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Bulletin, mai 2020

Pandémie, écologie, économie et politique

par Jacques Bouchard

Alors que les scientifiques cherchent toujours d’où vient le virus qui cause la Covid-19 - bien que l’on soupçonne très fortement qu’il provienne de chauves-souris chinoises dites « en fer à cheval » - la vraie question est de savoir comment la maladie est passée de communautés de chauves-souris, souvent non impactées par l’homme, à des êtres humains partout sur la terre.
La réponse des zoologistes et des spécialistes en maladies est quant à elle assez unanime : c’est la destruction des habitats naturels ainsi que l’immense quantité d’individus se déplaçant à toute allure d’un bout à l’autre de la planète qui ont permis à des maladies autrefois confinées dans la nature de se propager rapidement chez les êtres humains. En fait, le problème ne provient pas des pathogènes présents chez les animaux sauvages, mais bien de la déforestation, de l’industrialisation, de l’urbanisation, de l’exploitation minière, de la chasse et de l’élevage industriel

La zoonosphère

Car «  le risque de voir des agents pathogènes passer des animaux aux humains a toujours été présent », comme le dit Eric Fevre, titulaire de la Chaire des maladies infectieuses vétérinaires à l’Institut d’infection et de santé mondiale de l’Université de Liverpool. La différence entre aujourd’hui et il y a quelques décennies, explique-t-il, est que les maladies sont susceptibles de se développer à la fois dans les environnements urbains et naturels : « Nous avons créé des populations denses où nous avons à nos côtés des chauves-souris et des rongeurs, ainsi que des oiseaux, des animaux de compagnie et d’autres êtres vivants. Cela crée une interaction intense et des possibilités de passage d’une espèce à l’autre. »

Bienvenue dans les « retombées zoonotiques », c’est-à-dire les conséquences d’un contact de plus en plus fréquent entre des agents pathogènes d’origine animale et les êtres humains – un contact lui-même causé par la présence toujours plus importante des humains dans des écozones qui, jusqu’ici, étaient hors de notre portée.

Ce phénomène,Sonia Shaw [1] l’explique, en décrivant les interactions entre l’homme et la nature et les effets du passage de la barrière d’espèce qui explique la transmission de virus liés à l’Ébola, au Nipah, au Marburg. Elle ajoute que ce phénomène s’applique aussi aux vecteurs d’agents pathogènes comme les moustiques (soulignons à titre d’exemple, le virus du ZIKA et le Virus du Nil occidental qui sont apparus en Afrique, qui ont muté et qui se sont établis sur d’autres continents) ou les tiques (maladie de Lyme). Finalement, elle souligne, avec exemple à l’appui, les conséquences de l’élevage industriel sur la santé humaine.

On le savait

« Cela fait au moins une décennie que Dennis Caroll et de nombreux autres (dont, par exemple, Bill Gates et l’épidémiologiste Larry Brilliant, directeur de la fondation Google.org) nous avertissent que des virus inconnus menaceront toujours plus à l’avenir les êtres humains », nous rappelle Élia Alzouz [2] , socioloque franco-israélienne. Et, ils sont loin d’être les seuls.

David Quammen [3] en rajoute dans le New York Times : « Nous coupons les arbres, nous tuons les animaux ou les mettons en cage et les envoyons sur les marchés. Nous perturbons les écosystèmes et nous débarrassons les virus de leurs hôtes naturels. Lorsque cela se produit, ils ont besoin d’un nouvel hôte. Or, c’est sur nous qu’ils tombent. »

Les recherches tendent à démontrer que les épidémies de maladies issues d’animaux non-humains et d’autres maladies infectieuses telles que le virus Ébola, le SRAS, la grippe aviaire et maintenant la Covid-19 causées par un nouveau coronavirus, sont en augmentation. Les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) estiment que les trois quarts des maladies nouvelles ou en émergence qui infectent les êtres humains proviennent des animaux.

Soulignons, entre autres, les résultats d’une première étude relevée par le groupe Terra-Nova qui indique que, bien que le nombre de victimes de maladies infectieuses ait diminué de 95% aux États-Unis entre 1900 et 1990 en raison des progrès de la médecine concernant les agents antimicrobiens et des antibiotiques, le nombre d’épidémies aurait été multiplié par 10 depuis 1940.

Dans une autre étude, fondée sur l’observation de plus de 12 000 flambées épidémiques de 1980 à 2013 ayant contaminé près de 44 millions de personnes dans 219 régions différentes, les chercheurs relèvent que les épidémies se sont multipliées par 4 en l’espace de 33 ans. Une croissance portée, là encore, en bonne partie par les maladies zoonotiques:140 des 215 maladies infectieuses concernées étaient en effet des zoonoses (65%) et elles ont expliqué 56% des flambées épidémiques observées.

Vous en voulez plus ?

Sonia Shaw souligne également que l’étude, menée par des chercheurs du programme Prédic, financée par l’Agence des États-Unis pour le développement international (qui vient d’être arrêtée par décision de Donald Trump) a permis d’identifier, en moins de dix ans, plus de 900 virus liés à l’extension de l’empreinte humaine sur la planète.

Christian Chavagneux [4] cite pour sa part un rapport élaboré en 2016 pour l’Académie nationale de médecine américaine qui faisait le constat qu’une pandémie aurait des conséquences humaines et économiques lourdes et que même les systèmes de santé des pays les plus riches n’y sont pas préparés. On y estimait que la probabilité que le XXIe siècle connaisse une pandémie mondiale est de 20 %, deux pandémies de 20 %, trois pandémies de 20 % et quatre pandémies de 15 %.

D’autres chercheurs ont montré récemment que le risque épidémique peut également être sensible aux changements climatiques, la longueur des saisons pouvant favoriser le développement d’une épidémie et sa durée.

Il faut donc en conclure que « les risques sont plus grands désormais. Ils ont toujours été présents et le sont depuis des générations. Ce sont nos interactions avec ce risque qui doivent être modifiées », déclare Brian Bird, chercheur virologue à l’Université de Californie (Davis School of Veterinary Medicine One Health Institute), où il dirige les activités de surveillance liées à Ébola en Sierra Leone et ailleurs. « Nous sommes maintenant dans une ère d’urgence chronique  », affirme-t-il «  Les maladies sont plus susceptibles de voyager plus loin et plus vite qu’auparavant, ce qui signifie que nous devons être plus rapides dans nos réponses. Il faut des investissements, un changement dans le comportement humain et cela signifie que nous devons écouter les gens au niveau des communautés. »

Les statistiques du trafic aérien démontrent bien la vitesse potentielle de la propagation de virus, peu importe d’où il provient. 4,223 milliards de voyageurs transportés en 2018. En 2020, l’Asie domine avec 36 % du trafic suivi de l’Europe, 26%, devant l’Amérique du Nord, 24%.

« L’État compte les sous, on va compter les morts. »

Ce slogan que l’on pouvait apercevoir lors des mobilisations du personnel hospitalier en France en décembre dernier fait écho étrangement ces jours-ci.

Depuis une trentaine d’années, la mondialisation libérale, financière et dévastatrice n’a eu qu’un credo : la planète entière, sa vie, ses ressources, ses habitant(e)s, leur travail, leurs rêves, leur pauvreté, leurs maladies, les pénuries auxquelles ils et elles font face, tout, absolument tout, pouvait être transformé en produit financier. Nous vivions dans un monde dépassé par la crise économique et sociale qui se traduit par de très grandes inégalités et des problèmes écologiques majeurs. La crise sanitaire est en train de précipiter une faillite politique déjà bien avancée.

À titre de conclusion j’aimerais citer, encore une, fois Élia Alzouz : «  Mais personne n’y a prêté attention. La crise actuelle est le prix que nous payons tous pour le manque d’attention de nos politiciens : nos sociétés étaient bien trop occupées à réaliser des bénéfices, sans relâche, et à exploiter la terre et la main-d’œuvre, en tout temps et en tous lieux. Le milieu des affaires, partout à travers le monde, peut enfin réaliser que pour pouvoir exploiter le monde, il faut encore qu’il y ait un monde. »

La victoire sur la Covid-19 ne sera pas la fin de toutes les batailles ni la fin de tous les dangers. Nous devons nous unir pour construire un monde durable, pour nous, mais surtout pour nos enfants. [5]

Notes

[1Sonia Shaw, "Contre les pandémies, l’écologie", Monde diplomatique mars 2020

[2Eva Illouz, "L’insoutenable légèreté du capitalisme vis-à-vis de notre santé", https://www.nouvelobs.com/idees/20200323.OBS26443/l-insoutenable-legerete-du-capitalisme-vis-a-vis-de-notre-sante-par-eva-illouz.html

[3David Quammen, SPILLOVER : Animal Infections and the Next Human Pandemic, W. W. Norton & Company

[4Christian Chavagneux, Alternatives économiques, avril 2020, chronique éditoriale.

[5Pour en savoir plus :
Terra Nova, "Crise sanitaire et crise écologique" http://tnova.fr/
Florence Williams, "La pandémie qui vient", magazine Books n° 47, octobre 2013. https://www.books.fr/la-pandemie-qui-vient-2/
Nick Paton Walsh et Vasco Cotovio, "Bats are not to blame for coronavirus. Humans are", CNN 20 mars 2020.
https://www.partage-le.com/2020/03/24/"cessons-de-blamer-les-chauves-souris-pour-le-coronavirus-le-coupable-cest-la-societe-industrielle"-nick-paton-walsh-et-vasco-cotovio/




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