Difficile parfois de faire des liens entre les accords commerciaux, l’exploitation des personnes démunies et nos modes de consommation. L’histoire de la tomate est, en ce sens, très instructive. La plupart des humains mangent des tomates, partout dans le monde, à raison de 5kg par an et par personne. C’est dire que ce marché attire toutes les convoitises.
Dans son livre, L’Empire de l’or rouge1, le journaliste Jean-Baptiste Malet, après avoir enquêté 2 ans sur les dessous de la tomate d’industrie (celle du ketchup et des sauces tomates), nous fait une superbe démonstration de la transformation de l’alimentation devenue un commerce comme un autre, soumis aux marchés et à l’inexorable recherche du profit. C’est aussi l’histoire de dépossessions, d’exploitation de main-d’œuvre et de perte de biodiversité.
Son enquête démontre comment la tomate est devenue une matière première industrialisée qui circule en baril comme le pétrole, qui ment aux consommateurs sur sa nature et qui engraisse les multinationales et la mafia. Cette tomate bien ronde et que l’on s’imagine bien mure est, dans les faits, devenue une tomate d’industrie artificiellement créée par des généticiens pour supporter les longs voyages et répondre aux besoins industriels.Elle est plus lourde, plus dense, moins fragile et contient moins d’eau. En fait, la tomate industrielle est à la tomate fraîche ce qu’une pomme est à une poire.
Mais d’où viennent ces tomates? Qui les cultive?
Son enquête a mené Jean Baptiste Mallet jusqu’en Chine où il a pu constater les ajouts d’additifs (soya, amidon, glucose) au concentré de tomate pour le rendre plus profitable lors de la vente. Il a vu en Italie les champs de production contrôlés par la mafia, en Californie, les procédés de productions intensives, avec les conséquences nocives sur l’environnement. Il relève l’utilisation de pesticides interdits, l’utilisation des prisonniers, des minorités et des migrants pour alimenter ce commerce mondial. Il montre comment les règles du commerce international détruisent les économies locales et leurs conséquences sociales. L’exportation des tomates en boite et de la sauce tomate en Afrique – commerce dont la Chine a pris le contrôle – a tué l’agriculture maraîchère locale. Les tomates locales produites par les petits paysans étant vendues plus cher que les conserves importées ne sont plus achetées par les Africaines. En conséquence, on trouve en Italie du Sud des migrants illégaux africains – qui ont quitté leur village parce que l’agriculture ne les fait plus vivre – exploités comme esclave dans les champs de tomates.
Le livre décrit comment les industriels ont perverti notre alimentation. Il souligne la nécessité de la régulation, de la traçabilité et l’importance pour les pouvoirs publics d’offrir toutes les informations aux consommateurs et consommatrices.
L’histoire de la tomate n’est pas qu’anecdotique. Comme le dit José Bové, il y a des décennies que le commerce agroalimentaire ne sert plus le client, mais la Bourse. Et la situation ne fait qu’empirer. Nous savons que le Canada2 importe 31 % de plus de produits en provenance de pays à risque d’exploiter les enfants ou de travailleurs forcés si l’on compare avec 2012. Une des augmentations importantes citées, dans le rapport de Vision mondiale publié en juin dernier, est l’importation de tomates qui a atteint l’ordre de 338 millions de dollars, soit une progression de 97 % par rapport à 2012. (Notons que l’on faisait état dans le même rapport des problèmes avec le café d’Amérique centrale, les vêtements en provenance du Bangladesh, les souliers de l’Inde et l’huile de palme en provenance d’Indonésie).
À la veille de la publication de la nouvelle politique agroalimentaire du Québec, cette lecture ne peut que nous pousser à agir pour faire changer les choses en encourageant l’agriculture locale et biologique.
Notes
- Jean Baptiste Malet, L’empire de l’or rouge, enquête mondiale sur la tomate d’industrie, Fayard, 2017 ainsi que le film qui en a été tiré https://tv5.ca/lempire-de-lor-rouge
- http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1039268/canadiens-achats-articles-fabriques-enfants-vision-mondiale
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