1. Qu’est-ce que la décroissance?
Ce n’est pas la dépression ou la récession économique, mais la décroissance de l’économie elle-même dans nos vies et nos sociétés.
Ce n’est pas la baisse du PIB, mais la fin du PIB et de tous les indicateurs de «bien-être» quantitatifs associés.
Ce n’est pas la décroissance démographique, mais d’abord la remise en question d’un mode de vie autodestructeur pour l’humanité.
Ce n’est pas le projet d’un retour en arrière, mais une invitation à faire un pas de coté dans la course au toujours plus et à la démesure.
Ce n’est pas la nostalgie d’un quelconque âge d’or, mais le projet d’inventer des manières inédites de vivre ensemble.
Ce n’est pas une décroissance imposée par l’épuisement progressif des ressources de la biosphère, mais une décroissance choisie, pour mieux vivre ici et maintenant et préserver les conditions d’existence à long terme de l’humanité.
Ce n’est pas une fin en soi, mais une étape nécessaire dans la recherche de modèles de sociétés libérées du dogme de la croissance.
Ce n’est pas tant un effort de privatisation et un appauvrissement volontaire, que la recherche d’un «mieux-vivre», basé sur la simplicité, la sobriété et le partage.
Ce n’est pas le «développement durable», mais un rejet du capitalisme, qu’il soit «vert» ou à «visage humain», qu’il soit d’État ou d’entreprises privées.
Ce n’est pas un écofascisme, mais un appel à une révolution démocratique pour en finir avec notre modèle de société productiviste consumériste.
Ce n’est pas la simplicité volontaire, mais un projet politique révolutionnaire qui suppose l’adhésion à la simplicité volontaire.
Ce n’est pas une réaction anti-moderne, mais un mouvement néo-moderne, qui se fonde notamment sur le respect des valeurs de liberté et d’égalité.
En résumé, la décroissance est un appel à rompre radicalement avec les modèles de société « croissantistes », que ces modèles soient de «droite» ou de «gauche», et à inventer de nouvelles manières de vivre ensemble, vraiment démocratiques, respectueuses des valeurs d’égalité et de liberté, fondées sur le partage et la coopération, et suffisamment sobres sur le plan matériel pour être durables.
2. Pourquoi prôner la décroissance?
Parce qu’une croissance infinie dans un monde fini étant impossible, la décroissance s’imposera de toute façon tôt ou tard. Mieux vaut, par conséquent, la choisir que la subir.
Le capital artificiel ne peut se substituer complètement au capital naturel – comment remplacer de l’eau buvable, de l’air respirable, de la terre fertile? En explorant l’univers, mais quand, à quel prix et pour qui?
Dans un monde croissantiste, les innovations technologiques qui permettraient de réduire la consommation de nos ressources, renouvelables ou pas, contribuent toujours à accroître cette consommation – c’est «l’effet rebond».
La dématérialisation de nos économies reste très relative (délocalisation des activités industrielles hors Occident) et ne s’accompagne pas d’une baisse de notre empreinte écologique – pas de découplage entre économie et impact économique.
Parce que la croissance ne tient pas ses promesses en termes d’amélioration de notre bien-être collectif.
La croissance ne nous garantit plus de meilleures conditions de vie matérielles. En même temps qu’elle, progressent aujourd’hui la pollution, l’obésité, les dépressions, la contre-productivité des techniques, la baisse de l’espérance de vie…
La croissance ne nous garantit pas davantage d’égalité. La croissance de ces dernières années s’est accompagnée d’un creusement très significatif des inégalités au sein de nos sociétés.
La croissance ne nous garantit pas davantage de liberté. Fondée sur le progrès technoscientifique, elle nous rend toujours plus dépendants de la technique et toujours plus soumis à «mégamachine».
Parce que la quête de la croissance continue est épuisante.
La croissance est épuisante pour la biosphère, qu’elle contribue à détruire en l’exploitant sans retenue et en la saturant de déchets – tout se passe comme si nous étions en train de brûler les murs de notre maison pour nous chauffer.
La croissance est épuisante pour nos sociétés, dont la cohésion est menacée toujours davantage par cette guerre de tous contre tous sur laquelle repose la recherche d’une croissance économique exponentielle.
La croissance est épuisante pour les habitants de ces sociétés qui doivent sans relâche s’employer à produire des marchandises que d’autres voudront bien acheter, sous peine d’y perdre leur place et de se trouver complètement marginalisés.
3. Pourquoi être contre le développement durable?
Parce que le projet d’un développement durable ne remet pas en question la quête d’une croissance continue; quête sans limite qui conduit l’humanité à sa perte.
Parce que c’est un projet qui laisse croire qu’une croissance infinie dans un monde fini est possible – la notion de «développement durable» est un oxymore, une contradiction dans les termes, une antinomie.
Parce que c’est au mieux un projet réformiste, qui vise fondamentalement à aménager notre monde pour le faire durer – polluer moins pour polluer plus longtemps! Parce qu’il s’agit d’une notion qui participe de l’imaginaire croissantiste développement), et qui a pu aisément être récupérée par tous ceux qui ne veulent surtout rien changer à notre monde.
Parce que c’est une idée qui détourne trop de bonnes volontés des actions drastiques que requiert l’urgence de la situation.
4. Pourquoi avons-nous besoin du mot «décroissance» (ou degrowth»)?
Un mot obus lancé contre une évidence que nous voulons pulvériser: la nécessité d’une croissance économique continue.
Un mot iconoclaste dont l’adoption participe de la nécessaire décolonisation de notre imaginaire croissantiste.
Un mot irrécupérable par ceux qui cherchent à faire durer ce modèle de société dont nous ne voulons plus (contrairement à «développement durable»).
Un mot tranchant qui s’attaque à la racine de la plupart des problèmes que nous vivons: la quête d’une croissance continue.
Un mot sans ambiguïté dans sa remise en cause de notre monde productiviste consumériste, mais qui laisse ouverte la discussion quant à cet autre monde qu’il s’agit de bâtir.
Un «gros mot» qui dérange, qui fait réagir et qui lance le débat concernant le dogme de la croissance, ce qui est la première préoccupation des «objecteurs de croissance».
Un mot qui ne peut pas et ne doit pas faire consensus dans un monde qui reste fortement croissantiste.
Un mot plus facile à prononcer que celui d’«a-croissance», qui est sans doute plus adéquat sur un plan sémantique.
Un mot simple, qui a valeur de slogan, de bannière ou de cri de ralliement, plus que de ou de programme, par tous ceux qui refusent notre modèle de société productiviste-consumériste.
Texte publié à l’occasion du Colloque international Décroissance dans les Amériques Montréal mai 2012.
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