L'Aiguillon, le bulletin d'ATTAC Pour changer le monde, décoloniser nos imaginaires

Pour changer le monde, décoloniser nos imaginaires

Bulletin no 53 - Décembre 2016
Le bulletin a antérieurement fait le constat que notre modèle de société basé sur le dogme de la croissance nous engage dans une voie sans issue. Nous entreprenons la démarche de dépasser ce constat pour explorer des voies alternatives. D’abord la prise de conscience que notre mode de vie constitue une dette écologique, mais aussi sociale qui mène à l’évidence : il faut changer le système pour sauver la planète. Un autre article montre l’incompatibilité des traités de libre-échange avec la protection des droits citoyens, mais aussi de l’environnement. L’article de Philippe Gauthier explique qu’il faut nous réveiller de la fuite en avant technologique parce que c’est elle qui nous a conduits dans le cul-de-sac actuel. Sans que cela implique de retourner au Moyen Âge, voici venu le temps de choisir le low tech. Penser s’en sortir avec le développement durable est un piège qui à plus ou moins long terme rendra notre planète inhabitable. Non seulement une croissance infinie est impossible, mais pour un monde plus juste, elle n’est pas souhaitable. L’article d’Yves-Marie Abraham montre que la seule voie qui s’ouvre à nous est révolutionnaire : c’est la transition vers la décroissance. En août dernier, le Forum social mondial de Montréal a été l’occasion d’accueillir d’autres organisations d’Attac. Une lettre, qui nous est parvenue du Japon, nous fait découvrir les luttes que mènent d’autres militants sur un autre continent.
Le billet du CA

Un réveil citoyen

par Monique Jeanmart

Juin 2016. Le Brexit, que l’on présentait comme cette idée folle d’incultes trop nationalistes et sans doute xénophobes, n’aurait pas lieu ! Le statu quo dominait les sondages et rassurait la City. Le 23, le « leave », tombe comme un coup de tonnerre. Il semblait évident qu’à l’incertitude le peuple choisirait la sécurité économique des grands ensembles mondialisés que leurs élites – politiques et économiques – vantent comme la voie de l’avenir. On agitait le Brexit comme un saut dans un avenir sombre. Pourtant, le 23, déjouant tous les pronostics c’est lui qui l’emporte. Novembre 2016. Une autre surprise, la victoire de Donald Trump aux élections américaines : un autre résultat inattendu et surprenant. Ici encore les sondages ne l’avaient pas vu venir. Sur les rives de l’Hudson, une fois encore, le peuple déjoue l’histoire et l’assurance tranquille qui régnait à Washington. Même si les sondages montraient une lutte serrée, la défaite d’Hilary Clinton, soutenue par les stratèges et l’éstablishment du parti démocrate, n’est pas seulement l’échec d’une femme comme semblent le penser de nombreuses féministes. Même si personne n’avait voulu croire à l’impossible victoire de Donald Trump, son élection est due à une population désespérée par une situation économique – et sociale – qui ne cesse de se détériorer. Dans les 2 cas, les analystes ont souligné que ces votes traduisent la colère et la frustration des classes paupérisées, marginalisées pour qui le système n’a pas tenu ses promesses. Ceux pour qui les mirages du libre-échange – et de la mondialisation heureuse – n’ont été que de vains mots et qui rejettent ces élites économiques et politiques, qu’elles soient de gauche ou de droite, qui ne les ont pas servies. Bien sûr, pour gagner ces foules, Donald Trump a avivé démagogiquement une certaine xénophobie en faisant des immigrants les boucs émissaires des problèmes qui affectent la société américaine. En Angleterre, la peur et le rejet des Britanniques vis-à-vis l’immigration a joué le même rôle. Une autre analyse montre que ces excès n’effleurent que la surface des choses et non le simple fait de la prise de conscience que la mondialisation heureuse qu’on leur a vantée n’a pas fait que des gagnants. Aux États-Unis, particulièrement, c’est la découverte qu’elle a mis fin au vieux « rêve américain » qui voulait que chaque génération s’élève plus haut que la précédente et d’une situation économique – et sociale – qui ne cesse de se détériorer. Les dernières statistiques montrent que le salaire moyen des grands patrons est 273 fois celui des travailleurs. Face à cette situation Janet Yellen, présidente de la FED (banque centrale américaine) s’inquiète : « Je pense qu’il est temps de s’interroger sur le fait de savoir si cette tendance (la croissance des inégalités) est compatible avec les valeurs d’égalité des chances qui sont enracinées dans l’histoire de notre société » 1. Plus près d’Attac, le refus en octobre de la Wallonie de signer l’AECG (Accord économique commercial global), montre une autre manifestation du réveil des citoyens qui ne croient plus aux promesses d’accords négociés dans le secret et que l’on tente de leur imposer de force. Cet accord que Justin Trudeau qualifie d’« accord progressiste pour renforcer la classe moyenne » qui devrait augmenter le PIB et favoriser la création de 80.000 emplois au Canada ne trompe plus personne. Ces accords ne sont à l’avantage que des multinationales qui y gagnent des pouvoirs – et des profits – démesurés pendant qu’ici la condition salariale se détériore. Le Devoir nous apprenait récemment que la proportion des emplois à bas salaire gagne du terrain : 61 % des Canadiens gagnent un salaire inférieur à la rémunération moyenne, il n’était que 57 % en 1997. Il faut combattre ces accords qui sont incompatibles avec la protection de l’environnement et des droits des travailleurs. Serait-il possible de voir dans ces choix une soif de changement, un désir profond de quitter un système qui ne tient plus ses promesses. Les électeurs de Trump comme les partisans du Brexit et les Wallons ont choisi la seule alternative de changement qui leur était proposée. Nous croyons que d’autres avenues existent – qu’il faut sortir de la vision pessimiste et négative – mais surtout économisciste – généralisée pour montrer qu’il existe d’autres alternatives plus radicales basées sur la remise en question de ce système qui prend l’eau de toute part. Des alternatives basées sur d’autres valeurs et qui permettraient de construire un monde plus juste, plus écologique et plus humain. C’est pour explorer ces autres avenues que ce bulletin – et les suivants – ont été pensés afin de réveiller la conscience que nous sommes tous dépendant les uns des autres. C’est sur ce lien que devra se construire ce nouveau modèle de société qui seul sauvera l’humanité des périls qui la guette.

Notes

  1. Le Devoir, 18 octobre 2014.

Une dette envers la planète et les générations futures

par Monique Jeanmart
image_changer_systeme.jpg

Août 2016, en plus d’être le mois le plus chaud jamais enregistré, marque une autre date importante. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) la hausse de la température mondiale s’explique par la concentration croissante des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Le 8 août 2016, est appelé le jour du «dépassement», c’est-à-dire le jour où nous avons épuisé les ressources que la planète nous fournit pour une année. Appelée « empreinte écologique » cette mesure définit l’impact des activités humaines sur les écosystèmes de la planète. Plus précisément, pour un individu ou une population, elle quantifie la surface bioproductive nécessaire pour couvrir les ressources consommées et en absorber les déchets. Prise globalement, cette empreinte écologique évolue dans le temps. En 2008, le jour de dépassement était le 23 septembre, cette année on l’évaluait au 8 août. Au-delà de cette date, nous vivons à crédit, épuisant le capital écologique de la planète. Selon le Global Footprint Network, il faudra en 2016, 1,6 planète pour alimenter la consommation des 20 % les plus riches. Pire encore, la dette écologique que nous contractons envers la planète s’aggrave d’une dette sociale envers les milliards d’humains qui sont exclus de ce mode de vie consommateur, qu’ils soient nos voisins ou habitent à l’autre bout de la terre et envers les générations futures.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Les inquiétudes relatives aux limites de la planète ne sont pas nouvelles. Au XVIII siècle, Thomas Malthus soulevait la question dans Essai sur les populations qui montrait les dangers d’une population qui croit plus vite que ses ressources. C’est en 1973, dans un rapport commandé par le Club de Rome, que les premiers questionnements au sujet des limites écologiques de la planète sont clairement démontrés. Donatella et Denis Meadows1 ont examiné la croissance exponentielle de l’utilisation des ressources, de la population et de l’activité économique depuis la révolution industrielle pour montrer que le rythme d’exploitation de la planète était insoutenable. L’idée centrale se résume simplement : « la croissance infinie dans un monde aux ressources limitées est impossible ». Quarante ans plus tard, on ne peut que constater la justesse de leurs évaluations auxquelles se sont ajoutées des préoccupations pour la capacité de la planète à absorber les impacts environnementaux de ces activités. D’autres sonnettes d’alarme seront tirées. En 1987, le rapport Bruntland2 s’interroge également sur la durabilité de notre modèle, mais surtout sur notre responsabilité collective par rapport aux générations futures. Il en résulte un nouveau concept de « développement durable » (sustainable development). Plus récemment, les nombreux rapports du GIEC et le deuxième rapport de Donatella et Denis Meadows (2004) montrent qu’après quatre décennies de croissance continue nous entrons dans un temps où s’observent les symptômes de l’effondrement annoncé « nous n’avons pas mis fin à la croissance, la nature va s’en charger ».

Un système qui s’emballe

L’extractivisme désigne l’exploitation industrielle de la nature – eau, sol, forêt, faune et flore – et la quête sans fin de ressources naturelles qui s’épuisent, repoussant toujours plus loin les limites géographiques et technologiques de cette exploitation. Ces « frontières extractives » ne cessent de s’étendre sur de nouveaux espaces, multipliant les désastres, les dégradations environnementales et les tragédies humaines dans de nombreuses communautés qui s’y opposent farouchement. Plus grave encore est l’injustice de détruire l’environnement de peuples qui ne bénéficient d’aucune façon des « dits bienfaits » de cette exploitation. Sans cette utilisation massive de la nature, notre mode de vie consumériste serait impossible, tout comme le serait l’ordre industriel productiviste qui le soutient. Quelques données illustrent cet emballement : « On estime que plus de 70 milliards de tonnes de différentes matières (…..) sont extraites et utilisées chaque année pour créer de la valeur économique » 3. 500 Tours Eiffels, c’est la quantité de métal que notre planète consomme chaque 24 heures4. « On s’apprête à extraire de la croute terrestre plus de métaux en une génération que pendant toute l’histoire de l’humanité 5. En même temps nous produisons par habitant et par an presque 5 kilos de déchets industriels.

L’âge de l’anthropocène

L’essor de cette civilisation technico industrielle extractiviste, productiviste et consumériste a si profondément et si durablement marqué la planète que de nombreux scientifiques considèrent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique qualifiée d’anthropocène. Une ère où c’est l’activité humaine – et non les forces de la nature – qui est devenue la force géologique déterminante. Force qui pille, transforme, pollue sous-sols, air et océans provoquant dérèglements climatiques, fontes des glaces, élévation du niveau des mers, etc. Climatologues et scientifiques tirent la sonnette d’alarme en continu : si les activités humaines en venaient à transformer la surface de la Terre de 50 %, celle-ci atteindrait le seuil conduisant à l’effondrement des écosystèmes planétaires. Nous en sommes actuellement à 43 %.

Changer le système

Devant tant d’évidences, une seule alternative : revoir de fond en comble les niveaux et modes de consommation des populations les plus riches de la planète. Mais plus encore, il faut changer de paradigme et remettre en question cette course à la croissance et au développement – que nous avons rendus indissociables – dans laquelle nos sociétés sont engagées. Il nous faudra développer des alternatives de production et de consommation qui assurent les besoins des populations avec des solutions qui soient compatibles avec la quantité de ressources que l’écosystème peut fournir sans hypothéquer sa capacité de récupération. Attendre de nos dirigeants politiques et de nos élites économiques qu’ils adoptent les politiques nécessaires est illusoire. Pour preuve, les nombreuses COP – qui si elles génèrent beaucoup de discours – n’aboutissent pas aux véritables remises en question ni aux politiques souhaitées. L’innovation et la technologie – parce que ce sont elles qui nous mené dans ce cul-de-sac – ne sont pas non plus les voies de l’avenir. Pour éviter l’effondrement nous devons entrer dans une transition où la discussion sur la « décroissance » est inévitable.image_changer_systeme.jpg C’est par la pression des mouvements citoyens que l’on peut espérer arrêter la course folle de l’extractivisme et du consumérisme. Il faut remettre en question ce rapport prédateur au monde que nous avons intériorisé. Parce que si la logique extractiviste est inscrite au cœur du capital, cette logique de la croissance sans limites, de l’accumulation sans fin, du toujours plus et toujours plus vite, de la marchandisation de la nature en ressources exploitables, cette logique est inscrite en chacun de nous. Pour Tim Jackson, c’est elle qui nous enferme dans la « cage de fer du consumérisme ». C’est cette même logique qui nous justifie de mettre la planète entière à notre service. Aussi longtemps que nous accepterons l’idée de l’exploitation massive et destructrice de la planète comme «naturelle», nous ne pourrons pas changer ce système qui ne survit que par notre acceptation quotidienne et par notre incapacité à concevoir un mode de vie fondé sur d’autres valeurs. Pour changer le système, il nous faudra d’abord écouter l’appel du Mouvement pour la décroissance à «décoloniser nos imaginaires».


Monique Jeanmart est sociologue et membre du CA d’Attac Québec.

 

Notes

  1. D.H.Meadows et all., Halte à la croissance. Rapport sur les limites de la croissance, Fayard, 1973
  2. La Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, Édition du fleuve, Montréal, 1989
  3. Anna Bednik, Extractivisme. Exploitation industrielle de la nature : logique, conséquences, résistances, Édition la passager clandestin, 206, p.94.
  4. Basta, septembre 2012
  5. Philippe Bihouix, L’âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable. Seuil, 2014, p.17

Le libre-échange: porte-étendard de la croissance

par Benjamin Aucuit
image_article_benjamin.jpg

Sujets à une opposition grandissante de la part d’acteurs sociaux de tous les horizons, les traités de libre-échange continuent néanmoins à apparaître à l’agenda politique de nos gouvernements. L’ouverture des marchés étrangers à nos produits, le contact avec l’Autre, la baisse de prix sur les produits importés ainsi que la multiplication des opportunités d’investissement, n’est-ce pas ce que tout le monde souhaite ? Si personne ne s’oppose à ces grands principes, leur mise en application n’est certainement pas à leur hauteur. Le libre-échange est en effet la manifestation la plus évidente des lacunes des indicateurs que les dogmatiques de la croissance utilisent. Le PIB, par exemple, est très utilisé pour démontrer les bienfaits du libre-échange et plus largement de la croissance. Or, il ne mesure que la création de la richesse, pas les coûts environnementaux, humains, sociaux ou encore politiques de cette croissance. Notre monde est de plus en plus intégré. Les peuples n’ont jamais eu autant d’opportunités d’échanger et de communiquer entre eux qu’aujourd’hui. Pourtant, alors que les marchandises et les messages traversent de plus en plus facilement nos frontières, celles-ci sont de plus en plus fermées aux personnes. Pourtant, les biens importés de l’international ne sont certainement pas libres de tout soupçon. Au sein de l’UE (Union européenne), l’une des principales craintes envers l’AECG ( Accord économique commercial global ) est justement que le Canada inonde le marché européen de produits pour l’instant interdits, tel que la viande aux hormones ou les grains OGM (organisme génétiquement modifié). Car les traités de libre-échange ne s’attaquent plus aux simples tarifs douaniers, mais carrément aux normes réglementaires qui empêchent certains produits d’entrer sur le territoire au nom de la sécurité ou de la santé publique. Or, alors que de plus en plus d’États se lancent dans le commerce international, n’est-ce pas exactement ces normes réglementaires qui permettent de garantir que les produits ne contiennent pas de produits dangereux ou qu’ils ne sont pas issus de modes de production inacceptables ? Ce désengagement de nos dirigeants démontre clairement à quel point leur conception de la croissance est biaisée. Au seul nom de la création de richesses, ils sont prêts à mettre la santé et le bien-être de leurs populations à risque tout en encourageant des pratiques commerciales hautement discutables.image_article_benjamin.jpg Mais cela va plus loin. En signant des traités de libre-échange, les gouvernements signifient clairement que leurs industries locales, souvent trop petites pour exporter, peuvent être sacrifiées au nom de la création de richesses par les grandes entreprises, qui elles sont capables d’être concurrentes sur les marchés internationaux. Mais pourquoi nos dirigeants sont-ils aussi accrocs au libre-échange ? Pour maintenir cette croissance constante et exponentielle, les gouvernements sont dépendants des investissements étrangers sur leur territoire pour la développer. Ceux-ci permettent en effet de construire des industries, d’exploiter les ressources naturelles ou encore de vendre des services qui autrement ne pourraient se développer faute de moyens. Cependant, les investisseurs privés sont très craintifs de nature. Ils ne veulent soumettre leur capital à ce qu’ils considèrent être « l’arbitraire du pouvoir » et sont donc toujours à la recherche de moyens de protéger la profitabilité de leurs investissements. Telle est la logique derrière l’un des attributs les plus controversés des traités de libre-échange : les tribunaux de protection des investissements. Si cela peut paraître naturel que les investisseurs cherchent à se protéger, cela cache aussi une réalité des plus pernicieuse. En effet, il arrive que les gouvernements doivent bloquer ces investissements étrangers pour des raisons légitimes, telles que la protection de l’environnement ou des services publics, ou encore pour préserver un secteur clé de l’influence étrangère. Or, les tribunaux créés par les traités de libre-échange, sollicités par les entreprises, peuvent punir financièrement les États pour avoir nuit à la profitabilité d’un investissement. Pourtant, la majorité des États dans le monde sont déjà dotés d’un système de protection des droits commerciaux face aux décisions gouvernementales : les tribunaux publics. Pourquoi donc les défenseurs du libre-échange considèrent-ils nécessaire de créer une seconde structure, privée, afin de protéger les investissements étrangers ? N’ont-ils pas confiance que le pouvoir judiciaire, justement séparé des pouvoirs exécutifs et législatifs afin qu’il conserve son indépendance, puisse remplir ce rôle ? Ces tribunaux donnent encore plus de pouvoir aux entreprises étrangères, qui peuvent faire du forum shopping afin d’augmenter leurs chances d’avoir gain de cause. De plus, les coûts très onéreux de ces longues procédures ainsi que les peines imposées peuvent aussi servir à intimider les États, qui peuvent ne pas avoir les moyens de se défendre adéquatement ou de payer les dédommagements en cas de défaite. Ces tribunaux mettent donc à mal la souveraineté législative et réglementaire des États au nom de la croissance économique, pouvant aller jusqu’à empêcher ces derniers d’agir en fonction des intérêts de la population ou de leur territoire. Le commerce international sous l’égide du libre-échange est aussi très dommageable pour l’environnement. Il existe un concept économique très utile pour le comprendre. Une externalité est tout ce qui est causé par la production d’un bien, mais qui n’est pas inclus dans son prix de vente. Par exemple, si l’on nous vante généralement à quel point le libre-échange permet de faire baisser les prix, c’est parce que l’on ne tient pas compte des ressources gaspillées dans le transport des produits, ni de la pollution engendrée par la production de ces biens ou par l’extraction des ressources nécessaires à leur production. Il s’agit là de l’un des plus gros problèmes liés au libre-échange. Dans un système d’échanges totalement libéralisé, comment peut-on espérer que les États soient en mesure de lutter contre les changements climatiques tout en continuant d’être compétitifs sur la scène économique internationale ? Alors que la pression se fait de plus en plus forte pour que la lutte aux changements climatiques soit la priorité de la communauté internationale, comment expliquer que le libre-échange ne soit toujours pas soumis à des conditions environnementales strictes ? Le régime du libre-échange est avant tout un hymne à la croissance. Au sein de ces accords, presque tout est à sacrifier à l’autel du PIB et des initiatives privées de développement économique. Si nous avons réellement le bien-être de la planète et de ceux et celles qui y vivent à cœur, il est grand temps de remettre en question ce régime rigide et dépassé afin de prioriser ce qui nécessite une réelle croissance, soit nos forêts, notre bien-être collectif et notre capacité à produire localement et éthiquement. Si les tenants du libre-échange tiennent vraiment à la croissance, peut-être est-il temps qu’ils en revoient la définition. Le monde ne s’en porterait que mieux.


Benjamin Aucuit termine présentement un baccalauréat en relations internationales et en droit international à l’UQAM. Stagiaire à Attac, il s’intéresse à la question du libre échange en participant à des campagnes d’éducation populaire, de mobilisation et de contre-argumentation.

 

Le low tech, alternative à la fuite en avant technologique

par Philippe Gauthier
banderole.png

Le mythe de l’innovation

L’innovation est le grand mythe de notre époque. Elle est devenue une sorte de mantra, de solution à tous les maux. Mais on la confond le plus souvent avec la technologie, qui n’en est qu’un petit aspect. Certes, elle offre de nouvelles sources de profit à l’industrie. Mais ces progrès techniques sont bien inégaux. Plusieurs objets usuels, du ventilateur de table à plusieurs composantes automobiles, sont virtuellement identiques à leurs homologues d’il y a un siècle. Et pendant que le monde se passionne pour les récits d’inventeurs ayant refait le monde dans leur garage, il faut admettre que l’innovation sociale stagne. La technologie se plaque sur des structures sociales figées dans le temps, dont elle s’accommode très bien. Dans le discours de ses promoteurs, la technologie est censée nous fournir des solutions toujours plus efficaces pour un monde meilleur. Mais l’efficacité a ses effets pervers : plus les machines sont performantes, plus il est tentant de les utiliser pour tout et pour rien. Au final, on se retrouve avec plus de machines… et une consommation énergétique à la hausse. Ce paradoxe a été observé dès 1865 par l’économiste britannique Stanley Jevons et ne s’est pas démenti depuis : plus nous innovons, plus nous consommons. Un exemple? Dans les années 1950, les climatiseurs étaient d’énormes machines, complexes, coûteuses et énergivores. On n’en retrouvait guère que dans les salles de cinéma. Mais la technologie s’est améliorée et la tendance est maintenant à l’installation de petites unités dans toutes les pièces de la maison. Bien que chaque appareil consomme beaucoup moins qu’avant, on estime que leur nombre est tel, aux États-Unis seulement, qu’ils consomment au total l’équivalent de toute l’électricité produite pour tous les usages de ce pays en 1950. Sans compter les ressources matérielles nécessaires. Le paradoxe de Jevons nous entraîne dans une impasse et c’est pour nous aider à nous en extraire que l’ingénieur français Philippe Bihouix a publié L’âge des low tech1 en 2014. Ce petit livre, vite devenu un incontournable, dénonce l’illusion de la fuite en avant technologique et propose un trajet vers une civilisation techniquement soutenable – une véritable innovation sociale.

Le mythe de l’énergie infinie

Le premier mythe que dénonce Philippe Bihouix est celui des énergies renouvelables, qui nous promettent une énergie propre, en quantité illimitée. L’ennui avec cette promesse technologique, c’est que s’il y aura toujours du vent et du soleil, on ne peut pas en dire autant des machines transformant cette énergie primaire en électricité – et encore moins des ressources nécessaires à leur fabrication. Les éoliennes, par exemple, exigent pour leur fabrication de grandes quantités de néodyme, un métal rare et difficile à recycler. De plus, couvrir la planète de panneaux solaires ou d’éoliennes représente plusieurs siècles d’efforts au rythme actuel. Bien qu’il soit techniquement possible d’accélérer le rythme, on se heurte, passé un certain seuil, à d’importants problèmes de disponibilité : celle des métaux d’abord, mais aussi celle de l’humble ciment. Le sable, ingrédient essentiel à sa fabrication, fait défaut partout dans le monde, alimentant même des réseaux criminels de contrebande! En fait, les solutions de haute technologie partagent un même défaut : elles sont très performantes, mais leur mise en place repose sur des ressources rares et coûteuses : alliages complexes, terres rares pour doper les performances, produits de synthèse toujours plus élaborés… Nos écrans plats modernes ne pourraient pas fonctionner sans indium (production mondiale : 820 tonnes par année, pour des réserves de 11 000 tonnes). Les semi-conducteurs dépendent entièrement du gallium, extrait non sans mal de la bauxite, un minerai d’aluminium dont il ne représente que 0,003 à 0.008 % de la masse. En 1970, seuls 30 des 92 éléments naturels du tableau périodique étaient exploités industriellement. Ce nombre atteint actuellement 60, dont certains sont rarissimes. Pas moins de 90 % des réserves connues de ruthénium, par exemple, se retrouvent dans un seul gisement, en Afrique du Sud. Mais même des métaux aussi courants que le cuivre ou le zinc sont au seuil de l’épuisement. La demande de métaux difficilement remplaçables, couplée à une mauvaise distribution mondiale, dominera sans doute la géopolitique du XXIe siècle.

L’illusion de la circularité

Face à ces contraintes grandissantes, il est de bon ton, depuis quelques années, de proposer l’économie circulaire comme solution à tous nos problèmes. Sur papier, l’idée est séduisante : chaque déchet devient la ressource d’un nouveau procédé industriel et, lorsque c’est impossible, le recyclage permet une récupération infinie de la matière. Le concept se heurte pourtant à deux principaux écueils, selon Philippe Bihouix : les usages dispersifs et la perte d’usage. L’usage dispersif désigne une utilisation qui éparpille un élément dans l’environnement, le rendant du coup impossible à recycler. Les usages dispersifs sont plus fréquents qu’on le pense : 95 % de la production mondiale de titane, par exemple, est utilisée pour fabriquer des pigments blancs pour la peinture, les plastiques et d’autres produits. Tous ces pigments se perdent dans la nature, où ils sont irrécupérables. Dans le cas de l’étain, 14 % des usages sont dispersifs : la perte peut sembler minime, mais elle représente 50 % de la ressource en quatre cycles de recyclage seulement. La plupart des applications des nanotechnologies sont dispersives. La perte d’usage concerne en général des matériaux spécialisés, renfermant de nombreux composés. Parce que c’est plus simple ou parce qu’on ne sait pas les séparer, ils sont recyclés en vrac, avec divers autres résidus. Le produit indifférencié qui en résulte est moins performant que le produit initial. Ainsi le nickel et le chrome de l’acier inoxydable sont souvent noyés dans des masses d’acier bas de gamme, où leurs propriétés spéciales sont perdues. On estime par exemple que le nickel, qui est pourtant facile à recycler, est à 45 % « fonctionnellement » perdu de la sorte, bien que le métal soit recyclé pour l’essentiel. Le taux de recyclage effectif d’autres métaux moins communs est encore plus bas. L’idée d’une économie circulaire recyclant à l’infini paraît déjà moins réaliste, d’autant plus que pour diverses raisons, aucune ressource n’est récupérée à plus de 90 % en pratique. Dominique Bourg, philosophe et environnementaliste français, ajoute une autre objection2 : dans une société en croissance rapide, le recyclage ne répond pas aux besoins. Le cycle du cuivre, par exemple, est d’environ 20 ans. Si l’on suppose une croissance économique de 3,5 % par année, les besoins de cuivre doublent tous les 20 ans. Donc, si l’on recycle, par exemple, 50 % des 100 unités de cuivre extraites il y a 20 ans, on n’obtient que 50 unités, contre un besoin total porté à 200. L’industrie minière doit donc continuer à augmenter sa production pour répondre à la demande, en dépit du recyclage. En pratique, conclut-il, le recyclage ne joue un rôle vraiment important que si la croissance économique est inférieure à 1 % par année.

Le cercle vicieux énergie-ressources

La réponse à ces objections se résume le plus souvent à affirmer, comme si c’était déjà presque fait, que la technologie apportera des solutions. L’ennui, c’est que la technologie, on l’a vu, dépend de quantités croissantes d’énergie et de minéraux rares. Mais la fabrication d’énergie, dans un contexte d’abandon des carburants fossiles, exigera toujours plus de métaux. Or, plus les gisements s’épuisent, plus il faut dépenser d’énergie pour extraire et traiter des quantités croissantes de minerais à faible teneur. On a là les ingrédients d’un terrible cercle vicieux, où les besoins technologiques alimentent une course illimitée à l’énergie et aux ressources. Dans un système fermé – la Terre – où les ressources sont finies, une croissance infinie de la sorte est impossible, n’en déplaise aux économistes pour qui seul l’argent compte. La géologie aura le dernier mot.

Vers le low tech

Toute activité humaine a un coût environnemental que le recyclage, bien qu’utile, ne compense pas entièrement. Le low tech propose de nous sortir de cette impasse grâce à une démarche d’innovation orientée vers la préservation des ressources. Il s’agit de privilégier des technologies plus simples, plus robustes et plus économiques, faciles à fabriquer et à réparer avec des ressources locales. L’approche évite le recours aux matériaux et aux alliages complexes, qui compliquent le recyclage. Elle a aussi l’avantage de rapatrier nombre d’emplois au niveau local – moins besoin d’usines géantes et de chaînes d’approvisionnement interminables – et de remplacer par du travail humain plusieurs tâches actuellement robotisées et mécanisées. Il ne s’agit pas de revenir au Moyen Âge ou au tout artisanal, mais de trouver un meilleur équilibre entre confort, utilisation des ressources et partage de la richesse. Projet d’innovation sociale plus encore que technologique, le low tech propose la création de nouveaux réseaux – très décentralisés – de récupération et de réparation des objets du quotidien. La distribution, pour sa part, repose sur des emballages normalisés, consignés et réutilisables, pour réduire les emballages et les déchets au maximum. Le low tech nous invite à tourner le dos à la complexité toujours croissante des high tech. Non seulement, Small is beautiful, mais de plus, Simple is beautiful!


Philippe Gauthier est titulaire d’une maîtrise en science politique de l’Université de Montréal. Écrivain et journaliste, il a longtemps œuvré en presse technique et scientifique. Il a publié de nombreux articles sur les enjeux énergétiques, notamment dans son blogue du journal Voir et dans le livre Sortir le Québec du pétrole, en 2014. banderole.png

 

Notes

  1. BIHOUIX, Philippe, L’âge des low tech : vers une civilisation techniquement soutenable, Seuil, coll. Anthropocène, Paris, 2014, 330 pp.
  2. BOURG, Dominique et ARNSPERGER, Christian, « Vers une économie authentiquement circulaire, Réflexions sur les fondements d’un indicateur de circularité », Revue de l’OFCE, 2016/1, no 145, pp. 91-125.

Les pièges du développement durable

par Yves­-Marie Abraham
arton1432.png

L’appel explicite à une « décroissance soutenable » ou « conviviale » a été lancé il y a un peu plus de 15 ans maintenant, en Europe d’abord. Et il a été lancé surtout contre l’idéologie du «développement durable». Selon les «objecteurs de croissance», le projet d’un «développement durable» représente en effet un triple danger.

Polluer moins pour polluer plus longtemps

En premier lieu, ce projet laisse entendre qu’une croissance économique infinie dans un monde fini serait possible. Bien qu’il n’y ait pas de lien linéaire entre la croissance économique (mesurée en monnaie) et la dégradation de notre habitat terrestre, on ne peut prétendre produire toujours plus de marchandises sans utiliser toujours plus de « ressources naturelles » ni produire toujours plus de déchets. Au mieux, disent ironiquement les objecteurs de croissance, le développement durable permettra de « polluer moins pour polluer plus longtemps ». Mais les limites biophysiques de la planète finiront par stopper cette course à la production de marchandises. Et ces limites sont déjà atteintes, pour une part d’entre elles au moins. En réalité, on constate que l’idéologie du développement durable n’a même pas permis de « polluer moins » depuis que les grandes organisations internationales l’ont promue à la fin des années 1980 . Ce qui ne veut pas dire que cette idéologie est restée sans effet. Au contraire. Elle a calmé une bonne part des inquiétudes qui se sont exprimées avec force en Occident, au moins depuis les années 1960, concernant le caractère destructeur de notre civilisation, et elle a canalisé une part de la volonté de changement qui s’exprimait à cet égard vers des projets réformistes. Le développement durable a servi en somme d’anxiolytique sur le plan psychologique et de contre-feu ou d’éteignoir sur le plan politique. En ce sens, c’est une idéologie dangereuse, parce que pendant que nous dormions paisiblement ou que nous contemplions avec soulagement le joli dessin des « trois piliers du Développement durable », la destruction a continué et a même accéléré, si l’on en croit tous les chiffres qui sortent à ce sujet. Si l’on veut éviter de rendre inhabitable la planète Terre à une grande partie ou à la totalité de l’espèce humaine, il est grand temps de se réveiller. La décroissance est d’abord un slogan provocateur qui veut susciter ce réveil !

Faire durer un monde injuste

Mais il ne s’agit pas seulement de rappeler qu’une croissance infinie est impossible. Les partisans de la décroissance soutiennent par ailleurs que la croissance n’est pas souhaitable, pour des raisons de justice. Contrairement à ce que présuppose l’idéologie du « développement durable », la croissance n’est pas au service du bien-être de l’humanité. Elle est au service du Capital. Elle est une exigence du Capital. Or, le Capital est un rapport social et ce rapport social est un rapport d’exploitation, comme Marx n’a eu de cesse de le montrer. Une minorité contrôle les moyens de production ce qui force la majorité à travailler au profit de cette minorité si elle veut obtenir de quoi vivre. C’est sur cette base pour le moins inégale que repose la course à la production de marchandises. Il faut ajouter à cela le fait que ce rapport d’exploitation s’est doublé dès son origine, au sein de la classe ouvrière en devenir, d’un rapport d’exploitation des femmes par les hommes. Comme Silvia Federici et d’autres féministes marxistes le rappellent, l’accumulation capitaliste n’a été possible que parce que les femmes ont assumé gratuitement la « reproduction » de la force de travail des hommes exploitée dans le rapport salarial. Absolument essentiel au capitalisme, ce travail « invisible » (préparation des repas, entretien ménager, soins de santé, éducation des enfants, manifestations d’affection, etc.) a été imposé aux femmes au nom de « l’amour » et de « l’instinct maternel ». On ne doit pas oublier non plus que la croissance fabuleuse des derniers siècles est indissociable de formes d’exploitation entre humains encore plus violentes, telles que l’esclavage, le servage ou encore le péonage, qui n’ont jamais cessé d’exister jusqu’à aujourd’hui, au moins sur les marges du monde occidental. Enfin, outre ces rapports entre humains qui contredisent l’idéal égalitaire que l’on trouve en principe au fondement de nos sociétés, l’exploitation industrielle de la nature se traduit par des rapports avec les autres animaux qui posent eux aussi des problèmes en termes de justice. D’une part, la course à la production de marchandises favorise la destruction massive des animaux sauvages. Elle tend à nier leur droit à l’existence. D’autre part, elle repose sur la production industrielle d’animaux d’élevage à qui on impose des conditions de vie effroyables, véritablement barbares. Contrairement à ce que prône l’idéologie du développement durable, il faut donc refuser la croissance, non seulement parce qu’elle menace nos conditions d’existence sur terre, mais aussi parce qu’elle est indissociable d’injustices graves entre humains d’une part et entre animaux humains et non-humains d’autre part.

La technoscience au pouvoir

Enfin, les objecteurs de croissance reprochent à l’idéologie du développement durable d’être bien trop technophile. Les partisans de cette idéologie attendent beaucoup en effet de la techno-science et des experts pour éviter ou limiter les catastrophes écologiques. Il n’est pas sûr du tout que la technique puisse nous sauver sur le plan écologique. Le problème est particulièrement évident dans le cas de l’énergie : contrairement à ce que nous répètent tous les marchands d’espoir qui occupent ce qu’il reste d’espace public, nous sommes actuellement dans l’incapacité totale d’accomplir la transition énergétique. Nous ne pouvons maintenir nos capacités de production actuelles sans les énergies fossiles dont nos machines dépendent encore à 80%. Ces énergies présentent en effet des caractéristiques physico-chimiques proprement extraordinaires. Elles n’ont donc pas de réels substituts. Mais l’avenir est inconnaissable et on ne peut écarter totalement l’éventualité d’une série de miracles technologiques, même si les signes d’un tel salut se font attendre. Ce qui est certain, c’est que le déploiement et l’expansion continuelle de la techno-science présentent une menace grave pour notre liberté, entendue ici au sens de la capacité à décider de nos manières de vivre ensemble. La croissance des derniers siècles repose en effet sur la prolifération de machines qui constituent aujourd’hui une mégamachine dont nous faisons partie intégrante et au service de laquelle nous déployons des efforts individuels et collectifs toujours plus colossaux. Pensons notamment à tout ce qu’il nous faut faire pour garantir à cette mégamachine l’énergie qu’elle réclame. Dans une large mesure, nous sommes devenus les moyens de nos outils. Parier sur des solutions techniques toujours plus sophistiquées pour limiter la catastrophe écologique, c’est renoncer encore un peu plus à notre liberté. Les objecteurs de croissance ne se soucient donc pas seulement de sauver notre maison planétaire. Cela n’en vaut la peine que si l’on peut y vivre dans le respect des deux valeurs essentielles sur lesquelles nos sociétés sont en principe fondées, l’égalité et la liberté. Or, ces préoccupations sont bien trop discrètes dans le discours et dans les projets qui se revendiquent du « développement durable ». Surtout, ces projets ne remettent jamais en question les institutions fondamentales de notre civilisation, comme si l’on pouvait tout changer sans rien changer vraiment à nos manières de vivre ensemble.

Il faut faire la révolution!

Le « développement durable » participe en fait de ce que le sociologue Bertrand Méheust appelle la « politique de l’oxymore », qui consiste à utiliser systématiquement cette figure de style qu’est l’oxymore pour tenter de nier ou d’occulter les contradictions profondes de notre monde. C’est la fonction sociale d’expressions telles que : « croissance verte », « économie sociale », « finance éthique », « économie du partage », « entrepreneuriat social ». Nous ne pourrons pourtant dépasser ces contradictions qu’en inventant d’autres mondes, radicalement différents du nôtre, c’est-à-dire en faisant la révolution! <img682|center> Il s’agit non pas de faire du « développement durable », mais de rompre avec l’obsession du développement; non pas viser une « croissance verte », mais arrêter la course à la croissance; non pas « démocratiser l’économie », mais sortir de l’économie; non pas faire de « l’économie sociale », mais socialiser nos moyens d’existence; non pas inventer une « finance éthique » ou « responsable », mais cesser de faire de l’argent avec de l’argent; non pas pratiquer « l’économie du partage », mais partager vraiment ce dont nous avons besoin pour vivre dans la dignité; non pas faire de « l’entrepreneuriat social », mais en finir avec l’entreprise. Cette remise en question de l’entreprise en particulier est essentielle. Comme le soutient le sociologue Andreu Solé, tout indique en effet qu’elle constitue la principale force organisatrice de notre monde et la cause des maux évoqués plus haut. La « gauche », en continuant à se donner pour cible le « marché », poursuit une chimère (l’entreprise fait disparaître le marché) et a donc perdu d’avance ses combats. Si nous tenons vraiment à la vie, à la justice et à la liberté, il faut avant tout s’attaquer à la centralité de l’entreprise dans nos vies et dans nos sociétés. Pour ce faire, il y a d’abord une reconquête spatiale à mener, notamment sous la forme de luttes contre l’envahissement publicitaire, contre les paradis fiscaux ou plus largement contre la libre circulation des capitaux et des marchandises. Mais nous devons aussi reconquérir ce temps dont l’entreprise nous dépossède largement – les vacances elles-mêmes n’étant jamais qu’un temps de consommation et de récupération pour le travail. D’où la pertinence de militer pour une réduction significative du temps de travail sans perte de revenu et/ou pour des dispositifs tels que le revenu inconditionnel d’existence. A plus long terme, il s’agit de reprendre le contrôle de nos moyens de vivre (ressources naturelles, outils, savoirs) pour que nous ne soyons plus contraints de vendre notre force de travail aux entreprises. Ces moyens pourraient être pris en charge collectivement, de façon équitable, soutenable et démocratique, sur le modèle des « communs », qui représente une voie de sortie prometteuse de l’alternative propriété privée/propriété collective dont nos sociétés sont prisonnières depuis trop longtemps.


Yves-Marie Abraham est professeur aux HEC Montréal, ou il enseigne la sociologie de l’économie et mène des recherches sur le thème de la décroissance. Écrivant pour diverses publications, il a codirigé (avec Hervé Philippe et Louis Marion ) l’ouvrage Décroissance versus développement durable. Débats pour la suite du monde (Écosociété, 2011).

 

Petit vade mecum de l’objecteur de croissance

par Yves­-Marie Abraham
arton1433.jpg

1. Qu’est-ce que la décroissance ?

Ce n’est pas la dépression ou la récession économique, mais la décroissance de l’économie elle-même dans nos vies et nos sociétés. Ce n’est pas la baisse du PIB, mais la fin du PIB et de tous les indicateurs de « bien-être » quantitatifs associés. Ce n’est pas la décroissance démographique, mais d’abord la remise en question d’un mode de vie autodestructeur pour l’humanité. Ce n’est pas le projet d’un retour en arrière, mais une invitation à faire un pas de coté dans la course au toujours plus et à la démesure. Ce n’est pas la nostalgie d’un quelconque âge d’or, mais le projet d’inventer des manières inédites de vivre ensemble. Ce n’est pas une décroissance imposée par l’épuisement progressif des ressources de la biosphère, mais une décroissance choisie, pour mieux vivre ici et maintenant et préserver les conditions d’existence à long terme de l’humanité. Ce n’est pas une fin en soi, mais une étape nécessaire dans la recherche de modèles de sociétés libérées du dogme de la croissance. Ce n’est pas tant un effort de privatisation et un appauvrissement volontaire, que la recherche d’un « mieux-vivre », basé sur la simplicité, la sobriété et le partage. Ce n’est pas le « développement durable », mais un rejet du capitalisme, qu’il soit « vert » ou à « visage humain », qu’il soit d’État ou d’entreprises privées. Ce n’est pas un écofascisme, mais un appel à une révolution démocratique pour en finir avec notre modèle de société productiviste consumériste. Ce n’est pas la simplicité volontaire, mais un projet politique révolutionnaire qui suppose l’adhésion à la simplicité volontaire. Ce n’est pas une réaction anti-moderne, mais un mouvement néo-moderne, qui se fonde notamment sur le respect des valeurs de liberté et d’égalité. En résumé, la décroissance est un appel à rompre radicalement avec les modèles de société « croissantistes », que ces modèles soient de « droite » ou de « gauche », et à inventer de nouvelles manières de vivre ensemble, vraiment démocratiques, respectueuses des valeurs d’égalité et de liberté, fondées sur le partage et la coopération, et suffisamment sobres sur le plan matériel pour être durables.

2. Pourquoi prôner la décroissance ?

Parce qu’une croissance infinie dans un monde fini étant impossible, la décroissance s’imposera de toute façon tôt ou tard. Mieux vaut, par conséquent, la choisir que la subir. Le capital artificiel ne peut se substituer complètement au capital naturel – comment remplacer de l’eau buvable, de l’air respirable, de la terre fertile ? En explorant l’univers, mais quand, à quel prix et pour qui ? Dans un monde croissantiste, les innovations technologiques qui permettraient de réduire la consommation de nos ressources, renouvelables ou pas, contribuent toujours à accroître cette consommation – c’est « l’effet rebond ». La dématérialisation de nos économies reste très relative (délocalisation des activités industrielles hors Occident) et ne s’accompagne pas d’une baisse de notre empreinte écologique – pas de découplage entre économie et impact économique. Parce que la croissance ne tient pas ses promesses en termes d’amélioration de notre bien-être collectif. La croissance ne nous garantit plus de meilleures conditions de vie matérielles. En même temps qu’elle, progressent aujourd’hui la pollution, l’obésité, les dépressions, la contre-productivité des techniques, la baisse de l’espérance de vie… La croissance ne nous garantit pas davantage d’égalité. La croissance de ces dernières années s’est accompagnée d’un creusement très significatif des inégalités au sein de nos sociétés. La croissance ne nous garantit pas davantage de liberté. Fondée sur le progrès technoscientifique, elle nous rend toujours plus dépendants de la technique et toujours plus soumis à « mégamachine ». Parce que la quête de la croissance continue est épuisante. La croissance est épuisante pour la biosphère, qu’elle contribue à détruire en l’exploitant sans retenue et en la saturant de déchets – tout se passe comme si nous étions en train de brûler les murs de notre maison pour nous chauffer. La croissance est épuisante pour nos sociétés, dont la cohésion est menacée toujours davantage par cette guerre de tous contre tous sur laquelle repose la recherche d’une croissance économique exponentielle. La croissance est épuisante pour les habitants de ces sociétés qui doivent sans relâche s’employer à produire des marchandises que d’autres voudront bien acheter, sous peine d’y perdre leur place et de se trouver complètement marginalisés.

3. Pourquoi être contre le développement durable ?

Parce que le projet d’un développement durable ne remet pas en question la quête d’une croissance continue ; quête sans limite qui conduit l’humanité à sa perte. Parce que c’est un projet qui laisse croire qu’une croissance infinie dans un monde fini est possible – la notion de « développement durable » est un oxymore, une contradiction dans les termes, une antinomie. Parce que c’est au mieux un projet réformiste, qui vise fondamentalement à aménager notre monde pour le faire durer – polluer moins pour polluer plus longtemps ! Parce qu’il s’agit d’une notion qui participe de l’imaginaire croissantiste développement), et qui a pu aisément être récupérée par tous ceux qui ne veulent surtout rien changer à notre monde. Parce que c’est une idée qui détourne trop de bonnes volontés des actions drastiques que requiert l’urgence de la situation.

4. Pourquoi avons-nous besoin du mot « décroissance » ( ou degrowth ») ?

Un mot obus lancé contre une évidence que nous voulons pulvériser : la nécessité d’une croissance économique continue. Un mot iconoclaste dont l’adoption participe de la nécessaire décolonisation de notre imaginaire croissantiste. Un mot irrécupérable par ceux qui cherchent à faire durer ce modèle de société dont nous ne voulons plus (contrairement à « développement durable »). Un mot tranchant qui s’attaque à la racine de la plupart des problèmes que nous vivons : la quête d’une croissance continue. Un mot sans ambiguïté dans sa remise en cause de notre monde productiviste consumériste, mais qui laisse ouverte la discussion quant à cet autre monde qu’il s’agit de bâtir. Un « gros mot » qui dérange, qui fait réagir et qui lance le débat concernant le dogme de la croissance, ce qui est la première préoccupation des « objecteurs de croissance ». Un mot qui ne peut pas et ne doit pas faire consensus dans un monde qui reste fortement croissantiste. Un mot plus facile à prononcer que celui d’« a-croissance », qui est sans doute plus adéquat sur un plan sémantique. Un mot simple, qui a valeur de slogan, de bannière ou de cri de ralliement, plus que de ou de programme, par tous ceux qui refusent notre modèle de société productiviste-consumériste.


Texte publié à l’occasion du Colloque international Décroissance dans les Amériques Montréal mai 2012.

 

Regards sur Attac Japon

par Tsutomu Teramoto
image_manifestant_japonais.jpg

Attac Japon a été fondée en octobre 2001. Elle est composée de quatre groupes locaux : Attac Tôkyô, Attac Tôkaï, Attac Kyôto et Attac Kansaï. Le nombre total des adhérents est d’environ une centaine de personnes. Nous sommes ainsi un tout petit groupe comparé à Attac France ou Attac Allemagne. Chaque groupe compte environ une vingtaine de membres qui s’impliquent régulièrement dans l’organisation d’événements (séminaires, ateliers, conférences, manifestations). En raison de notre petite dimension, nous sommes parfois amenés à collaborer avec d’autres associations, notamment des syndicats, des ONGs et une myriade de mouvements sociaux, pour mener des actions communes. Parmi les thèmes que nous avons récemment abordés figurent le changement climatique, les dettes publiques, la pauvreté et le développement, le libre-échange (notamment le débat autour du TPP : Trans-Pacific Partnership) et le G7. Selon les sujets traités, il nous arrive de discuter sur Skype avec des militants d’autres pays, notamment d’Asie, d’Europe ou de Palestine. Nous avons fait une soirée Skype pendant le FSM à Montréal entre les trois membres qui s’étaient rendus sur place et ceux qui étaient restés au Japon pour partager l’expérience. En ce qui concerne la diffusion des informations, chaque groupe local gère son propre site internet ou blog et publie régulièrement des bulletins électroniques. Des livres sont également traduits en japonais par les membres d’Attac. Parmi nos récentes publications, plusieurs ouvrages d’Eric Toussain sur la dette du tiers-monde, un livre sur Podemos et le mouvement anti-austérité en Espagne, un recueil d’articles sur les luttes sociales à Hong-Kong depuis l’annexion à la Chine. Concernant la crise grecque, une équipe est en train de traduire le Rapport de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque (La Vérité sur la dette grecque, Editions LLL) qui a été publié l’an dernier après la capitulation du gouvernement Tsipras. Dans le prolongement du Forum social mondial, il y a déjà eu trois Forum social local au Japon : celui de Kyôto en décembre 2004, celui de Tôkyô en mars 2010 et celui d’Osaka (région de Kansaï) en septembre 2012. A chacune de ces éditions, les membres d’Attac ont joué un rôle central au sein des comités d’organisation. Les grandes rencontres des institutions internationales ont été également l’occasion de mener des actions pour susciter le débat. Ce fut le cas lors de l’assemblée générale de la Banque Asiatique de Développement (ADB) à Kyôto en mai 2007, de la réunion du G8 à Sapporo en juin 2008, de l’Assemblée générale de l’APEC (Asian-Pacific Economic Cooperation) à Yokohama en novembre 2010 et de la réunion du G7 cette année à Iseshima. image_manifestant_japonais.jpgNous sommes très solidaires des mouvements sociaux qui se déroulent à l’étranger et nous essayons d’y participer aussi souvent que possible. Le FSM est l’un des événements auxquels nous accordons le plus d’importance en envoyant des représentants à chaque édition depuis Porto Allegre en 2002. Certains de nos membres sont aussi partis manifester contre l’assemblée générale de l’OMC en 2005 à Hong-Kong et en 2013 à Bali (Indonésie). Pour ma part, je me suis rendu l’an dernier à Paris pour participer au Forum des ONGs de la COP 21 et cette année à Tunis pour assister à l’Assemblée annuelle du CADTM (Comité pour l’Abolition des dettes illégitimes) réseau dont Attac Japon fait partie. C’est enfin le Comité international d’Attac Japon qui se charge de tout ce qui relève de la communication et de la coordination avec Global Attac et les diverses associations altermondialistes de la planète. Nous sommes très sensibles à l’actualité internationale, mais cela ne nous empêche pas pour autant de militer pour des questions locales. J’en évoquerai seulement deux. La première est la lutte contre le gouvernement Abé qui, parallèlement aux réformes néolibérales (démantèlement de la protection sociale, dérèglement du marché du travail, etc.), vise à enterrer notre Constitution pacifiste pour envoyer des troupes militaires à l’étranger dans la guerre contre le terrorisme. Je m’explique : Après la seconde guerre mondiale, le Japon a été doté d’une constitution pacifiste qui interdit de recourir à la force militaire pour résoudre les conflits internationaux. C’est le fameux article 9 qui symbolise le Pacifisme constitutionnel de l’après- guerre. C’était une mesure introduite par les forces alliées pour démilitariser le pays, mais elle fut largement approuvée par le peuple japonais qui sortait de 15 années de guerre et de militarisme. C’est d’ailleurs au nom de ce pacifisme constitutionnel que la jeunesse de l’après-guerre a milité pour le retrait des bases militaires américaines de l’Archipel et s’est massivement mobilisée contre la guerre du Vietnam. Or, depuis la fin de la guerre froide et notamment le choc du 11 septembre 2001, l’administration américaine a exercé des pressions pour que le gouvernement japonais abroge cet article 9 afin d’envoyer ses troupes en Irak ou ailleurs, ce qui représente une aubaine pour la droite nationaliste japonaise qui a toujours considéré cet article comme une amputation de sa souveraineté. Ainsi, une nouvelle série de lois a été votée en 2015 permettant à nos troupes de combattre à l’étranger (Loi sur la sécurité nationale), mais il reste à abroger l’article 9 pour que l’armée japonaise, nommée « Force d’autodéfense« , soit totalement libre de toute contrainte constitutionnelle. C’est ce dernier verrou que le gouvernement Abé vise à faire sauter. Il est en position de force après avoir obtenu les deux tiers des sièges au parlement, mais une forte mobilisation sociale défend la constitution. La seconde question qui secoue actuellement le pays concerne le problème du nucléaire. Depuis la catastrophe de Fukushima en mars 2011, les 54 centrales nucléaires du Japon ont été mises à l’arrêt pour des raisons de sécurité. Et aucune d’entre elles n’a pu redémarrer pendant 5 ans sous la pression du mouvement antinucléaire. Mais malgré la catastrophe, le gouvernement ne semble pas prêt à changer de cap et sous la pression du lobby nucléaire, il semble même déterminé à faire redémarrer les réacteurs à tout prix. Ainsi, trois de nos centrales ont redémarré au cours de ces derniers mois et la société civile est mobilisée pour empêcher la relance des autres centrales. C’est à ces luttes que les membres d’Attac Japon s’associent. Nous nous sommes d’ailleurs impliqués dans l’organisation du Forum Social Mondial thématique contre le nucléaire qui s’est déroulé à Tôkyô et à Fukushima en mars 2016 avec la participation de nombreux journalistes et militants étrangers. Les premières discussions avaient commencé lors du FSM à Tunis en mars 2015 et nous avons servi d’intermédiaire avec les militants antinucléaires au Japon. Pendant environ une trentaine d’années, le Japon a connu une période d’accalmie sur le plan social : les grèves ont quasiment disparu du paysage et les syndicats ont été attaqués, alors que les inégalités se creusent. Mais il semble que depuis la catastrophe de Fukushima le vent soit en train de tourner. Des milliers de personnes se sont rassemblées chaque vendredi soir devant la résidence du premier ministre à Tokyo réclamant la sortie du nucléaire. Ce qui a par la suite engendré une seconde mobilisation populaire pour défendre la constitution pacifiste. En août 2015, une manifestation de 100 000 personnes a eu lieu devant la Diète pour protester contre la Loi sur la sécurité nationale que le gouvernement Abé s’apprêtait à faire passer. L’un des aspects marquant de ces mobilisations est la participation nombreuse et spontanée de la jeune génération, ce qui représente une chance de renouvellement pour les mouvements sociaux. C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que nous assistons à ce phénomène. Pour finir, nous vous remercions infiniment pour tout le travail que vous avez accompli pour l’organisation du FSM à Montréal et pour l’accueil chaleureux que vous nous avez réservé. Le temps passe vite, mais les souvenirs de ces journées festives sont encore loin de s’estomper. Maintenant que nous nous avons fait connaissance, gardons contact et travaillons ensemble pour l’avènement d’une justice globale.


L’auteur est membre d’Attac Japon.

 

Contact

image_livre_dette_derniere_page.jpg

image_livre_dette_derniere_page.jpg IDÉE-CADEAU POUR NOËL : Le livre La dette du Québec : vérités et mensonges d’Attac Québec. NOUVEAU ! La version numérique est aussi disponible Procurez-vous aussi notre petit Guide de l’anthropocène. Changeons le système, pas le climat !


Pour toute suggestion, commentaire ou questions, veuillez vous adresser à Monique Jeanmart, coordonnatrice du bulletin moniquejeanmart@videotron.ca Mise en page électronique : Wedad Antonius Pour des conférences, ateliers, présentations dans votre région Invitez Attac! Attac-QUÉBEC – Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne 3720, avenue du Parc, bureau 303 Montréal (Québec) H2X 2J1 quebec@attac.org