Sujets à une opposition grandissante de la part d’acteurs sociaux de tous les horizons, les traités de libre-échange continuent néanmoins à apparaître à l’agenda politique de nos gouvernements. L’ouverture des marchés étrangers à nos produits, le contact avec l’Autre, la baisse de prix sur les produits importés ainsi que la multiplication des opportunités d’investissement, n’est-ce pas ce que tout le monde souhaite ? Si personne ne s’oppose à ces grands principes, leur mise en application n’est certainement pas à leur hauteur. Le libre-échange est en effet la manifestation la plus évidente des lacunes des indicateurs que les dogmatiques de la croissance utilisent. Le PIB, par exemple, est très utilisé pour démontrer les bienfaits du libre-échange et plus largement de la croissance. Or, il ne mesure que la création de la richesse, pas les coûts environnementaux, humains, sociaux ou encore politiques de cette croissance.
Notre monde est de plus en plus intégré. Les peuples n’ont jamais eu autant d’opportunités d’échanger et de communiquer entre eux qu’aujourd’hui. Pourtant, alors que les marchandises et les messages traversent de plus en plus facilement nos frontières, celles-ci sont de plus en plus fermées aux personnes. Pourtant, les biens importés de l’international ne sont certainement pas libres de tout soupçon. Au sein de l’UE (Union européenne), l’une des principales craintes envers l’AECG (Accord économique commercial global ) est justement que le Canada inonde le marché européen de produits pour l’instant interdits, tel que la viande aux hormones ou les grains OGM (organisme génétiquement modifié). Car les traités de libre-échange ne s’attaquent plus aux simples tarifs douaniers, mais carrément aux normes réglementaires qui empêchent certains produits d’entrer sur le territoire au nom de la sécurité ou de la santé publique. Or, alors que de plus en plus d’États se lancent dans le commerce international, n’est-ce pas exactement ces normes réglementaires qui permettent de garantir que les produits ne contiennent pas de produits dangereux ou qu’ils ne sont pas issus de modes de production inacceptables? Ce désengagement de nos dirigeants démontre clairement à quel point leur conception de la croissance est biaisée. Au seul nom de la création de richesses, ils sont prêts à mettre la santé et le bien-être de leurs populations à risque tout en encourageant des pratiques commerciales hautement discutables. Mais cela va plus loin. En signant des traités de libre-échange, les gouvernements signifient clairement que leurs industries locales, souvent trop petites pour exporter, peuvent être sacrifiées au nom de la création de richesses par les grandes entreprises, qui elles sont capables d’être concurrentes sur les marchés internationaux.
Mais pourquoi nos dirigeants sont-ils aussi accrocs au libre-échange? Pour maintenir cette croissance constante et exponentielle, les gouvernements sont dépendants des investissements étrangers sur leur territoire pour la développer. Ceux-ci permettent en effet de construire des industries, d’exploiter les ressources naturelles ou encore de vendre des services qui autrement ne pourraient se développer faute de moyens. Cependant, les investisseurs privés sont très craintifs de nature. Ils ne veulent soumettre leur capital à ce qu’ils considèrent être « l’arbitraire du pouvoir » et sont donc toujours à la recherche de moyens de protéger la profitabilité de leurs investissements. Telle est la logique derrière l’un des attributs les plus controversés des traités de libre-échange : les tribunaux de protection des investissements. Si cela peut paraître naturel que les investisseurs cherchent à se protéger, cela cache aussi une réalité des plus pernicieuse. En effet, il arrive que les gouvernements doivent bloquer ces investissements étrangers pour des raisons légitimes, telles que la protection de l’environnement ou des services publics, ou encore pour préserver un secteur clé de l’influence étrangère. Or, les tribunaux créés par les traités de libre-échange, sollicités par les entreprises, peuvent punir financièrement les États pour avoir nuit à la profitabilité d’un investissement. Pourtant, la majorité des États dans le monde sont déjà dotés d’un système de protection des droits commerciaux face aux décisions gouvernementales : les tribunaux publics. Pourquoi donc les défenseurs du libre-échange considèrent-ils nécessaire de créer une seconde structure, privée, afin de protéger les investissements étrangers? N’ont-ils pas confiance que le pouvoir judiciaire, justement séparé des pouvoirs exécutifs et législatifs afin qu’il conserve son indépendance, puisse remplir ce rôle?
Ces tribunaux donnent encore plus de pouvoir aux entreprises étrangères, qui peuvent faire du forum shopping afin d’augmenter leurs chances d’avoir gain de cause. De plus, les coûts très onéreux de ces longues procédures ainsi que les peines imposées peuvent aussi servir à intimider les États, qui peuvent ne pas avoir les moyens de se défendre adéquatement ou de payer les dédommagements en cas de défaite. Ces tribunaux mettent donc à mal la souveraineté législative et réglementaire des États au nom de la croissance économique, pouvant aller jusqu’à empêcher ces derniers d’agir en fonction des intérêts de la population ou de leur territoire.
Le commerce international sous l’égide du libre-échange est aussi très dommageable pour l’environnement. Il existe un concept économique très utile pour le comprendre. Une externalité est tout ce qui est causé par la production d’un bien, mais qui n’est pas inclus dans son prix de vente. Par exemple, si l’on nous vante généralement à quel point le libre-échange permet de faire baisser les prix, c’est parce que l’on ne tient pas compte des ressources gaspillées dans le transport des produits, ni de la pollution engendrée par la production de ces biens ou par l’extraction des ressources nécessaires à leur production. Il s’agit là de l’un des plus gros problèmes liés au libre-échange. Dans un système d’échanges totalement libéralisé, comment peut-on espérer que les États soient en mesure de lutter contre les changements climatiques tout en continuant d’être compétitifs sur la scène économique internationale? Alors que la pression se fait de plus en plus forte pour que la lutte aux changements climatiques soit la priorité de la communauté internationale, comment expliquer que le libre-échange ne soit toujours pas soumis à des conditions environnementales strictes?
Le régime du libre-échange est avant tout un hymne à la croissance. Au sein de ces accords, presque tout est à sacrifier à l’autel du PIB et des initiatives privées de développement économique. Si nous avons réellement le bien-être de la planète et de ceux et celles qui y vivent à cœur, il est grand temps de remettre en question ce régime rigide et dépassé afin de prioriser ce qui nécessite une réelle croissance, soit nos forêts, notre bien-être collectif et notre capacité à produire localement et éthiquement. Si les tenants du libre-échange tiennent vraiment à la croissance, peut-être est-il temps qu’ils en revoient la définition. Le monde ne s’en porterait que mieux.
Benjamin Aucuit termine présentement un baccalauréat en relations internationales et en droit international à l’UQAM. Stagiaire à Attac, il s’intéresse à la question du libre échange en participant à des campagnes d’éducation populaire, de mobilisation et de contre-argumentation.
Les commentaires sont fermés.