L'Aiguillon, le bulletin d'ATTAC En finir avec le déni

En finir avec le déni

Bulletin no 65 - Octobre 2020
La COVID-19 frappe pour la 2e fois. Et si elle transforme nos vies, elle est aussi l’occasion d’importantes prises de conscience. Le billet rappelle que face aux défis que posent les changements climatiques nous n’allons pas dans la bonne direction. L’action individuelle, si elle est indispensable, ne suffira pas pour sauver la planète. Reconstruire les solidarités et gagner l’adhésion de tous est indispensable pour forcer les gouvernements à sortir du déni. L’article de Claude Vaillancourt analyse le projet de loi 66 présenté par la CAQ et qui se base sur le Keynésianisme pour stimuler la relance de l’économie. L’auteur montre que les mêmes principes ne peuvent plus s’appliquer dans le contexte de l’économie mondiale actuelle. Mais surtout, que la nouvelle société qui en a résulté est celle qui a accéléré et précipité les changements climatiques qui sont l’enjeu primordial actuel. Réussir la relance demande de ne rien précipiter, mais surtout de procéder par concertation. Pour Jacques Bouchard et Samuel Élie Lesage le projet de loi 66 propose des aménagements par rapport au projet 61 décrié par l’opposition, mais au final il s’appuie sur une même vision de la relance : investir dans le béton. Ses choix sont clairs : pas ou peu de considération de l’humain et mettre l’économie au service des promoteurs. Rien dans ces projets d’infrastructures qui rappellent les défis environnementaux actuels. Jacques Bouchard, en analysant le discours du Trône du gouvernement fédéral, montre que si la préoccupation pour l’environnement y est exprimée clairement on n’y retrouve pas de changement de cap réel. Si l’objectif est de « verdir » l’économie canadienne, la volonté affirmée du maintien du mode de vie des Canadiens, de la quête de la croissance, et surtout la défense et le financement des énergies fossiles en montre l’inanité. En ce qui concerne l’environnement, ce discours est un autre rendez-vous manqué.

Table des matières

LE BILLET DU CA

En finir avec le déni

par Monique Jeanmart
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La crise de la COVID-19 a transformé nos vies. Elle est aussi l’occasion – inespérée – d’une prise de conscience, et si nous écoutons les scientifiques ce n’est rien à côté de ce qui nous attend si nous n’agissons pas contre les changements climatiques qui se manifestent partout sur la planète.

En même temps, force est de constater que nous n’allons pas dans la bonne direction. Malgré les signes visibles de la détérioration du climat, nous continuons à vouloir croire « au développement durable », «au capitalisme vert », à une croissance contrôlée qui n’aurait pas de conséquences négatives. À croire qu’on « peut changer le monde un geste à la fois », que nos petits gestes individuels, nos manifestations sans suite et l’interdiction du plastic à usage unique vont nous éviter les remises en question indispensables face à nos modes de consommation, nos modes de vie, mais surtout mettre sur pause le capitaliste destructeur dont ils originent. Il faut le reconnaitre l’action individuelle ne suffira pas, pas plus que les conférences internationales. billet_red.jpg

Il est temps de sortir du déni et d’agir pour exiger de nos gouvernements une action concertée et audacieuse en vue du changement de cap inévitable pour que survive l’humanité. La pandémie n’est pas la fin du monde, mais elle a réussi l’impensable mettre sur pause le capitalisme destructeur. Elle a surtout montré qu’il est possible de prendre des décisions rapides et audacieuses basées sur la science. Elle pourrait être l’occasion de repartir sur de nouvelles bases pour réinventer le monde. C’est à partir de ce regard que les auteurs des articles de ce bulletin ont regardé ce que nous proposent nos gouvernements. Le constat est triste : au Québec, c’est « plus de béton et le salut par les entrepreneurs ». Pour le gouvernement Legault, l’urgence climatique devient « l’urgence pragmatique ». Au fédéral, de belles promesses d’une société « plus verte » en même temps qu’on continue à défendre, à promouvoir et à financer les énergies fossiles et les pipelines.

Comment gagner l’adhésion de tous aux transformations radicales de nos modes de vie qui s’imposeront, comment construire l’indispensable solidarité qui les rendra possibles et qui forcera les gouvernements à sortir du déni où ils se terrent ? À l’heure du « ma liberté tant pis pour le bien commun » ce sera la première marche de l’échelle qu’il nous faudra franchir. Je n’ai pas de réponse, mais je sais que ça commence par là.

La relance selon la CAQ
Le keynésianisme aveugle

par Claude Vaillancourt
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Après que soit mort et enterré le projet de loi 61 sur la relance économique, voici que réapparait sa nouvelle mouture, la loi 66. Le gouvernement du Québec nous annonce une version plus digeste que la précédente, à l’écoute des critiques qui lui ont été adressées. Mais cet autre projet, loin d’être un véritable mea culpa, nous mène vers une relance guidée par une vision plutôt similaire de l’économie.

Le projet de loi 61, présenté par le gouvernement Legault au printemps dernier, en a déconcerté plusieurs. Selon ce projet, il fallait relancer l’économie dans la plus grande précipitation, en construisant tout ce qu’on pouvait construire : écoles, routes, Maison des aînés, hôpitaux, transports collectifs, etc. Pour y arriver, on était prêt à éliminer les barrières qui permettent pourtant que les opérations se passent bien. La lutte contre la corruption et la protection de l’environnement, entre autres, devenaient secondaires.

Heureusement, tout ne s’est pas passé ainsi. Une commission parlementaire sur le sujet et un travail solide de l’opposition ont forcé le gouvernement à corriger le projet de loi, puis à le retirer. Mais le gouvernement Legault ne semble pas avoir retenu la leçon. En juillet dernier, il annonçait déjà qu’il ne se gênerait pas pour avoir recours au baîllon si on l’empêchait à nouveau de réaliser au plus vite ses grands projets. C’est donc un gouvernement sans grands remords qui nous lance une nouvelle version d’un projet de loi honni. Voudra-t-il le faire adopter avec une même tendance à limiter les débats?

Une recette en apparence éprouvée

La CAQ peut s’appuyer sur un important précédent historique pour justifier sa démarche. Rappelons-nous le populaire New Deal du président Roosevelt. Devant les ravages de la Grande Dépression, l’économie étatsunienne avait cherché à se relancer par des investissements étatiques massifs. Cette politique s’est généralisée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que le keynésianisme, adopté dans la plupart des pays occidentaux, a encouragé les gouvernements à financer un nombre incalculable de projets publics d’une grande utilité et qui ont transformé la société. Les succès de cette période marquée par trente années de croissance, les Trente Glorieuses, sont peut-être venus à l’esprit de l’équipe de François Legault lorsqu’elle a conçu le projet de loi 61, puis la loi 66.

Au premier abord, on pourrait y voir une importante rupture avec les choix économiques des gouvernements du Québec de ces dernières années, plus spécifiquement avec le néolibéralisme triomphant. Après une trop longue période d’austérité budgétaire, on devrait se réjouir de voir un gouvernement se lancer dans la construction d’infrastructures dont profiteront l’ensemble des Québécois.e.s.

Le hic, c’est que les Trente Glorieuses sont loin derrière nous et qu’avec les transformations du monde survenues depuis, il est impensable de revenir sans y penser sérieusement aux politiques adoptées à l’époque. Les préoccupations environnementales existaient à peine et les grands investissements ont beaucoup profité à l’industrie automobile, favorisant un mode de vie axé sur l’usage systématique de la voiture personnelle.

D’autre part, François Legault ne semblait pas très préoccupé par le fait que cette expansion économique s’est aussi accomplie dans un contexte de réglementation plus sévère (entre autres du secteur de la finance). Le nouveau projet offre heureusement un meilleur encadrement, bien imparfait toutefois: ainsi, certains travaux pourront commencer avant d’obtenir une autorisation ministérielle ou municipale. Mais surtout, le New Deal a été permis par une forte hausse de la progressivité des impôts, alors que le président Roosevelt a haussé le taux marginal d’imposition — touchant les ultra-riches — jusqu’à 91%. Rien de tel ne semble se trouver, de près ou de loin, dans les cartons de la CAQ. De plus, la phobie des déficits et l’interdiction d’en faire pour les municipalités contredisent la théorie de Keynes pour lequel les années de vaches grasses compensent pour les années de vaches maigres.

La conversion des caquistes au keynésianisme n’a rien de naturel, eux qui dans l’opposition, jugeaient qu’on n’allait jamais assez loin dans le «dégraissage» de l’État et dans la liberté accordée aux entreprises. Elle leur a en quelque sorte été imposée, au moment où la COVID-19 montrait à quel point des années de compressions budgétaires nous avaient mal préparés à cette épidémie.

Caquistes et libéraux, des différences circonstancielles

Le projet de loi 61 était à la fois un fouillis et un tour de force, cherchant à réconcilier l’irréconciliable : le désir de relancer à tout prix l’économie, le besoin d’offrir des services publics efficaces, la volonté ferme d’en faire plus pour les entrepreneurs, la demande de la population de préserver de bonnes infrastructures étatiques. Sa seconde mouture est plus présentable, mieux ordonnée, mais répond aux mêmes principes. L’impopularité des libéraux pendant les années du gouvernement Couillard a forcé la CAQ à sortir de ses ornières : l’austérité budgétaire, en laquelle elle avait vraiment cru, n’est plus vraiment applicable. Mais il fallait trouver un autre moyen de relancer l’entreprise. Rien de tel alors que de bons contrats publics qui tombent comme une manne. Ce qui ramène par ailleurs la CAQ à un fondement de l’idéologie néolibérale, comme un retour au bercail : cette vision de l’État comme généreux pourvoyeur de contrats à l’entreprise privée.

La COVID-19 a permis à la CAQ de se distinguer du gouvernement Couillard d’une façon inattendue. Alors que l’ex-premier ministre était un pur idéologue néolibéral qui appliquait le dogme avec une foi peu commune, la CAQ joue à fond la carte du pragmatisme. Le premier ministre se veut un homme de terrain, à l’écoute des gens, qui ne se prend pas dans le piège des idées abstraites, mais se laisse guider par les intérêts immédiats des Québécois.e.s. Le projet de loi 61 a cependant fait tomber le masque et ramené la CAQ à ce qu’elle est fondamentalement : un parti d’entrepreneurs. climat_redimensionne.jpgSous le prétexte de relancer l’économie dans une situation d’urgence, alors que plusieurs secteurs battent véritablement de l’aile, le gouvernement Legault choisit de délier la bourse sans offrir le moindre projet de société, en ne voyant que les effets d’une relance dopée et immédiate. Il lui faut de la relance à tout prix, des projets de construction essentiellement, 181 projets accélérés (beaucoup de Maisons des aînés, très rentables sur le plan électoral), construire pour construire sans penser au reste, sans réfléchir sur ce qu’il est bon de prioriser comme investissements publics en temps de crise. Sa défense à tout prix du projet d’oléoduc GNL Québec se situe dans la même veine : réanimer l’économie par un productivisme dont on n’examine pas les conséquences.

L’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne a ouvert les marchés publics du Québec aux grandes entreprises transnationales européennes. Par leur capacité de réaliser d’importantes économies d’échelle et par leur place dominante sur le marché, elles se trouvent dans une position idéale pour soutirer le plus grand nombre de contrats, surtout si la règle du plus bas soumissionnaire continue à être appliquée. Cette relance par des investissements publics pourrait alors profiter en grande partie à des multinationales étrangères, alors que les petites entreprises québécoises se retrouveront dès le départ désavantagées, ou réduites à un rôle ingrat de sous-traitants. Certains critiques du projet de loi 61 ont soutenu que la négociation de contrats de gré à gré avec des entrepreneurs, sans la règle du plus bas soumissionnaire, favoriserait à nouveau la corruption. On voit ici à quel point cette règle peut être une arme à double tranchant : elle devient utile dans le cas où les contrats sont attribués sans transparence (mais avec quels résultats vraiment positifs pour la population, à risquer de choisir la pire qualité?); mais elle doit être éliminée dans le cas contraire, alors que les contrats publics sont accordés en garantissant la qualité des produits et services, ainsi que des effets positifs sur l’économie locale et sur l’environnement.

Ne rien précipiter

La précipitation du gouvernement Legault pourrait affecter la transition écologique, essentielle pour combattre le réchauffement climatique et assurer une meilleure qualité de vie à la population. Pour que celle-ci soit efficacement réalisée, il faut une grande concertation entre les élus, la population, les gens d’affaires, les experts et les environnementalistes. Les processus de consultation demeurent incontournables, de même que les études d’impact sur l’environnement. Tout ceci nécessite du temps.

De prime abord, il en résulterait des pertes financières au sens strict : une relance au ralenti ne sera pas le choc électrique miraculeux souhaité par la CAQ et la reprise ne s’effectuera pas à la même vitesse. Par contre, l’occasion serait bonne, en cette période favorable à l’idée même d’investissements publics, d’entreprendre un virage significatif, beaucoup plus rentable à long terme.

Les idées pour effectuer la transition écologique ne manquent pas et notre gouvernement aurait d’excellentes balises pour se lancer dans un projet de société stimulant qui transformerait le Québec de façon significative. Pourquoi les nouvelles écoles, hôpitaux, Maisons des ainés, CHSLD ne seraient-ils pas des modèles d’économie d’énergie et de durabilité? N’est-il pas mieux parfois de rénover plutôt que de construire, notamment en ce qui concerne les écoles? Pourquoi les contrats publics ne favoriseraient-ils pas les entreprises les plus écologiquement responsables? Les projets d’infrastructures routières sélectionnés dans la loi 66 sont-ils ceux dont nous avons vraiment besoin? Plutôt qu’affaiblir les mécanismes démocratiques et les vérifications environnementales dans l’instauration des projets en vue d’une accélération de leur mise en place, ne serait-il pas préférable de les renforcer?

Il semble clair que François Legault et son équipe ne se posent pas vraiment ces questions.

Projet de loi 66 – Quand le retour à «l’anormal» devient une solution

par Jacques Bouchard, Samuel Élie Lesage
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Le projet de loi 66 (Pl 66) qui vient d’être présenté par le gouvernement de la CAQ, diffère énormément du projet de loi 61 (Pl 61), lequel avait été fortement contesté au printemps dernier quant au respect des principes démocratiques, à l’absence de limite à l’état d’urgence et aux allègements des règles environnementales.

Il faut le souligner : la mobilisation des différents groupes de la société civile et de la population du Québec aura permis de construire une opposition efficace et suffisante pour faire reculer le gouvernement sur le Pl 61. En soi, ce n’est pas une mince victoire.

Du point de vue global, le Pl 66 est très transparent quant à la vision de la relance souhaitée par le gouvernement: le béton. Pour ce faire, il propose l’accélération de projets de construction ou d’agrandissement d’infrastructures publiques (comme des écoles, des établissements de soins, les fameuses Maisons des aînés, des autoroute_super_redimentionne.jpgautoroutes et des infrastructures de transport en commun, notamment le Réseau express métropolitain (REM) et le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal) en abolissant plusieurs processus administratifs qui auraient le tort de «ralentir» les projets par le biais de «mesures d’accélération». Au nombre de quatre, chacune de ces mesures vise à réduire les délais et dispose de conditions précises pour être enclenchée. On pourra donc accélérer les expropriations, faciliter l’occupation des biens de l’État, accélérer des processus relevant de l’aménagement et de l’urbanisme, et surtout, alléger les protections environnementales et accélérer les évaluations des impacts des projets sur l’environnement.

Sur cette dernière mesure d’accélération, soulevons que le Pl 66 propose des aménagements majeurs. Même si les obligations de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) sont maintenues, obtenir les permis et les autorisations ne sera plus un préalable aux travaux. Le gouvernement opèrera des évaluations pendant que les travaux se déroulent.

Il est opportun de s’interroger sur la capacité de l’Autorité des marchés publics (AMP) qui se verra confier le mandat d’examiner le processus d’adjudication ou d’attribution des contrats publics qui découlent d’un projet d’infrastructure lorsque l’organisme public concerné n’apparaît pas agir en conformité avec le cadre normatif. Il s’agit d’une bonne initiative que de confier la responsabilité de surveillance des chantiers accélérés à un organisme indépendant, mais l’AMP est très récente et les nouveaux pouvoirs conférés par le Pl. 66 restent limités.

Nous avons souligné que l’accent de la relance est mis sur les infrastructures. C’est bien, surtout lorsque l’on vise le développement du transport collectif afin de proposer une alternative pour les déplacements. On veut bien comprendre que, pour des raisons électoralistes et peut-être pour faire oublier sa très mauvaise gestion de la pandémie dans les CHSLD, le gouvernement de la CAQ choisit de privilégier la construction des Maisons des ainés.

Nous aurions pu privilégier l’humain

Mais la piètre performance du Québec dans la gestion de la pandémie et la situation extrêmement difficile vécue par les personnes ainées devraient nous amener à revoir fondamentalement nos pratiques et à développer un projet social permettant aux personnes plus âgées et aux plus vulnérables de recevoir des soins dignes et complets, avec le soutien humain et technologique nécessaire, et à domicile, autant que possible. Et parce que le soutien à domicile est beaucoup moins couteux qu’une maison de retraite, nous contestons le choix d’investir uniquement dans ce genre d’établissements. Il faut souligner l’intense pression à laquelle le personnel a étéange_encore_redim.jpg soumis après les années d’horreur de la gestion libérale sous l’ère de Gaétan Barrette : la pandémie nous aura montré que notre système de santé est très fragile et opère sous des conditions proches de l’exploitation pour les travailleurs et les travailleuses qui y œuvrent. Or, il est indécent qu’on parle des anges gardiens d’une part et qu’on ne reconnaisse pas le travail qu’ils et elles réalisent par des conditions de travail décentes d’autre part.

L’environnement au service des promoteurs

Nous nous questionnons également sur la capacité et la volonté du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) de réaliser son mandat de protection du territoire, d’autant plus que le ministre Benoit Charrette, bien avant le dépôt du projet de loi 61, demandait à ses gestionnaires de mettre en place une nouvelle culture d’accompagnement des clients : «Il faut s’occuper de chaque demande comme si c’était la nôtre, comme si nous étions le promoteur, il ne faut pas être vus comme ceux qui veulent empêcher la réalisation des projets.» Que le ministre Charrette soit toujours ministre de l’Environnement après sa déclaration incendiaire de février dernier nous en dit long sur les orientations gouvernementales; ce même ministre qui se déclarait fermé à l’idée de se donner une cible de réduction des gaz à effet de serre (GES) qui soit en phase avec les recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Au gouvernement de nous faire la démonstration de la nécessité de modifier les pratiques habituelles en matière de protection de l’environnement. Le risque en vaut-il le coût ? Comment en effet peut-on réconcilier qu’il serait possible de protéger l’environnement et d’agir si les chantiers œuvrent plus rapidement et sans avoir mené préalablement les études d’autorisation ? Peut-on faire confiance aux entrepreneurs pour respecter l’environnement s’ils n’ont plus à s’engager à le faire avant le début des travaux ? Et dotera-t-on l’action étatique de ressources additionnelles pour agir ? Considérant l’importance et la fragilité des milieux humides, même si ces milieux sont un peu plus balisés au sein du Pl. 66, n’aurait-il pas été préférable de maintenir les dispositions régulières en vigueur?

Le gouvernement n’a pas fait une analyse adéquate de la pandémie

Faut-il le rappeler, la destruction des écosystèmes, l’accélération des échanges commerciaux par la mondialisation et les pratiques destructives d’élevage sont les causes de l’apparition et de la propagation rapide du virus de la COVID-19 1. Non seulement il est indécent de la part d’un gouvernement de jouer à l’autruche face à l’enjeu climatique et environnemental, mais c’est aussi dangereux.

Peut-on enfin prendre au sérieux le gouvernement dans sa volonté d’accélérer les projets tout en protégeant l’environnement et en abaissant les mécanismes de protection institués à cette fin ? À considérer le peu d’entrain du gouvernement pour la question environnementale, permettons-nous d’en douter.

Il est préoccupant que le projet de relance économique ne fasse aucunement mention des défis écologiques auxquels nous sommes confrontés et qui nécessitent une transformation économique majeure. Nous sommes pourtant face à une opportunité historique et à un défi d’une urgence extrême. Tout projet devrait être évalué sur la base de la lutte aux changements climatiques et à la perte de la biodiversité. Ce qui ne s’inscrit pas dans une optique de résilience et de transition énergétique doit passer à la trappe. Par exemple, toute construction de logements devrait être conditionnelle à des normes de construction durables et écologiques, soit beaucoup plus élevées que celles présentement en vigueur au Québec. Tout ajout d’infrastructures routières devrait être remis en question afin d’éviter l’étalement urbain et la perte de territoires agricoles. L’argent public devrait servir en priorité à la transformation des pratiques agricoles et au développement de la souveraineté alimentaire, ainsi qu’à la réindustrialisation du Québec (tout en respectant l’idée de se sortir des hydrocarbures) pour moins dépendre des échanges commerciaux mondiaux.

Mais ce qui nous est présenté, c’est le Pl. 66. Et si la mobilisation de juin a fait avorter le Pl 61, elle doit s’appuyer maintenant sur ce succès important pour aller encore plus loin. Car le gouvernement de la CAQ fait la preuve de son manque de vision en priorisant un retour « à la normale » en matière économique, comme si la pandémie de la Covid19 n’était qu’un accident dans une histoire allant de soi. Si nous ne saisissons pas collectivement l’opportunité d’agir maintenant, c’est nous qui finirons comme une note de bas de page de l’Histoire.

Notes

  1. Voir l’Aiguillon, bulletin d’Attac, no. 63, mai 2020

Un (autre) rendez-vous manqué… du côté d’Ottawa aussi!

par Jacques Bouchard
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Alors que nous sommes confrontés à un péril climatique et écologique qui se déroule directement sous nos yeux, le discours du trône du gouvernement Trudeau est dramatiquement insuffisant.

Prenons d’abord la mesure de la situation. L’ensemble des limites planétaires sont amplement dépassées. Nous assistons en direct à la multiplication des symptômes de la crise écologique : canicules, incendies, fonte des glaciers, températures extrêmes, fonte du pergélisol, etc. Pas de doute, l’existence de l’humanité est menacée par un danger abyssal. Le Fonds mondial pour la nature rappelait tout dernièrement la responsabilité de l’activité humaine dans la destruction de la biodiversité qui nous a conduit à une réduction de l’ordre de 68 % des populations d’oiseaux, de poissons, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles depuis 1970. En cinquante ans!

Le système économique capitaliste, qui a causé cette dégradation jamais vue de nosruissellement_customize.jpg écosystèmes, a conduit aussi à une inégalité sociale extrême alors que, comme le révélait Oxfam, 26 personnes possèdent à elles seules autant de richesse que la moitié la plus pauvre de l’humanité, soit 3,8 milliards de personnes. L’exploitation capitaliste des êtres humains et de la nature porte la responsabilité des 37 000 personnes qui, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) meurent de faim chaque jour. Jamais dans l’histoire de l’humanité, les inégalités n’ont atteint un niveau si insupportable.

C’est dans ce contexte que nous analysons les orientations proposées par le gouvernement Trudeau. La situation catastrophique devant laquelle nous nous trouvons, pourtant partiellement évoquée dans le discours du Trône, demande un tournant profond dans la manière de gérer l’évolution économique. Le discours du Trône ne nous annonce pas un plan de transition véritable. Loin de là, il vise le maintien du mode de vie des canadiens et de la quête de croissance, alors même que nous savons qu’il faut plus de cinq (5) planètes pour soutenir notre mode de vie actuel… En fait, nous y retrouvons beaucoup de paroles, des promesses parfois déjà formulées, mais pas de véritable projet de transformation radicale de la production et de la consommation, pourtant urgent et nécessaire.

Pauvre Canada!

Sans doute, un des premiers messages nécessaires à cette transformation aurait été l’annonce d’une réforme radicale de la fiscalité et de la politique monétaire. Les faibles mesures proposées dans le discours à cet égard sont loin d’être suffisantes. Si l’on se fie au louvoiement interminable du gouvernement libéral quant à l’imposition des industries du numérique et son attitude attentiste dans le cadre des discussions au sein de l’Organisation de la coopération et du développement (OCDE), notre pessimisme apparaît justifié. Le prochain budget devrait malheureusement confirmer nos appréhensions.

Il aurait fallu retrouver l’idée de réformer la fiscalité afin de dégager les sommes nécessaires au financement de la transformation de l’économie et à l’accompagnement des personnes qui perdront leur emploi, mais aussi un engagement clair à mettre fin aux échappatoires fiscales pour les entreprises. Nous retrouvons une volonté de continuer à soutenir les personnes qui subissent des pertes d’emploi mais nous aurions souhaité une vision plus large par la constitution d’un revenu de transition écologique visant le soutien au développement d’initiatives de transformation du modèle économique, écologique et social. Soulignons également l’absence de propositions sur une nouvelle politique monétaire autorisant une capacité d’action autonome du Canada sur le crédit et l’investissement. Nous ne retrouvons enfin aucune volonté manifeste de lier dorénavant les décisions budgétaires à un véritable plan de transformation. pailles_customize.jpg

Le discours du Trône reprend le mantra contradictoire du développement durable et l’utopie de l’économie verte. Pourtant, tout n’est pas conciliable. Il faut privilégier les activités bénéfiques et abandonner celles qui sont nuisibles. On ne peut à la fois soutenir les compagnies pétrolières et les projets de pipeline et du même souffle fixer l’objectif Canada zéro émission nette en 2050. Aucune mention de l’abandon de ces pratiques, ce qui nous souligne l’incohérence de la position du gouvernement canadien en matière environnementale.

Nous ne retrouvons pas non plus dans le discours du Trône d’indices d’une transformation de l’agriculture productiviste vers l’autonomie alimentaire et une alimentation diversifiée, durable et accessible à la population. Rien non plus sur la protection du territoire qui permettrait à la fois d’atteindre une protection immédiate et réelle de 40 % des zones terrestres ainsi que de bonifier le faible taux de 8,9 % de protection du territoire marin inclus présentement dans des aires protégées, ce qui permettrait de favoriser la biodiversité. Le discours présente une proposition d’aménagement de parcs urbains et, encore une fois, avec l’objectif de planter deux milliards d’arbres (!!!). Mais c’est plutôt une basse politique d’écoblanchiment (greenwashing) que nous offre le gouvernement Trudeau. D’autre part, la glorification technologique de la transition vers la construction de véhicules électriques et de batteries zéro émission relève pratiquement de la mystification quand on considère les impacts réels d’une telle mesure.

Qu’en est-il de la politique commerciale du Canada si on considère les valeurs du droit des hommes et des femmes qui semble si chère à ce gouvernement. Quel est le plan pour lier commerce et justice sociale? Néant.

Nous aurions souhaité que le discours du Trône nous convie à une grande transformation économique, mais aussi à une grande discussion démocratique afin que nous déterminions ensemble les principes écologiques qui devraient sous-tendre les actions du gouvernement, ce que l’on appelle la transition juste. Nous aurions souhaité être invités à participer à la construction d’une société juste où l’exploitation et l’accumulation illimitée de la richesse ne seraient plus les forces motrices de notre économie. Le discours à la nation aurait dû être porteur d’un appel à changer le monde. Or il n’en est rien.

Cette crise devrait nous permettre d’ouvrir nos esprits confinés depuis trop longtemps et de constater qu’il est impérieux de sortir de notre torpeur collective face à l’autodestruction de l’humanité et au drame de l’extrême inégalité. En pleine crise économique sociale et sanitaire, les gouvernements ont l’occasion de transformer nos économies pour construire un modèle plus juste et plus durable. Le discours du Trône n’est pas à la hauteur de la situation. Ce que nous propose le gouvernement, c’est plus une adaptation aux changements climatiques qu’une véritable transformation du système. Tourner en rond, ce n’est pas une révolution ! Nous aurions souhaité que le discours du Trône et le discours à la nation suscitent l’espoir et donnent le désir de travailler ensemble à faire du Canada un pays plus vert et plus juste. à

Nous en sommes quittes pour un autre rendez-vous manqué!

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