Lors de la dernière assemblée générale, certains participants ont émis le risque qu’Attac se disperse dans toute sorte de missions l’éloignant de sa mission originale, celle qui lui a donné son nom : la taxe sur les transactions financières. Ce bulletin répond spécifiquement à cette demande.
Le billet de Claude Vaillancourt interroge le lien entre la taxation des transactions financières, les effets du réchauffement climatique sur les pays vulnérables et le lobbyisme. Si le lien n’est pas évident à première vue, l’auteur montre que le lien avec le lobbyisme est bien présent. Les lobbyistes sont partout. Ils sont particulièrement actifs dans les COP pour défendre avec acharnement les intérêts du capitalisme financier au détriment des demandes faites par les pays vulnérables pour que soient financées les mesures qui leur permettraient de lutter contre les changements climatiques.
L’article de Chantal Santerre nous ramène à la fin du siècle dernier, à James Tobin et au contexte économique qui lui a inspiré cette taxe destinée « à jeter un peu de sable dans les rouages trop bien huilés des mouvements de capitaux ». C’est de son inspiration qu’est né Attac. Vingt ans plus tard, même si cette taxe se révèle insuffisante, si elle a été contestée et jamais appliquée, elle se justifie toujours, et ses revenus permettraient de financer – entre autres –la lutte contre les changements climatiques.
Déjà en 2000, la première campagne menée par Attac Québec portait sur la lutte aux paradis fiscaux. L’article d’Edgard Lopez-Asselin analyse la récente campagne d’Échec aux paradis fiscaux « Démasquer, Condamner, Encaisser » dont l’objectif est de ranimer l’ardeur citoyenne aveuglée par les mirages d’un débat technique. Cette lutte doit être recentrée pour en faire une lutte militante contre la tendance à en faire la prérogative d’une poignée de spécialistes.
Indéniablement, les États se dotent de nouvelles mesures en ce qui a trait à la lutte contre les paradis fiscaux. Pour Samuel Élie Lesage, si ces mesures semblent – et sont de plus en plus – complexes c’est parce qu’elles sont « techniques ». Si elles sont peu à la hauteur des aspirations collectives c’est parce qu’elles ne sont que des « ajustements » qui ne contestent pas le système, mais visent au mieux à le rendre « moins pire ». La lutte doit être politique parce que le problème est politique et y mettre fin signifie s’opposer au capitalisme mondialisé qu’ils ont rendu possible.
L’article de Wedad Antonius montre qu’une fiscalité équitable est la base de la justice sociale. Il rappelle que la fiscalité évolue dans le temps et que depuis quelques dizaines d’années la tendance est à une concurrence fiscale en faveur des riches et des multinationales avec pour corollaire un impôt de moins en moins progressif qui prive les États de milliards de dollars. Pourtant les mesures fiscales qui renverseraient cette tendance sont connues. Quand la volonté politique manque, seules les luttes citoyennes peuvent forcer les gouvernements à opérer un réel changement.
Quel lien y a-t-il entre la taxe sur les transactions financières, le lobbyisme et les pertes et préjudices pour les pays vulnérables? En apparence, rien d’évident. Mais en examinant la situation, on peut y voir un fil bien solide.
Les « pertes et préjudices » ont été un des sujets majeurs de discussion lors des Conferences of the Parties de l’Organisation des Nations unies (COP), aussi bien les COP sur le climat que la toute dernière sur la biodiversité à Montréal. Nous savons que les pays du Sud subissent le plus cruellement les effets du réchauffement climatique et de la perte de la biodiversité, alors que les pays du Nord sont, de loin, les premiers responsables de ces problèmes.
Dans les COP, les pays du Sud demandent des sommes importantes pour compenser les dommages qu’ils subissent. À la COP 27 sur le climat, on a parlé d’un montant nécessaire de 300 milliards de dollars par année (un chiffre qualifié de prudent), alors qu’il y a eu entente pour une somme de 100 milliards $. À la COP 15 de Montréal, les pays développés se sont engagés à fournir 30 milliards $ par année, ce qui a semblé insuffisant à plusieurs.
Mais les pays qui en le plus besoin verront-ils la couleur ce cet argent? Les histoires de non-paiement de sommes promises sont hélas trop nombreuses…
Dans les négociations, les pays développés prétendent ne pas avoir les moyens de donner davantage. Le fait que les taxes et impôts payés par leurs citoyen.ne.s ne suffisent pas à offrir de bons services publics à leur population pourrait être un argument allant en ce sens.
Mais nous savons à Attac que l’argent se trouve aussi (et surtout!) ailleurs. Entre autres dans les transactions financières, des milliers de milliards de dollars qui s’échangent chaque jour, sans que personne d’autre que les spéculateurs n’en tirent vraiment profit.
Nous arrivons à cette question de la taxe sur les transactions financières, un retour aux sources pour Attac ! Rappelons que cette taxe minimale appliquée à toute transaction financière (marché des changes, actions boursières, produits dérivés) pourrait ralentir la spéculation à haut risque et générer des revenus considérables, sans que l’économie productive en soit affectée.
Une bonne partie des sommes en provenance de cette taxe pourrait donc être attribuée pour compenser les pertes et préjudices de pays victimes des excès du développement du Nord, des sommes beaucoup plus généreuses que celles promises jusqu’à maintenant, et plus faciles à distribuer parce qu’elles ne grèvent pas le budget des États. Et il resterait encore de l’argent pour régler d’autres problèmes criants.
Mais pourquoi personne n’a-t-il pensé à appliquer cette brillante solution? C’est ici qu’intervient la question du lobbyisme. Celui des grandes banques s’est littéralement acharné contre cette idée. Les banquiers s’en sont offusqués : comment oserait-on chercher à limiter, ne serait-ce qu’un tout petit peu, leurs profits gigantesques?
Ils se sont surtout acharnés contre un projet de taxe européen qui allait se mettre en place. Ils ont actionné tous les rouages du lobbying : rencontres avec des élu.e.s, publication d’articles contre la taxe dans des médias prestigieux, recours à des personnalités du milieu de la finance pour discréditer le projet, etc.
Résultat : une victoire totale des lobbyistes. C’est à peine si aujourd’hui on ose encore en mentionner l’idée. Pourtant, celle-ci devrait absolument rester dans l’arsenal des solutions pour contrer les dangers climatiques et pour mieux répartir la richesse.
D’où notre volonté de nous en prendre au lobbyisme, dans notre journée d’étude du premier avril et dans la campagne qui s’ensuivra. Bien sûr, la taxe sur la transaction financière n’est qu’une seule des innombrables cibles des lobbyistes. S’attaquer au lobbyisme est un autre combat de David contre Goliath… Mais si on le néglige, celui-là, la démocratie continuera à en être durablement affectée.
Économiste keynésien, il obtient en 1981 le prix Nobel, non pas pour la taxe Tobin, mais bien pour son analyse des marchés financiers et de leurs rapports avec les décisions de dépenses, et par conséquent avec l’emploi, la production et l’évolution des prix. Il dira : « J’ai étudié l’économie pour deux raisons. La matière était fascinante et stimulante sur le plan intellectuel. En même temps, elle donnait, et donne toujours l’espoir que, si l’on comprend mieux ses mécanismes, on pourra améliorer le sort de l’humanité.1 »
James Tobin a été profondément marqué par la Crise de 1929. Sa mère, alors assistante sociale, lui a montré très tôt les souffrances causées par la pauvreté et le chômage.
En 1936, il reçoit une bourse pour étudier à l’Université Harvard. À la suggestion d’un de ses professeurs, il lit le livre de Keynes, la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Ce sera pour lui une révélation. La crise de 1929 était bien la preuve de l’incapacité des théories économiques orthodoxes à prévoir les crises et à suggérer des moyens d’en sortir. Il est aussi très marqué par le passage dans lequel Keynes décrit les dangers associés à la domination de la finance sur l’entreprise et sur l’économie. Keynes affirme qu’au fur et à mesure que se perfectionne l’organisation des marchés d’investissement, augmente le risque de domination de la spéculation. Il propose donc, pour lutter contre ce phénomène, de taxer les mouvements de capitaux.
Contexte qui a donné naissance à la taxe Tobin
En août 1971, les États-Unis ont rompu les accords de Bretton Woods qui avaient été mis sur pied après la Deuxième Guerre mondiale et qui établissaient un système monétaire international fondé sur le dollar américain dont la valeur était garantie par l’or de la Réserve fédérale américaine.
Quand les États-Unis ont abandonné l’étalon-or, cela a eu pour conséquence de transformer toutes les devises nationales en marchandises dont le prix fluctuait de la même manière que tous les autres biens sur le marché. Autrement dit, on revenait à un système monétaire avec des taux de change flottants qui rendait possible la domination de la spéculation sur le marché des devises.
Devant les impacts possibles de cette transformation du système monétaire mondial et devant la crainte de la domination de la spéculation, Tobin s’est sûrement rappelé du passage qui l’avait tant marqué à sa première lecture de Keynes. Il propose alors des pistes de solution pour redonner un peu d’autonomie aux politiques monétaires nationales dans ce nouveau contexte économique. Parmi elles figure cette fameuse taxe, qui portera son nom. Son objectif est de « jeter un peu de sable dans les rouages trop bien huilés des mouvements de capitaux. » En pénalisant fiscalement toute conversion d’une monnaie dans une autre, cette taxe a pour but de mettre un frein à la spéculation à outrance, tout en redonnant un peu d’autonomie aux politiques monétaires nationales.
L’AMI qui vous veut du bien
En mai 1995, lors de la réunion annuelle du Conseil de l’OCDE, ont commencé les négociations entre les gouvernements pour un Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Son objectif était d’établir pour l’investissement international un large cadre multilatéral comportant des normes élevées de libéralisation et de protection de l’investissement et doté de procédures efficaces de règlement des différends. Les grandes corporations multinationales auraient pu ainsi, en s’adressant aux tribunaux prévus par les accords, faire renverser des lois votées par les instances législatives parce qu’elles pourraient nuire à leurs investissements.
Cet accord n’a jamais vu le jour grâce à l’opposition d’un mouvement international et cette « victoire » contre l’AMI a été un catalyseur : elle a démontré qu’il était possible d’arrêter le train en marche de la mondialisation à tous crins.
La taxe Tobin et Attac
En décembre 1997, Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique lance un appel pour la création d’un vaste mouvement international en faveur de la taxation des transactions financières sur le marché des devises.
Attac-France 2 a été fondé à peine quelques semaines plus tard et cette initiative s’est rapidement répandue. Des groupes semblables se sont mis en place en Belgique, en Suisse romande, en Italie, au Brésil, au Portugal, en Tunisie, au Sénégal, aux États-Unis.
Au Canada, ce mouvement a vu naître deux entités distinctes qui luttaient pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières : Halifax Initiative et Attac Québec. Le 25 mars 1999, une majorité de députés ont appuyé un projet de taxe sur les transactions financières internationales. Malheureusement, ce projet ne s’est jamais concrétisé.
Le 8 avril 2000, Attac Québec a été fondé. Il se veut un centre de mobilisation, d’information et de débats autour de l’impératif de lutter contre la toute-puissance des marchés financiers et d’imposer des régulations susceptibles d’atténuer les risques de chaos financier3.
Pour ou contre la TTF?
Le débat est le suivant. D’un côté nous avons les économistes pour qui le marché doit s’autoréguler, de l’autre nous avons ceux qui reconnaissent l’inefficience des marchés et la nécessité d’intervenir quand le marché ne parvient pas à se réguler.
Pour James Tobin, inspiré par John Maynard Keynes, une taxe sur les transactions financières aurait pour effet de diminuer la spéculation et par conséquent la volatilité des marchés financiers. Cette hypothèse est appuyée par des économistes bien connus, dont entre autres Joseph Stiglitz et Lawrence Summers.
Mais d’autres économistes (comme Milton Friedman), ne croient pas que la spéculation a un effet déstabilisateur sur les marchés. Ils invoquent des études pour conclure qu’une taxe sur les transactions financières ne réduirait pas la volatilité des marchés et qu’elle en entraînerait même une plus grande instabilité.
Avant de poursuivre, clarifions ce concept de « volatilité ». Lorsqu’un titre financier est très volatile, cela signifie que s’il y a des variations à la hausse ou à la baisse, un titre très volatile variera dans le même sens que le marché, mais de manière plus extrême, d’où les bulles spéculatives (marché en hausse) et les crises financières (marché en baisse).
Dans un excellent article publié par Attac-France4, on peut lire les arguments contre la taxe sur les transactions financières et ceux en faveur d’une TTF pour dompter les marchés.
• Le volume important des transactions financières et par le fait même la spéculation sont nécessaires pour le bon fonctionnement du mécanisme de prix. Par contre, l’examen de la réalité nous montre que le processus de convergence des marchés financiers vers de « vrais » prix des actifs ne fonctionne pas, parce que les marchés financiers fonctionnent à l’envers des marchés de biens et services « réels ». Normalement, quand le prix d’un bien augmente, la demande baisse. Mais, à l’inverse, quand le prix d’un actif financier monte, la demande augmente.
• Une grande part des transactions à court terme sont des opérations de « couverture » qui permettent de gérer les risques de fluctuation des taux de change sur des transactions à plus long terme. Par contre, les transactions financières sur des biens et services réels (par exemple : l’importation de café) sont peu fréquentes. La taxe ne pèsera que très peu sur eux.
• Toute augmentation dans les coûts de transaction, due à une TTF par exemple, entraînerait un déclin dans la liquidité, ce qui va à son tour augmenter la volatilité à court terme du prix des actifs. Par contre, les recherches liant l’introduction de la TTF à une augmentation de la volatilité ne sont pas convaincantes et ont abouti à des résultats divers. Les taux prévus pour la taxe sont toujours modestes. Le coût des transactions, autre que celui de la TTF, a considérablement baissé durant les trois dernières décennies du fait des progrès de l’informatique. Le niveau de volatilité ne ferait qu’atteindre celui des années 1980.
• Les taxes sur les transactions financières sont difficiles à mettre en place, surtout si elles portent sur des transactions internationales. De plus, les acteurs trouveront toujours des moyens de contourner cette taxe. Par contre, tant que le coût de la taxe reste inférieur à celui du déménagement, les institutions financières préféreront payer la taxe plutôt que d’avoir à se réinstaller ailleurs. Le « droit de timbre » britannique, même à un taux relativement élevé de 0,5 %, n’a en rien modifié de l’attractivité de la Bourse de Londres.
L’implantation d’une TTF
Certains pensent qu’il suffit d’un accord entre les grandes puissances industrielles, par exemple les pays du G7, pour mettre en place la taxe Tobin. Cependant, comme nous venons de le voir, plusieurs obstacles sont soulevés.
Plus récemment, un autre excellent texte5 d’Attac-France propose des mesures plus larges que la seule taxe sur les transactions financières. Le volume des transactions financières a augmenté dans des proportions inimaginables en l’espace de trois décennies, après l’instauration de la liberté totale de circuler pour les capitaux au cours des années 1970-80. Aucune justification ne peut être trouvée à des mouvements permanents de capitaux vingt à trente fois plus importants que la production mondiale et cent fois plus importants que les échanges de biens et services. La liberté de circulation des capitaux a déclenché la « financiarisation » du capitalisme mondial, qui a abouti à la grande crise globale depuis 2007.
C’est pourquoi Attac-France propose d’autres mesures plus radicales, mais qui permettraient de ramener la primauté du politique sur l’économique et la capacité des États à lutter contre la croissance des inégalités et le réchauffement climatique. Dans ces mesures on retrouve notamment : l’interdiction des hedge funds (fonds spéculatifs) et des innovations financières opaques et risquées (titrisation); le plafonnement de la rémunération des courtiers et des investisseurs financiers; l’encadrement très strict des produits dérivés; le contrôle des organismes de compensation tels que Clearstream; la suppression des paradis fiscaux; et la mise sous contrôle public des agences de notation, dont l’irresponsabilité et le manque de fiabilité ne sont plus à démontrer depuis la crise des subprimes en 2008.
La crise économique de 2008 a d’ailleurs remis à l’ordre du jour l’idée d’une taxe Tobin et de nouveaux appuis se manifestent. En 2009, Adair Turner, président de l’autorité britannique des services financiers (FSA) et le premier ministre britannique Gordon Brown appuient la proposition de mettre sur pied une TTF et elle est mise à l’agenda du G20. L’économiste Paul Krugman apporte son soutien à la proposition Turner-Brown d’une taxe portant sur l’ensemble des transactions financières. Malheureusement la volonté politique n’est pas au rendez-vous et le FMI et son président d’alors, Dominique Strauss-Kahn, jugent que cette taxe est trop difficile à mettre en œuvre.
À plusieurs reprises par la suite (2010 et 2011) l’introduction d’une TTF a été remise à l’ordre du jour de la Commission européenne. Les recettes permettraient de financer des projets européens, dont la lutte aux changements climatiques. Malgré de nombreuses autres tentatives, à ce jour cette taxe n’a pas été instaurée.
En janvier 2013, les ministres européens des Finances donnent leur accord au lancement d’une taxe sur les transactions financières (TTF) à partir de 2014-2015. Selon le quotidien Le Figaro, « les échanges d’actions et d’obligations seraient taxés à un taux de 0,1 % et les contrats dérivés à un taux de 0,01 % ».
En juin 2019, il est envisagé dans le cadre d’un projet européen de coopération renforcé (accord minimum de 9 états) un calendrier qui amènerait la Commission européenne à présenter un projet d’ici 2024.
À ce stade des blocages apparaissent également sur la répartition du produit de la taxe, alors que le principe d’une affectation au niveau national des produits collectés au niveau national ne semble pas avoir été envisagé. Cependant, les exemples montrent que l’instauration d’une décision fiscale peut se faire au niveau national, sans nécessairement d’accord au niveau européen.
Le débat revient dans les institutions européennes pour l’élaboration du budget de l’Union européenne au cours de l’année 2020.
Contrairement à une idée assez communément répandue, l’histoire recèle un grand nombre d’exemples de taxations des mouvements financiers partout dans le monde. De nombreux pays, tels que le Royaume -Uni, l’Afrique-du-Sud, Hong-Kong, Singapour, la Suisse et l’Inde, appliquent actuellement des TTF à des catégories d’actifs spécifiques, qui génèrent des milliards de dollars de recettes par an6
Et ici au Québec
La lutte pour une TTF est toujours aussi pertinente dans le contexte économique actuel et dans la lutte au réchauffement climatique.
Attac Québec, dans sa lutte contre les paradis fiscaux, pour une plus grande justice fiscale et une plus grande justice climatique, est en droite ligne avec la lutte pour la TTF. Cette TTF pourrait financer les moyens de se sortir de cette crise climatique. L’abolition des paradis fiscaux est nécessaire pour permettre le bon fonctionnement de la TTF. La TTF est un moyen de fournir des recettes pour permettre la réduction de la dette publique et le financement adéquat des programmes sociaux.
Lors de notre dernière Assemblée générale annuelle, des membres ont montré leur intérêt pour cette taxe.
Le mouvement citoyen de lutte contre les paradis fiscaux est entré, depuis quelques mois, dans une période creuse. Si, d’un côté, les sirènes de la réforme fiscale internationale de l’OCDE font miroiter la fin imminente des paradis fiscaux comme nous les avions connus jusqu’à présent 1, les échos provenant des terrains de lutte donnent, de l’autre, un son de cloche bien différent. La crise inflationniste actuelle met en évidence le lien entre le saccage de l’État-providence et les profits exceptionnels dégagés par les géants de l’énergie et de l’alimentation; chaque nouveau dollar empruntant le chemin des paradis fiscaux est une preuve supplémentaire de l’incapacité de la société de pourvoir à ses besoins. Or, la fin des scandales de fuites de documents financiers ou, pour être plus exact, la saturation de la capacité du public à s’émouvoir de ces scandales alimente aujourd’hui un sentiment d’aliénation politique qui, plutôt que d’inciter les individus à l’action, les en décourage. En dépit du manque à gagner, le cynisme est, par les temps qui courent, la réponse de la personne raisonnable à ce qui semble être la sempiternelle question des paradis fiscaux.
Comment réinsuffler à la lutte pour la justice fiscale l’ardeur qui était encore tout récemment la sienne? Car il serait, faut-il le souligner, injuste d’évaluer le succès de la dernière décennie de luttes à l’aune de ce passage à vide. De l’apathie à la mobilisation généralisée, le long chemin parcouru au fil des dernières années est ponctué de victoires qui rappellent l’importance de l’action collective. Mais il ne faut pas se laisser aveugler par ces succès. À vrai dire, le principal danger qui guette aujourd’hui la lutte politique contre les paradis fiscaux est moins l’opposition des tenants du système en place que la fétichisation de ces victoires par ceux qui voudraient les voir cesser. La reprise récente de l’initiative politique par des gouvernements ou des organismes internationaux soucieux de préserver le statu quo menace de transformer ce qui était autrefois une demande politique en un objet de débat technique. L’objectif d’une telle démarche est clair : retirer la question au processus de délibération démocratique afin d’en faire la prérogative d’une poignée de spécialistes.
Le collectif Échec aux paradis fiscaux, à l’instar de plusieurs autres organismes œuvrant pour la justice fiscale ailleurs dans le monde, a pris acte de la nécessité de prémunir la lutte aux paradis fiscaux de la réduction de la démarche militante à la stricte question fiscale. La campagne « Démasquer, Condamner, Encaisser2 », lancée un peu plus tôt cette année, propose de poursuivre la lutte en tenant compte des mutations que le problème du recours aux paradis fiscaux a subies. Les solutions insuffisantes actuellement proposées ne sont susceptibles de persuader qu’à condition d’occulter les problèmes concrets qu’une réorganisation du système fiscal cherche à résoudre. Or, il s’agit là d’une confusion commune : si notre combat se déroule bien sur le front de la fiscalité, il s’inscrit cependant dans une perspective politique plus vaste. En ramenant la lutte politique contre les paradis fiscaux à ses trois mots d’ordre, le collectif Échec aux paradis fiscaux s’efforce de s’affranchir de la tendance à la technicisation excessive des enjeux de fiscalité. Démasquer, Condamner, Encaisser – ce sont trois perspectives complémentaires, trois ensembles de revendications qui, ensemble, brossent un portrait de la situation irréductible au langage technique. Revenons brièvement sur chacun de ces trois axes pour en expliciter le sens.
Démasquer les tricheurs. Dans un monde où le secret est la règle, l’accès à une information de qualité est le principe d’une action politique bien orientée. La lutte contre le recours aux paradis fiscaux a ceci de particulier qu’elle a affaire à un phénomène hermétique, qui se dissimule tantôt sous les allures de la légalité, tantôt sous celles de la nécessité économique. Afin de faire la lumière sur l’ampleur du manque à gagner dans les coffres publics, il ne suffit pas de mettre la main au collet des contrevenants, mais il faut encore exposer les processus et les structures sociales anonymes qui permettent à certains d’échapper à leurs responsabilités sociales.
Il faut reconnaître que, sur cet enjeu, quelques étapes ont été franchies au cours des dernières années. Par exemple, l’instauration progressive, ici comme ailleurs, de registres nationaux des bénéficiaires effectives a doté les autorités fiscales d’un puissant outil afin d’accroître la transparence de la fiscalité des sociétés. C’est pourtant encore nettement insuffisant. Plusieurs mesures plus globales, comme la généralisation des déclarations pays par pays ou encore la lutte contre l’opacité régnant au sein de l’Agence du revenu du Canada, demeurent encore largement ignorées par les gouvernements successifs. Loin d’être acquise, la transparence de notre système fiscal doit donc faire l’objet d’une pression politique soutenue, afin que les stratagèmes d’évitement fiscal soient connus et exposés au grand jour.
Condamner les bénéficiaires et les facilitateurs de l’évitement fiscal. Dans le débat technique entourant la question des paradis fiscaux, une chose est souvent passée sous silence : la charge symbolique forte de l’évitement fiscal. L’évitement fiscal n’est pas une subtilité comptable, mais bien un pied de nez fait à une conception de la société qui voit au-delà des intérêts égoïstes. Condamner signifie, dans cette perspective, user des recours mis à disposition par les régimes pénal et criminel afin de dissuader les contribuables de s’aventurer dans une forme de fiscalité « créative ». En instaurant de puissants mécanismes légaux et juridiques, nous nous donnons les outils pour que l’injustice n’ait pas lieu.
Le Canada a d’ailleurs, dans ce domaine, un important travail de redressement à faire. Notre pays est en effet connu pour son laxisme et pour la clémence de ses lois en matière de facilitation à l’évasion fiscale. Le régime fiscal canadien n’a pas, au fil des années, été adapté à la complexité grandissante des relations économiques et à ce que ces relations autorisent d’un point de vue fiscal. Une révision générale de ces règles, comme celle que nous esquissons dans notre récent mémoire sur la modification de la Règle générale anti-évitement 3 , aurait un important effet dissuasif et épargnerait à l’Agence du revenu du Canada de futures déconvenues semblables à celles connues dans le cadre de l’affaire KPMG4.
Encaisser pour financer les services publics. Depuis des années, les différents gouvernements nous présentent leurs programmes de coupes dans les programmes sociaux comme la seule perspective politique viable. Incapables de voir au-delà du seul horizon économique, ils prennent invariablement le parti des plus riches en espérant que, cette fois, les choses changeront. Or, il existe bien une voie alternative. Le mauvais état de nos services publics a, entre autres, pour cause l’incapacité des gouvernements à colmater les brèches qui traversent nos systèmes fiscaux. Il faut cependant, pour renverser cette tendance, s’atteler à la tâche essentielle de récupération des sommes évadées et illégitimement évitées.
C’est cette perspective qui donne tout son sens à la lutte contre les paradis fiscaux. Aux yeux du collectif Échec aux paradis fiscaux, la fiscalité a un rôle politique important à jouer dans l’organisation d’une société qui redistribue ses richesses d’une manière plus équitable. En encaissant l’argent évadé, nous ne nous contentons pas abstraitement de défendre l’intégrité de notre régime fiscal : nous nous dotons collectivement des moyens de mettre en œuvre une conception commune du bien. C’est, ultimement, cet objectif et son pouvoir mobilisateur qui, plus que l’indignation, poussent les citoyennes et les citoyens à l’action.
Nous venons de le voir, la campagne « Démasquer, Condamner, Encaisser » s’efforce, à travers une remise en perspective de la lutte contre les paradis fiscaux, d’offrir un remède à l’essoufflement que connaît actuellement la mobilisation citoyenne. Ce qui est ainsi proposé par le collectif Échec aux paradis fiscaux, c’est une lunette de lecture, qui est destinée à être utilisée par les militantEs comme un outil politique à part entière. La sombre perspective qu’offre la situation actuelle de lutte montre que le combat principal demeure celui pour gagner l’opinion publique à la cause de la justice fiscale. L’éducation populaire, la sensibilisation à ces enjeux ont engendré et continuent de provoquer des changements lents, graduels, mais nécessaires. Aurons-nous le courage politique de mener la lutte à son terme ?
Notes
Sur les objections quant au fond de la proposition de réforme de l’OCDE, on consultera à grand profit le récent article de Lison Rehbinder : « Taxation des multinationales : une réforme insuffisante » dans Relations, no. 818, automne 2022, p. 35-37. Pour une perspective humanitaire sur la question, voir le rapport de l’Experte onusienne Attiya Waris : « Vers l’instauration d’une architecture fiscale mondiale tenant compte des droits humains », 15 juillet 2022, URL : https://www.ohchr.org/fr/documents/thematic-reports/a77169-towards-global-fiscal-architecture-using-human-rights-lens-report.
Une présentation complète des revendications de la campagne « Démasquer, Condamner, Encaisser » est disponible sur le site internet du collectif Échec aux paradis fiscaux à l’adresse suivante : https://www.echecparadisfiscaux.ca/agir/demasquer-condamner-encaisser/ .
Collectif Échec aux paradis fiscaux. « Moderniser et renforcer la Règle générale anti-évitement », mémoire présenté dans le cadre des consultations budgétaires du comité permanent des Finances de la Chambre des communes, septembre 2022, URL : https://www.echecparadisfiscaux.ca/wp-content/uploads/2022/09/Collectif-Echec-aux-paradis-fiscaux-Memoire-Modernisation-de-la-RGAE.pdf .
Harvey Cashore, Frédéric Zalac. « Affaire KPMG : le fisc offre une amnistie secrète aux multimillionnaires », Radio-Canada, 8 mars 2016, URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/769235/agence-revenu-canada-millionnaires-paradis-fiscaux.
Les dernières années ont vu le Canada et le Québec se doter de nouvelles mesures et réaliser des efforts en ce qui a trait à la lutte contre les paradis fiscaux. Pensons notamment aux rapports annuels du gouvernement du Québec sur la question des capacités de récupérations fiscales de Revenu Québec ou à la mise sur pied, en 2021, du registre des bénéficiaires ultimes (RBU 1 , ainsi qu’aux investissements importants consentis par le gouvernement du Canada d’année en année à l’Agence du revenu du Canada et aux travaux visant à revoir la règle du RAGE 2 ou à implanter les réformes du BEPS au Canada…
…Mais si ces solutions vous apparaissent complexes à comprendre et somme toute, « techniques », vous n’êtes pas dans le tort. Alors que la lutte contre les paradis fiscaux a été alimentée depuis environ une quinzaine d’années par les différentes révélations du Consortium international de journalisme d’investigation (ICIJ)3 et amplifiée par plusieurs mobilisations sociales (du mouvement Occupy aux mobilisations contre l’austérité libérale, voire les actuelles mobilisations environnementales liant justice climatique et justice fiscale et économique), les dernières avancées ont été, de manière générale, bien plus « techniques » et peu à la hauteur des aspirations collectives et des mobilisations politiques.
Qu’entend-t-on par « technique » ? Opposons ici ce terme à celui de « politique ». Une mesure technique s’inscrit dans le système économique et politique existant. Elle traite la question de la capacité des États à faire respecter leur régime fiscal comme un processus dont il faut améliorer l’output. Elle cherche les ajustements pour rendre l’environnement économique moins pire, sans toutefois le contester.
La figure la plus exemplaire de la solution technique à l’enjeu des paradis fiscaux est celle du BEPS (Base Erosion Profit Shifting), piloté par Pascal Saint-Amans, ancien directeur de l’OCDE. Le BEPS est un grand projet extrêmement complexe d’harmonisation fiscale et de taux unique d’imposition touchant près de 135 pays. M. Saint-Amans en est certes très fier, allant jusqu’à même titrer le livre qu’il a écrit sur l’histoire des négociations du BEPS Comment on a changé le cours de l’histoire. Pourtant, nombreuses ont été les voix critiquant le BEPS, non pas tant sur ses technicalités, mais quant à son manque de vision politique : il laisserait intact les montages corporatifs permettant aux multinationales d’éviter l’impôt, encouragerait la compétition fiscale entre les pays et ne redistribuerait pas assez de revenus fiscaux aux pays du Sud global, pour ne nommer que ces critiques4 Certes, le BEPS est un projet important et ambitieux qui n’accouchera pas d’une souris, mais il laissera somme toute intact le système actuel des paradis fiscaux : le projet du BEPS restera technique.
Sans nier l’intérêt de ce qui a été réalisé, ce que nous, citoyens et citoyennes, militants et militantes, avons obtenu jusqu’à présent en matière de lutte contre les paradis fiscaux consiste surtout à ajuster le système fiscal existant pour le rendre un peu moins impuissant, à défaut de l’inscrire en opposition aux tendances du capitalisme à l’accumulation et à la croissance effrénée.
A contrario aux mesures « techniques », un projet « politique » serait animé d’un enracinement authentique dans l’environnement économique capitaliste, en ce qu’il lui serait opposé. Est politique ce qui, en ce sens, prend acte de l’état profondément contradictoire de notre économie, où la valeur engendrée par le travail est siphonnée par une clique bourgeoise par l’entremise de la propriété privée. L’action publique est proprement politique lorsqu’elle prend acte de cette organisation fondamentale des rapports sociaux et qu’elle « prend position » en vue de la ralentir au maximum, voire la subvertir et la renverser.
Concrètement, cela revient à défendre que, si l’impôt progressif sur le revenu sert à mieux redistribuer la richesse, le principe d’égalité au cœur même de cette action ne doit pas avoir pour objectif que de s’assurer que tous et toutes soient formellement égaux et égales, mais qu’on arrache du pouvoir des plus riches et des plus puissants pour le redonner aux masses. Ce rééquilibrage vise à rétablir le rapport de force, et pas qu’à s’acheter le dernier gadget de l’heure5.
Du point de vue des paradis fiscaux, la question cruciale ne se résume plus alors qu’à savoir si l’État est capable ou non de s’assurer de bien faire respecter son régime fiscal, autrement dit si tous les contribuables sont également imposés, mais aussi et surtout de déterminer si la classe politique que nous élisons et qui prétend nous représenter a assez de courage pour s’inscrire en porte-à-faux des tendances financières internationales et faire du fisc un rempart contre la cupidité destructrice des plus riches et des grandes entreprises.
Alors qu’on s’alarme de l’inflation et que les bonzes financiers canadiens agitent l’épouvantail du danger des hausses salariales trop importantes, une poignée d’entreprises fixent outrageusement à la hausse le prix de leurs biens et de leurs services, refilant aux consommateurs des prix bien élevés6 : il y a fort à parier que les profits générés finiront planquer à l’abri du fisc. Pendant ce temps, les investissements canadiens dans des paradis fiscaux continuent d’augmenter. Depuis 2010, les investissements directs étrangers dans les six paradis fiscaux recevant la plus grande part de ces « investissements » (on comprend ici qu’on emploie ce terme avec beaucoup d’ironie), soit les Bahamas, la Barbade, les Bermudes, les îles Caïmans, le Luxembourg et les Pays Bas, ont augmenté de 159,4 %, une croissance fulgurante7. Et à l’échelle mondiale, le très récent essai La société de provocation de Dahlia Namian dresse le portrait peu flatteur et révoltant de celles et ceux au sommet de la pyramide des avoirs : un de leur secret est qu’ils et elles sont aussi les clients privilégiés des paradis fiscaux. Pendant ce temps, la planète, et sa population, littéralement, brûle.
C’est tout cela qu’il faut avoir en tête quand il est question de paradis fiscaux, c’est de tout cela qu’il est question quand nous réclamons des solutions politiques à un problème intrinsèquement politique. Contre les bureaucrates qui promettent d’améliorer le statu quo, il faut rendre les élu-e-s politiques redevables de leurs décisions. Il ne s’agit pas seulement que le jeu soit légèrement moins inégal, mais de contribuer à radicalement le restructurer. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que les paradis fiscaux ont directement participé à la financiarisation de l’économie et à l’amplification de la mondialisation8: le capitalisme mondialisé existe aujourd’hui grâce à l’évitement fiscal.
Cela dit, le corollaire du laisser faire bureaucratique en matière de lutte aux paradis fiscaux est celui de la bonne gouvernance, où la parole civile est noyée dans le partenariat efficace, la consultation de bonne volonté, le réalisme comme horizon institutionnel et le monopole des mécanismes étatiques aux mains d’une caste de technocrate9 . En enfermant les tentatives cherchant à régler le problème dans le langage extrêmement complexe et technique de la fiscalité internationale, on rend les institutions impuissantes à canaliser la volonté populaire. La boucle est dès lors bouclée : les solutions techniques aux problèmes des paradis fiscaux protègent paradoxalement ces derniers.
Cela revient à déclamer sur un mode idéologique que les paradis fiscaux, c’est naturel et inévitable. On sait bien que c’est tout faux. Interdire le recours aux paradis fiscaux pour optimiser sa finance, criminaliser l’évitement fiscal abusif, percer pleinement l’opacité des centres financiers offshore, mettre sur pied une réelle coopération internationale fiscale, toutes ces solutions sont réalisables. C’est dès lors tout un nouveau sens qu’il faut donner à l’expression « courage politique » : prendre pleinement acte des aspirations civiles en tant qu’elles sont intégrées dans une économie leur nuisant pour protéger celles-ci des tendances de celle-là.
Comment y arriver ? La bataille, car c’en est bien une, sera difficile et alors que des efforts considérables ont déjà été investis, d’autres encore plus importants seront nécessaires… Mais plutôt que de sombrer dans le désespoir comme de s’accrocher à un espoir niais, je rappellerais plutôt l’importance de la colère : colère devant l’incapacité de nos institutions à canaliser nos aspirations collectives, colère face aux demi-mesures et aux promesses creuses, colère de se faire prendre pour des imbéciles par des gouvernements à la solde des intérêts du grand capital. Devant l’inaction des politiques face aux paradis fiscaux, face à leur retranchement dans des solutions « techniques », nous trouvons la légitimité de notre colère – et de notre action.
Notes
Le RBU vise à révéler au public l’identité des personnes bénéficiant réellement des activités d’une entreprise. Il sera actif au Québec à compter d’avril 2023.
La Règle générale anti-évitement (RAGE) est la dernière ligne de défense du régime fiscal canadien et permet à l’ARC de modifier une déclaration d’impôt si elle juge que le contribuable abuse de bénéfices fiscaux. Unanimement dénoncée pour son incapacité à bien fonctionner, le gouvernement libéral a entrepris des consultations importantes en septembre 2022 pour revoir son fonctionnement.
N’oublions pas non plus l’épouvantable affaire KPMG, qui a certainement joué un rôle dans la prise de conscience au Canada de la perversité des paradis fiscaux
L’Independent Commission for the Reform of International Taxation (ICRICT) offer une lecture critique pertinente et exhaustive du BEPS : https://www.icrict.com/icrict-documentsoecd-submission.
Ces réflexions sont librement inspirées du texte de David Ireland What Marxist Tax Policies Actually look like : https://brill.com/view/journals/hima/27/2/article-p188_6.xml?language=en.
Ainsi que le montre l’économiste progressiste Jim Standford : https://centreforfuturework.ca/2022/10/21/who-wins-who-loses-in-the-fight-against-inflation/.
Statistique Canada, Tableau 36-10-0008-01, calcul de l’auteur
Ainsi que le rappel Franck Jovanovic dans son récent Finance offshore et paradis fiscaux.
Alain Deneault, dans Gouvernance, a porté un coup d’épée essentiel contre le régime délétère de la gouvernance
« En ce monde rien n’est certain, à part la mort et les impôts » disait Benjamin Franklin. C’est sans équivoque pour la mort, mais est-ce le cas pour l’impôt? Brigitte Alepin dans son essai « Ces riches qui ne paient pas d’impôts »1 démontre brillamment que notre système fiscal doit être réformé en profondeur afin qu’il joue son rôle de redistributeur de la richesse.
Une fiscalité changeante dans le temps
L’impôt est une construction sociale; il diffère d’une société à l’autre et d’une époque à l’autre.
D’après l’Encyclopédie canadienne « Il semblerait que le premier impôt prélevé au Canada dont on ait gardé la trace remonte à 1650. En effet, une taxe à l’exportation de 50 % sur les peaux de castor et de 10 % sur les peaux d’orignal a été imposée aux résidents de la Nouvelle-France. »
C’est en pleine première guerre mondiale, en 1917 que la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu a été instauré au Canada; il s’agissait d’un impôt sur le revenu des individus et des sociétés pour soutenir les efforts de guerre. Lors de son instauration, elle s’applique au 1% les plus riches de la population et les taux de taxation varient de 4% à 29%. En 1946 la loi devient Loi de l’impôt sur le revenu et le principe de l’utilisation de l’impôt pour fournir des services à la population se met en place. L’État-providence naît et grandit après la Seconde Guerre mondiale.
En 1954, à la suite de longs pourparlers et négociations avec le gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec de Duplessis lance son fameux « Rendez-nous notre butin » et met en place son propre impôt sur les individus et les entreprises.
Il était courant à cette époque que les taux marginaux sur les hauts revenus soient très élevés. De 1955 à 1971, les paliers d’imposition s’échelonnaient jusqu’à 2,5 millions de revenu en dollars de 2017 et le taux d’impôt marginal2 combiné (fédéral et provincial) pour le dernier palier dépassait 82 %.
D’autres pays riches ont connu des taux d’imposition marginaux similaires. Aux États-Unis les taux d’imposition pour les super riches étaient encore plus élevés 3: « Entre 1951 et 1963, le taux marginal sur le revenu était de 91%, celui sur les successions était de 77% et le taux d’impôts sur les sociétés était autour de 50%. Ces taux d’imposition élevés étaient soutenus par toutes les sensibilités politiques et ont coexisté avec certaines des décennies les plus prospères que nous ayons connues en matière de développement économique ».
La concurrence fiscale : une course vers le bas
Durant les années Reagan-Thatcher, les impôts des riches et des sociétés ont été considérablement réduits. Justification : la théorie du ruissellement (qui s’est avérée complètement fausse) selon laquelle, lorsque les riches s’enrichissent cette richesse « ruisselle » sur toute la population. Ce paradigme s’est étendu partout dans le monde et une course à la réduction des impôts pour les riches et les entreprises s’est généralisée et avec elle des coupures dans les services publics et les programmes sociaux et une augmentation des inégalités.…
L’impôt sur le bénéfice des grandes entreprises a connu une réduction spectaculaire : au fédéral, il est passé en moins de 15 ans de 28% à 15%, au provincial il n’est que de 11,5 % pour un total de 26,5% l’un des plus bas parmi les états comparables.
C’est en 1991 que, pour compenser les réductions successives des impôts sur les hauts revenus et les entreprises, la taxe sur les biens et services (TPS) a été introduite au Canada, suivie par la TVQ au Québec. Ces taxes totalisant 15% indépendamment du revenu de l’individu rendent notre fiscalité moins progressive puisqu’elle pèse moins lourd sur les classes supérieures en proportion de leur revenu que sur les classes moins favorisées.
L’impôt sur le gain en capital qui n’est payé que sur 50% du montant gagné est une autre mesure qui favorise les plus nantis: ce sont eux qui sont les plus susceptibles d’avoir des gains en capital. Aussi, les dividendes perçus par un particulier sont imposés à un niveau nettement inférieur au taux imposé aux salaires ce qui incite plusieurs propriétaires d’entreprises à se verser une rémunération sous forme de dividendes plutôt qu’un salaire et payer ainsi moins d’impôts.
Ajoutons qu’au Canada, contrairement à plusieurs pays de l’OCDE, les grandes fortunes ainsi que les successions ne sont pas taxées. Toutes ces mesures ajoutées à l’évasion fiscale qui à elle seule a fait perdre au Canada plus de 40 milliards de dollars en 2021 font en sorte que l’impôt au Canada et au Québec est beaucoup moins progressif qu’il l’a déjà été. Cette régression du système fiscal prive le gouvernement de milliards de dollars qui auraient pu être utilisés pour établir la justice sociale, donner des services adéquats à la population et lutter contre les problèmes environnementaux.
L’urgence d’instaurer une fiscalité équitable
Ces dernières années, nous avons connu une augmentation éhontée des inégalités, mais depuis le début de la pandémie, les écarts de richesses sont fulgurants. Oxfam rapporte que « Les entreprises des secteurs de l’alimentation et de l’énergie ont plus que doublé leurs bénéfices en 2022, versant 257 milliards de dollars à leurs riches actionnaires, alors que plus de 800 millions de personnes se couchent le ventre vide. Au Québec, les banques alimentaires ont connu une hausse de 20 % des demandes en un an. »
Au-delà des drames humains que créent ces inégalités, elles ont un impact de destruction lente de la démocratie; l’argent c’est le pouvoir et les grandes compagnies et les mieux nantis peuvent, à travers les lobbies exercer des pressions indues sur nos élus afin qu’ils légifèrent en leur faveur.
L’histoire récente nous a montré que la théorie du ruissellement est une chimère et qu’il est possible de taxer les riches et les multinationales plus adéquatement sans provoquer d’effondrement économique.
Les organismes de défense de la justice sociale se mobilisent et proposent des mesures fiscales chiffrées qui redonneraient des milliards dans les coffres publics. La Coalition Échec aux paradis fiscaux effectue un travail d’analyse remarquable sur les paradis fiscaux et propose régulièrement des actions pour lutter contre ce fléau4 . La Coalition Main Rouge dans son document :Pour une société plus juste propose 16 mesures fiscales qui devraient remettre plus de 14 milliards de dollars par année dans les coffres publics. Canadien pour une fiscalité équitable, dans sa plateforme pour l’équité fiscale estime ce retour à 90 milliards de $ pour le Canada.
Un consensus se dessine : taxer de façon plus adéquate les super-riches et les multinationales.
Soulignons quelques-unes des mesures proposées qui pourraient être particulièrement efficaces :
Revenir à une fiscalité plus progressive pour les particuliers.
Au Québec, en 1988, la table d’impôts comprenait encore 16 paliers d’imposition et le taux marginal supérieur était de 38% pour les revenus de plus de 250 000 $ (635,756$ en dollars de 2023). Aujourd’hui on ne retrouve que 4 paliers et le taux marginal supérieur n’est que de 25,7% et s’applique aux revenus au-dessus de 119 910$. Une nette régression.
Augmenter le nombre de paliers d’imposition à 9, augmenter le taux marginal supérieur à 38%, abolir les crédits d’impôt sur les gains en capital et les dividendes, moduler la TVQ et imposer des taxes sur les produits de luxe sont des mesures que La Coalition Main rouge propose et qui rapporteraient au-dessus de 4 milliards de revenus à l’État.
Oxfam appelle les États à relever le taux marginal à 60% pour les 1% les plus riches avec des taux de plus en plus élevés pour les multimillionnaires et les milliardaires.
Imposer la fortune et les successions des super-riches :
La richesse des mieux nantis ne provient pas uniquement de leurs salaires élevés, mais surtout de leur fortune accumulée : successions, comptes bancaires, actions détenues, propriétés, produits de luxe, etc. Selon un rapport de Canadiens pour une fiscalité équitable, le 1% des familles canadiennes les plus riches détiennent environ 26% de la richesse et en 2020, la richesse des 44 plus grands milliardaires du Canada a bondi de plus de 50 milliards de dollars. Ce patrimoine n’est taxé ni au Canada ni au Québec et ne le serait pas plus suite à une modification de la table d’imposition des revenus. Taxer la fortune et les successions serait la façon la plus efficace de rétablir une certaine justice.
Pour le Québec, un impôt de 0,5% sur les avoirs de 5 millions à 25 millions de dollars et de 1% ceux dépassant 25 millions de dollars, rapporterait 4 milliards de dollars par année dans les coffres publics.
Selon les calculs d’Oxfam, « Si le Canada décrétait un impôt supplémentaire sur la fortune de 2 % pour les millionnaires, de 3% pour ceux qui possèdent plus de 50 millions et de 5% pour les milliardaires, cela permettrait d’amasser 49,6 milliards de dollars annuellement. … À l’échelle mondiale, un impôt annuel de 5 % sur la fortune des multimillionnaires et des milliardaires pourraient rapporter 1700 milliards de dollars par an. Cette somme suffirait pour sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté. »
Rétablir un équilibre entre la fiscalité des particuliers et celles des entreprises.
La réduction successive des impôts des entreprises depuis des décennies fait en sorte qu’aujourd’hui, la proportion des impôts payés par les particuliers est plus de trois fois plus élevée que celle payée par les entreprises. Pour ramener l’équilibre, La Coalition Main Rouge propose entre autres d’élever le taux d’imposition des entreprises au Québec à 13% plutôt que 11,9% qu’il est actuellement, d’augmenter les redevances sur les ressources naturelles et de rétablir la taxe sur le capital des institutions financières (abolie en 2011).
Canadien pour une fiscalité équitable considère que le taux d’imposition des entreprises au niveau fédéral devrait passer de 15% à 20%.
Instaurer un impôt sur les superprofits des entreprises accumulés durant la pandémie
Durant la pandémie des centaines de petites entreprises ont dû fermer leur porte et un grand nombre de ménages ont plongé dans la précarité alors que certaines grandes compagnies ont fait des profits faramineux tout en bénéficiant de subventions gouvernementales. Il est temps d’exiger de ces compagnies une contribution fiscale à la hauteur de cet enrichissement démesuré.
António Guterres secrétaire général de l’Organisation des Nations unies a déclaré le 3 août dernier : « J’appelle tous les gouvernements à taxer ces profits excessifs et à utiliser ces fonds pour soutenir les plus vulnérables en ces temps difficiles. »
Une taxe sur les superprofits de l’ordre de 25% est déjà entrée en vigueur dans plusieurs pays de l’UE. Au Canada, un timide « dividende pour la relance » de 15 % est imposé de façon temporaire et uniquement aux groupes de banques et d’assureurs-vie. Il en faudra beaucoup plus pour instaurer une réelle justice sociale.
Au niveau mondial, le système fiscal ne s’est pas adapté à la dynamique de la mondialisation. Il est urgent de concevoir la fiscalité dans un contexte mondial et de baser les relations entre les pays sur la collaboration plutôt que sur la concurrence ; instaurer des taxes globales sur les entreprises et les super-riches, combattre conjointement les paradis fiscaux, introduire une taxe mondiale sur les transactions financières ne sont que quelques-unes des avenues possibles. La taxation internationale de 15% sur les grandes entreprises lancée par l’OCDE en 2021 et qui devrait être mise en œuvre en 2024, a le mérite de reconnaître l’importance des taxes mondiales, mais comporte toutefois d’importantes lacunes5 qui pourraient en définitive rendre la mesure beaucoup moins efficace qu’elle n’apparaît.
L’inégalité n’est pas une fatalité, les mesures à prendre pour la combattre sont connues, mais la volonté politique n’y est pas toujours et le dernier budget du gouvernement du Québec nous le montre clairement …Toutefois, les revendications commencent à être entendues et nous sommes témoins de timides avancées. La persévérance vigilante de la mobilisation citoyenne demeure indispensable pour un véritable changement.
Notes
Brigitte Alepin, Ces riches qui ne paient pas d’impôt. Édition DU MERIDIEN, février 2004
Attention : le taux marginal maximal n’est pas le taux d’impôt payé par les individus, il ne s’applique qu’à la dernière tranche de revenu.
Lire l’article d’Edgar Lopez-Asselin, Campagne « Démasquer, Condamner, Encaisser »: une campagne pour poursuivre la lutte
Voir l’article de Jacques Bouchard : « Paradis fiscaux : Quand l’OCDE continue de dicter les règles », L’aiguillon no 70, mars 2022, https://quebec.attac.org/?paradis-fiscaux-quand-l-ocde.
Pour toute suggestion, commentaire ou questions, veuillez vous adresser à Monique Jeanmartmoniquejeanmart@videotron.ca
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