«Tu le fais cuire le premier soir, tu fais un rôti de porc. Ensuite, tu fais du macaroni avec du porc dedans. Ensuite, tu fais un genre de pâté chinois avec. Et après, tu fais des sandwichs pour les enfants » Détrompez-vous, il ne s’agit pas des consignes d’un atelier de cuisine collective de quartier, mais bien des propos de l’ancien Premier ministre du Québec durant la dernière campagne électorale. On peut dire qu’avec cette phrase, le thème de la pauvreté est arrivé dans cette campagne comme un cheveu sur la soupe.
Trois constats. Premièrement, lorsqu’un premier ministre déclarant un patrimoine de plusieurs centaines de milliers de dollars explique le plus sérieusement du monde qu’une famille peut se nourrir avec 75$ par semaine, on comprend toute la déconnexion de certaines personnes de la classe dominante au Québec.
Deuxièmement, quand cette personne ajoute l’injure à l’insulte en allant jusqu’à donner des recettes de cuisine s’appuyant sur les spéciaux de la circulaire d’épicerie, on se dit qu’il y a quelque chose de pourri dans le monde actuel. Ces conseils traduisent bien l’individualisation des politiques de lutte contre la pauvreté, et la culpabilisation des personnes qui n’ont pas les moyens de manger à leur faim qu’elles sous-tendent. L’augmentation des loyers, l’endettement des ménages, le travail pauvre, le montant des prestations d’aide sociale… toutes ces réalités sociales sont réduites aux compétences de cuisine et de magasinage des personnes. À la violence économique s’ajoute, avec ce discours, une violence morale qui vise, précisément, à nier les fondements structurels et collectifs du problème.
Pourtant, le phénomène est loin d’être anecdotique et les difficultés pour se nourrir concernent chaque mois une partie non négligeable de la population. À l’échelle du Canada, plus de 4 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire, ce qui signifie qu’elles rencontrent chaque mois des difficultés pour se procurer de quoi manger, selon la Food Insecurity Policy Research1. Au Québec, cela représente plusieurs centaines de milliers de personnes, dont 150 000 enfants, à qui 387 195 paniers de provisions sont distribués mensuellement 2 . À Montréal, par exemple, 30% des habitants vivent sous le seuil de la pauvreté et, en 2013, une étude réalisée par la Santé publique constatait que 43,5 % des Montréalais n’avaient accès à aucune offre de fruits et légumes frais dans leur milieu et résidaient dans un désert alimentaire.3
Troisièmement, malgré un surgissement tardif en lien avec l’alimentation, le thème de la pauvreté a été un grand oublié de la dernière campagne. Or, derrière les techniques de survie des foyers les plus pauvres pour manger le plus possible à leur faim, c’est tout un système économique et alimentaire qui est à questionner et à repenser. Considérant l’envergure de ces problèmes, les solutions doivent pointer dans plusieurs directions.
Tout d’abord, le passage d’une logique de l’insécurité alimentaire, qui repose notamment sur l’idée de charité des plus riches à l’égard des plus pauvres, au profit d’un droit à l’alimentation, comme le recommande d’ailleurs le rapport parlementaire canadien Une politique alimentaire pour tous (2017) 4 La notion de droit confère aux États et différentes institutions publiques la responsabilité d’améliorer l’accès à des aliments de qualité et abordables financièrement, ainsi que de soutenir les communautés locales à développer leurs propres réponses pour accroître leur autonomie alimentaire. L’autonomie ou souveraineté alimentaire renvoie à de multiples initiatives communautaires et citoyennes qui émergent localement pour diminuer la dépendance des grandes chaines industrielles d’approvisionnement et favoriser une agriculture biologique de proximité distribuée par le biais de marchés régionaux. Les Incroyables comestibles qui visent, par le biais de l’agriculture urbaine, à mettre à la disposition de tous et de toutes de la nourriture gratuite, saine et locale, en sont également une belle illustration.
Enfin, c’est tout l’enjeu de la mise en œuvre d’une réelle politique de réduction des inégalités sociales qui est à mettre à l’avant-scène, qu’il s’agisse de mettre fin aux paradis fiscaux et de mieux taxer les multinationales comme le propose Attac. Il n’y a qu’à mettre en perspective les chiffres d’affaires mirobolants des grandes compagnies qui produisent et distribuent les produits alimentaires (Wallmart, Aldi, Auchan et, demain, Amazon qui se lance dans la livraison de repas)5 avec celui du milliard d’êtres humains qui ne mangent pas à leur faim pour comprendre que quelque chose ne tourne pas rond sur notre planète, et saisir l’ampleur du travail à accomplir.
Notes
- http://proof.utoronto.ca/food-insecurity/.
- https://www.banquesalimentaires.org/la-faim-au-quebec/portrait-de-la-situation/
- http://www.santecom.qc.ca/bibliothequevirtuelle/Montreal/9782896733088.pdf. Ces problèmes touchent encore plus durement les communautés autochtones dans lesquelles le taux d’insécurité alimentaire atteignent jusqu’à 70%.
- https://www.noscommunes.ca/Content/Committee/421/AGRI/Reports/RP9324012/agrirp10/agrirp10-f.pdf .
- https://fr.express.live/2018/08/09/ces-10-entreprises-dominent-le-secteur-de-lalimentation.
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