Partout dans le monde, le prix des aliments et des biens de première nécessité connaît une augmentation vertigineuse. Ce qui frappe particulièrement, ce sont les chiffres qui expriment cette inflation ici au Québec. Selon le Rapport Bilan-Faim 2023 publié par Moisson Montréal, les banques alimentaires ont connu une hausse historique de la demande d’aide alimentaire de 30% par rapport à 2022 et 73% par rapport à 2019. Selon Statistique Canada, la hausse du prix du panier d’épicerie a été l’élément le plus important et persistant dans les causes de l’inflation. Ces augmentations s’expliquent principalement par l’envolée du prix du pétrole et des intrants, par une pénurie d’engrais liée à la guerre en Ukraine et par la rupture des chaînes d’approvisionnement liée à la COVID, sans oublier les surprofits réalisés par les géants de l’alimentation.
Dans les pays de l’OCDE, particulièrement au Canada, autrefois territoire des progressistes, la question du bien-être des citoyens est désormais devenue le champ de bataille des conservateurs. Les forces de droite se positionnent désormais en champion de la lutte contre l’inflation, en racontant les difficultés rencontrées par les électeurs qui visitent les banques alimentaires pour être capables de payer leur hypothèque.
Elle est l’occasion d’un discours démagogique et de solutions fallacieuses relayés par les médias sociaux : l’inflation est le résultat de politiques gouvernementales qui ne se soucient pas « des gens ordinaires ». Ils pointent particulièrement le gaspillage dû à des politiques de soutien mal ciblées, les politiques de la Banque du Canada, mais surtout les politiques environnementales comme la taxe sur le carbone et les autres mesures de mitigation climatique qui seraient les principales causes de l’inflation. Les solutions proposées sont la déréglementation, la réduction de l’État providence et la confiance au secteur privé pour gérer l’économie.
Lors des audiences devant le Comité des finances de la Chambre de communes en février pour les consultations pré-budgétaires, les voix progressistes se sont unanimement élevées pour affirmer que pour contrer les effets négatifs de l’inflation, la solution n’était pas de réduire les dépenses, mais de cibler les plus vulnérables avec des mesures de transfert, de réduction du coût des médicaments et du logement, des services essentiels et de garantir que les augmentations de salaire suivent l’augmentation du coût de la vie.
Les déficits publics ne sont pas la « cause » de l’inflation selon le Syndicat canadien de la fonction publique qui pointe du doigt les problèmes dans les chaînes d’approvisionnement, mais aussi les compagnies qui utilisent leur emprise sur le marché pour augmenter leurs prix et bénéficier de profits records.
Selon le syndicat canadien de la fonction publique, les affirmations du parti conservateur ne tiennent pas la route : « Premièrement, les récentes hausses des prix ont été causées principalement par des pénuries d’approvisionnement en lien avec la pandémie. Pour aggraver les choses, les entreprises des secteurs critiques ont utilisé ces problèmes de la chaîne d’approvisionnement comme excuse pour augmenter leurs propres marges de profit. Selon un rapport du Centre for Future Work, 15 secteurs d’activité ont considérablement augmenté leurs marges bénéficiaires en 2022, notamment l’extraction et le raffinage de pétrole et de gaz, les institutions financières, les concessionnaires de véhicules automobiles, les fabricants de produits alimentaires et les détaillants alimentaires. Dans certains de ces secteurs, un petit nombre de joueurs contrôlent la majeure partie du marché, ce qui rend celui-ci beaucoup moins compétitif et permet aux entreprises d’en tirer profit plus facilement. »
D’autres voix s’élèvent pour décrier le message conservateur. Selon Jim Stanford, économiste au « Centre for Future Work », nous devrions taxer les compagnies qui font des « surprofits ». Il souligne également que le déficit du Canada est l’un des plus bas par rapport au PIB pour l’ensemble de l’OCDE.
Dans l’Aiguillon, nous explorons une autre voie, les capabilités, concept phare de l’économiste Amartya Sen, spécialiste des politiques de pauvreté et du développement, lauréat du prix Nobel d’économie en 1998. Selon cette approche, le succès du développement ne devrait pas être mesuré uniquement par le PIB ou par l’absence ou la présence de certaines conditions, mais plutôt par la capacité des individus à exercer un réel contrôle sur leur vie. La capabilité politique englobe la capacité d’agir dans sa propre vie et de participer politiquement, ainsi que d’avoir accès à l’information nécessaire pour prendre des décisions éclairées, et les moyens économiques pour faire des choix pertinents.
Dans un contexte où certains cherchent à manipuler l’opinion publique en prétendant être de son côté tout en travaillant contre ses intérêts économiques et sociaux, comment pouvons-nous contribuer à renforcer le concept de capabilité ? Comment pouvons-nous permettre à la population d’agir de manière éclairée à une époque de médias sociaux où différents récits se confrontent, afin qu’elle puisse déterminer ses propres intérêts et devenir agent de sa propre vie ?
C’est là que réside toujours le travail d’Attac Québec. Notre travail d’éducation populaire et notre action citoyenne contribuent à accroître les capacités d’action des citoyens, et c’est un travail dont nous pouvons tous être fiers.
Sujata Dey, forte d’une expérience de plus de vingt ans dans le plaidoyer et la communication au sein d’organismes communautaires et militants, est membre du CA d’Attac Québec. Elle détient un certificat en économie et est titulaire d’une maîtrise en administration des affaires de HEC Montréal et d’une formation solide en journalisme et sciences politiques, elle a contribué à des campagnes d’impact, notamment en tant que responsable de la campagne sur le commerce international pour le Conseil des Canadiens et attachée politique à la Ville de Montréal.