L'Aiguillon, le bulletin d'ATTAC Plus que réformer : oser l’utopie !

Plus que réformer: oser l’utopie!

Bulletin no 56 - Avril 2018

Quotidiennement les médias le rappellent, notre monde vit la plus grave crise de son histoire. Le bulletin propose un autre regard : celui que nous proposent les jeunes générations – Américains, femmes, autochtones, citoyens engagés – parce qu’ils croient que leur action peut vaincre l’inertie et changer le système.

Le premier article rappelle que si la croissance des inégalités demeure un problème criant il faut croire en une véritable alternative : un monde basé sur la solidarité et qui mettrait fin au monopole de la propriété privée, fondement ultime des dérèglements du monde.

Jeanne Gendreau rappelle que même s’il a fallu une décennie pour y arriver, les citoyens de Pointe-Saint-Charles se sont réapproprié une propriété privée - un entrepôt désaffecté du CN - pour en faire un espace multifonctionnel qui répondent aux besoins des citoyens. Elle montre que c’est une longue tradition de luttes citoyennes qui a rendu possible la transformation de ce bien privé en bien «commun» au service de tous.

Pour Jacques Bouchard, la seule façon de combattre l’industrialisation de notre alimentation – et de lutter contre les effets délétères du commerce international sur les produits que nous consommons - est d’acheter local et de préférence biologique.

Roger Lanoue, à la suite de Naomi Klein dans son dernier livre, pose la question : comment en sommes-nous arrivés là? Il montre que continuer à ordonner la société de manière à protéger la propriété privée va mener à sa perte. La seule voie qui s’ouvre à l’humanité c’est d’abord de résister, mais surtout de travailler à planifier un monde meilleur. Nous avons besoin de croire que la redistribution de la richesse et la décroissance ne sont pas des utopies, mais les seules avenues qui s’ouvrent pour y arriver.

Le billet du CA

L’étincelle de la révolte

par Monique Jeanmart
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«Le bouillonnement d’initiatives est ma raison d’espérer». Edgar Morin

 

La planète traverse une crise sans précédent dans l’histoire humaine : crise environnementale et climatique, persistance de la pauvreté, croissance des inégalités. Partout les gouvernements se font complices des élites capitalistes, plient devant le pouvoir démesuré des multinationales et des lobbys financiers et industriels. Le recul de la démocratie génère pessimisme, cynisme et la montée d’un individualisme destructeur du lien social.

Et si un autre regard s’imposait. Si une autre vision permettait de sortir du regard négatif que nous posons sur ce qui va mal. «Vivez! Luttez! Aimez! Associez-vous! Éduquez! Résistez aux choses!» C’est le message du sociologue Edgar Morin 1 aux générations qui le suivent.

Regards sur ceux qui partout sur la planète se lèvent pour changer les choses!

14 février 2018. Une tuerie de plus. Une tuerie de trop. Celle qui a allumé le feu de la révolte chez les jeunes Américains. Depuis lors ils sont des dizaines de milliers à sortir des collèges pour prendre la rue et transformer la tragédie en action. Le 24 mars ils seront 500 000 – ou plus -pour la March for our lives (marche pour nos vies). Jeunes, vifs, cohérents et décidés, ils sont en voie de forcer la remise en question d’un système archaïque qui donne le droit à chaque individu de s’armer pour se défendre.marche.jpg Leurs slogans #enough et #never again courent sur les réseaux sociaux alimentant la volonté d’en finir avec la soumission – et l’inertie – des politiciens face aux puissants lobbies des armes à feu. Ils se dressent contre un président qui n’a à leur offrir que plus d’armes pour éviter d’autres tueries.

Octobre 2017. Des femmes dénoncent les agressions sexuelles commises par le producteur Harvey Weinstein. Un appel sur les réseaux sociaux fait boule de neige. # me too embrase la planète entière pour amener les femmes à sortir de leur long silence de victime et mettre fin à l’indifférence généralisée qui fait peu de place – et encore moins d’écoute – aux dénonciations des femmes. Depuis, aux quatre coins de la planète des mots-clics fleurissent pour dénoncer et faire taire le long silence qui entoure les agressions sexuelles et permettre le partage de leur histoire.

Octobre 2012. Suite au dépôt du projet de loi C45 par le gouvernement de Stephen Harper quatre femmes autochtones se lèvent en Saskachouan. Elles protestent contre un projet de loi «omnibus» qui modifie les règlements sur la protection des voies navigables au profit de l’entreprise privée. La même loi modifie des articles de la loi sur les Indiens, particulièrement ceux qui concernent la désignation des terres autochtones dans les réserves les rendant vulnérables aux intérêts privés. Idle no more <img843|right>était né. Le mouvement a pris de l’ampleur, comme une hydre à multiples têtes, il compte maintenant des ramifications partout dans le pays, mobilisant particulièrement jeunes autochtones et métis pour mettre fin à la passivité. Partout ils se lèvent pour agir et forcer la reconnaissance de leurs droits.

Partout on voit poindre des mouvements de résistance populaires spontanés qui créent de nouvelles solidarités. Partout des citoyens – jeunes et moins jeunes- utilisent les nouveaux moyens comme les réseaux sociaux pour s’organiser dans des mouvements populaires spontanés pour résister à un système qui les ignore et se lever à la défense du bien commun. Ces initiatives, même si elles ne sont pas reliées concourent à créer une autre logique. Ils sont l’étincelle qui réveille et qui, par son dynamisme, pourrait secouer l’inertie du système. Le monde n’est pas figé il se transforme même si nous le voyons pas.

Notes

  1. Edgar Morin, sociologue et philosophe français, intellectuel engagé et militant.

Les inégalités ne sont pas une fatalité

par Monique Jeanmart
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«L’utopie c’est ce qui n’a pas encore été essayé». Théodore Monod

 

Janvier 2018, une fois encore depuis 10 ans une étude du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) montre les écarts astronomiques entre les salaires des travailleurs canadiens et ceux des Présidents directeurs généraux (Pdg) les mieux rémunérés du Canada.

Le 3 janvier à 11:47 précisément, l’élite des chefs de direction avait gagné le salaire annuel moyen d’un travailleur à temps plein. En se basant sur les données de 2017, la rémunération moyenne des cent Pdg les mieux payés était de 9,5 millions – soit 193 fois le salaire industriel moyen (49, 510 dollars). Un retour en arrière montre que cet écart ne fait que croitre: en 2014, les plus hauts salaires équivalaient à 184 fois le salaire moyen1; en 1998, le ratio était de 103 fois le salaire moyen. Une fois encore, l’immense disparité entre les salaires des travailleurs et la rémunération des hauts dirigeants des entreprises cotées en Bourse fait la manchette et suscite indignation et incompréhension.

Ces données ne sont que le symbole d’un phénomène qui traverse nos sociétés depuis une trentaine d’années: l’augmentation constante des écarts des revenus dans la majorité des pays occidentaux principalement anglo-saxons.

En 2013, Thomas Piketty2 provoquait une onde de choc. En se basant sur les statistiques des revenus disponibles et les patrimoines depuis le 18e siècle dans quelque 20 pays, il montre que les inégalités de revenus et de patrimoines explosent depuis une trentaine d’années et que cette progression a profité aux plus riches des plus riches3. Son analyse identifie 3 périodes importantes dans cette évolution, la première se poursuivant jusqu’en 1945, jusqu’à la fin de la 2ème Guerre. Une grande concentration de revenus au sommet de la pyramide sociale caractérisait cette première période.

De 1945 au début des années 1970, la part des richesses accaparée par les plus riches diminue sensiblement. Ces 30 années sont uniques dans l’histoire: car elles ont vu simultanément une augmentation considérable de la richesse en même temps qu’une réduction significative des inégalités. Appelées Trente glorieuses, elles se caractérisent par une productivité accrue due à d’importants changements technologiques et à une réorganisation du travail accompagné d’un nouveau rapport salarial. Ces transformations s’accompagnent d’un nouveau rôle pour l’État : politiques sociales de redistribution et politiques économiques d’encadrement des systèmes financiers.

Une troisième étape, qui débute vers le milieu des années 70 et se poursuit de nos jours, se caractérise par un retour de la concentration de la richesse aux mains des plus fortunés. Dans les pays industrialisés, les inégalités de revenus et de patrimoine explosent et pourraient même atteindre les sommets du capitalisme sauvage du début du 19e siècle. rapport_inegalites_2018.jpgEn 2018, un autre rapport4 piloté par une centaine de chercheurs – dont Thomas Piketty – décrit la géographie et la dynamique des inégalités dans le monde sur les 3 dernières décennies. Le travail de ces chercheurs montre que 2 forces divergentes sont à l’œuvre dont la 2e l’emporte clairement. Si la croissance des pays émergents (principalement Brésil, Russie, Inde, Chine) a réduit les inégalités entre les États, les inégalités à l’intérieur des pays – émergents comme développés – ont connu une hausse significative. Force est de constater que si la richesse mondiale s’est considérablement accrue ces dernières années, celle-ci prend la forme d’un paradoxe : dans un monde qui produit de la richesse comme jamais celle-ci est de moins en moins redistribuée. Partout le capitalisme évolue en faisant des gagnants et des perdants. Malgré ce que démontrent toutes les théories du développement, produire de plus en plus de richesses produit aussi plus d’inégalités. Au niveau mondial le 1% du haut a capté deux fois plus de croissance que la moitié inférieure. Partout, c’est l’extrême minorité d’individus les plus riches qui s’accaparent les fruits de la croissance.

Qu’en est-il au Québec?

On entend souvent dire que le Québec manque de riches et qu’augmenter l’impôt des riches ne suffirait pas pour réduire les inégalités. Qu’en est-il? Si on étudie l’évolution des revenus au Québec, on constate que le revenu des Québécois riches suit la même tendance que dans les pays anglo-saxons. «Alors que le revenu des contribuables qui forment le premier 99% de la distribution des revenus n’a augmenté que de 12% entre 1982 et 2010, ceux du 1% ont connu une croissance de 86% au cours de la même période. Et ce en tenant compte de l’inflation et après le passage de l’impôt (…). Plus on monte dans l’échelle des revenus, plus l’augmentation est forte à travers le temps. De 1993 à 2010, les revenus du 1% ont crû de 29%, ceux du 0,1% de 42%, ceux du 0,01% de 68%». De plus, la part qui reste entre les mains du 1% après impôt est passée de 5,2 en 1982 à 8,3 en 2010. Julia Posca précise que «n’eut été la fiscalité progressive en vigueur ici, ces contribuables les plus fortunés auraient accumulé autant de revenus que les 3,1 millions de personnes qui composent la moitié des contribuables les plus pauvres»5

À l’origine de la croissance des inégalités

Dans le discours économique ambiant, les inégalités sont vues comme inévitables si on veut créer davantage de richesses. Même si elle ne résiste pas aux faits, la théorie du ruissellement (trickle down effect) qui veut que la richesse des riches finisse par retomber sur les pauvres a encore de beaux jours. C’est elle qui justifie la scandaleuse réforme fiscale de Donald Trump aux États-Unis. C’est ce même discours qui veut que le talent doublé de la volonté et du travail expliquent les inégalités. Pourtant la perspective historique permet de mettre en évidence l’importance de facteurs tels que le rôle de l’État dans la redistribution, le contexte global de transformation du capitalisme, la place qu’occupent les acteurs dans les rapports sociaux – laquelle permet un mode d’appropriation de la richesse qui n’est pas égal pour tous.

Au début des années 80, la montée en puissance des compagnies transnationales et la mise en réseau des marchés financiers mènent à une transformation structurelle du capitalisme. Ces changements s’accompagnent d’une volonté de libérer le capital des entraves de l’État keynésien afin de restaurer la domination de l’élite économique. Ce néolibéralisme s’incarne dans une nouvelle classe politique dont Margaret Thatcher et Ronald Reagan seront les leaders. Idéologues, penseurs et économistes militent pour un retour aux véritables fondements du capitalisme : un marché déréglementé et la libre concurrence à la grandeur de la planète. L’objectif ultime étant «d’établir la suprématie du marché sur les pouvoirs publics, au motif que le marché libre est le répartiteur optimum des ressources et des revenus».6 Pour l’entreprise considérée comme un actif, créer de la valeur pour les actionnaires l’emporte sur des considérations liées à l’emploi ou au développement des activités. La rentabilité à court terme prime désormais sur toute autre considération, ce qui entraine fusion-acquisition, restructuration, délocalisation, licenciement, détérioration des conditions des travailleurs, etc.

Devenu le dogme idéologique dominant, le néolibéralisme a pour conséquence la transformation du rôle de l’État dans sa capacité de redistribuer la richesse et de réguler les marchés financiers. La croissance des inégalités est la conséquence de la montée en puissance des marchés financiers qui permet à l’élite économique – avec la complicité de la classe politique – de s’accaparer la valeur produite par le travail.

Pour en finir avec les inégalités

rsz_1rsz_communs_alternatives.jpgLa hausse des inégalités n’est pas un accident de l’histoire mais le résultat d’une réorganisation du capital permise par des décennies de politiques néolibérales. Les récentes politiques d’austérité ont eu des conséquences – parfois dramatiques – sur toutes les facettes d’un phénomène dont la dimension économique n’est que le cœur du problème.

Lutter contre les inégalités passe d’abord par un réinvestissement dans les services publics de qualité : éducation, santé, services de garde, etc. Ces politiques redistributives ne sont possibles que par la mise en place d’une fiscalité plus juste, la lutte contre l’évasion et l’évitement fiscal la fin des paradis fiscaux.

Ultimement, c’est aux fondements mêmes du capitalisme qu’il faudra s’attaquer. Réduire les inégalités ne pourra se faire dans un capitalisme qui repose sur le principe même de la propriété privée et qui détruit la planète parce qu’il a fait de la course à la croissance infinie son but ultime. Il faut oser l’utopie d’une prise en charge collective des moyens de production en redonnant aux citoyens le pouvoir de choisir et de décider localement de l’organisation de la vie sociale sur le modèle des «communs». Redonner le pouvoir aux citoyens et en finir avec les inégalités : une des avenues pour sauver la planète.

Notes

  1. Le Devoir, 4 janvier 2017
  2. Thomas Piketty, Le capital au XX1e siècle, édition du Seuil, 2013
  3. Voir le Bulletin d’Attac, avril 2015.
  4. Alternatives économiques, janvier 2018, no 375
  5. Julia Posca, Croissance des inégalités de revenus: le Québec ne fait pas exception, in le Bulletin d’Attac, mars 2014, no 43
  6. Jacques Gélinas, L’idéologie qui a tracé la voie pour une crise globale, https://www.jacquesbgelinas.com/lideologie-qui-trace-la-voie-pour-crise

Un rêve fou d’autogestion

par Jeanne Gendreau
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«Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde, c’est de cette façon que cela s’est toujours produit». Magaret Mead

 

En décembre 2017, le rêve du bâtiment 7 à Pointe-Saint-Charles devenait réalité alors que commençaient les travaux d’aménagement d’un vieil entrepôt du CN. Contre vent et marée, 10 ans d’action citoyenne ont permis de transformer un vieil entrepôt en espace communautaire multifonction autogéré. Qu’y a-t-il donc, là, dans cette population, qui a permis une réalisation comme celle du Bâtiment 7? Qu’y a-t-il de l’ordre des «communs» qui lui soit spécifique?1

Une tradition de luttes

Ce qui se vit actuellement autour de ce vieux bâtiment rénové s’inscrit dans l’histoire de Pointe-Saint-Charles. Ce sont ces luttes et ce qu’elles ont permis de réaliser qui font la richesse du quartier. Les luttes des citoyens commencent avec l’installation de grandes et de moyennes entreprises, attirées par la proximité des axes de transport. Les ouvriers luttent déjà pour l’amélioration de leurs conditions de travail et salariales et un mouvement de contestation prend forme contre les inégalités flagrantes. Ce fut sans aucun doute, le premier jalon d’un mouvement de solidarité.

Dans les années 1960, alors que ces mêmes entreprises eurent délaissé le quartier pour maximiser leurs profits sur d’autres territoires, le niveau de vie de la majorité de la population du quartier de la Pointe diminue considérablement: chômage et bien-être social deviennent la norme. Économiquement, Pointe-Saint-Charles devient alors le quartier le plus «défavorisé» de Montréal. Pour faire face à cette situation, les citoyens unissent leurs forces et deviennent créateurs de richesse collective.

clinique_communautaire_2009_1_.jpgLa fondation de cliniques (médicale et juridique), autogérées et correspondant aux besoins et aux caractéristiques de la population a été la première manifestation concrète de ce mouvement des communs dans le quartier. Maintenir les principes d’autogestion responsable propres à ces cliniques et refuser que les gouvernements imposent leurs normes (comme dans le cas des CLSC) a nécessité de nouvelles luttes qui, à leur tour, se sont inscrites dans l’histoire commune de la Pointe. Ces cliniques fêtent leur 50ème anniversaire cette année. Ce sont des biens communs encore menacés et qui doivent être défendus contre plusieurs interventions extérieures. Mais leur existence est source de fierté, et la promesse qu’une réalisation citoyenne est possible.

L’acquisition de compétences en «solidarité» est devenue une caractéristique du quartier : de nombreux organismes de soutien, de services et de partage se sont créés à travers les décennies. «Action Gardien», une table de concertation réunissant une grande partie de ces organismes, fait partie intégrante (avec la Pointe Libertaire) de l’histoire du Bâtiment 7.

Au début des années 2000, Loto-Québec (géré par l’État) et le Cirque du soleil (une multinationale) ont voulu s’approprier le centre du quartier Pointe-Saint-Charles, pour en faire le cœur d’un développement immobilier et récréotouristique, avec, comme élément d’attraction, un casino. La résistance citoyenne, s’est rapidement organisée, forte de son expérience. La population ne voulait pas de «machines à sous», non plus que des condos de luxes qui l’auraient obligée à quitter le quartier, non plus que des spectacles grandioses, ni des restos branchés inaccessibles. Les citoyens se doutaient bien que les emplois promis n’étaient pas nécessairement pour eux. Ces projets ne pouvaient, en fait, que générer encore plus d’inégalités et déposséder les gens du quartier de leur environnement et de leur culture.

Deux visions du monde se sont alors heurtées : celle des promoteurs pour la propriété privée et le libre marché, vision dominante du néolibéralisme, et la vision citoyenne d’une utilisation en commun des ressources disponibles tel le bâtiment désaffecté du CN. C’est sans doute la culture acquise depuis des décennies par les citoyens du quartier qui a créé une telle synergie sociale : la lutte contre l’envahissement du quartier s’est transformée en action par l’acquisition de ce bâtiment désaffecté qui deviendra Bâtiment 7.2

Une fabrique d’autonomie collective

Lors la 1e assemblée générale du 18 février 2018, le Collectif 7 à nous, divisé en plusieurs groupes selon les projets et les ateliers, a présenté 10 ans de travail commun. Une centaine de personnes environ ont contribué d’une façon ou l’autre à l’idée et à la réalisation de l’ensemble. Chaque projet, chaque atelier est le fruit d’un consensus au niveau du groupe. C’était un défi de taille, et, à cette étape-ci, il a été relevé.

Ce long processus a donné naissance à la Fabrique d’autonomie collective qui commencera ses activités en avril. La Fabrique répondra à certains besoins : se nourrir (épicerie Le Détour, jardin et/ou serre communautaire), se véhiculer (atelier pour apprendre à se débrouiller mécaniquement avec le vélo et l’auto), s’exprimer artistiquement, développer des habiletés et des compétences, (atelier de photos numériques et argentiques, céramique, etc.), créer du travail rémunérateur (atelier d’ébénisterie et de coulage du métal), créer des liens, se détendre (pub et brasserie). Dans un avenir plus éloigné, une chambre des naissances et une garderie (CPE) devraient voir le jour.

Un mode de gestion a été défini avec des règles de gouvernance responsable adoptées par consensus. Une cellule «conflits et nœuds» permettra de résoudre les divergences si elles se manifestaient. Les militants avouent ressentir un grand vertige depuis que les locaux ont pris forme, que les équipes se sont vraiment constituées et que les jours se comptent en semaines avant l’ouverture officielle. Vouloir créer un nouvel ordre social par une action concrète et collective dérange. Le contrat de propriété collective qui unit la Fabrique d’autonomie collective est à l’opposé du paradigme de propriété privée et de consumérisme qui domine actuellement dans nos sociétés néolibérales. Comment les «communeurs» s’adapteront-ils aux pressions du marché, au désir d’accaparements externes? À la nécessité de financement? Comment être les gardiens des valeurs d’autonomie et de solidarité? Cette forme d’action collective sera-t-elle viable?

Se réapproprier des espaces publics les penser, les gérer équitablement, les protéger, et les utiliser collectivement crée une nouvelle forme de pouvoir citoyen. C’est un défi qui va au-delà de l’échange de services et de création de nouvelles ressources. La richesse spécifique de Pointe-St-Charles est d’avoir créé ce pouvoir citoyen riche des luttes passées et de réalisations durables. Vivre en commun de façon responsable une nouvelle vision du monde ne peut que créer un mouvement générateur dont la portée n’est pas encore connue. Cette dynamique particulière est unique parce qu’elle s’est constituée à partir d’une histoire locale. Une telle transformation sociale peut-elle s’inventer ailleurs, dans d’autres espaces de vie, dans d’autres quartiers, dans d’autres villes? Ce champ d’énergie particulier à Pointe-St-Charles pourra-t-il produire d’autres utopies citoyennes? Et pourtant, il en faut beaucoup d’autres !

Notes

  1. Les communs sont à la fois ressource, communauté et ensemble de règles sociales. Ils représentent des logiques des dynamiques sociales véritablement nouvelles et différentes.
    http://docs.eclm.fr/pdf_livre/364RenaissanceDesCommuns.pdf
  2. L’histoire de ce cheminement est relatés dans: La Pointe Libertaire, Bâtiment 7. Victoire populaire à Pointe-St-Charles, Écosociété 2013

Commerce international: pour qui les règles?

par Jacques Bouchard
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Difficile parfois de faire des liens entre les accords commerciaux, l’exploitation des personnes démunies et nos modes de consommation. L’histoire de la tomate est, en ce sens, très instructive. La plupart des humains mangent des tomates, partout dans le monde, à raison de 5kg par an et par personne. C’est dire que ce marché attire toutes les convoitises.

Dans son livre, L’Empire de l’or rouge1, le journaliste Jean-Baptiste Malet, après avoir enquêté 2 ans sur les dessous de la tomate d’industrie (celle du ketchup et des sauces tomates), nous fait une superbe démonstration de la transformation de l’alimentation devenue un commerce comme un autre, soumis aux marchés et à l’inexorable recherche du profit. C’est aussi l’histoire de dépossessions, d’exploitation de main-d’œuvre et de perte de biodiversité.

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Son enquête démontre comment la tomate est devenue une matière première industrialisée qui circule en baril comme le pétrole, qui ment aux consommateurs sur sa nature et qui engraisse les multinationales et la mafia. Cette tomate bien ronde et que l’on s’imagine bien mure est, dans les faits, devenue une tomate d’industrie artificiellement créée par des généticiens pour supporter les longs voyages et répondre aux besoins industriels.Elle est plus lourde, plus dense, moins fragile et contient moins d’eau. En fait, la tomate industrielle est à la tomate fraîche ce qu’une pomme est à une poire.

Mais d’où viennent ces tomates? Qui les cultive?

Son enquête a mené Jean Baptiste Mallet jusqu’en Chine où il a pu constater les ajouts d’additifs (soya, amidon, glucose) au concentré de tomate pour le rendre plus profitable lors de la vente. Il a vu en Italie les champs de production contrôlés par la mafia, en Californie, les procédés de productions intensives, avec les conséquences nocives sur l’environnement. Il relève l’utilisation de pesticides interdits, l’utilisation des prisonniers, des minorités et des migrants pour alimenter ce commerce mondial. Il montre comment les règles du commerce international détruisent les économies locales et leurs conséquences sociales. L’exportation des tomates en boite et de la sauce tomate en Afrique – commerce dont la Chine a pris le contrôle – a tué l’agriculture maraîchère locale. Les tomates locales produites par les petits paysans étant vendues plus cher que les conserves importées ne sont plus achetées par les Africaines. En conséquence, on trouve en Italie du Sud des migrants illégaux africains – qui ont quitté leur village parce que l’agriculture ne les fait plus vivre – exploités comme esclave dans les champs de tomates.

Le livre décrit comment les industriels ont perverti notre alimentation. Il souligne la nécessité de la régulation, de la traçabilité et l’importance pour les pouvoirs publics d’offrir toutes les informations aux consommateurs et consommatrices.

L’histoire de la tomate n’est pas qu’anecdotique. Comme le dit José Bové, il y a des décennies que le commerce agroalimentaire ne sert plus le client, mais la Bourse. Et la situation ne fait qu’empirer. Nous savons que le Canada2 importe 31 % de plus de produits en provenance de pays à risque d’exploiter les enfants ou de travailleurs forcés si l’on compare avec 2012. Une des augmentations importantes citées, dans le rapport de Vision mondiale publié en juin dernier, est l’importation de tomates qui a atteint l’ordre de 338 millions de dollars, soit une progression de 97 % par rapport à 2012. (Notons que l’on faisait état dans le même rapport des problèmes avec le café d’Amérique centrale, les vêtements en provenance du Bangladesh, les souliers de l’Inde et l’huile de palme en provenance d’Indonésie).

À la veille de la publication de la nouvelle politique agroalimentaire du Québec, cette lecture ne peut que nous pousser à agir pour faire changer les choses en encourageant l’agriculture locale et biologique.

Notes

  1. Jean Baptiste Malet, L’empire de l’or rouge, enquête mondiale sur la tomate d’industrie, Fayard, 2017 ainsi que le film qui en a été tiré https://tv5.ca/lempire-de-lor-rouge
  2. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1039268/canadiens-achats-articles-fabriques-enfants-vision-mondiale

Dire non, ne suffit plus. Contre la stratégie du choc de Trump

par Roger Lanoue
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L’auteure de NO LOGO, de Doctrine du Choc: montée du capitalisme du désastre et de Tout peut changer, aussi championne de l’altermondialisme, nous invite aujourd’hui à sa manière habituelle, i.e. avec force exemples bien documentés, à bien comprendre sans complaisance comment on en est arrivé au monde où nous sommes, lequel a placé Trump au poste d’«homme le plus puissant du monde». Où en somment-nous ? Comment cela pourrait-il empirer? Et comment cela pourrait-il s’améliorer?

Le résumé qui suit – presque caricatural – reprend quelques lignes de force mises en exergue dans son dernier livre. 1

Comment en sommes-nous arrivés là?

Malgré les dangers – dénoncés chaque jour – qu’il provoque, Trump s’en tire en toute impunité: 40% des Américains continuent à le soutenir, à le préférer aux alternatives. On en est là parce que nous sommes à l’époque des «supermarques». Trump a compris que dans notre monde d’images, de réseaux «sociaux» et de consommation effrénée, le marketing est plus important que le contenu et le travail ; aussi est-il devenu graduellement depuis 30 ans plus vendeur de sa marque TRUMP en or aux développeurs immobiliers, que constructeur d’édifices imposants, ce qu’il était à ses débuts. Trump est une marque plus qu’un président; son élection est le couronnement de la supermarque TRUMP.

Et ce phénomène n’est pas une aberration, mais plutôt la conclusion logique d’une société valorisant la fusion des humains aux corporations, les «innovateurs» ignorant ou défiant les lois et standards, les Chief Executive Officers (CEOs ) 2 superhéros, le succès compté en argent, etc., cette culture qui a gagné les cerveaux des élites d’à peu près tous les pays. La seule cohérence de Trump : être cohérent avec la marque qu’il a créée, celle du succès de la richesse amorale, celle du «winner» qui a même réussi à transformer le geste abject de mettre un employé à la porte «you’re fired» en show de masse; et à ce rythme, pourquoi pas la guerre si Trump le «winner» devient plus riche, entre autres en faisant monter le prix du pétrole?

Où en sommes-nous? Climat d’inégalité

Le néolibéralisme est plus qu’une idéologie; c’est aussi une superbe rationalisation justifiant la cupidité. «Make USA Great again» sera GREAT surtout pour les milliardaires. Trump se vend comme capable de changer le système juste assez et de nous sauver (comme les Gates, Clinton, Musk et al. l’ont prétendu avant lui), puisqu’il est devenu un super-riche en abusant du système qu’il connaît donc très bien; alors qu’on n’a pas vraiment besoin des super-riches puisque les trillions sont là – tel que démontré en 2008 – au profit des banques. Et pourtant il est clair que du point de vue de Trump, l’environnement, le climat, la lutte contre la pauvreté c’est «out», puisqu’on ne supportera que les «winners» contre les méchants immigrants, musulmans, et autres mexicains à la peau foncée qui exploitent notre beau pays! Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de la haine, laquelle aide chacun à oublier sa souffrance en en attribuant la cause à l’«autre». C’est la peur qui mène lorsqu’il n’y a pas de vision d’espoir. (À ce sujet, voir le sidérant documentaire «Passez-moi Roger Stone» ou «Get me Roger Stone», disponible entre autres sur Netflix.)

Cela pourrait empirer

La droite, vers laquelle évolue la société occidentale, croit qu’on progresse comme société en l’organisant et en l’ordonnant de façon à protéger la propriété. Et la façon extrême d’y arriver est de blâmer les bureaucraties et les minorités en faisant rêver d’un nationalisme homogène d’antan imaginé comme idyllique.

Les perspectives qui en découlent incluent:

1) la prise de contrôle des leviers de la société par les corporations en n’allouant aux instances démocratiques que des simulacres indécents de pouvoir, comme on l’a vu en Irak et même aux États-unis,

2) une kleptocratie (les «winners») qui vole le pouvoir pour profiter le plus rapidement possible à l’occasion de désastres naturels ou provoqués: privatiser la santé et l’éducation, profiter des prisons, des systèmes de sécurité, des crises économiques, des guerres…

3) l’élimination des contraintes d’argent en politique,

4) la multiplication des «urgences» pour présumément assurer la sécurité contre les terroristes et les armes qui pullulent, légitimant entre autres la torture puisque c’est prouvé que «ça marche»,

5) l’isolation graduelle des super-riches dans leurs ghettos paradisiaques, évitant ainsi de vivre avec ceux qui doivent endurer et nettoyer leurs dégâts.

Cela pourrait s’améliorer

Si on veut plutôt faire progresser la société en l’organisant et l’ordonnant en fonction de la valorisation des personnes humaines (et de leur environnement), c’est possible, c’est plus compliqué qu’en fonction de l’argent, mais c’est le seul espoir de survie des valeurs les plus progressistes ou humanistes auxquelles aspirent l’immense majorité des citoyens dans leur vie.festivals_des_utopies.jpg Il y a de multiples raisons de vouloir affaiblir les corporations transnationales et diminuer l’emprise du capital sur les organisations. Mais pour cela il faut dépasser le syndrome trop présent à gauche «ma crise est plus importante que la tienne». Il faudra réussir à canaliser la rage populaire sur ce qui nous unit plutôt que sur nos différences… et évidemment plutôt que contre les immigrants, les noirs, les musulmans, etc.

Il faut résister, maintenir la pression lorsque nous gagnons, et surtout oser imaginer l’utopie que nous voulons. L’Argentine a dit non avec succès au début des années 2000 aux volontés des financiers américains; ce qui prouve que cela peut se faire, même s’il y a recul plus tard. Idem en Espagne en 2004. En 2008, les résistances ont été insuffisantes et surtout non coordonnées lors du crash financier où les banques étaient à genoux: il n’y a pas eu de coalition progressiste maintenant une pression sur Obama laissé aux mains des «sages de Goldman Sachs». Osons imaginer ce que nous voulons. Lorsqu’on ose, d’autres se joignent à nous. Un exemple: Standing Rock au Dakota Nord, où les Sioux ont réussi pendant des années à résister au pipeline pour protéger leur réserve d’eau…. Réserve d’eau de – finalement – 17 millions de personnes, de sorte que des alliés aussi peu prévisibles que les Vétérans de l’armée américaine sont venus prêter main-forte aux Sioux avec leurs armes et leurs manières «différentes»! Osons donc imaginer que c’est possible une société qui ne traite pas les gens et la terre comme des quantités négligeables, remplaçables et jetables. Nous avons les moyens de nous sauver nous-mêmes. Les moyens financiers existent! Voyez comme preuve le sauvetage des banques en 2008!

Avenues d’action

Il ne faut pas seulement dire non et résister. Pas seulement questionner l’impunité des ultras riches. Pas seulement questionner les histoires qui ont mené inéluctablement au succès de Trump.

leap_manifesteo.jpgIl faut surtout protéger l’espace pour rêver et planifier un meilleur monde. Ce qui implique pour chacun de «tuer le Trump en soi», i.e. celui qui se satisfait d’apprendre par des clips résumés à la télé ou par des tweets, qui voit de la concurrence partout plutôt que de la collaboration, qui espère tacitement qu’un chef millionnaire nous sauvera, qui croit que la société n’a pas assez d’argent…

Fondamentalement comme progressistes nous avons le choix entre:

– Tenter de réformer et faire confiance aux partis politiques centristes, qui, espérons-le, feront les bons «moves», même si forcément cela inclura de l’austérité, et une bonne dose de foi dans les marchés qui en finale favoriseront le bonheur de tous via la consommation, etc. Sauf que ce scénario n’offre pas assez aux gens pour les motiver à remplacer le capitalisme.

– Dire un grand OUI qui ne craint pas les mots redistribution de la richesse, solidarité, réparation des torts, moindre consommation, décroissance, université gratuite, doublement du salaire minimum, 100% d’énergie renouvelable, l’absurdité de la sécurité obtenue par la guerre, etc. Donc essentiellement VISER HAUT!

D’où le «Leap Manifesto», élaboré au Canada et appuyé par les Oxfam, Greenpeace, de multiples syndicats, Black Lives Matter, etc. à l’aide de Naomi Klein. Le livre conclut sur ce manifeste auquel elle espère l’adhésion du plus grand nombre ! Une utopie à la rescousse à la demande populaire!

Notes

  1. Dire non, ne suffit plus. Contre la stratégie du choc de Trump, Lux Éditeur, Collection Futur proche, 2017. NB : pour rendre mon préjugé explicite : je considère encore que Doctrine du Choc est le meilleur livre d’économie politique écrit au 21e siècle; la thèse sous jacente en est «comment le capitalisme provoque au besoin et utilise les désastres, déstabilisants parce qu’incompris par la majorité, pour imposer des solutions pro-corporations»
  2. Président directeur général

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