Gagner la guerre du climat: douze mythes à déboulonner, Normand Mousseau, Boréal, 2017
Le Québec est un leader de l’énergie verte, dit-on. «Faux»! affirme le physicien Normand Mousseau. Ce titre de meneur, le Québec se l’est lui-même donné! Le ton est donné à cet ouvrage dans lequel il déboulonne les mythes solidement ancrés sur la transition énergétique.
Ayant participé à certaines commissions, en tant que scientifique, Normand Mousseau a constaté que le processus de transition énergétique au Québec et au Canada nécessite une vision politique affirmée et cohérente. Les mythes véhiculés et partagés par plusieurs nous «cuisent lentement tout en nous faisant croire que nous nous adaptons». Pour le chercheur, il y a urgence de penser et d’agir autrement.
Un leader de l’énergie verte?
Pourquoi le Québec n’est-il pas un leader de l’énergie verte, alors qu’il est riche en hydro-électricité (100% de l’énergie primaire produite sur son territoire est renouvelable)? La nationalisation de l’électricité et les grands projets rendus possibles grâce à cette ressource naturelle ont certes profité et profitent encore aux Québécois. Mais cette position presque unique au monde n’a pas suscité l’élan nécessaire à la créativité et à l’innovation, déplore Normand Mousseau. Il y a eu des barrages spectaculaires en béton, mais la plupart des technologies sophistiquées viennent de l’étranger. On subventionne l’achat de voitures électriques qui ne sont ni fabriquées ni assemblées au Québec. Des «grille-pains» ont été également installés pour un chauffage plus vert, mais sans trouver des mécanismes plus performants pour conserver la chaleur. La filiale internationale d’Hydro-Québec a été fermée, réduisant ainsi les chances de cette compagnie (« fleuron de l’État québécois ») d’avoir un rayonnement international.
Le Québec semble se reposer sur ses acquis, ce qui l’empêche d’être hautement compétitif. Même si le mythe persiste, il ne fera pas en sorte que le Québec «contribue directement au verdissement du reste de la planète» ironise l’auteur.
Le mythe de la voiture électrique
La lutte aux changements climatiques passe-t-elle d’abord par la voiture électrique? Non, dit Mousseau. Les 100,000 voitures électriques qui seraient ajoutées au parc automobile d’ici 2020 diminueraient seulement de 0.1% l’ensemble des gaz à effet de serre du Québec. Pourtant, les leaders gouvernementaux clament haut et fort que les changements progressifs dans le parc automobile sont l’action déterminante pour gagner la guerre du climat. Ce mythe maintient le citoyen dans la douce illusion que son style de vie ne changera pas et que le gouvernement agit sérieusement pour atteindre sa cible de réduction des GES. Il laisse aussi croire que la subvention accordée à l’acquisition de voitures électriques (environ 8000 dollars par achat) est une subvention écologique. Et, effet pervers, il cautionne le désinvestissement de l’État dans le transport collectif.
Un chiffre gonflé
Comment en est-on arrivé à adopter la cible de réduire de 37.5% les émissions de gaz à effets de serre (GES) pour 2030? Normand Mousseau dit avoir été estomaqué par le processus de calcul. «Le choix du gouvernement Couillard aurait été arrêté par pure bravade: pas question de faire moins que son voisin», l’Ontario qui avait précédemment annoncé la cible de 37%. Cette image du premier ministre du Québec qui griffonne un chiffre sur le coin d’une table ne déboulonne pas seulement le mythe de la «stratégie détaillée», elle laisse entrevoir une incurie inquiétante, soutient le chercheur.
Ce chiffre est colossal. Atteindre un taux de 37.5%, demanderait une transformation radicale de la société. Néanmoins, le gouvernement n’offre aucun scénario ou piste pour l’appuyer. Cet objectif démesuré, étonnamment, n’a pas été questionné par les groupes écologistes et autres groupes de pression qui ont défilé en commission parlementaire en 2015. Pourtant l’absence de stratégie est flagrante. Aucun budget n’a été annoncé. Les ministères responsables d’atteindre cet objectif sont des ministères dédiés à l’environnement, mais sans portefeuille. Une telle inconscience pourrait-elle être stratégique?
Gestion à la pièce
Gagner la guerre du climat, ou du moins ne pas la perdre est un chemin qui n’est pas tracé d’avance. Cette lutte nécessite des observations et des analyses globales et à long terme. Des structures de gestion sont indispensables. Leur création et leur encadrement ne peuvent procéder que d’une volonté politique claire. «Le gouvernement Couillard maintient une gestion à la pièce des dossiers touchant l’énergie et les changements climatiques, une décision qui nous coûtera très cher», souligne Normand Mousseau. Pourtant, les objectifs reliés aux changements climatiques et à l’économie devraient fonctionner en symbiose et être au cœur des planifications étatiques L’organisation des ministères en silos ne facilite en rien la transition énergique qui nécessite une planification d’ensemble sur de nombreux fronts en même temps. Une structure transversale qui transcenderait les ministères et relèverait du bureau du premier ministre pourrait être un début de gouvernance plus éclairée. Mais les autorités provinciales et fédérales veulent-elles être éclairées? Sont-elles incompétentes ou aveugles?
Des inquiétudes
Les gouvernements semblent agir de façon plus stratégique et déterminée quand il s’agit de promulguer des lois -Loi 106 adoptée sous le bâillon en décembre 2016 et PL 102- protégeant ou encourageant les investissements de l’industrie extractiviste. La population est peu informée en général sur le fait que ces lois et ces décisions ont un impact sur les changements climatiques. Les organismes d’encadrement comme le BAPE sont progressivement réduits à des structures vides et leurs décisions influencées par une armée de lobbyistes. Plusieurs médias qualifient les militants environnementaux de rétrogrades et de passéistes, enlevant beaucoup de crédibilité à leur discours et à leur expertise.
L’auteur ne se limite pas à la gouvernance du Québec. Il montre aussi des obstacles importants au Canada. Par exemple, les intérêts des provinces divergent et il n’y a pratiquement pas de mécanisme de concertation et de coordination entre elles. Le gouvernement fédéral a plutôt tendance à imposer ses décisions sans consultation, ce qui est à l’origine de séquences improvisées et inarticulées dans la lutte canadienne contre le réchauffement climatique. Pour Ottawa, l’exploitation des sables bitumineux est non seulement encouragée, mais semble être le fer de lance de l’économie du pays. Le gouvernement de Justin Trudeau affirme pourtant vouloir participer aux efforts internationaux dans la lutte contre les GES.
Normand Mousseau préconise un État fort dont l’objectif de la transition énergétique serait prioritaire. Cette direction politique qui accompagnera les citoyen(ne)s et l’ensemble des secteurs «dans les choix et les changements complexes qui devront être réalisés au cours des trente prochaines années» devra véhiculer un message limpide qui se répercutera dans tous les secteurs de la vie collective, ajoute l’auteur. Des outils de communication et d’éducation devront être intégrés à cette démarche pour convaincre les citoyen(ne)s d’adhérer à ce virage.
Conscient des difficultés que comporte un tel objectif il souhaite que ce livre soit le point de départ d’une prise de conscience: en regardant au-delà des mythes, il y a des choix cruciaux à faire.
Les commentaires sont fermés.