En octobre dernier, nous avions produit une analyse de la conjoncture politique et économique ayant mené à la proposition sur l’entente intervenue à l’OCDE portant sur la création d’un impôt minimal de 15 % et proposant une lecture critique de cette entente. Cette analyse est toujours disponible sur notre plateforme numérique.
Au moment où le gouvernement fédéral vient d’annoncer, dans le cadre des mandats dévolus à la vice-première ministre et ministre des Finances, de collaborer à la mise en place de cette entente tout en lui demandant de déposer un projet de loi sur la mise en œuvre d’une taxe numérique en …2024 si le traité n’entrait pas en vigueur. Il nous apparaît opportun de repréciser quelques éléments de ladite entente et de revenir sur les réserves que nous avons identifiées avoir face à celle-ci.
Une entente à 2 piliers
Pilier 1 : Révision des règles relatives au lien et à la répartition des bénéfices
En quelques mots, cette disposition élargirait le concept de présence imposable qui s’appliquerait non seulement aux entreprises ayant une présence physique dans une juridiction, mais également à celles qui génèrent des revenus par le biais du web (p. ex., ventes en ligne, diffusion en continu de contenu numérique, jeux, etc.) ou par l’échange de certains types d’actifs incorporels par ex. renseignements sur les clients provenant de données. Autrement dit, une partie des recettes fiscales sera versée dans les pays où les multinationales auront réalisé leurs profits sans égard à la localisation des sièges sociaux.
Pilier 2 : Proposition visant à lutter contre l’érosion de la base d’imposition à l’échelle mondiale
Les recommandations dans le second volet viendraient permettre aux pays de fixer un seuil minimal d’imposition sur les profits réalisés à l’étranger, ce qui n’a jamais été appliqué à aucun moment de notre histoire.
Par ces dispositions, une transnationale qui réussit à payer, par exemple, un taux d’imposition compris entre zéro et 3 % par l’intermédiaire des paradis fiscaux devra payer la différence entre ce taux de 3 % et le taux minimum de 15 %, fixé par la proposition soumise par le G-7. La mesure ne s’appliquera que pour les multinationales réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 866 millions de dollars canadiens. Les bénéfices seraient assujettis à ce taux d’imposition minimum, qu’ils soient réalisés par la société mère dans sa juridiction, par une société étrangère contrôlée ou par une succursale étrangère.
Oui, mais…
Certes, la proposition du G-7 peut être accueillie favorablement, répondant enfin à une demande que les organisations préoccupées par la justice fiscale ont répétée depuis des années. Celle-ci demeure à haut risque et largement insuffisante.
De plus, il est important de se rappeler que le Pilier 1 ne touche qu’une centaine de transnationales, sur les 8000 répertoriées qui ont un chiffre d’affaires consolidé de plus de 20 milliards de dollars. De plus, un pays n’aurait accès à la nouvelle répartition des droits d’imposition qu’en supprimant toutes les taxes existantes sur les entreprises technologiques. La très grande majorité des entreprises concernées seraient américaines.
Pour le Pilier 2, il faudra voir les détails de l’entente et comment se traduiront les règles qui seront adoptées et mises en place. De plus, dès l’annonce du G-7, Londres faisait part de son intention de mettre la City de Londres à l’abri des nouvelles règles. Il est utile aussi de rappeler que les discussions qui étaient en cours sur ce sujet à l’OCDE prévoyaient déjà des exceptions pour les secteurs des mines, du transport aérien et maritime… et pour le secteur financier.
Selon l’évaluation de l’ICRIT – la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises – l’accord ne générera que 150 milliards de dollars de recettes fiscales au lieu de 500 milliards avec un taux effectif de 25 % qu’elle préconisait.
Permis de frauder. C’est en ces termes que Thomas Piketty, dans le journal Le Monde du 12 juin dernier, réagissait au faible taux de 15 % effectif proposé par le G-20?? : « En actant le fait que les multinationales pourront continuer de localiser à loisir leurs profits dans les paradis fiscaux, avec comme seule imposition un taux de 15 %, le G-7 officialise l’entrée dans un monde où les oligarques paient structurellement moins d’impôts que le reste de la population » et d’ajouter «Si l’on en reste là, il s’agit ni plus ni moins de l’officialisation d’un véritable permis de frauder pour les acteurs les plus puissants. Pour les petites et moyennes entreprises comme pour les classes populaires et moyennes, il est impossible de créer une filiale pour délocaliser ses profits ou ses revenus dans un paradis fiscal. Pour tous ces contribuables, il n’existe pas d’autre choix que de payer l’impôt de droit commun. Or, si l’on additionne l’impôt sur le revenu et les bénéfices et les prélèvements sociaux, les salariés comme les indépendants petits et moyens se retrouvent à payer dans tous les pays du G-7 des taux nettement supérieurs à 15 % : au moins 20 %-30 %, et souvent 40-50 %, voire davantage. »
Les pays de l’OCDE qui établissent les règles sont responsables de la majorité des pertes fiscales mondiales sur les sociétés.
Faut-il être surpris, de ces piètres résultats sachant que plus des deux tiers des risques d’abus à l’impôt sur les sociétés dans le monde étaient imputables aux membres de l’OCDE, ceux-là mêmes qui édictent les règles fiscales internationales depuis 60 ans, selon l’Indice des paradis fiscaux pour les sociétés 2021 du Tax Justice Network
Revoir nos modèles fiscaux planétaires
Ces piètres résultats amènent Tax Justice Network, à proposer de confier désormais la définition des règles fiscales internationales aux Nations Unies. En ce sens, l’organisation rejoint le Groupe de haut niveau sur la responsabilité, la transparence et l’intégrité financières internationales pour atteindre les objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030 (Groupe FACTI) qui invite les gouvernements à adopter un Pacte global sur l’intégrité financière pour un développement durable.
Dans son rapport intitulé L’intégrité financière pour un développement durable, en février 2021, le Groupe FACTI soulignait le besoin de lois plus sévères et d’institutions plus robustes pour prévenir la corruption et le blanchiment d’argent et en appelle à la fin de l’impunité pour les banquiers, avocats et experts-comptables qui rendent possible ces crimes financiers.
Pour en savoir plus…
Un impôt minimal de 15% pour les firmes transnationales : une bonne ou une mauvaise idée ? – Attac Québec Lettre de mandat de la vice-première ministre et ministre des Finances (pm.gc.ca)
Aperçu des règles de l’impôt minimum global (usherbrooke.ca)
State_of_Tax_Justice_Report_2021_FRENCH.pdf (taxjustice.net)
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