«Le climat de la planète s’approche du point de rupture». Telles sont les manchettes en octobre 2018 qui traversent la planète. Malgré le caractère dramatique et urgent de cet appel, la mobilisation citoyenne demeure mitigée. «On croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel».1 «La menace est trop grande. Ça nous dépasse. On n’arrive pas à concevoir que la Terre ne sera plus habitable. C’est un non-sens pour notre conscience.»2
De nombreux groupes de personnes militent pourtant. Se posent des questions, essaient de trouver des alternatives, de créer des modèles de vivre-ensemble qui seraient moins menaçants pour notre terre. Il y a ceux qui s’opposent farouchement à l’extractivisme, aux oléoducs, à la déforestation, ceux qui prônent la décroissance, ceux qui dénoncent les multinationales et les vicissitudes des traités de libre-échanges, etc. Il y a aussi des citoyens qui, à l’intérieur de leur vie quotidienne, tentent d’apprivoiser une nouvelle façon de vivre : ils s’abonnent aux «paniers bios», à l’autopartage, ils visent le «Zéro-déchets», s’initient à l’agriculture potagère sans pesticide, diminuent leur consommation de viande, leurs déplacements en avion, etc.
Et plusieurs, parmi ces citoyens éveillés, participent à des colloques dans l’espoir de trouver avec d’autres des nouvelles pistes de solutions.
Préparer la société à l’après-capitalisme?
La conférence «La Grande Transition» rassemblait 300 intervenants de 12 pays répartis dans plus de 120 ateliers, dans le centre-ville de Montréal. Le titre de l’événement était prometteur et rassembleur. Nous étions nombreux à être intéressés par «La Grande Transition» proposée par les Nouveaux cahiers du Socialisme et Historical Materialism.
Le terme «transition» est très à la mode actuellement. On peut relever au moins une centaine d’organismes de toutes sortes et d’idéologies différentes qui ont mis ce mot en évidence dans leur appellation, sans mentionner les nombreux colloques. Tous en transition, mais pas nécessairement la même pour tous! Pourtant, la transition c’est tout simplement le mouvement d’un état à un autre. Être en transition fait partie d’un processus normal et universel. Mais plus l’évolution menace l’humain, plus elle inquiète et plus on veut la nommer et la qualifier, – écologique, énergétique, environnementale, économique, politique, etc.- Mais en fait, le qualificatif qui la décrit le mieux n’est-il pas «obligée»? Tous les êtres vivants sur terre ne sont-ils pas en transition forcée?
Dans ce colloque dit de «La Grande Transition», de nombreux penseurs et chercheurs se sont succédé sur les panels, avec une vision critique et pertinente de notre système néolibéral. Cela fait plus d’un siècle que le capitalisme est dénoncé et ceci bien avant les urgences climatiques. Avec ces nouvelles données, on le rend – à juste titre – responsable de la dégradation de notre habitat à l’échelle mondiale. Mais ce cadre analytique – même en évolution – diminue-t-il ou accroît-il le sentiment d’impuissance face à l’ampleur de la tâche?
Un des objectifs de ces rencontres était de créer un lieu de réflexions et d’échanges entre chercheurs-penseurs et citoyens « engagés » pour tenter d’élaborer des alternatives et des stratégies concrètes et mobilisatrices. Objectif atteint lors de ce colloque? Pas nécessairement! Mais ça n’est ni la faute des organisateurs, des panélistes et des participants. Cette difficulté à mettre en commun est peut-être due à la diversité et à la fragmentation des visions : entre le concept des « petits pas » et celle d’un changement de paradigme, il y a toute une série de possibles ou d’impossibles.
Pourtant, que l’on soit chercheur et/ou penseur, militant actif et/ou citoyen éveillé, devant l’urgence actuelle, un dénominateur commun devrait nous réunir : accaparer le plus possible l’espace public. «Il faut (…) concevoir plein de petits points, un peu partout dans la société, qui se rejoignent à mesure qu’ils prennent de la puissance». 3
Une fabrique d’idées: Virage 4
Sainte-Rose du Nord est l’un des plus beaux villages du Québec. C’est dans un grand champ dominant le magnifique fjord du Saguenay qu’est né «Virage, fabrique d’idées» il y a 4 ans. Quatre personnes inspirées (entourées et soutenues par plusieurs) ont créé une petite cité tout à fait conviviale pour y accueillir 500 personnes le temps d’un long week-end.
De la route nous apercevons déjà une centaine de petites tentes colorées qui éclairent un paysage déjà lumineux. Sur le site, il y a tout le nécessaire pour réfléchir, se nourrir et festoyer. : 3 espaces protégés de la pluie et/ou du soleil pour les panels et les discussions, une cuisine de produits bios et locaux, un bar bien garni de bières du Québec, de grandes tables conviviales et,- surprise!- une scène pour les spectacles. Sans oublier un espace de jeux et de création pour les enfants. Un site fonctionnel aménagé avec peu de moyens financiers, mais avec beaucoup d’imagination. Et de respect, de soin pour cet habitat naturel.
Un cadre bien différent des colloques habituels! Une ambiance qui peut rappeler à certains moments un festival tout droit descendu des années 70, mais des participants engagés dans un processus de réflexion collective et dans une expérience de vivre ensemble. On discute sérieusement de décroissance, de démondialisation et d’énergies alternatives, mais plusieurs aspects de la vie quotidienne font partie intégrante du festival. Il y a de la place pour les émotions, la musique, les rencontres et les discussions informelles.
Faire partie des communs?
Oui, le festival Virage qui nous convie à une transition festive, est une initiative très inspirante.
Mais après 4 jours, il faut tout démanteler. Pourrait-on prolonger ce projet tout un été? Plusieurs étés? En faire un lieu incontournable de fabrique et de brassage d’idées? Un lieu pris en charge par différentes cohortes de participants? Et – rêve fou? – qu’il devienne un «communs» (bulletin d’Attac juin 2018)
À l’instar de Bâtiment 7 (bulletin d’Attac, avril 2018), il y a dans l’initiative Virage de nombreux éléments permettant de rêver qu’elle puisse faire partie des communs : il y a, d’abord et avant tout, une ressource gérée par une communauté formée des organisateurs, de ceux qui l’aménagent et de ceux qui y participent. Cette communauté partage des valeurs non-consuméristes et de protection de l’habitat, et créée nécessairement un champ magnétique d’énergie sociale.
Virage à contresens
La plénière du dimanche après-midi oblige un virage en U! Le site magnifique investi depuis 4 années ne sera plus disponible. Non à cause des propriétaires (qui font partie du collectif organisateur), mais à cause d’un règlement relié au zonage agricole. La visite récente d’un fonctionnaire semble avoir réduit à néant les velléités de poursuite du festival dans ce champ, destiné, semble-t-il exclusivement à la culture du foin. Faut-il y voir un processus d’accaparement d’une ressource collective au profit de quelques personnes? Un geste de répression devant une initiative qui pourrait être menaçante parce que hors des sentiers battus? Ou tout simplement l’obligation d’appliquer un règlement?
Peut-être toutes ces réponses! Mais qu’importe l’analyse qu’on puisse faire de cette interdiction, la baisse de l’énergie collective est palpable. Plusieurs tentent des suggestions de remplacement. D’autres veulent investiguer les solutions juridiques. Dans le respect de l’autorité. Fin de ce festival de transition festive? Peut-être pas, mais fin certaine de ce «communs». Le site sur lequel il s’est bâti constitue un élément essentiel au même titre que l’énergie créatrice du collectif fondateur. C’est l’amalgame qui a donné naissance à la ressource et lui a permis d’évoluer jusqu’à maintenant.
Il faudrait beaucoup de motivation, de temps et d’énergie pour persévérer! Les bâtisseurs du Bâtiment 7 ont lutté plus de 10 ans pour inventer et sauvegarder la ressource telle que nous la connaissons aujourd’hui. Et ils avaient, surtout, une tradition de luttes communes. Ces quelques initiatives ne peuvent à elle seules éloigner ou même retarder les menaces reliées à l’accélération du réchauffement climatique. Mais elles témoignent, à leur façon, que d’autres modèles de vie et de développement peuvent exister.
Que retenir de ces colloques? Que la transition est une idée floue que tout le monde s’approprie à sa façon? Qu’il ne semble pas y avoir beaucoup d’espaces libres de droit où expérimenter des nouvelles façons de vivre? Que souvent ceux qui ressentent l’urgence d’agir n’ont de pouvoir que dans les «petits pas»? Et que ceux qui ont le pouvoir des « grands pas » accélèrent la catastrophe?
Quelles que soient les limites de ces rencontres, de ces colloques, de ces conférences, elles connectent ensemble des petits points isolés: «ceux qui bloquent les mines et font chuter le cours des actions des multinationales, ceux qui réinventent des communs – du mouvement de la transition aux zones à défendre. Une autre fin du monde est-elle possible?» 5
Notes
- Louis Hamelin, Camus et les changements climatiques in Le Devoir, 6 octobre 2018, https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/538380/camus-et-les-changements-
- Stéphane Laporte, La terre n’est pas un RBNB, in La Presse +, 27 octobre 2018, http://plus.lapresse.ca/screens/d710b39d-6fe7-40e2-82f9-
- Nicolas Langelier, Le peuple conscient, in Nouveau Projet, no 14, https://edition.atelier10.ca/nouveau-projet/magazine/nouveau-projet-14/le-peuple-conscient
- Virage, fabrique d’idées, 28 juin au 1er juillet 2018, http://festivalvirage.ca/[4] >
- Jean Gadrey, Faut-il être anticapitaliste pour sauver la planète?, in Alternatives économiques, 16 octobre 2018, https://blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey/2018/10/16/lordon-casaux-ziegler-etc-faut-il-etre-anticapitaliste-pour-sauver-la-planete
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