de production 2013
  2. La semaine verte, 2 février 2013, La ferme réinventée.

La question de l’emploi et les positions syndicales face à la décroissance

par Marc-Édouard Joubert
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Le modèle économique actuel basé sur l’accumulation infinie de la richesse aussi appelé parfois capitalisme est bien entendu remis en question depuis plus de 35 ans par une bonne partie de la société civile mondiale. En effet, depuis 1992 à Rio, les militantes et militants issus d’organisations diverses s’organisent et font connaître leur mécontentement face à la marchandisation de la nature au profit du tout-puissant libre marché. Il va sans dire que les organisations syndicales ont elles aussi, participé à ce mouvement de contestation moderne et disparate. En fait, le paradigme selon lequel, le bien-être de l’humanité nécessite impérativement plus de croissance, plus de productivité, plus de consommation s’est avéré être une chimère, une décevante illusion. En réalité, la société de croissance actuelle n’est plus soutenable parce qu’elle se heurte aux limites de la biosphère. Le réchauffement climatique qui entraîne la fonte des pôles et qui est lié à la destruction de la couche d’ozone devrait constituer un avertissement sévère quant aux conséquences du laisser-aller actuel. Marie-Dominique Perrot, politicologue, a déclaré ceci« la sacralisation de la croissance, comme indéfiniment exploitable, condamne le monde à disparaître. C’est l’idée magique du gâteau dont il suffit d’augmenter la taille pour nourrir tout le monde, et qui rend innommable la question de la possible réduction des parts de certains»1 . Par ailleurs, puisque la croissance économique n’est plus viable, que pourrions-nous envisager? Le statu quo? Puisque les fondements de notre système reposent sur l’accroissement des profits et que celui-ci dépend fortement de l’exploitation des ressources naturelles, le statu quo est carrément utopique. Ce qui est requis n’est plus l’élaboration de modes de développement alternatifs, mais la remise en question de la notion même de développement. Ce qui nous conduit au concept même de la décroissance. La question se pose donc, qu’est-ce que la décroissance? Cette conception est liée à l’idée philosophique selon laquelle le bien-être se réalise dans la satisfaction d’un nombre assez limité de besoins et que le bonheur peut-être atteint à moindres coûts. La décroissance n’est pas une notion économique, mais philosophique et idéologique. La question suivante nous heurte donc, si la réduction de notre activité humaine est essentielle dans le contexte de sauvegarde de notre planète, comment concilier le concept de décroissance et celui de la préservation des emplois actuels, ce qui constitue l’un des objectifs des syndicats? N’y a-t-il pas une contradiction entre ces deux impératifs? La réponse à cette question est non. Cependant, pour parvenir à justifier cette prise de position, il nous faut sortir du formatage économique selon lequel l’aspect quantitatif des emplois est plus important que leur aspect qualitatif. Pour arrimer décroissance et syndicalisme, il faut cesser de se préoccuper uniquement du nombre d’emplois, mais se soucier avant tout du type d’emplois à protéger. Il est impératif de se faire à l’idée que des milliers d’emplois liés, entre autres, au secteur des énergies fossiles sont appelés à disparaître. Bien entendu, aucun syndicat ne cherche à perdre des membres. Le mouvement syndical s’est bâti sur des luttes visant à préserver des emplois et à assurer des conditions de travail justes et décentes. Devrait-on alors abandonner à leur sort les milliers de travailleuses et de travailleurs qui perdent leur emploi suite aux nombreuses fermetures de mines de charbon dans l’est des États-Unis et au Canada par exemple? Nous répondons par la négative à cette question. Le mouvement syndical porte en son sein des valeurs humanistes qui restent bien présentes malgré les nombreuses transformations du monde du travail. Malheureusement aujourd’hui, aucune réflexion sérieuse n’est engagée entre l’industrie, les syndicats et les gouvernements quant aux possibilités de reclassement et d’accompagnement de ces milliers de personnes qui se retrouvent sans travail et souvent sans perspectives de retourner rapidement sur le marché du travail. Or, il appert que depuis plusieurs années, les syndicats réclament l’amorce d’un véritable dialogue social sur le concept de transition juste. Tous conviendront qu’il n’y a pas d’emplois sur une planète morte, ce slogan percutant avait été repris par la Confédération syndicale internationale (CSI) au sortir de la conférence de Rio + 20 en 2012. Ce qui signifie qu’il faut se préoccuper de notre planète en délaissant le modèle extractiviste actuel et planifier d’avance le repositionnement de centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs. La transition juste est indispensable pour combattre les changements climatiques, mais elle ne doit plus s’effectuer aux dépens de la classe ouvrière, mais avec elle. Lors de la COP 21 à Paris, la seule mention de la notion de transition juste se trouve dans le préambule du texte, qui n’a pas de portée contraignante pour les nations. Les gouvernements refusent de se donner des obligations fermes en lien avec la transition juste parce que ceux-ci ne désirent pas nuire à leur économie nationale respective. Parallèlement, au sein des syndicats, nous sommes loin de l’obtention d’un consensus face à la question de la transition juste comme l’a souligné Annabella Rosenberg, conseillère politique de la CSI. D’ailleurs, le secteur minier est l’un des fleurons emblématiques des luttes syndicales et sociales du siècle dernier. Pensons notamment aux miniers Sud-Africains qui ont lutté avec acharnement contre les politiques d’apartheid dans leur pays. Tous ne sont pas prêts à tourner le dos au secteur minier au sein des syndicats. La lutte doit cependant se poursuivre. En novembre dernier, le premier ministre Trudeau annonçait la fermeture des centrales électriques fonctionnant avec du charbon, et ce d’ici 2030. Quelques semaines plus tard, le même gouvernement approuvait les projets d’oléoducs de Kinder Morgan et d’Enbridge 3-B. Avec de telles décisions, il est clair que le gouvernement canadien refuse la voie de la décroissance. image_2_article_joubert_.jpgCependant, tant la FTQ que le Conseil régional FTQ Montréal métropolitain continueront d’exiger une véritable planification des impacts de l’abandon de certains secteurs polluants tels que les mines de charbon sur les emplois et sur la main d’œuvre. En décembre dernier, le secrétaire général de la FTQ, Serge Cadieux déclarait dans une lettre ouverte au Devoir en lien avec la transition juste « l’Allemagne et la France ont conçu des plans de transition inclusifs. Des pays comme le Sénégal et la Sierra Leone ont mis sur pied des comités de travail composés de représentants des employeurs, des syndicats, et d’autres organismes de la société civile. Pourquoi pas le Québec?» Certes, les défis entourant les concepts de décroissance et de transition juste sont très grands, mais nous restons cependant optimistes de pouvoir provoquer un véritable dialogue social sur ces questions. D’ailleurs, lors du 31e congrès de la FTQ qui a eu lieu en novembre dernier, une déclaration politique portant sur les changements climatiques et la transition juste a été adoptée par l’ensemble des congressistes. C’est sûrement là aussi un signe que les préoccupations de la classe ouvrière évoluent. ___ Marc-Édouard Joubert est militant syndical de longue date. Il a d’abord été délégué d’atelier au dépôt postal Bridge. Élu à l’exécutif syndical il a plaidé de nombreux dossiers de griefs. Militant sensible à de nombreuses causes sociales et politiques, il est actif au sein du Conseil régional FTQ Montréal métropolitain dont il est le président depuis 2016.

 

Notes

  1. Marie Dominique Perrot, Mondialiser le non-sens, L’Age d’homme, Lausanne, 2003, p.23

Les droits sociaux: une toile tissée serrée en train de se délier?

par Benjamin Aucuit
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Les dernières années auront été marquées par les mesures de « réingénérie de l’État » imposées par les gouvernements successifs tant au Québec qu’au Canada. La hauteur des coupes n’aura eu d’égal que les commentaires rassurants du gouvernement sur les impacts de celles-ci. Les uns après les autres, les services publics furent attaqués, les montants investis drastiquement coupés, les conditions de travail remises en question. Pourtant, lorsque des voix s’élèvent contre ces mesures draconiennes, elles sont taxées de gâtées, de malhonnêtes ou encore de déconnectées de la réalité. Du même souffle, nos gouvernements font l’éloge de nos démocraties libérales qui les ont portés au pouvoir, légitimant leurs actions en les présentant comme la volonté d’une majorité sans laquelle ils n’auraient jamais été en mesure d’agir, et se présentent comme un gouvernement ouvert à la critique et au dialogue. Les coupures, loin de se limiter au « gras » de nos services publics, risquent au contraire de porter atteinte à toute une branche de droits acquis de haute lutte, mais qui n’ont jamais acquis un statut aussi flamboyant et intouchable que d’autres droits possèdent depuis bien longtemps. En effet, si les droits civils et politiques (tel que les droits à la protection, de s’assembler, ou encore la liberté d’expression, par exemple) ont de tout temps été à l’avant-scène de la lutte pour les droits de la personne, cela ne veut pas dire que les droits sociaux sont de simples privilèges. Il n’est pas question ici de revenir sur les conséquences des mesures d’austérité ou encore sur le manque de légitimité du gouvernement québécois actuel, sujets qui ont déjà été abordés à de nombreuses reprises sur autant de tribunes, mais plutôt de replacer les mesures d’austérités dans un cadre plus large : celui des droits sociaux qui codifient, dans une large mesure, les éléments essentiels d’une vie saine et digne à tous et à toutes. Ces mêmes droits qui sont aujourd’hui instrumentalisés ou poussés sous le tapis par nos gouvernements et qui sont, dans bien des cas, relégués au niveau de concessions accordées uniquement en temps d’abondance. Les droits de la personne sont typiquement regroupés en deux grandes branches égales tant dans leur portée qu’au niveau des obligations qu’elles créent. Alors que les premiers, les droits civils et politiques, visent à garantir la participation active de chaque individu à la vie publique de l’endroit où il vit ainsi que sa protection face à des traitements cruels ou arbitraires, les droits sociaux visent plutôt à garantir un certain niveau de vie à la population en lui garantissant des services accessibles et des conditions de travail dignes. On pourrait donc aisément convenir qu’il s’agit des deux revers d’une seule médaille. Pourtant, alors que les droits politiques ont toujours fait l’objet d’une grande attention tant au Canada qu’au Québec, les droits sociaux n’ont jamais eu le même traitement. Il n’a en effet jamais été question d’inscrire le droit à l’éducation ou à des services de santé gratuits et de qualité dans la Constitution alors que la liberté d’expression et d’association ou encore le droit de vote y figurent depuis toujours. Cette inégalité fait d’ailleurs bien l’affaire des gouvernements, puisque les droits sociaux ont tendance à être bien plus engageants que les droits civils et politiques, qui peuvent souvent être garantis par de simples législations ou codes de conduite stricts. Il n’en reste pas moins que, comme le stipule la Convention de Vienne sur les droits de l’Homme de 1993 à l’article 5, « Tous les droits de l’homme sont universels, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter les droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité en leur accordant la même importance ». image_2_benjamin_droits_sociaux_2.jpgLe fait de jouir d’un système de santé efficace et accessible, d’une éducation de qualité, de normes du travail équitables et respectueuses ou encore d’un logement bien desservi et sain a donc la même importance que d’assurer la présomption d’innocence ou encore le droit de vote. Il est donc profondément déplorable que les droits sociaux soient toujours les premières victimes des politiques de nos dirigeantEs. Il est pourtant bien difficile de considérer que la vitalité démocratique est préservée si une grande proportion de la population n’a pas les moyens de se tenir informée, de développer son esprit critique ou encore si son esprit est accaparé par des besoins de base mal comblés. Au-delà de « cadeaux » que nous nous faisons, c’est de notre cohésion sociale elle-même dont il est question lorsque l’on parle de droits sociaux. Bien plus que de simples cadeaux que nous nous offrons collectivement, ces droits se veulent les protections les plus efficaces contre certaines des pratiques les plus horribles de notre histoire. À l’image du droit du travail qui est né des souffrances inimaginables des classes ouvrières durant les premières phases de l’industrialisation, les autres droits sociaux se veulent aussi être des solutions aux plus grands maux de notre passé. Qu’il s’agisse d’une parade aux discours faciles et populistes, à la ségrégation raciale ou de genre ou encore d’un coup durable à cette violence extrême qu’est la pauvreté, les droits sociaux sont avant tout porteurs de cet espoir intarissable que nos valeurs collectives ne sont pas que des utopies. Peut-être notre grande richesse nous fait-elle perdre de vue leur caractère fondamental au développement de notre société ? Quoi qu’il en soit, il semble difficile d’être fier de nos protections sociales dans le contexte actuel. Le grand débat sur les frais de scolarité qui a toujours lieu malgré cinq années de lutte acharnée le démontre bien. Au droit garanti internationalement d’avoir un système d’éducation accessible à tous et à toutes de manière égale, les tenants de hausse des frais de scolarité ont répondu par des arguments économiques basés sur une lecture partisane. Le fait que le Québec possède les frais de scolarité les plus bas au Canada (après Terre-neuve) ne devrait pas être un argument en faveur de la hausse, mais plutôt la preuve irréfutable que, en éducation à tout le moins, le Québec est sur la bonne voie. Pourtant, c’est l’inverse qui arrive. Le fait que l’on demande aux étudiantEs de payer « uniquement » 10% des frais associés à leur scolarité permet à certainEs de les présenter comme des enfants gâtés qui refusent de se sacrifier au nom de notre pérennité collective. Cette tendance à présenter les défenseurEs de droits sociaux comme des personnes déconnectées de la réalité économique de la province est à la fois une tendance dangereuse et fort discutable. Pourtant, le PIDESC (Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) explicite à l’article 13 ce qui forme le droit à l’éducation. L’éducation supérieure « doit être rendue accessible à tous […] notamment par l’instauration progressive de la gratuité ». Le fait d’aller à contresens de cette obligation internationale du Canada (partie depuis 1976), sans être surprenant vu le peu de cas que les néolibéraux font des droits sociaux, n’en reste pas moins un exemple frappant de l’évolution de la pensée de nos dirigeantEs depuis les 40 dernières années. Cependant, l’augmentation des frais de scolarité n’est pas la seule atteinte qui témoigne du recul du droit à l’éducation au Québec. L’augmentation du nombre d’élèves par classe, la diminution des services aux élèves en difficulté d’apprentissage, la détérioration de nos écoles ainsi que la compétition entre les écoles publiques et privées sont autant de symptômes de la gravité du délaissement dont souffre aujourd’hui notre système d’éducation. La situation en est à ce point accablante que le Québec a reçu en 2016 le triste titre de province dont le système d’éducation est le moins équitable au Canada selon le Conseil supérieur de l’éducation! Comme l’exprime si clairement la Déclaration de Vienne citée ci-haut, aucun droit n’évolue seul. Leur interrelation ainsi que leur interdépendance font que tous souffrent du recul d’un seul. Un recul du droit à l’éducation aura donc des conséquences sur une multitude d’autres droits sociaux. De par leur nature protectrice, tout recul des droits sociaux touchera toujours plus fortement les populations les plus pauvres ou les plus vulnérables. En effet, les personnes aisées financièrement sont typiquement capables de recourir au privé pour garantir la plénitude de leurs droits. Les plus grandes victimes seront donc toujours les populations qui dépendent d’un système public de qualité afin de pourvoir à leurs besoins. Or des établissements aux prises avec des problèmes de moisissure, d’humidité ou de chauffage posent de grands risques pour la santé des élèves et des professionnels qui s’y côtoient. Dans la même optique, la surpopulation étudiante dans certaines écoles et le manque d’encadrement met à risque la santé mentale des élèves comme du corps professoral. Un désintéressement prolongé de la part de nos politicienNEs en éducation cause donc des atteintes parfois graves à la santé. Dans les cas les plus extrêmes, c’est carrément leur droit à la dignité qui est atteint tant le simple fait de devoir œuvrer dans un tel environnement est dévalorisant. Il est aussi à noter que le désengagement de notre gouvernement en éducation met aussi à mal les conditions de travail des employéEs de notre système d’éducation, lesquelles sont dans une certaine mesure aussi garanties par les Conventions encadrant les droits sociaux (tel qu’à l’article 7 du PIDESC, par exemple). À l’inverse aussi, des mesures portant atteinte à d’autres droits garantis nuisent aussi à une éducation accessible et de qualité. Par exemple, un enfant devant faire de longs trajets pour se rendre à l’école ou vivant des difficultés à la maison tels que la faim ou vivant dans un logement inadapté à sa situation familiale sera en effet dans une situation où il lui sera très difficile de profiter pleinement de son éducation. C’est en raison du caractère indissociable des droits humains qu’il est difficilement concevable que les arguments du gouvernement selon lesquels les coupes dans les services publics ne causent aucune atteinte à l’accessibilité et à l’efficacité de nos services publics ne soient autre chose qu’une preuve supplémentaire de la déconnexion de celui-ci face à la réalité. Une limitation inconsidérée de l’un d’eux aura forcément des conséquences sur tous les autres. Ultimement, c’est notre filet social lui-même qui est intégralement attaqué, malgré la prétendue précision des coupes. Il n’est pas simple de déterminer les conséquences exactes qu’aura un te l régime sur la capacité des plus vulnérables d’entre nous à continuer de jouir de ces droits qui faisaient notre fierté par le passé, ce qui rend d’autant plus déplorable de constater le peu de cas qu’en fait notre gouvernement et l’approche cavalière avec laquelle il va de l’avant. Ce qui est certain cependant, c’est qu’encore une fois, ce seront les plus pauvres et les plus vulnérables qui en feront les frais les premiers. Pour bon nombre d’entre-deux, ils souffrent déjà, et le silence de certains de nos élus face à leur déni de droit est en lui-même éloquent. Alors que de nombreuses obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne sont encore insuffisamment défendues faute d’un cadre législatif suffisant, il est éloquent que le projet de loi mettant en application le tout dernier traité de libre-échange du Canada soit, lui, déjà bien avancé. Les priorités à la bonne place disent–ils ? Je laisse l’avenir en décider. ___ Benjamin Aucuit termine présentement un baccalauréat en relations internationales et en droit international à l’UQAM. Stagiaire à Attac il s’investit sur la question du libre échange en participant à des campagnes d’éducation populaire, de mobilisation et de contre-argumentation.

 

Livre

par Jeanne Gendreau
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Optimisme écologique

« Je suis un écologiste optimiste » lance David Boyd dans son huitième et plus récent ouvrage, « L’environnement, les années optimistes » 1 David R Boyd a œuvré au Canada comme avocat en droit environnemental pendant 10 ans, Il a pu constater le bilan désastreux en ce domaine, qui l’a fait « sombrer dans la plus effroyable dépression de ma vie ». Jouissant d’une grande crédibilité, il a collaboré avec David Suzuki. Il a conseillé des gouvernements et des ONG en Suède et en Tunisie sur des questions environnementales et constitutionnelles. Il copréside aujourd’hui l’initiative Vancouver’s Greenest City 2020 avec le maire de Vancouver. «Les humains sont très bons pour régler les problèmes qu’ils causent partout dans le monde», écrit David Boyd en réponse à sa fillette inquiète de l’avenir de la planète suite à des propos entendus à l’école et qu’il tente de rassurer. Son livre vise à confirmer cette hypothèse. Des gains environnementaux L’auteur débute sa démonstration en décrivant comment au cours des dernières décennies, ont été sauvées de l’extinction plusieurs espèces animales et marines, notamment les ours polaires, les loutres de mer et les faucons pèlerins. David Boyd qualifie la croissance des énergies renouvelables d’extraordinaire. « La part du solaire, de l’éolien, du géothermique et de la biomasse a doublé de 2006 à 2011. La révolution des énergies renouvelables se déroule plus tôt et plus vite que quiconque ne l’avait prévu », écrit- il. Si des panneaux solaires étaient installés dans le Sahara, les continents africain et européen pourraient être complètement alimentés en électricité affirme l’auteur. Remontant au début des années 1950, il montre comment les chlorofluorocarbures (Cftc), le plomb, les DDT et autres produits (agents ignifuges, antitaches, etc.) considérés comme des « merveilles chimiques », dévoraient allègrement la couche d’ozone à la façon d’un « pacman ». La lutte entre les scientifiques (qui à plusieurs reprises ont tenté d’alerter les instances et le public) et l’industrie était, on s’en doute, très inégale. La Compagnie Du Pont, entre autres, n’a pas hésité à utiliser des stratégies parmi les plus malhonnêtes. Ce sont les médias qui ont tranché et provoqué une onde de choc. Une catastrophe était imminente : la couche d’ozone était trouée, ce qui menaçait toutes les formes de vie sur la planète. Ce cri d’alarme s’est propagé mondialement et a été à l’origine du protocole de Montréal (1987), « le plus fructueux traité international sur l’environnement jamais négocié ». Tous les États du monde en sont signataires.

Sources d’inquiétude

Malgré les études qui démontraient la grande nocivité de plusieurs produits, les gouvernements à l’échelle mondiale ont tardé à les interdire. L’avocat de formation qualifie les stratégies de l’industrie chimique et du tabac de féroces et malhonnêtes. À la suite d’avancées et de reculs, le plomb a été pratiquement enrayé (mais après les CFC) au début des années 80. La promulgation de normes nationales de qualité de l’air a obligé les propriétaires à doter leurs véhicules de mécanismes antipollution et forcé les compagnies pétrolières à ne plus ajouter de plomb dans l’essence. Les autres industries qui utilisaient ces produits ont également été contraintes de participer à cet effort. David Boyd partage les résultats d’une étude de Santé Canada, datant de 2013. Ces résultats peu connus du grand public sont révélateurs de l’ampleur des dégâts à long terme provoqués par l’industrie chimique : « Le développement intellectuel des personnes qui ont été exposées au plomb pendant leur petite enfance a été limité ». Plus de 30 ans plus tard, ces intoxications seraient encore actives! On soupçonne même que les personnes ayant vécu pendant ces années « de plomb » pourraient avoir développé le syndrome TDAH. Limitations intellectuelles et hyperactivité pourraient être générées par ces produits acceptés socialement. Boyd expose un autre sujet d’inquiétude. Malgré tous ces traités, la pollution atmosphérique causerait plus de 20,000 morts prématurées seulement au Canada. Il a été bouleversé lors de sa tournée des méga complexes chimiques de Sarnia, une ville en Ontario près du Lac Huron, qui gère un centre de raffinage pétrolier et une production chimique industrielle parmi les plus importantes. Cette ville, affiche « le pire bilan du Canada en matière de qualité de l’air », s’indigne Boyd. Comment un pays dont « le progressisme social fait l’envie du monde entier » peut-il tolérer, dans l’indifférence générale, cette atmosphère empoisonnée et toxique? (Paradoxalement, dans cette même ville, plus d’un million de panneaux solaires recouverts de cellules photovoltaïques ont été installés à quelques mètres au-dessus du sol, sur une surface de 365 hectares. Cette centrale était la plus grande d’Amérique du Nord en 2011. Elle produit 80 Mégawatts et alimente en électricité 12 000 foyers. Cette information n’apparaît pas dans le livre. Source : Wikipédia) Le Canada n’est pas un leader au niveau environnemental, reconnaît David Boyd. Par exemple, il interdit le Bisphénol A dans les biberons mais refuse d’adopter des mesures pour contrôler le niveau d’arsenic dans le riz et les céréales. Le Canada a aussi défendu âprement l’industrie de l’amiante et n’a pas hésité à vendre ce produit à des pays pauvres.

Pour une économie circulaire

Pour assurer la pérennité écologique de la planète, l’auteur prône l’économie circulaire. Ce système économique- qui s’apparente au « développement durable- « est une des voies les plus prometteuses qui soient pour libérer l’humanité des pénuries de ressources et des problèmes environnementaux menaçant les progrès des derniers siècles ». Poursuivant son plaidoyer optimiste en faveur de ce type d’économie « verte », David Boyd soutient qu’une économie circulaire « recycle les matières à l’infini, repose sur les énergies renouvelables (…) et ne génère ni pollution, ni déchets (…) ». Les économies collaboratives, les économies de partage (comme Uber, RBNB), les technologies de rupture (panneaux solaires, téléphones intelligents entre autres) seraient des facettes positives de l’économie circulaire. Cette rupture avec l’économie linéaire créerait également beaucoup d’emplois. Il nuance cependant ses propos. « Une croissance infinie sur une planète finie est insoutenable par définition, car elle violerait les lois de la physique ». D’ailleurs, écrit-il, plusieurs progrès pourraient être anéantis par la croissance démographique. Selon lui, il serait donc essentiel de « promouvoir l’éducation des filles et des femmes », ainsi que le droit à l’avortement pour la ralentir.

L’oubli du politique

Fidèle à sa vision optimiste, David Boyd conclut son ouvrage en décrivant le lieu où il vit, en des termes idylliques, voire naïfs, une réalité qui ne correspond pas nécessairement à des millions d’êtres humains. « Nous vivons sur l’île Pender, une localité où les enfants se sentent chez eux sur la plage comme dans la forêt. Les enfants adorent passer du temps dehors, en milieu naturel. Ils s’y épanouissent et y tissent des liens profonds avec la nature. Avec Meredith (sa fillette), nous avons visité des joyaux de la nature canadienne. (…). J’ai grand espoir que ces expériences et ce livre aideront Meredith à devenir, elle aussi, une écologiste optimiste ». Le plaidoyer de l’auteur en faveur de l’économie circulaire, autre source d’optimisme, n’est pas forcément partagé par tous. Yves-Marie Abraham soulignait , dans notre dernier bulletin 2 : « contrairement à ce que nous répètent tous les marchands d’espoir qui occupent ce qu’il reste d’espace public, nous sommes actuellement dans l’incapacité totale d’accomplir la transition énergétique. Nous ne pouvons maintenir nos capacités de production actuelles sans les énergies fossiles dont nos machines dépendent encore à 80% ». Philippe Gauthier 3 , dénonce également ce mythe : « les énergies renouvelables nous promettent une énergie propre, en quantité illimitée. L’ennui, avec cette promesse technologique, c’est que s’il y aura toujours du vent et du soleil, on ne peut pas en dire autant des machines transformant cette énergie primaire en électricité – et encore moins des ressources nécessaires à leur fabrication » Reconnaitre les gains historiques constitue en soi un exercice nécessaire, mais encore faut-il expliquer pourquoi et comment ils sont survenus. Le protocole de Montréal, par exemple, est issu de quelles luttes? Comment les gouvernements en sont-ils venus à une entente aussi unanime? Quels mouvements en étaient les initiateurs? Comment pourrait-on s’en inspirer aujourd’hui? Les réponses à ces questions sont à peine effleurées. Les gains environnementaux ne peuvent se faire en-dehors d’un contexte socio-politique, une dimension que David Boyd néglige. Celui-ci reconnait que le Canada n’est pas un leader environnemental, mais il ne souffle mot sur son appui à l’industrie pétrolière et aux projets de construction d’oléoducs sur le territoire. Il se réjouit par ailleurs que le Costa Rica soit devenu « un chef de fil en environnement » en exportant des logiciels et des circuits intégrés, plutôt que des bananes et du café. « Des géants de la haute technologie s’y sont installés pour bénéficier de sa main d’œuvre instruite, de son air sain et de son eau pure ». Pour appuyer son propos, l’auteur énumère plusieurs changements – la diminution des famines, l’accès à l’eau potable, l’amélioration des conditions économiques dans les pays en voie de développement, l’augmentation du taux d’alphabétisation- mais, les références de ces études n’apparaissent pas dans sa bibliographie sélective. David Boyd signe un ouvrage marqué par un désir presque viscéral de croire en la capacité d’auto-guérison de la planète. D’accord, mais est-ce suffisant? Dans son dernier livre, Alain Deneault 4 écrit : « Si l’émotion peut et doit être un moteur, elle ne doit pas s’y limiter, sans quoi elle se referme sur le privé. Nécessairement passagère, l’émotion, une fois dissipée, éloigne le citoyen de la solidarité, comme nous l’avons trop souvent vu ces dernières années. Or, les changements politiques nécessitent temps, effort et organisation ». ___ Jeanne Gendreau est travailleuse sociale de formation. Elle milite depuis quelques années à Québec Solidaire. Elle est principalement intéressée par l’environnement et préoccupée par l’extractivisme et la construction des oléoducs. Elle s’implique depuis peu à Attac Québec

 

Notes

  1. David R. Boyd, Environnement. Les années optimistes. Éditions MultiMondes 2016
  2. Yves-Marie Abraham, Les pièges du développement durable », Bulletin d’Attac, décembre 2016.
  3. Philippe Gauthier, Le low tech, alternative à la fuite en avant technologique , Bulletin d’Attac, décembre 2016.
  4. Alain Deneault, Politiques de l’extrême-centre », Lux Editeur, 2016.