L'Aiguillon, le bulletin d'ATTAC Le temps de changer

Le temps de changer

Bulletin no 51 - Décembre 2015
Alors que s’ouvre à Paris la plus importante conférence internationale sur le climat, le bulletin analyse quelques enjeux essentiels liés à la sécurité alimentaire : les droits de propriété intellectuelle sur les semences accordés à certaines multinationales dans les accords de libre-échange , particulièrement le Partenariat transpacifique (PTP). Leur ratification bafouerait les droits ancestraux des agriculteurs partout dans le monde et porterait de graves atteintes à la biodiversité. Un autre article rappelle que la façon dont nous luttons contre les changements climatiques – par les mécanismes du marché du carbone – a pour conséquence une nouvelle forme d’accaparement des terres des paysans du Sud, et porte une autre atteinte aux droits alimentaires. Le compte-rendu du dernier livre de Naomi Klein regarde le monde de façon positive en montrant qu’il est en train de changer par une multitude d’actions citoyennes partout sur la planète et rappelle qu’il ne faut pas attendre de solutions magiques de nos dirigeants politiques, mais que c’est la mobilisation citoyenne qui permettra de changer le système seule alternative pour sauver le climat.

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Le billet du CA

La machine à réchauffer la planète

par Baptiste Godrie
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À l’occasion de la tenue de son assemblée générale annuelle, Attac Québec a invité Maxime Combes, membre du Conseil scientifique d’Attac France, à nous entretenir des enjeux de la Conférence des Nations Unies sur le Climat (COP21) qui se tiendra en décembre prochain à Paris. Ce billet fait le point sur la stratégie d’Attac-France à l’occasion de cette conférence et, plus largement, de la Coalition action climat 21 dont elle fait partie. Au cours des prochaines décennies, des bouleversements climatiques et écologiques dommageables ne manqueront pas de survenir si nous ne réduisons pas considérablement nos rejets de gaz à effet de serre (GES). Actuellement, nous disposons encore d’une marge de manœuvre pour éviter, à moyen terme, l’augmentation de la température de plus de 2 degrés Celcius sur l’ensemble de la planète. Cette augmentation est considérée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et l’Organisation des Nations Unies comme un seuil au-delà duquel les changements vont s’accélérer et devenir irréversibles.. À ce jour, les propositions d’efforts consenties par les 150 États responsables de 90% des émissions de GES dépassent largement ce seuil. Ces États ne semblent pas vouloir revoir leur copie et leur position, qui fait suite à des décennies d’inertie en matière climatique, est irresponsable et inacceptable. La stratégie de la Coalition action climat 21, qui regroupe plus d’une centaine d’organisations de la société civile dont Attac-France, est de profiter de l’attention médiatique entourant la conférence de Paris pour dénoncer ce crime climatique et promouvoir, auprès des gouvernements et du grand public, des actions concrètes en faveur d’une transition écologique. La tenue de cette conférence offre aux membres de cette coalition une opportunité unique de lier les luttes contre le libre-échange aux luttes climatiques. Le système capitaliste carbure aux énergies fossiles et aux accords de libre-échange (TAFTA, AÉCG, Partenariat Transpacifique) qui, en ouvrant le marché des énergies fossiles et en facilitant leur extraction, accentuent la pression sur l’environnement. En cela, ce système fonctionne comme une véritable « machine à réchauffer la planète », selon Maxime Combes. alternatiba.jpg De nombreuses initiatives, mues par un idéal de solidarité internationale et de justice climatique, s’organisent à l’échelle mondiale. En Europe, le processus de mobilisation citoyenne Alternatiba, promouvant des alternatives de développement au modèle capitaliste actuel, a réuni plus de 500 000 citoyennes et citoyens à l’occasion d’une centaine d’évènements. De nombreux quartiers, municipalités et régions à travers le globe ont amorcé des initiatives de transition vers un monde sans pétrole en valorisant les espaces de vie et les transports collectifs, l’aménagement des pistes cyclables, l’agriculture urbaine ou encore les logements intergénérationnels. L’engouement pour le thème de la décroissance s’inscrit également dans ce courant. Par ailleurs, la mobilisation de la Coalition action climat 21 coïncide également avec une actualité favorable : entre autres la campagne mondiale de désinvestissement des fonds placés dans les compagnies minières, pétrolières et gazières, la décision du président Obama de s’opposer au projet d’oléoduc Keystone XL de TransCanada et la décision, par cette même compagnie, de renoncer à son projet de port pétrolier au Québec. Face à l’ampleur des changements à accomplir, le message d’Attac-France et de la Coalition sont clair : soyons toutes et tous plus mobilisé(e)s que jamais.

 

Privatisation des semences et souveraineté alimentaire: tour d’horizon des enjeux

par Marie-Sophie Villeneuve
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Tout commence par une semence… Pour de nombreuses communautés du monde, c’est la petite agriculture paysanne et familiale qui les nourrit. En Afrique et en Asie, c’est environ 80% des populations qui dépendent de cette agriculture de proximité pour leur nourriture 1. Aussi, plusieurs organisations communautaires locales militent activement pour que les politiques et les programmes de développement soient centrés sur le soutien aux agriculteurs et agricultrices familiaux ou communautaires2. L’un des piliers essentiels de l’agriculture familiale ou communautaire est l’accès des paysans-nes aux semences et, surtout, le plein respect de leur droit de sélectionner leurs semences paysannes, de les conserver, d’en disposer et de les échanger librement, sans contrainte. Depuis quelques décennies, non seulement l’agriculture locale et familiale de proximité ne se voit offrir aucun soutien significatif dans la majorité des pays, mais on constate une érosion majeure de la liberté de disposer librement et gratuitement des semences paysannes, voir même une criminalisation des pratiques entourant cette liberté. En parallèle, les compagnies semencières, telle que Monsanto, sont devenues très puissantes et contraignantes sur ce plan, afin d’assurer un monopole pour leurs semences commerciales. Il s’agit en fait des 2 faces d’un même phénomène, qu’on pourrait qualifier de privatisation des semences, rendu possible essentiellement sous l’effet du développement d’un cadre juridique, aux échelles internationale et nationale, qui favorise une ample extension des droits de propriété intellectuelle et de contrôle des semences en faveur des compagnies semencières. Regard sur le phénomène, et sur ses désastreux impacts pour les communautés et l’environnement. La douteuse évolution du droit : pouvoir et privilèges des compagnies semencières La pratique millénaire des paysans-nes de sélectionner, conserver et échanger une variété de semences est généralement garante de la préservation de la biodiversité. Il s’agit certes d’un travail demandant, mais qui a l’avantage de garantir en tout temps un accès gratuit à des semences diversifiées et, qui plus est, les plus évoluées – les paysans ayant coutume de sélectionner les meilleurs plants pour la conservation des semences, c’est-à-dire ceux s’étant le mieux adaptés aux conditions actuelles d’une culture donnée. Dans une perspective d’améliorer la souveraineté alimentaire des communautés agricoles, ainsi que celle de protéger la biodiversité, il s’agit de pratiques et d’expertises locales qui nécessiteraient d’être largement soutenues, incluant sur le plan juridique des droits fondamentaux de la personne, afin d’assurer aux paysans-nes les meilleures conditions possibles en la matière. Mais malgré l’importance capitale de cette pratique, la communauté internationale a plutôt choisi de solidifier les droits de la propriété intellectuelle sur les variétés, plutôt que les droits des personnes à en disposer librement. Le premier traité international d’envergure sur la question fut adopté en 1961 : la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales, mieux connue sous l’acronyme UPOV (pour Union pour la protection des obtentions végétales, qui est en fait l’organisation internationale instituée en vertu de ce traité). Une obtention est un cultivar horticole ou une semence agricole (bref, une variété végétale) « l’obtenteur » est défini comme « la personne qui a créé ou qui a découvert et mis au point une variété [végétale] » (article 1.iv de la Convention); et le certificat d’obtention végétale est le type de propriété intellectuelle accordé pour une de ces variétés (une catégorie de brevet bref). En théorie, un obtenteur peut-être toute personne ou personne morale. Dans les faits, ce sont les corporations transnationales qui disposent des plus gros moyens de recherche et développement, ainsi que des moyens financiers et logistiques permettant d’accéder à la certification. Toute extension de ce droit et de privilèges pour les obtenteurs est ainsi, de facto, un plus grand pouvoir accordé à ces compagnies3. C’est précisément ce qui s’est passé avec les modifications successives apportées à la Convention de l’UPOV. En effet, la version originale du traité prévoyait des droits de propriété intellectuelle uniquement sur des variétés développées par l’auteur, en ne concédant qu’un droit exclusif de commercialisation sur ladite variété, et n’établissait aucune sanction spécifique en cas de violation. Dans sa version actuelle (datant de 1991), la Convention de l’UPOV étend considérablement le champ de la propriété intellectuelle et les pouvoirs des compagnies semencières, avec des dispositions des plus contraignantes pour les États et les communautés : droit de propriété sur des variétés « découvertes » et exclusivité accordée pour la production, la commercialisation, l’exportation et l’importation de la variété. En outre, l’UPOV 91 permet aux États de prévoir des sanctions, telles que la confiscation des cultures, des plantations, des récoltes et des produits dérivés de la récolte, voir même des sanctions pénales, y compris des peines de prison. En date d’aujourd’hui, 74 pays sont membres de l’UPOV. Plusieurs d’entre eux ont adopté des lois visant à harmoniser leur législation nationale avec les dispositions de la Convention de l’UPOV. Ces lois ont été nommées « lois Monsanto » par les organisations paysannes militantes, en référence aux grands privilèges et pouvoir accordés aux compagnies. Ce type de législation met en place des cadres juridiques contraignant qui incluent généralement, en plus des droits étendus de propriété intellectuelle, un mécanisme de certification obligatoire des semences (souvent dans un catalogue national coûteux); l’interdiction de la commercialisation et l’échange des semences paysannes; le droit aux compagnies d’exiger le paiement de redevances sur les récoltes; et diverses sanctions pour les agriculteurs jugés fautifs. Au Canada, l’ancien ministre de l’Agriculture fédéral du gouvernement conservateur, Gerry Ritz, a réussi à faire adopter, en avril 2015, une loi de la sorte – la « Loi sur la croissance du secteur agricole » (ça ne s’invente pas, un tel titre!) – spécifiquement dans le but de rendre conforme la législation canadienne avec les dispositions de l’UPOV 91. Il faudra attendre pour voir les effets des dispositions de la Loi, mais plusieurs groupes, dont les AmiEs de la Terre et l’Union paysanne, se sont mobilisé contre le projet et ont vivement dénoncé son adoption4. L’un des exemples les plus scandaleux de l’application de ce type de mesures est la loi 9.70 adoptée par le gouvernement de la Colombie comme condition à la signature d’un accord de libre-échange avec les États-Unis. La Loi 9.70 interdisait purement aux agricultrices et aux agriculteurs de conserver et de réutiliser les semences issues de leurs cultures, et permettait au gouvernement de saisir et détruire les récoltes paysannes provenant de toutes semences non enregistrées. Ce qu’il fit, d’ailleurs, envoyant l’armée pour saisir et détruire plusieurs tonnes de récoltes. Cela fut un facteur majeur dans le déclenchement des manifestations de 2013, qui ont conduit le gouvernement à suspendre l’application de ces mesures5. Au Brésil, la culture de soya transgénique s’est répandue au sud du pays via des réseaux illicites. Depuis l’année 2003-2004, la compagnie Monsanto exigeait des producteurs qu’ils versent 2% de redevances sur la vente de soya certifié à titre de propriété intellectuelle sur les semences. Mobilisés par certaines organisations paysannes, dont le Mouvement des Sans Terre, cinq millions d’agriculteurs ont intenté un procès contre la compagnie, avec succès. Le juge régional de l’État du Rio Grande do Sul a en effet tranché en faveur des producteurs et ordonné à Monsanto de rendre les montants perçus depuis 2004 (quelques 2 milliards!). L’affaire est présentement en appel, et Monsanto a suspendu la collecte de ses droits. L’occasion manquée du Traité sur les semences C’est en 2001 que la communauté internationale, sous l’égide de la Foods and Agriculture Organisation (FAO) des Nations Unies, a adopté le premier traité reconnaissant le droit des agriculteurs et agricultrices de sélectionner, conserver et disposer librement de leurs semences : le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (en vigueur depuis 2004). En théorie, l’un des objectifs du traité est de reconnaître et protéger les droits des agriculteurs-trices en la matière, et de protéger l’accès de tous aux semences. L’article 9 du traité est consacré aux droits des agriculteurs. Il reconnait en outre « l’énorme contribution » des communautés locales et autochtones à la conservation et la mise en valeur des ressources phytogénétiques. Mais l’une des faiblesses majeures du traité est son insuffisance à s’attaquer à l’enjeu des immenses pouvoirs et privilèges dont jouissent maintenant les grandes compagnies semencières. Au contraire, ses dispositions donnent également à toutes les personnes et personnes morales le droit de puiser librement et gratuitement dans les banques de semences, si c’est aux fins de recherche et d’innovation6. Ainsi, depuis son entrée en vigueur, la captation et la privatisation de ce patrimoine public par quelques grandes compagnies transnationales ne fait que se poursuivre : « Loin des origines de sa lutte pour affirmer les droits des agriculteurs pour contrebalancer ceux des obtenteurs, le Traité concerne principalement l’attribution de nouveaux privilèges à l’industrie des semences. Il donnera aux entreprises privées un accès libre à la majeure partie des collections publiques de matériel génétique du monde sans aucune obligation de partager leurs propres ressources en contrepartie. Les variétés de plantes cultivées qui seront développées à partir de ce matériel seront les leurs et ils pourront les vendre et en tirer profit, dans la plupart des cas sans avoir à en partager les bénéfices.7 » biodiversite.jpgLes conséquences pour les communautés, la souveraineté alimentaire et la biodiversité En résumé, les semences qui appartenaient autrefois au patrimoine commun deviennent la propriété privée des entreprises, et les semences paysannes y sont considérées… comme des contrefaçons! Les paysans-nes qui sélectionnent et réutilisent les semences « appartenant » aux compagnies se retrouvent à poser un acte illégal et peuvent être victimes de sanctions monétaires et/ou pénales; en plus d’être susceptible de se voir couramment imposer des redevances à verser à ces compagnies. À terme, la privatisation des semences débouche sur une dépendance toujours grandissante de l’agriculture et des communautés agricoles aux compagnies semencières. Cela signifie, plus concrètement, la perte des expertises locales en la matière et une hausse des coûts des producteurs (avec l’achat des semences et des produits chimiques dont elles dépendent). Également, les communautés se retrouvent de plus en plus dépendantes d’une agriculture de type monoculture, un système qui va de pair avec les semences commerciales et qui nécessite beaucoup plus de terres, d’intrants chimiques et d’eau ? Dans tous les cas, les communautés paysannes se retrouvent plus vulnérables aux famines et aux aléas des marchées mondialisés. Sur le plan de la biodiversité, ce sont des dizaines de milliers de variétés de semences paysannes qui disparaissent au profit de quelques dizaines de semences commerciales. Aujourd’hui, on estime que le passage à l’agriculture industrielle a entrainé une perte de la biodiversité de 70%. En Amérique du Nord, par exemple, c’est 90% des variétés de fruits et légumes qui ont été perdus. Cela signifie également une réduction équivalente du nombre de semences aptes à s’adapter pour résister aux maladies, parasites et aux changements climatiques, car c’est en étant sélectionnée puis semée qu’une variété s’adapte aux conditions changeantes, au fil des cultures. Plusieurs acteurs, notamment de l’agro-industrie, nient le risque de dépendance accrue des paysans-nes vis-à-vis les semences commerciales, arguant que les lois ne les obligent pas à se procurer ces semences (il est vrai). Mais les exemples tels que le Brésil et la Colombie montre une tout autre réalité, quant à l’effet de ces mesures et des pratiques douteuses des compagnies semencières Et comme le démontrait le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, en 2009 : « En réalité, la coexistence entre les circuits de semences paysannes (qui opèrent au niveau local ou communautaire, entre paysans et sur une base essentiellement informelle) et la filière des semences industrielles est parfois problématique. Les pouvoirs publics ont soutenu la croissance du secteur des semences commerciales non seulement par des dispositifs de protection des obtentions végétales, mais aussi par le biais des intrants subventionnés et la distribution de semences sélectionnées dans les réseaux ruraux de vulgarisation. Les agriculteurs reçoivent souvent des semences industrielles dans le cadre de programmes d’aide qui comprennent également du crédit (souvent sous forme de bons), des semences, des engrais et des pesticides. En règle générale, il faut accepter cette aide en bloc pour avoir accès au crédit dans les zones rurales. L’agriculteur doit donc prendre tout ce qui lui est proposé. De plus, les variétés traditionnelles proposées dans les circuits de semences paysannes – et dont dépendent encore la grande majorité des paysans des pays en développement – sont souvent exclues des listes de semences agréées tenues par les pays en vertu de leurs règlements relatifs aux semences, et elles figurent rarement dans les programmes de distribution de semences subventionnées. Le résultat final est la marginalisation ou la disparition progressive des variétés locales.8 » Bref, tout commence vraiment par une semence… C’est le point de départ, et la liberté y est essentielle. Sinon, au-delà de la question des profits corporatifs faramineux que ces compagnies font avec la privatisation des semences, c’est aussi tout le présent et le futur de nos systèmes agricoles et de notre alimentation, de plus en plus sous le contrôle de ces compagnies, qui sont en jeu.

 

Notes

  1. FAO, « The State of Food and Agriculture 2014 : Innovation in family farming”, Rome, 2014.
  2. Voir, entre autres, les organisations de la Via Campesina : http://viacampesina.org/fr/
  3. En pratique, six corporations transnationales américaines et européennes contrôlent plus de 60% du marché mondial des grains et des semences, et 100% du marché des semences génétiquement modifiés : BASF, Bayer CropScience, Du Pont Pioneer, Syngenta, Dow AgroSciences et, bien sûr, Monsanto.
  4. Voir le Communiqué des groupes s’opposant à l’adoption de cette loi : http://www.unionpaysanne.com/communiques/860-la-journee-internationale-de-la-lutte-paysanne-commemoree-par-une-declaration-contre-l-upov-91
  5. Pour en savoir plus : https://semenceslibres.wordpress.com/2013/09/13/destruction-de-recoltes-et-de-semences-paysannes-en-colombie/
  6. Les banques de semences, publiques et privées, sont constituées à travers le monde afin de préserver la biodiversité du patrimoine des grains et semences, issue de plusieurs siècles de sélection et de conservation par les paysannes et paysans de tous les continents.
  7. « Le Traité sur les semences de la FAO : des droits des agriculteurs aux privilèges des obtenteurs », Seedling en français, Grain, Octobre 2005, p. 1 : https://www.grain.org/article/entries/543-le-traite-sur-les-semences-de-la-fao-des-droits-des-agriculteurs-aux-privileges-des-obtenteurs
  8. « Politiques semencières et droit à l’alimentation : accroître l’agrobiodiversité et encourager l’innovation », Rapport du Rapport spécial sur le droit à l’alimentation, 23 juillet 2009, parag. 36-67.

Partenariat transpacifique: oligopole alimentaire en vue

par Dominique Bernier
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Le Partenariat transpacifique (PTP), un traité de libre-échange signé en pleine campagne électorale et liant le Canada à 11 autres pays dont les États-Unis, l’Australie et plusieurs pays asiatiques, viendra bouleverser considérablement de nombreux aspects de la production agroalimentaire mondiale. S’il est ratifié, ce traité conférera aux multinationales de l’agroalimentaire davantage de profits de pouvoir, et un contrôle inquiétant sur nos systèmes alimentaires et agricoles, au détriment de l’autonomie des agriculteurs et de la souveraineté alimentaire des peuples. En matière d’agriculture, on a beaucoup entendu parler de la brèche que le PTP causera à la gestion de l’offre, ce système de régulation qui permet à certains producteurs canadiens d’obtenir un prix constant pour leurs produits. Bien que la remise en question de ce modèle soit inquiétante, nous avons choisi de nous attarder ici sur un autre aspect du PTP dont on parle trop peu: la généralisation de la propriété intellectuelle sur les semences. Soutien à l’innovation ou servage agricole? Selon le discours officiel, le PTP stimulera la création de nouvelles variétés végétales, ce qui profitera aux agriculteurs en accroissant le rendement des cultures, leur fournissant des revenus plus élevés. La réalité est cependant bien différente. En forçant les pays signataires à se conformer à plus ou moins brève échéance aux règles de l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV 91), le PTP vient limiter ce que les agriculteurs peuvent faire avec les semences et donne aux géants de l’agro-industrie de puissants outils pour récolter l’argent des agriculteurs. Par le biais de « certificats d’obtention », une forme de droit de propriété intellectuelle similaire au brevet, les développeurs de nouvelles variétés végétales ont le pouvoir de recevoir des redevances et de restreindre l’usage qui est fait de ces variétés. Le PTP aura pour effet de prolonger la période de validité des certificats d’obtention et d’augmenter considérablement l’étendue des pouvoirs des détenteurs de certificats, appelés les « obtenteurs . En effet, le PTP donnera aux obtenteurs le pouvoir d’autoriser (ou de refuser) toute reproduction, préparation (nettoyage et traitement), ensachage, stockage, importation et exportation de variétés de semences ou matériel de multiplication faisant objet d’un certificat d’obtention. De plus, ce projet de loi permettra aux obtenteurs d’exiger des redevances, non seulement sur l’achat des semences, mais sur le produit des récoltes. Dans le cas des variétés fourragères protégées, les redevances pourraient être perçues à chaque coupe de foin. Ce traité gonflera vraisemblablement de plusieurs centaines de millions de dollars les revenus annuels des multinationales de l’agroalimentaire détenant des certificats d’obtention, et ce, au détriment des producteurs agricoles. Ces droits exclusifs sur le produit de la récolte ouvrent la porte à une judiciarisation accrue de l’agriculture. Qu’arrivera-t-il lors d’un litige, si l’obtenteur soupçonne une utilisation illégale de sa variété? À qui appartiendra la récolte dans l’intervalle, avant qu’un juge n’ait tranché? Pourra-t-elle être vendue ou devra-t-elle être entreposée en attendant une décision? Qui assumera les pertes dans le cas de denrées périssables? Qu’arrivera-t-il si le bagage génétique d’une plante protégée en vertu d’un certificat d’obtention végétale contamine un champ voisin? Autant de questions que le texte du PTP laisse sans réponses. Perte de droits ancestraux Jusqu’à l’été 2014, moment où le Canada a décidé de se conformer à l’UPOV 91, les agriculteurs canadiens pouvaient conserver leurs semences à leur guise, qu’il s’agisse de variétés de semences protégées par un certificat d’obtention ou non, pourvu qu’elles ne fassent pas l’objet d’un brevet (comme c’est le cas pour les OGM, par exemple). Les paysans de la plupart des pays signataires du PTP jouissent encore de ce droit vital, nécessaire à la pérennité de l’agriculture de subsistance. Le PTP vient retirer une fois pour toutes aux agriculteurs le droit de conserver les semences qu’ils ont eux-mêmes produites pour les réutiliser d’une année à l’autre. En effet, l’UPOV 91 permet aux agriculteurs de sauvegarder et de conditionner leurs semences, mais non de les stocker. Ainsi, une compagnie semencière pourra poursuivre un agriculteur en justice pour avoir entreposé des semences en vue de les semer le printemps suivant ou les années subséquentes, une pratique adoptée par les agriculteurs depuis toujours pour se protéger contre les mauvaises récoltes. De plus, le privilège de l’agriculteur ne doit s’appliquer, selon l’UPOV, qu’aux cultures pour lesquelles c’est déjà une pratique commune et courante, et ne doit en aucun cas restreindre les profits des compagnies détentrices. Bref, le PTP forcera les gouvernements à adopter des règlements pour restreindre ou imposer des conditions sur l’utilisation des produits de récoltes. Certaines classes d’agriculteurs, de variétés végétales et de cultures pourraient être retirées du « privilège de l’agriculteur ». Le développement de nouvelles variétés Le PTP vient limiter la capacité des producteurs et des petits semenciers d’innover en produisant de nouvelles variétés végétales. L’usage restrictif associé aux variétés protégées est de nature à stopper l’innovation alors qu’il prétend la stimuler. Les restrictions sur la sauvegarde des semences par les agriculteurs entraînent un transfert massif de richesse des agriculteurs vers les compagnies semencières, ce qui n’est pas nécessaire pour le développement de nouvelles variétés utiles. En effet, si les agriculteurs doivent acheter des semences chaque année, les multinationales pourront simplement offrir un produit voué au marché de masse et n’auront aucun incitatif pour développer des variétés adaptées aux conditions régionales spécifiques. Les obtenteurs privés choisiront vraisemblablement de développer les variétés qui leur seront les plus profitables, c’est-à-dire celles qui sont liées à la vente de leurs autres produits (engrais et pesticides, notamment). Plus grave encore, le Partenariat transpacifique pourrait sonner le glas de la paysannerie dans les pays signataires. Dans les pays émergents comme le Vietnam, le Chili ou le Pérou, dont l’alimentation repose toujours pour une bonne part sur des cultures de subsistance produites par les paysans locaux, cela pourrait entraîner des conséquences désastreuses. En agriculture, la marge de manœuvre financière est mince. L’interdiction de conserver les semences d’une année à l’autre peut être suffisante pour empêcher un agriculteur d’atteindre le seuil de rentabilité et le pousser vers une spirale d’endettement sans issue. Les semences font partie du patrimoine de l’humanité, elles ont été sélectionnées patiemment par des générations d’agriculteurs, sur des milliers d’années. Elles constituent le tout premier maillon de notre chaîne agroalimentaire. L’appropriation de ce patrimoine par une poignée de géants de l’agro-industrie entraînera nécessairement, à brève échéance, le contrôle de notre alimentation par un oligopole n’ayant en tête que le profit. Refusons la globalisation de la faim dans le monde: disons non au PTP et à la propriété intellectuelle sur les semences!

 

Le capitalisme du carbone: une autre injustice climatique

par Monique Jeanmart
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En 2009, le bulletin consacrait 2 numéros1 à la crise alimentaire et identifiait l’accaparement des terres par des investisseurs (Fonds de pension, Banques, pays étrangers, etc.) pour la production de biocarburants ou de cultures d’exportation – sous couvert de projets de développement – comme un facteur important de l’aggravation de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition en Afrique. La même année l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) posait clairement la question « Accaparement des terres ou opportunités de développement ? » pour conclure que ce néocolonialisme ne pouvait en aucun cas être considéré comme une opportunité de développement, l’intérêt des populations locales n’étant jamais pris en compte dans ce genre de transaction ou seul prédomine encore et toujours la recherche du profit. Où en est ce dossier en 2015 ? La lutte contre les changements climatiques a pris le devant de la scène et la mise en place du marché du carbone fragilise encore plus l’agriculture traditionnelle en Afrique. La mise en place d’un marché d’échange de crédits d’émissions constitue une autre façon pour les pays développés de s’accaparer des terres qui – jusqu’alors – servaient à l’agriculture traditionnelle. Cet article pose la question d’un nouveau colonialisme le capitalisme du carbone ou accaparement vert qui est l’accaparement des terres et de ses ressources à des fins environnementales. Que se passe-t-il lorsqu’on fait appel au marché du carbone pour régler la crise climatique ? Qui en tire profit ? Qui en subit les conséquences ? Des mécanismes de développement… pas si propres Le protocole de Kyoto (1997) est le premier accord international visant à réduire les émissions de gaz à effets de serre (GES). Pour atteindre les objectifs visés à aucun moment n’a été évoquée la nécessité de transformations profondes du modèle dominant. La logique économique de poursuite d’une croissance matérielle infinie, assortie du dogme du libre échange et de la capacité du marché à réguler la société et le climat continue de prédominer. De cette vision découle l’idée d’un « marché du carbone » qui repose sur 2 stratégies : un marché de droits d’émission (qui soumet les industries et les secteurs producteurs de GES à des plafonds d’émissions les crédits-carbone échangeables à l’intérieur d’un pays) et un marché d’échange de crédits d’émission, obtenus à l’extérieur dans le cadre de mécanismes de flexibilité. Le plus important étant le mécanisme de développement propre (MDP) qui repose sur la possibilité de la compensation carbone : émettre ici, éviter les émissions ailleurs. Les MDP sont des projets dits « de développement propre» ou à faible intensité de GES implantés dans les pays en développement (l’Afrique en particulier) qui génèrent des crédits pouvant être achetés par des industries polluantes en compensation de leur manque d’atteinte des objectifs définis nationalement ou par des organismes (qui en font le commerce). Certains de ces projets utilisent un allié de taille les forêts – véritables pompes à carbone – qui absorbent le CO2 d’où l’idée d’investir dans les forêts des pays du Sud, soit en « développant » ces forêts avec à la clef des crédits carbone. À cette fin, des forêts de savane et des zones de biodiversité sont détruites pour être remplacées par des plantations monoculturales d’espèces exotiques, commercialisables (eucalyptus, jatropha, huile de palme, etc.) qui ne séquestrent pas plus de carbone que les forêts originales. Dans la réalité, de tels projets d’investissement dans des plantations sont des accaparements de terres et non des opportunités de développement parce que la terre que ces entreprises s’approprient est un moyen de subsistance qui assure la sécurité alimentaire et la survie des populations locales. Pas plus qu’ils n’aident la cause environnementale parce qu’ils ne permettent pas une réelle réduction des GES, ils constituent un frein vers la transition écologique en retardant les investissements nécessaires dans des technologies réellement propres. REDD+ : fausses solutions climatiques et dangers pour l’agriculture traditionnelle L’acronyme REDDS+ signifie « Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les pays en développement ». C’est le terme sous lequel la disparition des forêts des pays en développement est discutée dans les organismes internationaux et la Finance carbone à l’instigation notamment du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. C’est celui qui désigne des projets destinés à aider la cause climatique en luttant contre la déforestation. À l’origine conçu pour des pays connaissant une importante déforestation (Brésil, Indonésie, etc.) l’extension du terme a permis de l’appliquer à une vaste majorité de pays dotés de forêts, mais qui ne se caractérisent pas par la déforestation. Dans l’acronyme, l’ajout du + correspond à l’amélioration des stocks de carbone, la gestion durable et la conservation de la forêt.» (2) ce qui a permis d’imaginer des crédits pour financer le non-déboisement. Selon cette logique des entreprises, des ONG internationales, des pays payent des pays forestiers pour empêcher une déforestation qui devrait avoir lieu sans le financement de projets REDD+ en proportion du carbone qui – autrement – aurait été libéré dans l’atmosphère. Il faut pouvoir constater que la forêt est protégée et qu’elle aurait été détruite sans projet REDD+ ce qui permet aux investisseurs de recevoir des crédits carbone ce qui est l’objectif recherché. Cette idée de compensation ne réduit évidemment pas les émissions globales et correspond dans les faits, à l’achat de droits de polluer. De plus, elle repose sur l’idée erronée que le carbone forestier et le carbone fossile sont une seule et même chose – et donc substituable – ce qui du point de vue du climat ne se justifie pas2. Si les projets REDD+ sont de fausses solutions du point de vue climatique, leurs conséquences négatives pour les paysans sont bien réelles ce que démontre l’analyse d’un projet au Mozambique3. Les objectifs sont la conservation d’une forêt appartenant à une communauté et l’introduction de nouvelles pratiques agricoles. Des contrats ont été conclus avec la population locale pour planter des arbres sur leurs parcelles et pour en prendre soin en même temps qu’elle protège une zone forestière en échange d’un revenu pendant 7 ans. Regardé sur le long terme ce revenu compte peu comparer aux obligations qu’il implique. Payées pendant 7 ans seulement, les familles restent responsables du travail d’entretien et de surveillance pendant 99 ans même après la clause de cessation de contrat et donc de payement. Le décès d’un paysan engagé dans le projet ne met pas fin à ses obligations, mais engage automatiquement ses héritiers légitimes. C’est donc une obligation transgénérationnelle et une obligation de travail non rémunéré qu’implique ce genre de contrat. Obligation qui n’est pas clairement mise en évidence lors de la signature du contrat avec les chefs de village et les paysans le plus souvent illettrés. Si le travail d’arboriculture s’avère trop intense, il se fera au détriment de l’agriculture traditionnelle qui assure leur survie et leur sécurité alimentaire. Pour accroitre leur revenu, les paysans peuvent être tentés de planter plus d’arbres sur la parcelle où ils cultivent pour leurs besoins ce qui met à risque leur sécurité alimentaire surtout quand les arbres plantés – tels les eucalyptus – sont de grand consommateur d’eau. Certains projets interdisent l’accès et l’utilisation des zones forestières protégées que les populations ont toujours utilisées pour la chasse, la cueillette et certaines cultures itinérantes. En plus de fragiliser la situation individuelle des paysans, les projets REDD+ affaiblissent le pouvoir des communautés sur leurs territoires. Les crédits carbone obtenus dans un tel projet constituent une forme de titre de propriété. Ceux qui achètent ces crédits n’ont pas besoin de posséder la terre et les arbres qui stockent le carbone, mais ils possèdent effectivement le droit de décider comment ces terres seront utilisées. Ces contrats ne montrent jamais clairement – et même souvent cachent – la perte de contrôle qui en résulte. De plus, la logique sous-jacente à ces contrats repose sur une fausse conception de l’agriculture traditionnelle qui identifie les paysans comme une menace pour la survie de la forêt. Sans menace clairement établie pas de déforestation évitée, pas de carbone économisé, donc pas de crédits carbone ni de payement compensatoire. Ces projets, sous couvert de projets de développement, ne sont qu’une autre échappatoire pour éviter de confronter la cause de la crise climatique la combustion des énergies fossiles en transformant les forêts et les terres agricoles des peuples indigènes en parc de conservation et en plantations. Inefficaces et ineptes du point de vue écologique, ils ont des conséquences sociales et économiques importantes pour les populations indigènes impliquées. Ils constituent une nouvelle injustice climatique qui affecte des villages et des communautés et constituent une nouvelle façon de les priver de leurs droits et de leurs terres permettant aux pays riches non seulement d’accaparer leurs terres, mais d’éviter la seule solution à la crise climatique : la transformation des modes de produire et de consommer.

 

Notes

  1. Bulletins 25 et 26, mai/septembre 2009
  2. http://wrm.org.uy/wp-content/uploads/2015/10/REDD+Peasants_FR.pdf
  3. http://wrm.org.uy/wp-content/uploads/2015/10/REDD+Peasants_FR.pdf

Capitalisme et changement climatique: tout peut changer

par Roger Lanoue
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Compte rendu du livre de Naomi Klein, Acte Sud, 2015 Le titre anglais est plus parlant : « This changes everything : Capitalism VS the climate ». Oubliez tout ce que vous croyez savoir sur le réchauffement climatique. La « vérité qui dérange » ne tient pas aux gaz à effet de serre (GES), la voici : notre modèle économique est en guerre contre la vie sur Terre. Au-delà de la crise écologique, c’est bien une crise existentielle qui est en jeu – celle d’une humanité défendant à corps perdu un mode de vie qui le mène à sa perte. Pourtant, prise à rebours, cette crise pourrait bien ouvrir la voie à une transformation sociale radicale susceptible de faire advenir un monde non seulement habitable, mais aussi plus juste. On nous a dit que le marché allait nous sauver, alors que notre dépendance au profit et à la croissance nous fait sombrer chaque jour davantage. On nous a dit qu’il était impossible de sortir des combustibles fossiles, alors que nous savons exactement comment nous y prendre- il suffit d’enfreindre toutes les règles du libre marché : brider le pouvoir des entreprises, reconstruire les économies locales et refonder nos démocraties. On nous a aussi dit que l’humanité était par trop avide pour relever un tel défi. En fait, partout dans le monde, des luttes contre l’extraction effrénée des ressources ont déjà abouti et posé les jalons de l’économie à venir. Naomi Klein soutient que le changement climatique est un appel au réveil civilisationnel, un puissant message livré dans la langue des incendies, des inondations, des tempêtes et des sècheresses. Nous n’avons plus beaucoup de temps devant nous. L’alternative est simple : changer… ou disparaitre. Les points saillants du livre de Naomi Klein sont les suivants :

  1. La droite a raison : le climat est une cause au potentiel révolutionnaire (d’où l’intérêt pour la droite de le nier)
  2. C’est la croyance fondamentaliste au libre marché qui surchauffe la planète
  3. La pensée magique domine souvent la réflexion dans le domaine du contrôle des GES : des ONG vertes qui s’allient au Big Business en cautionnant une ou des bourses du carbone qui ne peuvent rien régler, des milliardaires qui prétendent sauver la planète en investissant dans diverses technologies finalement énergivores, ou des pays envisageant des technologies, en fait polluantes, pour filtrer les rayons du soleil, etc.
  4. Les nouveaux guerriers du climat, qu’on peut identifier dans la plupart des pays du monde et qu’elle appelle Blockadia, comprennent entre autres :
    1. les communes européennes qui remunicipalisent leurs entreprises d’électricité, d’eau, de gaz, de réseaux de chauffage…
    2. les ONG réclamant l’abolition des paradis fiscaux, les taxes sur les transactions financières, les écotaxes (sur le carbone par exemple), le transfert d’une partie des budgets militaires, ou l’arrêt des subsides aux hydrocarbures, pour faciliter le financement des changements requis en énergie, en agriculture, en adaptation aux dérèglements climatiques, etc.
    3. les au tochtones de chacun des continents luttant, entre autres par leurs droits territoriaux, pour la sauvegarde de leur habitat, menacé en particulier par les initiatives extractivistes minières et forestières multiples
    4. les empêcheurs d’oléoducs additionnels, de fracturation hydraulique, ou plus simplement de mines détruisant la nature localement
    5. les groupes appuyant d’autres causes (que le climat) ayant identifié comme problème principal le système économique assurant la maximisation du pouvoir des entreprises multinationales et ayant comme prémisse que la Croissance solutionne tout.
    6. Les catastrophés par BP dans le golfe du Mexique, par Enbridge à la rivière Kalamazoo, par MM&A au lac Mégantic, par Bhopal aux Indes, etc.
  5. Les premières victoires annonciatrices, trop peu nombreuses bien sûr, mais seuls espoirs que l’humanité ne finisse pas par disparaître d’ici peu :
    1. projets climatiquement insalubres bloqués ou très retardés un peu partout à travers le monde
    2. désinvestissements de fonds importants dans les industries de combustibles fossiles
    3. réinvestissements par certains de ces mêmes fonds dans les filières énergétiques renouvelables
  6. La « démocratie » représentative a ses limites, en particulier dans un contexte d’élections souvent gagnées par le parti le mieux financé par les corporations, et un contexte de complicité entre les institutions gouvernementales et les entreprises. Il est probablement plus prometteur de compter sur l’amour de citoyens pour leur environnement immédiat, tant pour résister au développement sale que pour construire des alternatives ; les gouvernements municipaux appuient d’ailleurs plus souvent ces deux éléments de l’ADN du changement social, et sont plus sensibles à la gestion locale de l’environnement que les paliers « supérieurs »
  7. Le levier principal pour le changement requis pour le climat demeure, tant au Nord qu’au Sud, l’émergence d’alternatives concrètes, pratiques et positives au développement sale.
  8. Le Nord, les riches, les corporations multinationales n’aideront pas le Sud, les pauvres, ou l’humanité par grandeur d’âme, par sens éthique et moral, ou parce que c’est la bonne chose à faire ; seule la question de survie collective peut fédérer des efforts provenant de partout.
  9. La survie de la planète dépend de la capacité des humains à faire en sorte que sa portion vivante ne requiert que peu d‘intrants autres que le soleil, ne produise presque pas de déchets, et se développe selon des processus résilients, ou plutôt activement regénératifs. une perspective radicalement différente de la « croissance infinie » du capital recherchée, ou encore des rêves des géo-ingénieurs.
  10. Seuls les mouvements sociaux de masse peuvent sauver la planète de la trajectoire « suicidaire » actuelle menée par l’ensemble des plus puissantes organisations humaines (corporations et pays). C’est possible, même si les succès de changements radicaux dans le domaine économique faits quasi sans guerres internationales et quasi démocratiquement sont rarissimes, les seuls exemples importants touchant les profits des dominants étant l’abolition de l’esclavage au 19e siècle, et la montée du mouvement syndical à la suite de la Grande Dépression de 1929.
  11. Seuls des moyens concrets et pérennes de redistribution de la richesse mondiale peuvent faire aboutir les libérations visées par une myriade de mouvements pour les droits humains, l’égalité réelle des chances, la décolonisation, la sécurité alimentaire, la réinvention de la notion de « bien commun », etc. le tout pouvant maintenant être fédéré par la poussée requise par la lutte aux changements climatiques, confrontant directement l’idéologie de libre marché comme solution à tout, et brisant simultanément de multiples règles comme les traités de libre-échange, et lois nationales écrites, ainsi que de nombreuses règles non écrites comme « aucun gouvernement ne peut survivre à une hausse de taxes », comme « impossible de dire non à des investissements majeurs » ou comme « on ne peut faire décroître les pans de l’économie qui nous mettent en danger ».
  12. Dans ce contexte, peut-être que la meilleure stratégie anti changements climatiques, même si une taxation du carbone semble une stratégie plus directe, est de réclamer prioritairement un revenu minimum garanti, ce qui remet en cause l’absolue nécessité de la croissance et la priorisation des profits, et rend incontournable les notions d’interdépendance, de réciprocité et de coopération, plutôt que celles d’individualisme, de domination et de hiérarchie.